Prestataires de services sur actifs numériques : la France aiguillonne l’Europe vers plus de régulation

Craints par les uns (stabilité monétaire, cybersécurité, …) et poussés par les autres (innovation, compétitivité, …), les crypto-actifs s’immiscent dans le capitalisme financier. Mais les acteurs de la régulation veulent combler les lacunes en la matière, notamment vis-à-vis des prestataires.

Par Richard Willemant*, avocat associé, cabinet Féral

Les actifs numériques ont déjà conquis le paysage de la finance, en témoigne l’admission, en ce début février, de tokens sécurisés – en l’occurrence des « titres de dette digitaux » (1) – sur la liste officielle des valeurs mobilières de la Bourse de Luxembourg. Encore peu réglementés, ces actifs numériques impliquent de nombreux risques économiques notamment en matière de stabilité monétaire et de cybersécurité, et ils complexifient la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ce que l’on désigne sous le sigle LBC-FT (2).

Contours de la notion de crypto-actifs
Néanmoins, la digitalisation des actifs est une innovation gage de compétitivité, et son encadrement juridique par les institutions traditionnelles doit dès lors veiller à l’accompagner sans la brider, faute de perdre en attractivité. En France, le législateur a, en collaboration avec l’Autorité des marchés financiers (AMF), reconnu dès la loi de 2019 sur la croissance et la transformation des entreprises, loi dite « Pacte » (3), un statut aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Le législateur européen prévoit de reprendre très largement cet embryon d’encadrement français et de le renforcer. Lorsque l’objet régulé est en plein essor, une définition positive trop rigide risque de devenir rapidement obsolète. Les contours de la notion d’« actif numérique » ont donc en partie été tracés en négatif.
Le code monétaire et financier (CMF) a ainsi défini le terme d’actif numérique comme étant exclusif de celui d’instrument financier, de bon de caisse et de monnaie, électronique ou non (4). La proposition de règlement européen concernant les marchés de crypto-actifs, connue sous le nom de MiCA (Markets in Crypto-Assets), écarte également les instruments financiers et assimilés et la monnaie électronique de la notion d’actifs numériques. Cette proposition est actuellement en négociation entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen (5), et devrait entrer en vigueur en 2022. Des définitions positives larges et ouvertes ont également été prévues. En droit français, les crypto-actifs comprennent les cryptomonnaies, définies dans le CMF comme « toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique […] mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement » (6). Les jetons porteurs de droit sont définis, toujours dans le CMF, comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » (7).
Le projet de définition européenne est, lui, plus précis que la définition française. Outre la définition ample d’« une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire », sont distingués trois catégories de crypto actifs :
• Le crypto-actif « se référant à un ou des actifs », qui vise les crypto-actifs tendant à conserver une valeur stable (dit « stablecoin ») et en se référant à la valeur de plusieurs monnaies qui ont cours légal (dit « fiat », du latin « qu’il soit fait », en référence au fait de l’autorité), ou à une ou plusieurs matières premières, ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs.
• Le « jeton de monnaie électronique », qui vise les cryptoactifs « dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal ».
• Le « jeton utilitaire », qui vise les crypto-actifs destinés à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur le registre distribué DLT (Distributed Ledger Technology), et uniquement accepté par l’émetteur de ce jeton.

Avis ACPR et enregistrement AMF
Les services sur actifs numériques comprennent différentes prestations, variablement risquées et en conséquence différemment encadrées. Parmi les prestataires les plus surveillés, doivent être enregistrés auprès de l’AMF avant de pouvoir exercer leurs activités – dès lors qu’ils sont établis en France ou fournissent ces services en France (8) – ceux qui fournissent des services de conservation pour le compte de tiers d’actifs, des services d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal, des services d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques, ou l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques (9). Cet enregistrement est conditionné à la démonstration par le demandeur de prérequis à l’exercice de son activité, et notamment un avis favorable de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et financement du terrorisme.

