M-Monnaie pour M-Wallet

Pendant un instant, j’ai eu un sentiment de vide. Vous savez, cette impression fugace qui vous saisit au moment de passer une porte et qui vous pousse à tapoter vos poches. D’abord mécaniquement, puis frénétiquement, au fur et à mesure que la certitude s’installe, la certitude de la perte irrémédiable
d’un portefeuille, laissant une poche vide, lestée du poids de l’habitude. Mais, cette fois-ci, ma poche est pleine. Bien à sa place, il y a mon mobile. Rassuré, je continue ma route. J’ai abandonné le portefeuille depuis quelques années ; il ne me manque pas. Il était toujours trop lourd et mal rangé, même si j’ai encore la nostalgie du premier jour : quand on découvre ces différents recoins lors du transfert du contenu de l’ancien vers le nouveau, l’occasion d’un tri drastique, jamais renouvelé. Aujourd’hui, mon smartphone a fait le vide et pris la place des pièces de monnaies, des billets, de ma carte bancaire, de nombreuses cartes de fidélité, d’un bloc-notes, de ma carte d’identité, de mon permis de conduire, des tickets de tram ou de péage, d’un plan de métro, de mes clés de voiture … De plus, ce nouveau portefeuille m’alerte sur l’état de mon compte et me rend mille autres petits services.

« Notre portefeuille fut au cœur d’une révolution monétaire, symbolisée par l’abandon progressif de la carte bancaire au profit du mobile »

Le portefeuille d’antan a bien essayé de se réinventer. Dunhill n’a-t-il pas lancé en
2011 un nouveau modèle, extérieur carbone et intérieur cuir, ne s’ouvrant qu’à la reconnaissance de l’empreinte digitale de son propriétaire et sonnant en cas de séparation grâce à une liaison Bluetooth avec le téléphone mobile ? C’était sans compter avec le terminal mobile multifonctions. Mais qui aurait pu imaginer que notre modeste portefeuille allait être au cœur de l’une des plus grandes batailles numériques : la révolution monétaire symbolisée par l’abandon progressif de la carte bancaire au profit du mobile, rendue possible par de longues et complexes négociations entre des opérateurs télécoms, des fabricants de terminaux, des géants de l’Internet, de grandes enseignes et, bien sûr, des établissements financiers.La pratique du paiement via les mobiles est, en fait, plus ancienne : avant les années 2000, on pratiquait déjà les règlements par SMS ou sur des boutiques en ligne. Il a fallu attendre la banalisation
de la technologie NFC lancée par Nokia, Philips et Sony, en 2004, pour rendre possible des paiements sécurisés sans contact par le rapprochement d’un terminal mobile avec une base dédiée chez un commerçant. Un simple geste suffit, le « touch to pay », pour effectuer un règlement.
Dès 2004, NTT DoCoMo lança avec succès son Mobile Wallet suivi par de nombreuses expérimentations, plus de 200 dans le monde en 2010, comme celle de Barclays avec
le Transport of London en 2007, ou l’initiative Cityzi des opérateurs français – Bouygues Telecom, Orange et SFR – testée à Nice en 2010. Aux Etats-Unis aussi, AT&T, T-Mobile et Verizon se sont associés pour développer une solution commune. Il leur fallait faire vite car, déjà, l’année suivante, les géants de l’Internet se mettaient en marche :
à peine annoncée, la solution Google Wallet se voyait accuser de plagiat par Paypal, alors leader des paiements sur mobile, pendant qu’Apple lançait son application E-Wallet.
En même temps que notre monnaie fiduciaire se dématérialisait encore un peu plus, apparaissaient des applications pionnières de monnaies virtuelles et privées, accompagnant les échanges dans des univers virtuels comme Second Life, des
« Social Games » comme FarmVille ou des réseaux sociaux comme Facebook. Un
pas de plus fut franchi par la création de Bitcoin, une étonnante monnaie électronique décentralisée conçue en 2009 par le mystérieux Satoshi Nakamoto. Bitcoin a connu son premier krach le 19 juin 2011, en passant en quelques heures d’environ 12 euros
à près de zéro ! Il y avait une faille dans la sécurité du réseau… Cette tendance reste encore marginale, mais il est clair que nous sommes entrés dans un nouveau cycle économique. Woody Allen ne pourrait plus nous asséner son conseil préféré : « Si votre psychanalyste s’endort devant vous, il y a un truc infaillible pour le réveiller : ouvrez doucement votre portefeuille ». Le faire sonner sera désormais sans doute tout aussi efficace ! @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’e-multilinguisme
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème l’Idate a publié son étude
« M-Payment : A battle of giants in a segmented market »
par Sophie Lubrano.

