Le milliardaire Warren Buffett, investisseur influent via Berkshire Hathaway, devient technophile sur le tard

Actuelle 5e fortune mondiale, le milliardaire américain Warren Buffett (91 ans) – à la tête de sa holding d’investissement Berkshire Hathaway – devient de moins en moins réservé sur les technologies numériques. Après être monté à 5,5 % au capital d’Apple, il s’offre 11 % de HP. L’ « Oracle d’Omaha » a changé de regard sur les technos.

(Cinq jours après la publication de cet article dans EM@, Warren Buffet a annoncé le 30 avril détenir 9,5 % du capital d’Activision Blizzard)

Il n’est jamais trop tard pour devenir technophile, surtout lorsque l’on dispose d’une trésorerie de 144 milliards de dollars disponible pour investir. A 91 ans (il aura 92 ans en août prochain), le success-investor Warrent Buffett (photo) vient de faire un pas de géant dans la high-tech en faisant l’acquisition le 6 avril dernier de 11 % du capital du fabricant américain d’ordinateurs et d’imprimantes HP. Au total, son fonds d’investissement Berkshire Hathaway a déboursé 4,2 milliards de dollars pour s’emparer de 121 millions d’actions du groupe d’informatique personnelle issu de la scission en 2015 de Hewlett-Packard (l’autre société HPE, dédiée aux entreprises, n’étant pas concernée par cet investissement). L’action d’HP à la Bourse de New-York a aussitôt fait un bond de près de 15 % du jour au lendemain, avant de s’affaisser puis de reprendre du poil de la bête. Sa capitalisation s’est hissée au-dessus des 40 milliards de dollars (au 21-04-22). Reste que si l’ « Oracle d’Omaha » – surnom donné à Warren Buffett, car très écouté par les investisseurs et en référence à la ville d’Omaha, au Nebraska, où il habite et travaille – a jeté son dévolu sur « HP Inc », c’est qu’il voit de belles plus-values en perspective dans le monde du PC. Et ce, malgré les signes contradictoires sur ce marché mondial – dont le fabricant de Palo Alto est le numéro deux, derrière le chinois Lenovo.

« WB », plus Coca-Cola que high-tech
Lors de l’assemblée générale des actionnaires de son conglomérat Berkshire Hathaway (BH), le 30 avril prochain, le PDG Warren Buffett (« WB ») – fonction qu’une ONG et un fonds ont demandé le 19 avril à ce qu’elle soit ramenée à DG (1) – devra rassurer sur son investissement-surprise. Cinq jours après que le milliardaire soit devenu minoritaire dans HP, le cabinet d’études Gartner publiait un état peu réjouissant du marché mondial des ordinateurs personnels au premier trimestre 2022 : recul de 6,8 % par rapport à la même période de l’an dernier. Mais si l’on met à part le ralentissement des ventes de Chromebook de Google, le marché des PC est en hausse de 3,9 % (2). Ce n’est pas si mal au regard de la plus forte croissance jamais enregistrée depuis des décennies un an auparavant, soit 32 % au premier trimestre 2021 (3). L’« Oracle d’Omaha » a-t-il eu du nez ou risque-t-il d’être déçu par ce fleuron de la technologie, secteur dont il se méfie depuis toujours ? Car Warren Buffett n’a jamais été très « Big Tech ». Il y a dix ans exactement, WB avait déclaré sur CNBC qu’il n’a pas vraiment une opinion sur Facebook et Google parce qu’il est difficile de déterminer leur valeur et comment ils se débrouilleront à l’avenir. « Il est donc beaucoup plus facile pour moi de comprendre ce que Coca-Cola vaut que Google ou Facebook », avait-il dit à l’époque (4). Il se méfie aussi du battage médiatique lors de l’introduction d’entreprises du numérique. Le milliardaire n’a jamais caché qu’il n’investirait pas dans la technologie parce qu’il ne la comprenait pas vraiment.