LBC-FT et protection de l’investisseur
L’AMF a enregistré une trentaine de PSAN (10). Une fois enregistrés, les PSAN sont soumis, sous le contrôle permanent de l’ACPR, aux mêmes obligations de lutte contre le blanchiment que les établissements bancaires ou financiers, à savoir l’évaluation des risques LBC-FT de leur activité, la connaissance des clients et de leurs bénéficiaires effectifs, la coopération avec les services de renseignement et la mise en place des mesures de gel des avoirs. Quant au régime pilote européen en cours d’élaboration avec la proposition de règlement MiCA, il fait également une place de choix à la LBC-FT en prévoyant la possibilité pour les autorités compétentes de chaque Etat membre de retirer l’agrément de l’opérateur si celui-ci commet un manquement à la législation nationale mettant en oeuvre la directive européenne « LBC-FT » de 2015 (11). Plus récemment et dans la même dynamique de LBC-FT, le Conseil de l’UE a arrêté son mandat de négociation avec le Parlement européen sur une proposition visant à actualiser les règles existantes sur les informations accompagnant les transferts de fonds (12). L’objectif est d’imposer aux prestataires de services sur cryptoactifs l’obligation de recueillir et de rendre accessibles des données complètes sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire des transferts de crypto-actifs qu’ils traitent, et ce quel que soit le montant de la transaction. Ces obligations concerneraient notamment les transferts de crypto-actifs entre les fournisseurs de services de crypto-actifs et les portefeuilles non hébergés.
Il y a une autre manière que le registre de la LBC-FT d’appréhender les PSAN : par les normes de protection de l’investisseur. En France, la loi Pacte a également institué un agrément facultatif auprès de l’AMF des PSAN souhaitant faire du démarchage, mais il n’a pas encore réellement prospéré car les PSAN intéressés ont suspendu leurs demandes dans l’attente du régime européen en cours d’élaboration. « A ce jour, aucun PSAN n’est agréé auprès de l’AMF », est-il précisé sur le site web du gendarme des marchés financiers (13). Un visa optionnel de l’AMF pour les projets d’offre au public de jetons (ICO), mis en place au même moment, n’a pas connu plus de succès. « Nous ne l’analysons pas comme un échec », avait assuré en octobre 2021 le président de l’AMF (14). Les prestataires n’ayant pas reçu d’agrément ou de visa de l’AMF ne sont néanmoins pas privés d’exercer leur activité, seules certaines formes de publicité leur étant interdites conformément au code de la consommation (CC) : le démarchage en ligne pour proposer la fourniture de services sur actifs numériques ou d’ICO (15), la prospection en ligne par utilisation de formulaires à remplir par le prospect afin que le prestataire de services soit contacté par la suite (16), les opérations de parrainage ou de mécénat (17). Dans la mesure où le modèle économique des PSAN est largement basé sur le recours à la publicité, la flexibilité de ce dispositif – caractère optionnel du régime d’agrément et de visa, et permission encadrée de diffuser de la publicité – préserve l’attractivité de la place de Paris.
La proposition de règlement européen MiCA reprend quant à elle le dispositif français, ce qui devrait conduire au renforcement de son effectivité. Il est notamment prévu que les PSAN devront, une fois en activité, se comporter de manière « honnête, loyale et professionnelle », formule déjà connue des prestataires bancaires et financiers. Plus spécifiquement, les entités émettrices de jetons ne se référant pas à des actifs ou à des jetons de monnaie électronique seront tenues d’établir un livre blanc, exposant notamment les risques encourus, qu’ils soient liés à l’émetteur, au crypto-actif ou à la mise en oeuvre du projet (18). Ces mêmes émetteurs devront prévoir un droit de rétractation à tout consommateur qui achète de tels cryptoactifs soit directement à l’émetteur, soit à un prestataire de services sur crypto-actifs qui place des crypto-actifs pour le compte de cet émetteur.
Concernant cette fois l’offre au public de jetons (ICO) se référant à des actifs, les émetteurs devront obtenir un agrément auprès de l’autorité compétente de leur Etat d’origine. Les candidats devront pour cela justifier de l’honorabilité et de la compétence de leur gouvernance et de leurs actionnaires. Consécration du dispositif français, cet agrément n’est en revanche pas requis pour les établissements de crédit déjà soumis à l’agrément relatif à l’exercice de l’activité bancaire. Enfin, les jetons de monnaie électronique se référant à des actifs offerts au publics ne pourront, quant à eux, n’être émis que par des établissements de crédit ou des établissements de monnaie électronique (19). Les mesures existantes ou en cours d’élaboration comblent une lacune de la régulation bancaire et financière sans être aussi avant-gardistes que les objets qu’elles encadrent : il s’agit de faire entrer dans le champ d’application de la règlementation classique ces nouveaux instruments financiers numériques.

