Altice n’a toujours pas remplacé la marque SFR par la sienne, ce qui brouille un peu plus son image

L’opérateur télécoms SFR n’est toujours pas passé sous pavillon « altice », près de cinq ans après son rachat par Patrick Drahi. Il y a un an, le 9 octobre 2017, le groupe SFR était retiré de la Bourse – son capital étant détenu par Altice France (89,4 %) et Altice Europe (9,3 %). L’ « Altice Campus » n’affiche plus le logo SFR.

SFR n’a pas été rebaptisé Altice au premier semestre 2018, contrairement à ce que Patrick Drahi (photo) avait décidé l’an dernier lorsqu’il avait annoncé le 23 mai 2017 de New York qu’Altice allait devenir la marque unique de toutes ses activités dans le monde.
En France, la marque SFR – héritée de la « Société française du radiotéléphone » créée il y a 30 ans – devait disparaître. Il n’en a rien été et ce n’est pas pour demain. « Pas de changement prévu », nous a répondu le 4 octobre Alain Weill, DG d’Altice Europe, maison mère d’Altice France et de SFR dont il est PDG depuis près d’un an. Il venait, la veille, d’inaugurer les nouveaux locaux de BFMTV et de RMC au sein de l’immeuble « Altice Campus ».
Juste après l’éviction en novembre 2017 de Michel Combes, qu’Alain Weill a remplacé depuis, le président fondateur de la maison mère Altice Europe, Patrick Drahi, avait lui-même confirmé le 15 novembre (1) que le remplacement en France de la marque SFR par la marque Altice était « différé ». Pour autant, le milliardaire franco-israélien et actionnaire majoritaire du groupe basé au Pays-Bas n’avait pas donné les motifs de
ce report. Le passage de SFR sous pavillon « altice » n’est donc pas intervenu en début d’année, mais en réalité ce changement de marque a déjà commencé discrètement de façon désordonnée.

L’Altice Campus inauguré sans SFR au complet
Edition Multimédi@ s’est procuré le message qu’Alain Weill a diffusé en interne le 9 octobre afin d’annoncer à ses salariés – non conviés – la soirée prévue ce jour-là pour « inaugur[er] officiellement l’Altice Campus en présence de nombreuses personnalités ». Seul le logo « altice » apparaît en en-tête, alors qu’il y parle pourtant d’ »expérimentation 5G » et de « télécoms et médias »… Mais officiellement, la marque SFR ne disparaît pas. « Nous avons pour l’instant renoncé à ce projet car en France
la priorité est la reconquête des clients », avait expliqué Alain Weill dans une interview à Stratégies en mars dernier. L’heure est aussi aux économies pour un groupe surendetté à hauteur de 50 milliards d’euros ; un changement de nom coûte très cher en marketing et communication. En tout cas, la pendaison de crémaillère en grande pompe s’est faite sans attendre que tous les salariés de SFR aient déménagé de la Seine-Saint-Denis pour intégrer cet immeuble du 15e arrondissement de Paris. Les 7.000 salariés télécoms et médias y seront au complet d’ici la fin de l’année.