Ses 5,55 % d’Apple valorisés 161 Mds$
D’où la surprise lorsqu’il révèle en novembre 2011 qu’il a investi progressivement quelque 11 milliards de dollars pour monter à 5,5 % du capital d’IBM, devenant alors l’un de ses plus grands actionnaires. Mais dès que « Big Blue » a rencontré des difficultés, il a commencé en mai 2017 à céder ses parts. « IBM est une grande entreprise solide mais elle a également des concurrents gros et solides », avait-il expliqué en révisant son jugement à la baisse. Son aversion envers les technologies est alors à son comble. Quoique… Après avoir soldé sa participation dans IBM début 2018, non sans faire quelques milliards de plus-value au passage malgré la débâcle de Big Blue, le milliardaire d’Omaha a rapidement renforcé ses positions dans… Apple, dont il détenait déjà des actions depuis 2016. Ce fut un changement de pied pour le success-investor, passant d’un fabricant d’ordinateurs orienté entreprises vers un fabricant de terminaux orienté grand public. IBM et Apple étaient rivaux dans les années 1980, avant de diverger par la suite.
Bien qu’il ne possèderait toujours pas d’iPhone personnellement, la marque à la pomme – son « dauphin géant », comme il dit – est aujourd’hui l’investissement technologique qui lui donne encore toute satisfaction. « Notre participation n’est que de 5,55 %, en hausse par rapport à 5,39 % un an plus tôt. Cette augmentation ressemble à de la petite pomme de terre. Mais considérez que chaque 0,1 % des gains d’Apple en 2021 s’élevait à 100 millions de dollars », s’enthousiasme le groupe BH dans son rapport annuel publié fin février. Et de bien faire comprendre : « Seuls les dividendes d’Apple sont comptabilisés dans les résultats [de] Berkshire – et l’an dernier, Apple nous a versé 785 millions de dollars de ces dividendes. Pourtant, notre “part” des bénéfices d’Apple s’élevait à 5,6 milliards de dollars. Une grande partie de ce que [nous avons] conservé a été utilisé pour racheter des actions d’Apple ». Au 31 décembre 2021, les 5,55 % de BH dans Apple étaient valorisés 161,1 milliards de dollars, alors que ces actions lui ont coûtées 31 milliards de dollars – soit une plus-value potentielle de 420 %. Tandis que Warren Buffett n’a de cesse d’encenser Tim Cook, le « brillant » PDG d’Apple. C’est le meilleur investissement que l’« Oracle d’Omaha » a réalisé parmi les entreprises qu’il ne contrôle pas (y étant actionnaire minoritaire). Viennent ensuite, d’après sa lettre aux actionnaires de BH établie fin février : Bank of America (12,8 % capital, valorisés 45,9 milliards de dollars), American Express (19,9 %, valorisés 24,8 milliards) ou encore The Coca-Cola Company (9,2 %, valorisés 23,6 milliards). Aussi rétif aux technos, WB n’en est pas moins aussi actionnaire minoritaire de l’opérateur télécoms américain Verizon (3.8 %, valorisés 8,2 milliards), le câblo-opérateur Charter Communications (2,2 %, valorisés 2,5 milliards). Et il y a aussi une part de technologie dans le chinois BYD (7,7 %, valorisés 7,7 milliards) et le japonais Mitsubishi (5,5 %, valorisés 2,6 milliards). Comme quoi le « tycoon-vétéran » de l’investissement n’est pas aussi technophobe qu’il le laisserait penser. « Je fais beaucoup d’erreurs », reconnaît l’« Oracle d’Omaha », dont l’associé historique est Charles Munger (98 ans), dit Charlie (photo ci-contre), vice-président milliardaire de BH. Le conglomérat holding, dont le siège social est au Nebraska (à Omaha donc) mais avantageusement domicilié fiscalement dans l’Etat du Delaware, contrôle de nombreuses filiales, à commencer dans des activités d’assurance et de réassurance (5), suivies par une entreprise de transport ferroviaire de marchandises (6) et un groupe de production et distribution d’électricité (7), auxquels s’ajoutent plusieurs unités de fabrication (8), de services ou encore de vente au détail (9). Toutes les filiales consolidées de BH employaient un total de 372.000 personnes dans le monde à la fin 2021 (parmi lesquelles 50.500 dans l’assurance), dont 77 % aux Etats-Unis.