Libérer et renforcer la finance numérique
Outre la nécessaire définition inédite de la notion de cryptoactifs, l’intégration des PSAN aux dispositifs LBC-FT, d’une part, et aux normes de protection des consommateurs et investisseurs, d’autre part, correspond aux prescriptions habituellement destinées aux prestataires de services du secteur bancaire et financier. Ces nouvelles régulations visent à limiter les risques liés aux actifs numériques, à assurer la sécurité juridique, tout en libérant et en renforçant la finance numérique. Elles doivent relever le défi de protéger les investisseurs consommateurs, sans entraver l’innovation. @

* Richard Willemant, avocat associé du cabinet Féral,
est avocat aux barreaux de Paris et du Québec, délégué à la
protection des données (DPO), cofondateur de la Compliance
League, et responsable du Japan Desk de Féral.

Le français Archos a vraiment du mal à s’en sortir

En fait. Le 3 octobre, Archos, le fabricant français de smartphones et tablettes,
a publié via l’AMF son document de référence annuel, ce qu’il n’avait pas fait depuis… 2011. Ce rapport financier porte sur trois ans et le 1er semestre 2018.
Il illustre la difficulté de faire du « made in France » high-tech.

En clair. Archos – anagramme de « Crohas », du nom de son fondateur Henri Crohas, actuel président du conseil d’administration et son premier actionnaire (6 % du capital et 11,2 % des droits de vote), mais aussi « maître » en grec () – est mal en point pour ses trente ans. La capitalisation boursière de l’entreprise française de smartphones et tablettes – fabriqués en Chine pour le compte d’« Archos Chine » (1) – n’a cessé de dégringoler ces dernières années pour ne peser aujourd’hui qu’à peine 22,5 millions d’euros (au 12-10-18). Le document de référence 2018 publié début octobre montre une PME exsangue : sur les six premiers mois de l’exercice en cours, les pertes nettes atteignent 5 millions d’euros, soit presque autant que durant toute l’année 2017 (6,4 millions d’euros de pertes nettes). Tout en creusant son déficit, l’entreprise du « Steve Jobs auvergnat » – dixit Challenges il y a dix ans dans son classement des grandes fortunes françaises (2) – a vu son chiffre d’affaires fondre au fil des années, passant de son plus haut niveau de 171,4 millions d’euros en 2011 – unique année positive avec 5,6 millions de bénéfice net – à seulement 114,1 millions en 2017 (-26,1 % sur un an). Le premier semestre de cette année montre un recul des revenus de 35,8 % en un an, à 32,2 millions d’euros, ne laissant rien augurer de bon pour cette année. L’endettement d’Archos atteint, lui, 25 millions d’euros (3). Le 1er mai 2013, Henri Crohas avait dû laisser la direction générale de son entreprise à Loïc Poirier, après 38,7 millions d’euros de pertes l’année précédente. Les déboires de cette PME française, basée à Igny (Essonne), illustrent les difficultés d’être un « fabricant français » de smartphones, viable et pérenne, sur un marché mondial dominé par Samsung, Apple, Sony, LG et
les chinois Huawei, Oppo ou Xiaomi. Leur puissance de feu, sur fond de guerre des prix, a été écrasante pour Archos.
Sa diversification surprenante semble être une fuite en avant : dans les trottinettes et vélos électriques depuis février 2017, dans les portefeuilles de cryptomonnaies depuis juillet 2018, et dans les assistants vocaux à écran – avec l’intelligence artificielle de Google Assistant depuis fin septembre et, à partir de janvier 2019, d’Amazon Alexa.
« L’objectif de la société est de réaliser environ 50 % de son chiffre d’affaires en 2020 sur les deux nouveaux piliers “Intelligence artificielle” et “Sécurité des transactions Blockchain” », indique le document de référence. @

La France se voit déjà en paradis réglementaire de la blockchain et des crypto-monnaies

La France travaille à une nouvelle réglementation financière adaptée à la blockchain et aux cryptomonnaies, mais sans qu’elle ne soit trop contraignante afin d’attirer acteurs et investisseurs, et Paris espère ainsi devenir aux yeux du monde un « label » de sérieux dans ce domaine innovant.

Par Mahasti Razavi, Avocate associée, et Alice Barbet-Massin, doctorante, August Debouzy

Devenue incontournable dans la pratique bancaire et financière (transmissions de titres, modes de financement, institutions de registres, …), la technologie blockchain s’impose clairement en France. En réaction à ces transformations rapides,
les pouvoirs publics tentent de s’adapter – comme en attestent la publication en 2018 des rapports « Tolédano » (juin), « Landau » (juillet), « OPECST » (juillet) (1), les missions d’information parlementaires sur les crypto-actifs et la blockchain, ainsi que le projet de loi « Pacte » – et souhaitent faire
de la France un pays attractif pour ses entrepreneurs.