« Abus de biens et de pouvoirs sociaux » ?
Alors qu’ils avaient été mis côte-à-côte dès mi-2017 sur la page d’accueil du portail Sfr.fr (3), le logo au carré rouge et le logo représentant un chemin n’apparaissent plus aujourd’hui ensemble sur le site web de l’opérateur télécoms – les trois lettres rouges restant seules dans leur coin… Il y a un an, des abonnés SFR et Red dotés d’un iPhone avaient même vu la marque « altice » accolée à celle de SFR au niveau des barres du signal de l’opérateur mobile (4). Aujourd’hui, quelques communiqués de presse arborent encore les deux marques, mais chacune dans un coin de l’en-tête, comme si elles se regardaient en chien de faïence ! Pourtant, ce projet de substitution de logos apparaissait comme une aubaine pour faire oublier la marque au carré rouge très écornée ces dernières années par de nombreuses défaillances techniques, tarifaires et commerciales, lesquelles avaient fait fuir jusqu’à 3,5 millions d’abonnés depuis la vente de SFR par Vivendi à Altice en avril 2014. De plus, changer de nom découlait de la volonté de Patrick Drahi d’adopter une marque unique pour mieux rayonner à l’international – au moment où il partait à la conquête des Etats-Unis.
« La marque SFR a été un peu abîmée en France au cours des années qui viennent
de s’écouler parce que l’on a été déceptifs vis-à-vis de nos clients », avait reconnu le
17 mai Michel Combes, alors encore dirigeant du groupe (5), devant l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef).
Mais cette décision de changer de marque n’a pas été du goût de tous les actionnaires du groupe SFR qui était encore coté à la Bourse de Paris (sur Euronext) jusqu’à son retrait il y a un an. Un fonds d’investissement qualifié d’« activiste », dénommé Charity & Investment Merger Arbitrage (CIAM) et cofondé par les Françaises Catherine Berjal et Anne- Sophie d’Andlau, avait déposé plainte le 16 juin 2017 contre les dirigeants d’Altice pour « abus de biens et de pouvoir sociaux ». Cette société financière, dont le fonds était actionnaire minoritaire de SFR à environ 0,11 %, estime dans l’un de ses trois griefs que l’abandon du nom de SFR pour celui d’Altice se fera au profit de Patrick Drahi, détenteur de la marque et du groupe Altice et dénonce le fait que SFR devra verser au bout de trois ans des redevances à celui-ci pour l’usage de sa marque Altice. Les deux autres griefs formulés par CIAM portent, d’une part, sur les 80 millions d’euros que SFR a dû payer à l’Autorité de la concurrence à cause d’un rapprochement Altice-SFR un peu précipité (selon le fonds, c’est à Altice de les payer), et, d’autre part, sur
le déménagement du siège de SFR (actuellement à La Plaine Saint-Denis) dans les bureaux « Altice Campus » aux loyers plus élevés, propriétés de Patrick Drahi qui les aurait acquis pour 1 milliard d’euros en 2016 et situés dans l’immeuble Qu4drans du 15e arrondissement de Paris. Bien que CIAM ne détienne plus d’actions SFR, à la suite de l’offre publique de retrait à l’automne 2017 suivie d’un retrait obligatoire visant les actions de la société SFR, la plainte devrait suivre son cours. C’est du moins ce que pense Catherine Berjal qui nous dit « ne plus avoir accès au dossier, car n’étant plus actionnaire ». C’est le 9 octobre 2017 – il y a un an – que le titre SFR a été retiré de la cote après qu’Altice France SA, Altice NV (Altice Europe) et Altice France Bis SARL – trois holdings de droit néerlandais et contrôlées au plus haut niveau par Patrick Drahi – aient déclaré détenir respectivement 89,4 %, 9,3 % et 0,04 %, soit un total de 98,78 %, de SFR Group (6) .
Mais le flou artistique persiste autour de l’enseigne du deuxième opérateur télécoms français. Avec Altice Campus, Altice France, Altice Media ou encore le site web Alticefrance.com dédié à… SFR, Altice trace son « chemin » petit à petit sur l’Hexagone. Si les activités télécoms restent encore estampillées « SFR », les activités médias, elles, arborent déjà l’enseigne « altice » – quand bien même les médias du groupe gardent leur titre (RMC, BFMTV, i24 News, Libération, L’Express, …). Exception qui confirme la règle : la chaîne de télévision de séries et de films s’appelle Altice Studio (ex-Altice Studios, avec un « s », jusqu’en 2017). Alain Weill a dit aux Echos le 3 juillet dernier qu’il recherchait des partenaires à cette chaîne-société de production pour mieux peser face à Netflix et Amazon, alors que Le Figaro affirmait le 31 mai qu’Orange et SFR discutaient d’une fusion entre OCS et Altice Studio.
Quoi qu’il en soit, l’Altice Campus est la concrétisation de stratégie de convergence télécoms-médias décidée par Patrick Drahi à l’international. « Il est le symbole du regroupement entre les groupes Altice et NextRadioTV, mais aussi de la convergence réussie entre les médias et les télécoms en France », s’est félicité Alain Weill lors de la visite guidée des nouveaux locaux flambant neufs.

Convergence télécoms-médias et télés-radios
Les équipements audiovisuels et multimédias, mutualisables entre les différentes chaînes de télé (BFMTV, RMC Découverte, BFM Paris, RMC Story, RMC Sport, i24 News, Altice Studio, My Cuisine) et stations radio (RMC, BFM Business) ont nécessité 35 millions d’euros d’investissement. « Chaque plateau est à la fois radio et télé ; tous nos programmes radio ont vocation à devenir des programmes télévisés », a précisé le patron d’Altice France. @

Charles de Laubier

Bernard Arnault, le nouveau magnat de la presse française, reprend sa revanche sur le numérique

L’homme le plus riche de France, deuxième fortune européenne et onzième mondiale, est en passe de faire du groupe Les Echos – qu’il a racheté au prix fort il y aura dix ans cette année – non seulement le pôle multimédia de son empire du luxe LVMH, mais aussi une société de services « high-tech » pour entreprises.