Que va-t-il faire de ses 144 Mds$ de cash ?
Warren Buffett n’est en revanche pas un tycoon des médias, loin de là. C’est tout juste s’il possède WPLG, une chaîne de télévision à Miami en Floride (affiliée au network ABC), acquise en 2014 auprès de la Graham Holdings (ex-Washington Post Company, après que celle-ci ait vendu l’année d’avant le Washington Post au fondateur d’Amazon, Jeff Bezos). BH a par ailleurs possédé le quotidien régional The Buffalo News ainsi que l’éditeur de dizaines de newspapers BH Media Group, avant de revendre ces activités presse en 2020.
A l’international, la seule activité média de WB réside dans Business Wire, société de diffusion de communiqués de presse créée en 1961 et acquise par BH en 2006. Ses contenus (textes et multimédias) sont diffusés dans le monde entier, via son réseau NX, aux journalistes et agences de presse comme l’AFP. Ses deux principaux concurrents sont PR Newswire (groupe Cision) et GlobeNewswire (ex-Prime- Newswire). Une chose est sûre, le success-investor aux 144 milliards de dollars de cash a les moyens de renforcer sa nouvelle technophilie et son penchant médiatique. @

Charles de Laubier

Kazuo Hirai va quitter Sony, dont il est président, au moment où la pression des GAFAN se fait plus intense

Et si Sony vendait son studio de cinéma à Apple ? C’est l’un des scénarios possibles, maintenant que la plateforme de SVOD Apple TV+ est annoncée pour l’automne. Encore faut-il que Kenichiro Yoshida, nouveau PDG depuis un an du géant japonais de l’électronique, soit vendeur… Pour l’heure, tous ses efforts se concentrent sur la future PS5.

Le président de Sony, le visionnaire Kazuo Hirai (photo), a passé il y a un an la direction exécutive du groupe à son directeur financier, Kenichiro Yoshida. « Kaz », comme on le surnomme, quittera définitivement en juin prochain la firme de Tokyo où il a passé 35 ans de sa vie. Ce départ, qui finalise la passation de pouvoirs à la tête du géant mondial japonais de l’électronique grand public, intervient au moment où son avenir devient un peu plus incertain malgré le redressement opéré ces dernières années. Kazuo Hirai laisse derrière lui un groupe en meilleur santé qu’il ne l’avait trouvé comme PDG. Les résultats de l’exercice 2018/2019, clos fin mars, ont été publiés le 26 avril dernier : le chiffre d’affaires global atteint 8.665,7 milliards de yens (69,3 milliards d’euros), en hausse sur un an de 1,4 %, et le résultat net en forte hausse affiche un nouveau record, à 916,2 milliards de yens (7,3 milliards d’euros). Kaz avait pris la tête de Sony il y a sept ans en succédant, le 1er avril 2012, à l’Américain Howard Stringer. Fort de son succès passé à la division Sony Computer Entertainment avec la console PlayStation et son écosystème de jeux en ligne, devenue la locomotive du groupe, le Japonais avait entrepris de généraliser aux autres activités la convergence entre terminaux et contenus via des services en ligne.

