Le Q.I. de nos villes

Ce matin, tout en prenant mon petit-déjeuner, je révise mon agenda de la journée et valide les moyens de déplacement que mes applications m’ont automatiquement programmés. Un trajet multimodal, mixant tramway, vélo et bus, optimisé en fonction d’une météo dégagée et d’un pic de pollution rendant très onéreuse l’utilisation de ma voiture. Cette option est désormais possible par la disponibilité, en temps réel, de multiples données nécessaires et d’applications très simples d’utilisation : les vélos disponibles lors des connections sont déjà réservés, et mon budget et mes déplacements optimisés en fonction de mes rendez-vous et des conditions de circulation. Quelle est cette ville qui aurait sans doute stupéfiée un certain Jules Vernes qui écrivait, en 1863, l’un de ses tous premiers romans : « Paris au XXe siècle », publié en 1994 après avoir été retrouvé au fond d’un coffre ? Une formidable vision où Paris est désormais un port relié à la mer par un immense canal dont les rues, règne de la fée électricité, sont sillonnées par des métros aériens et des voitures silencieuses. Une ville bien réelle, comme elle l’est depuis toujours. Le père de l’anticipation ne pouvait imaginer l’émergence, au-delà de cette ville réelle, d’une ville virtuelle façonnée par les technologies de l’information. Cette combinaison a ainsi donné naissance à ce que Norbert Streitz a appelé la ville hybride, associant la réalité concrète aux données qu’elle génère en permanence.

« Ce concept de “Smart City”, au-delà de
l’argument de marketing territorial de ses débuts,
apparaît aujourd’hui comme réellement fédérateur. »

Depuis 2010, nous sommes ainsi entrés dans une longue phase d’expérimentation qui nous permet, chaque jour un peu plus, de mieux appréhender les promesses de la ville intelligente. Ce concept de « Smart City », au-delà de l’argument de marketing territorial qu’il a pu avoir à ses débuts, apparaît aujourd’hui comme réellement fédérateur pour les collectivités, les industriels et les citoyens. Il traduit une ambition partagée par les élus
et leurs administrés de concevoir l’avenir des citées répondant aux enjeux du développement durable, tout en exploitant le potentiel du numérique et en veillant à la cohésion territoriale et sociale.
L’élément déclencheur a été la disponibilité simultanée de données exploitables, dopées par la multiplication de capteurs en tout genre prenant en permanence le pouls de la ville, et d’interfaces de toutes sortes envahissant nos rues. A l’heure de l’« Open data » et des écrans dans la ville, ce sont les industriels qui ont rapidement pris la mesure de l’enjeu et du relais de croissance potentiel de ce nouvel eldorado : IBM, Cisco, General Electric, Panasonic, Schneider, Siemens, sans compter les SSII, les opérateurs télécoms et les fournisseurs de services d’eau ou d’énergie. Tous ont investi massivement dans la R&D, l’acquisition frénétique de sociétés spécialisées et l’évangélisation des villes (les premières servant de laboratoire à grande échelle). Même en période de ressources rares, l’avenir des villes passe par la maîtrise des différentes dimensions qui la composent. « Smart Gouvernance », « Smart Mobilités », « Smart Environnement », « Smart Economie » ou « Smart Qualité de vie » sont autant de domaines autour desquels les villes ont organisé leurs investissements : Amsterdam, pionnière des réseaux électriques intelligents ; Singapour, innovant dans des systèmes de péage urbain à tarification ajustée en temps réel ; Birmingham, New York ou encore bien d’autres agglomérations, mettant en places des plans numériques afin de concilier le développement des infrastructures fixes et mobiles, l’énergie et le développement durable, les services numériques innovants et l’inclusion sociale. Des utopies urbaines sont devenues bien réelles à travers la construction de la ville nouvelle, forcément intelligente, comme la « King Abdullah Economic City » qui accueille aujourd’hui sur les bords de la Mer Rouge plus de 2 millions de personnes sur une surface équivalente à trois fois la superficie de Manhattan ! Villes réelles, virtuelles, hybrides, intelligentes, … humaines. Les projets les plus complets intègrent la participation active des citoyens, moteur ultime de l’intelligence. Une manière de conjurer le sort entrevu par Jules Vernes qui terminait son roman de la ville du futur par la victoire funeste de la technologie sur la culture. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2020 » : L’e-pub
* Directeur général adjoint de l’IDATE.
Sur le même thème, l’institut vient de publier
son rapport « Smart Cities : Le numérique au coeur
de la ville intelligente », par Philippe Baudoin