Il y a dix ans, en juin 2007, le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault (photo), jetait son dévolu sur Les Echos, premier quotidien économique français qu’il rachètera finalement – malgré l’opposition de la rédaction et la dimension politique de l’événement – pour près de 350 millions d’euros (dettes comprises). Tombent alors dans l’escarcelle de l’homme le plus riche de France (1) et d’Europe le journal Les Echos, assorti de son site web Lesechos.fr, mais aussi le mensuel Enjeux-Les Echos, Radio Classique ainsi que Investir et Connaissance des Arts. Malgré la résistance de la rédaction des Echos à l’époque et la création de la société des journalistes, malgré l’interpellation du président de la République (Nicolas Sarkozy, dont Bernard Arnault fut le témoin de mariage) et de la ministre de la Culture et de la Communication (Christine Albanel), et malgré une contre-offre de rachat présentée par Fimalac (groupe de Marc Ladreit de Lacharrière), Les Echos passeront en fin de compte des mains du groupe britannique Pearson (alors encore propriétaire du Financial Times) à celles du groupe de luxe LVMH.

Un nouveau « papivore », de plus en plus numérique
Bernard Arnault a ainsi réussi à s’emparer en novembre 2007 du premier quotidien économique français et à céder dans le même temps son concurrent chroniquement déficitaire La Tribune qu’il possédait depuis 1993. Depuis, la rédaction vit avec le risque de conflits d’intérêt permanent avec son unique propriétaire industriel multimarque – Louis Vuitton, Moët Hennessy, Christian Dior, Kenzo, Givenchy, Chaumet, Château Yquem, Krug, Berlutti ou encore Guerlain (2) – et par ailleurs actionnaire de Carrefour (à 8,74 %), sans parler de ses multiples participations via notamment son fonds personnel Aglaé Ventures (Netflix, Spotify, Airbnb, Devialet, SeLoger, Slack, Betfair, Back Market, …) ou via ses holdings Groupe Arnault et Financière Agache. Si l’intervention directe de Bernard Arnault dans le contenu éditorial du quotidien des affaires paraît improbable, le plus grand danger réside en fait dans l’autocensure
que peuvent s’appliquer les journalistes et leurs hiérarchies. Les garanties obtenues
en 2007 sur l’indépendance de la rédaction des Echos, la nomination de trois administrateurs indépendants, la création d’un comité d’indépendance éditoriale et la charte éthique avec le PDG du groupe Les Echos – Francis Morel depuis 2011, Nicolas Beytout auparavant – ne peuvent rien contre l’autocensure – insidieuse et pernicieuse. Il en va maintenant de même pour Le Parisien-Aujourd’hui en France que le milliardaire du luxe a racheté en octobre 2015, avec son site web Leparisien.fr, pour environ 50 millions d’euros.