Vendre Sony Pictures à Netflix, Amazon ou Apple ?
Pendant son mandat, Kazuo Hirai a dû défendre la division Entertainment en assurant qu’elle n’était « pas à vendre ». En 2013, le fonds d’investissement newyorkais Third Point – actionnaire minoritaire de Sony – avait appelé le géant japonais à s’en séparer et à mettre en Bourse ses activités de contenus musicaux et cinématographiques (2). Aujourd’hui, ce même hedge fund, créé par le milliardaire Daniel Loeb, est remonté
au créneau pour interpeler le nouveau PDG et lui demander de clarifier la stratégie de Sony. Pour faire monter la pression, Third Point veut investir entre 500 millions et 1 milliard de dollars pour augmenter sa participation dans le capital du géant de la high-tech. « Nous ne faisons pas aucun commentaire sur d’éventuelles actions que nous aurions dans Sony », a répondu le fonds spéculatif à Edition Multimédi@.
PS4 et jeux vidéo : premiers revenus de Sony Il y a six ans, Daniel Loeb affirmait que sa société d’investissement était devenue le premier actionnaire de Sony – à hauteur de 6,5 % du capital. N’ayant pas réussi à l’époque à obtenir la scission de l’activité de divertissement du groupe tokyoïtes, il avait revendu l’année suivante ses actions Sony en empochant une plus-value de 20 %. Après l’échec de sa première tentative d’influence, Third Point se prépare à reprendre une participation pour essayer à nouveau de peser sur les prochaines décisions stratégiques de Sony – maintenant que le financier Kenichiro Yoshida en est le patron. C’est du moins ce qu’a révélé Reuters le 8 avril dernier (3). Selon l’agence de presse, qui cite sans les nommer des proches du dossier, le fonds – qualifié d’« activiste » – veut que Sony réfléchisse aux différents scénarios concernant l’avenir de certaines de ses activités, notamment de son studio de cinéma Sony Pictures Entertainment qui intéresserait, selon lui, Amazon et Netflix.
A l’heure où ces deux plateformes mondiales de SVOD sont engagées dans une course-poursuite dans la production originale de films et séries, à coup de milliards de dollars de financements, s’emparer d’une major du cinéma mondial pourrait être un bon parti pour les GAFAN.
Y compris pour la marque à la pomme qui va lancer à l’automne sa propre plateforme Apple TV+. En février, Daniel Ives, directeur général de la société d’études financières Wedbush Securities, avait déclaré sur la chaîne américaine CNBC que « la plus grosse erreur stratégique d’Apple depuis que Tim Cook en a pris la direction est de ne pas avoir racheté Netflix » (4) et que la firme de Cupertino « devrait acheter en 2019 un grand studio de cinéma tel que potentiellement Sony [Pictures], Lionsgate, A24 [déjà partenaire d’Apple depuis l’an dernier, ndlr], CBS ou Viacom [propriétaire de Paramount, ndlr] » (5). Sony Pictures comprend notamment les studios d’Hollywood Columbia Pictures, ceux de Screen Gems et de TriStar Pictures, ainsi que les studios Game Show Network (GSN) détenus majoritaire aux côtés de WarnerMedia (AT&T).
En outre, Third Point – qui gère un fonds de 15 milliards de dollars – veut amener
Sony à clarifier sa stratégie sur la présence au sein du groupe des activités de semiconducteurs, d’une part, et d’assurance, d’autre part. Les intentions de Daniel Loeb, non confirmées ni infirmées par le fonds alternatif, auraient pu passer inaperçues si l’information n’avait pas été suivie le lendemain par un bond de plus de 9 % de l’action Sony à la Bourse de Tokyo (6). Si l’investisseur activiste n’a pas fait parler de
lui chez Sony depuis six ans, c’est que la stratégie menée par l’ex-PDG sortant Kazuo Hirai a finalement donné des résultats positifs pour le fleuron de l’électronique grand public japonais. Audelà des réductions de coûts et du renouvellement de l’équipe de direction, Sony a profité du savoir-faire dont Kaz avait fait preuve lorsqu’il était à la tête de la division Sony Computer Entertainment – avec la console PlayStation et son écosystème de jeux vidéo en ligne. Le succès de la PS4, lancée il y a près de six ans, est à mettre à son crédit. La plateforme en ligne PS Network (PSN) et son catalogue
de jeux vidéo cartonnent ; les quelque 80 millions d’abonnés actifs en ligne par mois génèrent près de la moitié des revenus de la division Entertainment.
Depuis le lancement de la toute première PlayStation en 1994 – il y a 25 ans cette année –, Sony en a fait une console de référence vendue depuis à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde. Kazuo Hirai aura trouvé la consécration avec la PS4 ; son successeur Kenichiro Yoshida est attendu au tournant avec une future PS5 prévue d’ici l’an prochain. Mais le ralentissement des ventes de la PS4, arrivée en fin de cycle (de vie), place Sony devant un avenir incertain. Surtout que l’activité « Game & Network Services » (G&NS) est la première source de revenu de la multinationale nippone : 2.350 milliards de yens (18,6 milliards d’euros) prévus sur l’année échue au 31 mars 2019, soit plus d’un quart du chiffre d’affaires annuel. C’est même celle qui contribue le plus aux profits du groupe (310 milliards de yens). C’est encore mieux que la division
« Music » (230 milliards de yens), même si la major Sony Music Entertainment (7) opère un redressement grâce à la montée en charge du streaming musical par abonnement (8). Pas encore rentables, les smartphones Xperia coûtent encore beaucoup d’argent à Sony.
D’autres activités sont assez performantes telles que les capteurs d’images (Cmos)
que la firme nippone – numéro un mondial dans ce domaine – fabrique pour les smartphones et tablettes du marché mondial, ainsi que pour la voiture autonome ou les solutions de sécurité. Sony fabrique aussi des téléviseurs (Bravia, Master) ou encore des appareils photo (Cyber-shot). Pour la première fois au MipTV, qui s’est tenu à Cannes courant avril, Sony a assuré la diffusion de contenus en 8K – offrant une ultra-haute définition quatre fois plus puissante que l’actuelle 4K.