La France dispose d’une longueur d’avance En l’absence de définition juridique, la blockchain (ou « chaîne de blocs ») peut être définie comme une technologie distribuée qui permet le transfert de valeur, fonctionnant de pair-à-pair, sans tiers de confiance, selon un consensus au sein du réseau. Chaque « bloc » regroupe des transactions vérifiées et validées par les participants du réseau. Ces blocs comportent la référence du bloc précédent permettant ainsi d’en déterminer l’ordre (d’où le terme « block-chain »). Les transactions sont ensuite accessibles dans un registre public et infalsifiable.
Des précisions terminologiques sont apportées dans le vocabulaire « Informatique et Internet » du 23 mai 2017 qui définit la blockchain comme un « mode d’enregistrement de données produites en continu, sous forme de blocs liés les uns aux autres dans l’ordre chronologique de leur validation, chacun des blocs et leur séquence étant protégés contre toute modification » (2).
Au fil des pratiques et du temps, différentes applications de la technologie blockchain se sont dégagées :
• Le transfert d’actifs numériques : il existe actuellement 1977 crypto-actifs tels que bitcoin, ether, ripple, … ;
• La certification de données comme cela est le cas pour le registre blockchain des identifiants créanciers SEPA de la Banque de France. Il y a également, par exemple,
la blockchain de Carrefour, développée par Ownest, qui vise à tracer les emballages réutilisables entre les entrepôts, les transporteurs indépendants et les magasins de proximité ;
• Les smart contracts (ou contrat intelligent) : le code organise de manière automatisée l’exécution des termes et conditions d’un contrat. Par exemple, les smart contracts (3) développés par Axa (Fizzy) permettent le remboursement automatique des indemnités d’assurance prévues dans un contrat d’assurance suite au retard d’un avion ;
• Les « Initial Coin Offering » (ICO), ou offres initiales de jeton : ce sont des opérations de levée de fonds par offre au public, donnant lieu à une émission de
jetons numériques (ou « tokens »), destinée à financer le développement d’un projet par l’émetteur (par exemple, Legolas – l’ICO la plus importante de 2018 en France – a levé 34,92 millions de dollars). Ces jetons peuvent représenter un droit à des revenus, des dividendes, une part dans la gouvernance, … La France dispose d’une longueur d’avance sur la valeur juridique de la certification de données dans la blockchain. Le législateur français est le premier à avoir ouvert la voie à des applications légales de blockchain avec l’introduction du « dispositif d’enregistrement électronique partagé »
au sein des ordonnances du 28 avril 2016 (n°2016-520) en matière de mini-bons et
du 8 décembre 2017 (n°2017- 1674) en matière de titres financiers non cotés.
L’objectif initial était de permettre la modernisation de produits de placement et le remplacement des registres financiers classiques de titres, et ce par des protocoles blockchain dématérialisés. Loin d’être un simple outil d’innovation, ces blockchains-registres se sont vus accorder à cette occasion une valeur légale : soit, une efficacité juridique, une opposabilité aux tiers et une valeur probatoire pour ces inscriptions dans la blockchain (4).

Un cadre législatif souple pour les ICO
Avec le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit
« Pacte » (5) (enregistré le 19 juin 2018), la France réfléchit à un cadre législatif pour les ICO, ces levées de fonds par émission de jetons numériques. L’article 26 de ce projet de loi envisage d’intégrer au sein du Code monétaire et financier (CMF) un nouveau chapitre intitulé « Emetteurs de jetons ». Ce chapitre est composé de sept articles (L.552-1 à L.552-7) et projette d’établir un régime juridique souple en France pour les ICO. En effet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) serait compétente pour délivrer un visa aux porteurs d’un projet souhaitant émettre des jetons pour financer
ce projet ou une activité. En contrepartie, les émetteurs de jetons devront remplir un certain nombre de garanties, et ce même après la levée de fonds, sous peine de se
voir retirer ce visa.