De l’échec d’Europ@web à la presse en ligne
Avec une fortune personnelle dépassant les 30 milliards d’euros en 2016, Bernard Arnault (68 ans) a les moyens de ses ambitions et désormais des médias d’influence
à sa main. Cela a un prix, surtout que Les Echos n’ont atteint l’équilibre opérationnel qu’au bout de sept ans et que Le Parisien est déficitaire. Sans parler de l’apport de 6millions qu’il a fait au quotidien L’Opinion lancé en 2013 par Nicolas Beytout. Le mécène de la presse française se rêve-t-il en tycoon des médias ? Après ses deux quotidiens, Les Echos et Le Parisien, Bernard Arnault s’intéresse à la presse quotidienne régionale et notamment au groupe Ebra, filiale du Crédit Mutuel qui possède Les Dernière nouvelle d’Alsace (DNA), Le Progrès, L’Est républicain ou encore Le Dauphiné libéré. C’est Francis Morel qui l’a laissé entendre il y a un an (3). Bernard Arnault partage d’ailleurs avec un certain Michel Lucas la passion de la musique classique. Or ce dernier (78 ans) a quitté début 2016 ses fonctions de président du Crédit Mutuel et va aussi céder mi-septembre prochain sa place de patron de la presse régionale du groupe Ebra à Philippe Carli, l’ancien DG du groupe Amaury (propriétaire de L’Equipe et… vendeur du Parisien à LVMH). Philippe Carli est déjà à l’oeuvre au Crédit Mutuel pour redresser ce pôle presse. Et le vendre assaini à Bernard Arnault qui deviendrait propriétaire du premier groupe de presse régionale en France ? L’avenir nous le dira – de même que l’on saura bien assez tôt qui succèdera au « manager de presse de la décennie » Francis Morel (70 ans l’an prochain).
Au-delà de la naissance d’un « papivore », c’est aussi la revanche d’un investisseur dans non seulement la presse écrite après ses déboires dans La Tribune, mais aussi dans le numérique après ses déconvenues lors de l’éclatement de la bulle Internet en 2000. Bernard Arnault a essuyé les plâtres de la « nouvelle économie » après avoir créé en 1999 son fonds d’investissement Internet, Europatweb, présent à l’époque dans Liberty Surf (racheté par la suite par Free), dans la banque en ligne Zebank (devenue Egg, puis revendu à Ing Direct), dans le site britannique de e-commerce Boo.com (liquidé en 2000), dans la société ST3G candidate à une licence 3G en France (avant d’y renoncer), et une cinquantaine d’autres participations liées à Internet. Europatweb, alors aussi actionnaire de Firstmark (boucle locale radio), fut sauvée des eaux par Suez Lyonnaise, avant de finalement jeter l’éponge et à renoncer à entrer en Bourse après le krach de 2000. « Europ@web » a signé l’échec de Bernard Arnault sur Internet. Sa revanche numérique semble aujourd’hui venue, via le groupe Les Echos-Le Parisien qui met les bouchées-double sur les contenus numériques et la hightech. Selon l’ACPM (ex-OJD), Leparisien.fr a enregistré en avril plus de 53,6 millions de visites, dont 89 % provenant de France. Ce qui le place en quatrième position des quotidiens après Le Monde, Le Figaro et 20 Minutes, et neuvième place des sites web en France. Tandis que Lesechos.fr affiche plus de 22,8 millions de visite ce même mois, dont 88 % de France, soit en vingt-deuxième position. Mais ce sont surtout les ventes numériques (4) qui sont encourageantes dans un contexte de chute des ventes « papier » en kiosque : Les Echos ont vendu en 2016 près de 35.000 versions numériques du journal par jour en moyenne sur un total payée de 128.663 exemplaires. Aujourd’hui en France – le pendant national du Parisien – fait bien moins en versions numériques avec quelque 2.000 exemplaires en moyenne par jour en 2016 pour un total de diffusion payée de 133.354 exemplaires. Le quotidien régionale Le Parisien, lui, fait mieux : plus de 13.000 versions numériques en moyenne par jour sur 205.486 exemplaires payés.
Francis Morel entend mettre en commun la gestion de la data, pour que le groupe Les Echos-Le Parisien soit plus fort dans la publicité en ligne ciblée et le brand content. Il se diversifie aussi dans la communication digitale d’entreprise, depuis le rachat début 2016 de Pelham Media. Bernard Arnault se développe ainsi dans les services qui pèsent déjà 35 % de son chiffre d’affaires, et compte atteindre les 50 % dans un ou deux ans. Tous ses médias déménageront d’ici la fin de l’année dans un même immeuble du XIe arrondissement de Paris avec vue sur la Tour Eiffel.

Economie, innovation, high-tech, politique
Fin mai, le groupe a annoncé l’acquisition de 78 % du capital de Netexplo (société HappeningCo), un observatoire international du digital créé en 2007. Ses services et contenus « académiques » seront proposés en septembre dans un nouvel abonnement « platinum » des Echos, tandis qu’un supplément baptisé The Innovator sera proposé. Le salon Viva Technology, lancé l’an dernier avec Publicis et dédié aux start-up, couronne le tout. Le 16 juin, Bernard Arnault a pu s’y afficher aux côtés du nouveau chef de l’Etat, Emmanuel Macron. @

Charles de Laubier

Le groupe Amaury s’inspire de la musique en ligne pour sa stratégie « omnimédia » numérique

Philippe Carli, directeur général du groupe Amaury, explique pourquoi la presse devrait s’inspirer de la musique en ligne et comment le groupe de Marie-Odile Amaury met en place une nouvelle plate-forme de vente en ligne pour les sites web de L’Equipe, du Parisien ou encore de la chaîne L’Equipe 21.