La future PS5 va coûter cher à Sony
Il y a huit mois, en août 2018, l’agence de notation financière Fitch avait relevé à
« BBB- » la note de la dette à long terme de Sony. Mais le développement de la PS5 est dévoreur de capitaux. Il y a un peu plus d’un an, en mars 2018, une autre agence notation financière, Moody’s, avait déjà relevé sa note équivalente à « Baa2 » avec une perspective jugée « stable ». Pour l’instant. @

Charles de Laubier

Le marché mondial des smartphones baisse pour la première fois : mauvais présage pour la 5G

Entre – 3 % et – 5 %. C’est la baisse des ventes mondiales de smartphones en 2018 par rapport à l’année précédente. Du jamais vu sur ce marché high-tech habitué à des croissances annuelles depuis dix ans. Ce coup frein n’est pas de bon augure pour la future 5G, laquelle promet monts et merveilles à Barcelone.

« Nous pensons que plusieurs facteurs entrent en jeu ici, notamment l’allongement des cycles de renouvellement, l’augmentation des taux de pénétration sur de nombreux grands marchés, l’incertitude politique et économique, ainsi que la frustration croissante des consommateurs face à la hausse continue des prix », avance Ryan Reith (photo de gauche), analyste au sein du cabinet d’études IDC. La grandmesse internationale du mobile à Barcelone, du 25 au 28 février, ne sera pas vraiment à la fête.

La 5G va arriver au pire moment
Ce coup de froid sur les smartphones intervient alors que la 5G s’annonce déjà pour 2020 au plus tôt (1), sans que l’on sache encore vraiment si les consommateurs mobinautes seront demandeurs et surtout prêts à payer encore plus cher leur objet fétiche lesté d’un forfait très haut débit plus coûteux lui aussi. « Nous nous attendons
à ce que ces nouveaux appareils [5G] augmentent les prix de vente moyens, car de nouveaux écrans, des micro-processeurs et des systèmes radio feront monter le prix
de la nomenclature des équipements, ou BOM (2), ce qui se traduira par des prix plus élevés pour les consommateurs. Pour lutter contre cela, les opérateurs mobile et les distributeurs devront maximiser le plus possible les offres de reprise des anciens smartphones comme une forme de subvention, afin de favoriser les mises à niveau
tout au long de 2019 », prévient Ryan Reith.
Le coût de plus en plus élevé des smartphones pour les consommateurs explique donc en bonne partie l’amorce d’un déclin de ce marché mondial. Tout le monde ne peut pas s’offrir un modèle à 1.000 dollars ou 1.000 euros ! Selon les cabinets d’études, la baisse historique de 2018 par rapport à 2017 est de -3 % (GfK), -4 % (IDC) ou -5 % (Canalys). Pour autant, les smartphones constituent toujours aujourd’hui un marché
de masse qui atteint tout de même 1,4 milliard d’unités vendues sur l’année 2018. Mais le pic des ventes des téléphones intelligents a été atteint en 2017 (malgré une baisse de -0,5 %) et pourrait être le dernier record, tandis que le marché des tablettes – bien moins important en taille avec à peine plus de 150 millions d’unités vendues – avait affiché son plus haut niveau en 2013 (3). « Ce n’est pas un choc pour les fabricants
de smartphones de savoir que le marché a dépassé son plus haut niveau. Les consommateurs gardent en fait leur mobile aussi longtemps que l’innovation des appareils ralentit », assure Benjamin Stanton (photo de droite), analyste chez Canalys. L’effet des écrans agrandis sur les ventes est passé (4). La 5G est encore loin pour le grand public, même si Barcelone donne l’illusion qu’elle est déjà là. Et les écrans pliables – tels que celui du Galaxy F (Galaxy Fold), dont le prototype a été présenté par Samsung le 20 février en vue d’une commercialisation prévue avant la fin du premier semestre – suffiront-ils à re-séduire les mobinautes devenus plus économes ? Sans vraie innovation, sans faire flamber les prix, pas de second souffle. Les marchés dits “développés” (les plus riches) sont saturés, comme l’a démontré le Pew Research Center sur les usages.
Les seuls pays qui enregistrent encore une croissance de leur marché des smartphones – Inde, Indonésie, Corée, Vietnam ou encore Russie – n’ont pas compensé le déclin de la Chine, laquelle pèse à elle seule environ un tiers du marché mondial des smartphones. L’Empire du Milieu fait face à un ralentissement de son marché intérieur, ce qui tire vers le bas les ventes mondiales. De plus, la bataille géopolitique entre les Etats-Unis et la Chine contribue au ralentissement du marché mondial des smartphones. Huawei, justement, est le premier challenger d’Apple (5) :
il y a un an, la firme de de Shenzhen avait détrôné pour la première fois la marque américaine à la pomme de la seconde place mondiale des fabricants de smartphones (6). Bien qu’Apple ait repris, pour l’instant, cette deuxième marche du podium, Huawei (14,8% de parts de marché en 2018 selon Canalys, 14,7 % selon IDC) talonne le fabricant d’iPhone (15,3 % selon Canalys, 14,9% selon IDC). Toujours numéro un mondial des smartphones, le sud-coréen Samsung (21,2 % selon Canalys, 20,8 % selon IDC) vient de réorganiser sa division « smartphone » pour mieux conforter sa première place en 2019 face aux assauts des chinois Huawei, Oppo, Vivo et Xiaomi.