La guerre des Mondes virtuels

Je suis pressé ce matin. Mais pour rejoindre mon bureau cela m’a pris moins de deux minutes dans la mesure où, aujourd’hui, je vais rester chez moi tout en étant virtuellement présent sur mon lieu de travail. Dans un univers 3D hyperréaliste reconstituant l’entreprise, l’intégration des ressources combinées de l’intranet, des réseaux sociaux
et des moyens de communication instantanés permet de travailler de manière spontanée et collaborative. Je frappe à une porte et discute avec mon voisin de bureau. Je rejoins une salle de réunion pour le point hebdomadaire avec le reste de l’équipe, la moitié des collègues seulement étant réellement présents.
Le passage à la machine à café, elle aussi virtuelle, permet de me tenir au courant
des dossiers vraiment importants. Univers professionnels, personnels, ludiques ou artistiques, les mondes virtuels font partie intégrante de la culture de l’humanité, depuis que l’homme met des images et des mots sur ses rêves. Ces mondes imaginaires ont de tout temps été l’objet de représentations faisant appel aux techniques de l’époque, des premières grottes peintes au cinéma d’anticipation.

« Les méta-univers, qui assurent l’interopérabilité entre les nombreux mondes virtuels, nous permettent de circuler dans ces environnements de pixels. »

C’est tout naturellement que les technologies numériques leur ont donné corps. Les premières tentatives remontent ainsi aux premiers âges de l’informatique : dès 1968,
Ivan Sutherland élabora le premier casque de vision de réalité augmentée ; en 1977, Andrew Lippman créa le premier programme de réalité virtuelle en donnant à un utilisateur la possibilité de conduire dans les rues d’Aspen en toutes saisons. A partir des années 1990, les initiatives se sont succédées : le précurseur Deuxième Monde
de Canal+ dès 1997, les jeux massivement multi-joueurs Ultima en 1995, Second Life en 2003, World of Warcraft en 2004, ou plus récemment le réseau social Habbo pour adolescents.
Pour tenir ses promesses, un monde virtuel fait appel à de nombreuses technologies,
qui, même en 2010, étaient à peine matures. Il s’agit d’abord de reconstituer des environnements les plus crédibles possibles, bien qu’imaginaires, par la création d’univers persistants, utilisant la 3D et des interfaces immersives. Il faut également combiner un mix de technologies complexes : streaming vidéo, webcam, chat et VoIP, intelligence artificielle, … Et c’est la maîtrise de la création d’avatars, de l’interactivité
et de la communication entre les habitants de ces mondes sociaux qui donnent, in fine, la valeur d’usage à ces applications hypersophistiquées.
La décennie 2010 a été celle de la multiplication des mondes spécialisés. Les mondes miroirs, le plus souvent supporté par Google Earth, ont ouvert la voie à de nombreuses applications, touristiques ou urbaines par exemple. Angers, qui lança sa communauté virtuelle 3D.angers.fr début 2011, fut l’une des premières villes à proposer aux citoyens
– et en particulier aux plus jeunes souvent les moins impliqués dans la vie municipale – une visualisation des projets en développement. Les univers commerciaux, qui valorisent une marque forte (branded worlds) ou qui ouvrent sur une galerie marchande, préfigurent l’évolution des sites de commerce en ligne peuplés d’assistants virtuels, comme ceux développés avec succès par Virtuoz. Nos écoles et nos universités disposent désormais de salles de classes accessibles sur des campus virtuels, où des professeurs et des élèves bien réels expérimentent une nouvelle pédagogie étendue. L’hôpital aussi dispose de salles de consultations et d’opération virtuelles. Autant d’univers comme autant d’extension de nos réalités multiples. Nous sommes encore loin d’avoir fait ce tour du monde virtuel qui s’enrichit des progrès techniques les plus récents. Les méta-univers, qui assurent une interopérabilité croissante entre des mondes virtuels de plus en plus nombreux, nous permettent
de circuler et de vivre dans ces environnements de pixels : ma maison, mon bureau, mes magasins, ma banque, mon médecin, ma médiathèque, mes salles de spectacles, ma ville, ma planète, … Et pendant que la concurrence fait rage entre les entreprises gestionnaires, iIl nous reste à apprivoiser ce nouveau monde, au potentiel étonnant et aux implications qui inquiétaient déjà Jean Baudrillard en 1995, lorsqu’il posait la question de l’impuissance du virtuel. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : BD numérique
* Jean-Dominique Séval
est directeur général adjoint de l’Idate.