Par Charles de Laubier

Philippe CarliLe groupe Amaury entame sa mue numérique en se dotant d’une plate-forme de vente en ligne déjà utilisée par The Times, BSkyB
ou encore Universal Music (Vivendi). Développée par la société britannique MPP Global Solutions, elle va permettre aux sites web des quotidiens Le Parisien-Aujourd’hui en France et L’Equipe de vendre plus facilement des articles à la demande et des abonnements numériques. « Comme Amazon ou Apple, nous allons offrir une expérience d’achat très simple – en un seul clic (après avoir renseigné une première fois ses données et sa carte bancaire) – pour le client
qui sera plus impliqué », a expliqué Philippe Carli (photo), directeur général du groupe Amaury, le 9 avril dernier devant l’Association des journalistes médias (AJM). Sport oblige, L’Equipe sera prêt au mois de mai en prévision de la Coupe du monde de football démarrant en juin. Le Parisien suivra en juillet.

Plate-forme MPP : relation clients en ligne et paiement en un clic
La plate-forme MPP installée chez le groupe Amaury s’appuiera sur la nouvelle base
de données qui réunit l’ensemble des contacts clients des journaux (imprimés et numériques), des sites web de la chaîne de télévision L’Equipe 21 et des événements sportifs (1). « Ce CRM (2) va nous permettre de proposer à l’ensemble de nos clients en contact avec nos marques des offres conformes à leurs attentes, et plus ciblées, pour
les fidéliser », s’est félicité le bras droit de Marie-Odile Amaury, présidente et propriétaire
du groupe familial de médias presque septuagénaire (3).
Cela lui demandera un effort d’investissement de « plusieurs millions d’euros » sur trois
ans, tandis que le groupe prévoit un retour à l’équilibre en 2015 de l’activité presse (4). Alors qu’Universal Music est un client de longue date de MPP, Philippe Carli voit plus généralement dans la musique en ligne des enseignements à tirer pour la presse numérique : « Ce qui s’est fait dans la musique est très intéressant : on est passé progressivement d’un modèle propriétaire – j’achetais des titres, lesquels étaient
souvent piratés – à un modèle d’usage. Aujourd’hui, les principaux sites de musique
en ligne ne sont plus des sites où l’on va acheter mais où l’on va écouter de la musique parmi une très grande quantité de titres et de contenus, et vous pouvez définir vos propres playlists ».

Digital : environ 90 millions d’euros en 2013
Et d’ajouter : « Comme le site est intelligent, il va être capable de vous proposer – sur
la base de vos propres playlists – des morceaux qui sont assez similaires aux titres de musiques que vous aimez. Vous pouvez aussi les partager sur les réseaux sociaux ou avec d’autres abonnés (famille ou autres) ». Comme pour la musique qui s’appuie sur ses métadonnées pour faire de la recommandation et de la reconnaissance en ligne (5) afin d’inciter les consommateurs à acheter plus, la presse aurait ainsi tout à gagner à exploiter elle aussi son « Big Data ».
« Avant, vous ou vos enfants téléchargiez énormément de titres sur un disque dur pour se retrouver avec des milliers de morceaux et de groupes. Mais ce n’est pas parce que vous avez beaucoup de musiques que vous allez écouter ce que vous voulez. Pour nous dans la presse, c’est un peu le même principe : nous avons énormément d’informations disponibles mais comment amener la bonne information avec en lien des compléments, des vidéos ou de l’historique, afin de donner du sens et une expérience différente des modes de lecture des sites habituels ? », s’est interrogé Philippe Carli.
C’est pour répondre à cette recherche d’optimisation de l’offre numérique et répondre
à la demande des consommateurs prêts à payer pour des contenus de qualité que le groupe Amaury s’est équipé de cette plate-forme intégrée de paiement en ligne, de gestion des relations avec les clients et de commerce électronique. « Depuis janvier 2014, nous avons une base de données dé-dupliquée de l’ensemble de nos contacts pour tous les titres et sites du groupe », a détaillé le patron des Editions Philippe Amaury (EPA) qui a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 670 millions d’euros.
Les revenus numériques représentent près de 15 % du total, « soit environ 90 millions d’euros l’an dernier », a-til précisé à Edition Multimédi@. Les rédactions et leurs journalistes ne sont pas en reste : « Nous venons de signer un accord ‘’Omnimédia’’
– plurimédia [papierweb- mobile, ndlr] plus télévision – pour l’évolution de la rédaction
de L’Equipe qui va permettre d’avoir une approche globale sur nos différents supports
et d’enrichir nos contenus en permanence 24h/24 ». Mais le problème est que les sites web du groupe Amaury, comme tant d’autres dans la presse française, ne sont pas adaptés pour faire du paywall metering (ou metered paywall), c’est-à-dire de permettre
à l’utilisateur de lire un certain nombre d’articles avant de se voir proposer un paiement
ou un abonnement – comme le fait par exemple Spotify. Là encore, les plates-formes de musique en ligne montrent la voie : « En général, la proposition de valeur qui est faite est gratuite et, au bout d’un mois ou deux durant lesquels vous êtes finalement adapté à cette expérience, on vous propose de vous abonner en fonction de ce qui est important pour vous (titres de musique, radios en ligne, …). Et vous pouvez même ne plus être ennuyé par la publicité si vous êtes prêt à payer plus », a indiqué Philippe Carli.