Le plus dur reste à venir
Onze ans après le lancement du premier iPhone, la révolution du tout petit écran est terminée – du moins est-ce la fin d’un premier cycle d’innovations à portée de main.
Au niveau mondial, l’année 2018 a dépassé la barre des 3 milliards d’utilisateurs de smartphone. Selon Forrester Research, poursuivre au-delà sera désormais plus difficile. @

Charles de Laubier

Le français Archos a vraiment du mal à s’en sortir

En fait. Le 3 octobre, Archos, le fabricant français de smartphones et tablettes,
a publié via l’AMF son document de référence annuel, ce qu’il n’avait pas fait depuis… 2011. Ce rapport financier porte sur trois ans et le 1er semestre 2018.
Il illustre la difficulté de faire du « made in France » high-tech.

En clair. Archos – anagramme de « Crohas », du nom de son fondateur Henri Crohas, actuel président du conseil d’administration et son premier actionnaire (6 % du capital et 11,2 % des droits de vote), mais aussi « maître » en grec () – est mal en point pour ses trente ans. La capitalisation boursière de l’entreprise française de smartphones et tablettes – fabriqués en Chine pour le compte d’« Archos Chine » (1) – n’a cessé de dégringoler ces dernières années pour ne peser aujourd’hui qu’à peine 22,5 millions d’euros (au 12-10-18). Le document de référence 2018 publié début octobre montre une PME exsangue : sur les six premiers mois de l’exercice en cours, les pertes nettes atteignent 5 millions d’euros, soit presque autant que durant toute l’année 2017 (6,4 millions d’euros de pertes nettes). Tout en creusant son déficit, l’entreprise du « Steve Jobs auvergnat » – dixit Challenges il y a dix ans dans son classement des grandes fortunes françaises (2) – a vu son chiffre d’affaires fondre au fil des années, passant de son plus haut niveau de 171,4 millions d’euros en 2011 – unique année positive avec 5,6 millions de bénéfice net – à seulement 114,1 millions en 2017 (-26,1 % sur un an). Le premier semestre de cette année montre un recul des revenus de 35,8 % en un an, à 32,2 millions d’euros, ne laissant rien augurer de bon pour cette année. L’endettement d’Archos atteint, lui, 25 millions d’euros (3). Le 1er mai 2013, Henri Crohas avait dû laisser la direction générale de son entreprise à Loïc Poirier, après 38,7 millions d’euros de pertes l’année précédente. Les déboires de cette PME française, basée à Igny (Essonne), illustrent les difficultés d’être un « fabricant français » de smartphones, viable et pérenne, sur un marché mondial dominé par Samsung, Apple, Sony, LG et
les chinois Huawei, Oppo ou Xiaomi. Leur puissance de feu, sur fond de guerre des prix, a été écrasante pour Archos.
Sa diversification surprenante semble être une fuite en avant : dans les trottinettes et vélos électriques depuis février 2017, dans les portefeuilles de cryptomonnaies depuis juillet 2018, et dans les assistants vocaux à écran – avec l’intelligence artificielle de Google Assistant depuis fin septembre et, à partir de janvier 2019, d’Amazon Alexa.
« L’objectif de la société est de réaliser environ 50 % de son chiffre d’affaires en 2020 sur les deux nouveaux piliers “Intelligence artificielle” et “Sécurité des transactions Blockchain” », indique le document de référence. @