Les garanties des émetteurs de jetons
Ces garanties consistent, d’une part, à ce que l’émetteur des jetons doit être une personne morale établie ou immatriculée en France et qu’il mette en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre (6). D’autre part, ces garanties concernent le « white paper » (ou document d’information délivré avec le projet) qui doit avoir un contenu exact, clair et non trompeur (7). Au cours des discussions parlementaires, cet article 26 a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Ainsi, cette disposition permettrait de clarifier les règles applicables à ces levées de fonds, pour inciter les émetteurs à se responsabiliser d’un côté, et rassurer les investisseurs, de l’autre. En effet, les acteurs sérieux auront la possibilité de solliciter optionnellement l’AMF pour « valider » leur projet en France et les investisseurs désireux d’éviter les fraudes pourront acquérir sereinement des jetons.
Le marché français des ICO – encore modeste, pour l’heure, comparé à ses analogues américain, suisse, singapourien, caymanais ou encore maltais – pourrait devenir plus attractif grâce à cette législation. Le succès de l’école suisse des ICO, qui a largement encouragé leur émergence et publié un guide pratique sur l’assujettissement fiscal des jetons (8) est un repère à considérer pour l’évolution des ICO souhaitée en France. D’autres sujets parlementaires sont en discussion et les réflexions soutenues. Le rapport « Landau », publié le 4 juillet 2018, a conclu sur le besoin d’une action publique ciblée en matière de crypto-actifs (9). Aussi, les deux missions d’information de l’Assemblée nationale, l’une sur les monnaies virtuelles (10) et l’autre sur les usages des blockchains (11), ont multiplié les auditions d’experts et ont permis de nourrir la construction de cette nouvelle règlementation. Au-delà du seul cadre des ICO, lors des discussions du projet de loi « Pacte » en commission spéciale, les députés sont allés plus loin en proposant des amendements variés portant sur :

• l’extension du visa optionnel de l’AMF aux autres prestataires de la crypto-économie (12) : l’objectif est de permettre à l’AMF d’évaluer aussi les bonnes pratiques sur le marché secondaire sur lequel s’échangent les jetons émis par les entreprises. Cet amendement a été retiré pour qu’il y ait, tout d’abord, une réflexion sur la question de savoir si ce visa relèvera de la compétence de l’AMF ou de l’ACPR. Puis, exerçant des métiers spécifiques, les plateformes et autres intermédiaires feront l’objet d’une proposition de régime propre consacrant une solution technique différente de celle des ICO.
• un droit au compte : face aux refus des banques d’ouvrir des comptes de dépôt aux acteurs de la blockchain, un certain nombre d’amendements ont été déposés (13).
L’un d’eux est allé jusqu’à proposer un droit au compte général auprès de la Caisse des dépôts après trois refus d’ouverture (14). C’est finalement le droit au compte spécifique à l’émetteur d’ICO qui a été adopté (15).
• la preuve blockchain : outre les ordonnances « mini-bons » et « blockchain » spécifiques, il n’existe pas pour l’instant de texte général reconnaissant la portée probatoire de l’ancrage d’une donnée dans la blockchain. Plusieurs amendements
ont été déposés en ce sens. Ils visaient à consacrer légalement la preuve de l’existence et de la date jusqu’à preuve du contraire des enregistrements de données dans la blockchain publique ou privée (16). Ces amendements qui prévoyaient une modification de l’article 1358 du code civil, n’ont finalement pas été retenus, bien qu’une réforme du code civil était aussi soutenue par le rapport « Tolédano ».
• le droit de propriété dans une blockchain de l’actif dans lequel un fonds professionnel spécialisé investit (17).
• le dépôt de brevet : un amendement a été déposé tendant à moderniser le dépôt de certificat d’utilité et les potentielles futures demandes provisoires de brevet permettant ainsi leur enregistrement, datation et certification auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) par l’intermédiaire d’une blockchain (18). Ce dernier a finalement été retiré avant discussion.

En définitive, le projet et l’actuelle règlementation française sur la blockchain – sécurisée et innovante – devrait être de nature à inciter les acteurs de la blockchain à s’installer en France alors que certains Etats, notamment aux Etats-Unis, soumettent leurs acteurs de la blockchain à des règles particulièrement contraignantes (BitLicence New Yorkaise, Securities Act, lois anti-blanchiment, …). La France veut s’inscrire, en effet, dans une logique d’ouverture et d’encadrement souple des autorités publiques permettant à la fois la protection, et l’encouragement des acteurs de la blockchain. Pour accompagner ces réflexions parlementaires et ce projet de règlementation favorable, l’Autorité des normes comptables (ANC) et Bercy, dans son projet de loi de Finances 2019, travaillent à définir un cadre comptable et fiscal précis pour les émetteurs et les investisseurs.

D’une approche nationale à transnationale
Ainsi, les retours concrets de cette règlementation devraient, dès mars ou avril 2019 (date approximative de la promulgation de la loi « Pacte »), permettre de savoir si la France sera réellement la nouvelle terre d’asile pour le marché de la blockchain. Plus largement, des réflexions normatives européennes et internationales en cours devront compléter cette démarche nationale sur la blockchain, par essence transnationale. @