C’est ce que commence à généraliser le groupe Amaury sur plusieurs mois, avec
une simplicité dans la gratuité et différents niveaux de tarification. « Comme pour la musique en ligne, on a la variété et la diversité des contenus, et le côté plaisir bien qu’écouter de la musique est différent. En tout cas, il faut que l’on réinvente », a-t-il ajouté.
Avec MPP, le groupe va pouvoir proposer des offres croisées, des essais gratuits, des promotions, des réductions, des bons d’achat, des abonnements mensuels ou encore du paiement à l’acte à l’ensemble de ses clients (248.815 exemplaires payés en moyenne par jour en 2013 pour L’Equipe, 164.600 pour Aujourd’hui en France, 5 millions de visiteurs uniques par mois sur lequipe.fr, 0,3 % de parts d’audience TV
pour L’Equipe 21, etc).
« On s’attend à ce qu’il y ait d’ici trois ans 40 millions de personnes en contact avec
nos marques, contre 24 millions aujourd’hui », prévoit Philippe Carli.
Pour lui, l’avenir des recettes de la presse en ligne passe moins par la vente des versions numériques de ses journaux de type PDF (seulement 1,84 % des ventes payantes de L’Equipe en 2013 selon l’OJD qui les certifie dans la diffusion payée) que par l’accès à des sites fremium ou des sites de metered paywall comme aux Etats-Unis. « Cette solution est une tendance dans le monde. Progressivement, nous aurons de vrais changements en terme de plate-forme d’ici 24 à 36 mois », a-t-il prévu.

Web TV en septembre, aidée par Google
En outre, le groupe Amaury a sollicité le fonds de Google (FINP) pour le titre d’information de politique général Le Parisien/Aujourd’hui en France avec des projets de Web TV qui seront lancées à la rentrée prochaine. « Ce sont des projets sur trois ans, pour plusieurs millions d’euros d’investissement, qui ont pour objectif d’augmenter de manière très importante le nombre de vidéos, avec la création d’un studio d’ici la fin de l’année », a encore précisé Philippe Carli devant l’AJM. @

Le Monde et la presse française se préparent à un exercice 2014 à haut risque, sur fond de consolidation

Le premier quotidien national fête cette année ses 70 ans. Mais Le Monde, comme l’ensemble de la presse française, est remis en question par les géants de l’Internet et par une chute « violente » de ses recettes publicitaires. Son président, Louis Dreyfus, s’interroge sur son avenir papier-numérique.

Louis Dreyfus-bisL’année 2013 aura été une annus horribilis pour la presse française : recul des ventes de journaux, chute des recettes publicitaires, pertes financières, suppression d’emplois, grèves à répétition, monétisation difficile du numérique, …
Rien que la chute de 7,1 % des ventes de quotidiens nationaux en kiosque sur la majeure partie de l’année 2013 a jeté un froid avant un hiver glacial en diffusion et publicité (1).
« Depuis octobre, on voit sur l’ensemble du marché de la presse une baisse forte, brutale, des recettes publicitaires. Il y a un refroidissement très net de la tendance. C’est une baisse à un chiffre mais importante en moyenne », s’est inquiété mi-décembre Louis Dreyfus (photo), président du directoire du Monde, devant l’Association des journalistes médias (AJM).