Bernard Arnault, le nouveau magnat de la presse française, reprend sa revanche sur le numérique

L’homme le plus riche de France, deuxième fortune européenne et onzième mondiale, est en passe de faire du groupe Les Echos – qu’il a racheté au prix fort il y aura dix ans cette année – non seulement le pôle multimédia de son empire du luxe LVMH, mais aussi une société de services « high-tech » pour entreprises.

Il y a dix ans, en juin 2007, le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault (photo), jetait son dévolu sur Les Echos, premier quotidien économique français qu’il rachètera finalement – malgré l’opposition de la rédaction et la dimension politique de l’événement – pour près de 350 millions d’euros (dettes comprises). Tombent alors dans l’escarcelle de l’homme le plus riche de France (1) et d’Europe le journal Les Echos, assorti de son site web Lesechos.fr, mais aussi le mensuel Enjeux-Les Echos, Radio Classique ainsi que Investir et Connaissance des Arts. Malgré la résistance de la rédaction des Echos à l’époque et la création de la société des journalistes, malgré l’interpellation du président de la République (Nicolas Sarkozy, dont Bernard Arnault fut le témoin de mariage) et de la ministre de la Culture et de la Communication (Christine Albanel), et malgré une contre-offre de rachat présentée par Fimalac (groupe de Marc Ladreit de Lacharrière), Les Echos passeront en fin de compte des mains du groupe britannique Pearson (alors encore propriétaire du Financial Times) à celles du groupe de luxe LVMH.

Un nouveau « papivore », de plus en plus numérique
Bernard Arnault a ainsi réussi à s’emparer en novembre 2007 du premier quotidien économique français et à céder dans le même temps son concurrent chroniquement déficitaire La Tribune qu’il possédait depuis 1993. Depuis, la rédaction vit avec le risque de conflits d’intérêt permanent avec son unique propriétaire industriel multimarque – Louis Vuitton, Moët Hennessy, Christian Dior, Kenzo, Givenchy, Chaumet, Château Yquem, Krug, Berlutti ou encore Guerlain (2) – et par ailleurs actionnaire de Carrefour (à 8,74 %), sans parler de ses multiples participations via notamment son fonds personnel Aglaé Ventures (Netflix, Spotify, Airbnb, Devialet, SeLoger, Slack, Betfair, Back Market, …) ou via ses holdings Groupe Arnault et Financière Agache. Si l’intervention directe de Bernard Arnault dans le contenu éditorial du quotidien des affaires paraît improbable, le plus grand danger réside en fait dans l’autocensure
que peuvent s’appliquer les journalistes et leurs hiérarchies. Les garanties obtenues
en 2007 sur l’indépendance de la rédaction des Echos, la nomination de trois administrateurs indépendants, la création d’un comité d’indépendance éditoriale et la charte éthique avec le PDG du groupe Les Echos – Francis Morel depuis 2011, Nicolas Beytout auparavant – ne peuvent rien contre l’autocensure – insidieuse et pernicieuse. Il en va maintenant de même pour Le Parisien-Aujourd’hui en France que le milliardaire du luxe a racheté en octobre 2015, avec son site web Leparisien.fr, pour environ 50 millions d’euros.