« La presse vit un crash industriel. C’est la sidérurgie des années 1980 »
Et 2014 ne se présente pas sous les meilleurs auspices, d’autant que les débuts d’année sont traditionnellement des périodes de vaches maigres pour la presse en matière de publicité. « Ce qui est en train de se passer dans la presse va forcer à une consolidation », a-t-il ajouté (2).
Le Monde, premier quotidien national, est à cet égard emblématique et illustre bien les doutes et interrogations qui taraudent la presse française en général face à ce énième « trou d’air » dû aux « à-coups très violents » du marché publicitaire.
« La presse vit un crash industriel. C’est la sidérurgie des années 1980 », a même osé lancer de son côté Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, le 9 janvier dernier.

A l’ère du digital, le papier peut encore sauver les meubles
Après une perte nette d’environ 2 millions d’euros en 2013, aggravée par rapport à
1,1 million de déficit net enregistré en 2012, le patron du groupe Le Monde – dont le quotidien perçoit près de 20 millions d’euros d’aides d’Etat par an – ne désespère pas pour autant. « On prévoit un retour à l’équilibre en 2014 », a-t-il assuré. Mais, en creux,
il y a tout de même péril en la demeure. Sur les 110 millions d’euros que le trio formé par Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse s’étaient engagés à injecter dans Le Monde, en échange de la prise de contrôle du groupe en novembre 2010, plus de la moitié a déjà été consommée à ce jour. Il ne reste donc plus qu’une cinquantaine de millions d’euros disponibles, dont une partie devrait aller au financement de la restructuration de l’imprimerie du Monde à Evry, déficitaire et en grande difficulté. Paradoxalement, en pleine révolution numérique, c’est le journal papier qui peut encore sauver les meubles mais en prenant un premier grand risque : la hausse du prix de vente de la version imprimée du quotidien Le Monde, passée à 2 euros (contre 1,80 euro) depuis le 4 janvier dernier, et même à 3,80 euros (au lieu de 3,50 euros) pour le quotidien du week-end flanqué de son magazine M très apprécié des médias-planneurs.

Hausse des tarifs mais baisse du lectorat
Mais cette augmentation tarifaire, à laquelle se sont résolus d’autres quotidiens nationaux en mal d’argent frais (Le Parisien, Libération, Les Echos, …), n’ira pas dans le sens d’une progression de la diffusion de la presse en France – bien au contraire.
« On ne considère pas que l’on aura plus de lecteurs en augmentant le prix, mais cette hausse est inéluctable », a reconnu le patron du groupe Le Monde devant l’AJM.
Cette hausse, qui semble tenir d’une fuite en avant, touche aussi l’édition numérique du Monde, passant de 1,79 euro à 2 euros à partir de mi-janvier pour les ventes à l’acte, tandis que l’abonnement digital à 15 euros par mois passe à 17,90 euros sur lemonde.fr, et de 17,99 euros à 19,99 euros sur le kiosque d’Apple où il est présent depuis novembre dernier (3). Et ce, conformément à ce qu’a décidé le conseil de surveillance du groupe le 17 décembre. Pour l’heure, Le Monde vend moins de 280.000 exemplaires en moyenne par jour, en baisse de près de 5 %, dont 126.500 abonnés à l’édition digitale – parmi ces derniers, 56.500 l’étant uniquement en numérique. « Nous avons fixé un objectif de 200.000 abonnés numériques à deux ou trois ans », a rappelé Louis Dreyfus, qui ne semble pas craindre un ralentissement des ventes numérique sur l’abonnement nettement plus cher. Il prévoit en tout cas de lancer en avril prochain un autre journal tactile payant qui sera disponible en fin de journée (à partir de 18 heures) – en plus de l’édition payante de 14 heures.
En revanche, il ne parle pas d’objectif pour le papier… Et pour cause. Cette surenchère tarifaire va à l’encontre de ce principe démocratique selon lequel la presse imprimée devrait être accessible au plus grand nombre. En France, cette idée devient-elle un vœu pieux en ce nouvel an ? Cette inflation accentue une dichotomie confuse entre le gratuit et le payant, qui frappe la presse face à l’Internet. De ce point de vue, Le Monde et ses confrères ne savent plus bien à quel saint se vouer. Plus d’une décennie après avoir ouvert la boîte de Pandore du gratuit sur Internet (4), les quotidiens se livrent
– en déversant une quantité de leurs articles rendus accessibles librement auprès des internautes et mobinautes – à une course à l’échalote avec la multitude de sites web gratuits couvrant l’actualité. Aujourd’hui, les éditeurs s’en mordent les doigts et Louis Dreyfus en convient : il y a un vrai problème. « La question est plutôt de savoir comment on organise notre offre, payant sur le papier, gratuite et payante sur le web. (…) On a besoin d’avoir une offre gratuite, mais il faudra que l’on précise notre offre payante pour que la différence entre le gratuit et le payant soit plus évidente ».
Car c’est là que le bât blesse. Tant que la presse ne limitera pas la gratuité à l’information factuelle – par ailleurs disponible librement et massivement sur Internet et les mobiles –
et qu’elle n’étendra pas le payant à tous les articles à valeur ajouté (décryptage, analyse, enquêtes, interview, …), elle prendra un second grand risque, celui de dévaloriser son fond de commerce éditorial. « De manière générale, on a un modèle freemium sur le numérique : il y a du gratuit et du payant. Le gratuit ne peut pas être du payant en moins bien ! Car on a vocation à élargir l’audience de notre site web. Il faut que le payant soit compréhensible pour les internautes. Chaque fois que l’on créera des produits spécifiques payants, cela nous aidera à préciser la promesse éditoriale », a expliqué Louis Dreyfus. Cette quadrature du cercle – pour ne pas dire quadrature du Net – n’est pas impossible, à condition qu’il y ait une profonde remise en question éditoriale des éditeurs dans leur façon de proposer l’information. Publier le lendemain dans l’édition papier vendue 2 euros de l’actualité factuelle qui a été très largement divulguée gratuitement la veille sur l’Internet mondial, sur les « Google News » et via les dépêches d’agences de presse (AFP, Reuters, AP, Bloomberg, …) de plus en plus visibles librement sur tous les terminaux (5), ce n’est plus possible !
Troisième grand risque pris par la presse : celui d’une frontière plus poreuse entre la partie éditoriale et la partie publicité, aussi bien sur papier qu’en numérique, au risque de malmener la déontologie journalistique.