De l’échec d’Europ@web à la presse en ligne
Avec une fortune personnelle dépassant les 30 milliards d’euros en 2016, Bernard Arnault (68 ans) a les moyens de ses ambitions et désormais des médias d’influence
à sa main. Cela a un prix, surtout que Les Echos n’ont atteint l’équilibre opérationnel qu’au bout de sept ans et que Le Parisien est déficitaire. Sans parler de l’apport de 6millions qu’il a fait au quotidien L’Opinion lancé en 2013 par Nicolas Beytout. Le mécène de la presse française se rêve-t-il en tycoon des médias ? Après ses deux quotidiens, Les Echos et Le Parisien, Bernard Arnault s’intéresse à la presse quotidienne régionale et notamment au groupe Ebra, filiale du Crédit Mutuel qui possède Les Dernière nouvelle d’Alsace (DNA), Le Progrès, L’Est républicain ou encore Le Dauphiné libéré. C’est Francis Morel qui l’a laissé entendre il y a un an (3). Bernard Arnault partage d’ailleurs avec un certain Michel Lucas la passion de la musique classique. Or ce dernier (78 ans) a quitté début 2016 ses fonctions de président du Crédit Mutuel et va aussi céder mi-septembre prochain sa place de patron de la presse régionale du groupe Ebra à Philippe Carli, l’ancien DG du groupe Amaury (propriétaire de L’Equipe et… vendeur du Parisien à LVMH). Philippe Carli est déjà à l’oeuvre au Crédit Mutuel pour redresser ce pôle presse. Et le vendre assaini à Bernard Arnault qui deviendrait propriétaire du premier groupe de presse régionale en France ? L’avenir nous le dira – de même que l’on saura bien assez tôt qui succèdera au « manager de presse de la décennie » Francis Morel (70 ans l’an prochain).
Au-delà de la naissance d’un « papivore », c’est aussi la revanche d’un investisseur dans non seulement la presse écrite après ses déboires dans La Tribune, mais aussi dans le numérique après ses déconvenues lors de l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Bernard Arnault a essuyé les plâtres de la « nouvelle économie » après avoir créé en 1999 son fonds d’investissement Internet, Europatweb, présent à l’époque dans Liberty Surf (racheté par la suite par Free), dans la banque en ligne Zebank (devenue Egg, puis revendu à Ing Direct), dans le site britannique de e-commerce Boo.com (liquidé en 2000), dans la société ST3G candidate à une licence 3G en France (avant d’y renoncer), et une cinquantaine d’autres participations liées à Internet. Europatweb, alors aussi actionnaire de Firstmark (boucle locale radio), fut sauvée des eaux par Suez Lyonnaise, avant de finalement jeter l’éponge et à renoncer à entrer en Bourse après le krach de 2000. « Europ@web » a signé l’échec de Bernard Arnault sur Internet. Sa revanche numérique semble aujourd’hui venue, via le groupe Les Echos-Le Parisien qui met les bouchées-double sur les contenus numériques et la hightech. Selon l’ACPM (ex-OJD), Leparisien.fr a enregistré en avril plus de 53,6 millions de visites, dont 89 % provenant de France. Ce qui le place en quatrième position des quotidiens après Le Monde, Le Figaro et 20 Minutes, et neuvième place des sites web en France. Tandis que Lesechos.fr affiche plus de 22,8 millions de visite ce même mois, dont 88 % de France, soit en vingt-deuxième position. Mais ce sont surtout les ventes numériques (4) qui sont encourageantes dans un contexte de chute des ventes « papier » en kiosque : Les Echos ont vendu en 2016 près de 35.000 versions numériques du journal par jour en moyenne sur un total payée de 128.663 exemplaires. Aujourd’hui en France – le pendant national du Parisien – fait bien moins en versions numériques avec quelque 2.000 exemplaires en moyenne par jour en 2016 pour un total de diffusion payée de 133.354 exemplaires. Le quotidien régionale Le Parisien, lui, fait mieux : plus de 13.000 versions numériques en moyenne par jour sur 205.486 exemplaires payés.
Francis Morel entend mettre en commun la gestion de la data, pour que le groupe Les Echos-Le Parisien soit plus fort dans la publicité en ligne ciblée et le brand content. Il se diversifie aussi dans la communication digitale d’entreprise, depuis le rachat début 2016 de Pelham Media. Bernard Arnault se développe ainsi dans les services qui pèsent déjà 35 % de son chiffre d’affaires, et compte atteindre les 50 % dans un ou deux ans. Tous ses médias déménageront d’ici la fin de l’année dans un même immeuble du XIe arrondissement de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Economie, innovation, high-tech, politique
Fin mai, le groupe a annoncé l’acquisition de 78 % du capital de Netexplo (société HappeningCo), un observatoire international du digital créé en 2007. Ses services et contenus « académiques » seront proposés en septembre dans un nouvel abonnement « platinum » des Echos, tandis qu’un supplément baptisé The Innovator sera proposé. Le salon Viva Technology, lancé l’an dernier avec Publicis et dédié aux start-up, couronne le tout. Le 16 juin, Bernard Arnault a pu s’y afficher aux côtés du nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron. @

Charles de Laubier