Des articles financés par les annonceurs…
L’année 2014 s’annonce en effet pour la presse comme étant celle du publi-information, appelé aussi « Native Advertising » pour désigner ces articles sponsorisés par des annonceurs. « Il y a une demande forte des annonceurs pour que l’on imagine de nouveaux formats. En même temps, nous sommes très vigilant sur la distinction entre ce qui est produit par la rédaction et ce qui ne l’est pas. Cela doit être clair », a voulu rassurer Louis Dreyfus, précisant que Le Monde pratique déjà cela sur mobile et sur son site web. Espérons que les lecteurs, eux, n’auront pas l’impression que leurs journaux y perdent leur âme. @

Charles de Laubier

Presse IPG : Aurélie Filippetti met en garde Google

En fait. Le 17 octobre, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, a exprimé des réserves sur la gouvernance du Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP) – pourtant signé à l’Elysée par Google
et l’AIPG en présence de François Hollande. Elle demande de la transparence.

Aurélie FilippettiEn clair. « Concernant la gouvernance du fonds [créé par Google et l’Association de la presse d’information politique
et générale (AIPG), ndlr], il faut faire attention que Google
ne prenne pas le pouvoir et qu’il ne soit pas le décideur à
qui finalement vont aller ces aides », a déclaré la ministre de
la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti (photo), invitée par l’Association des journalistes médias (AJM).
« C’est là qu’il faut être très vigilants. Il faut que les projets de modernisation financés ne soient pas des projets estampillés Google. Je suis d’accord avec vous [sur le fait que ce fonds n’est pas transparent].
Je pense que la place importante que Google occupe dans la gouvernance peut être contestable. On peut s’interroger », a-t-elle poursuivi.

60 millions d’euros sur trois ans : 7 premiers dossiers retenus sur 26
Ce manque de transparence du Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), réservé exclusivement à la presse d’information politique et générale (1) et financé par Google seul à hauteur de 60 millions d’euros sur trois ans, est aussi dénoncé par le Syndicat de la presse indépendante en ligne (Spiil).
Ce dernier n’excluait pas fin septembre de porter plainte en France et en Europe pour « conflit d’intérêt et distorsion de concurrence » (2). La ministre, elle, a rappelé qu’elle
avait une préférence pour une loi et a mis en garde Google sur la gestion de ce fonds.

« Je veux que ce fonds, conçu pour récupérer de la valeur qui a été transférée vers Google, serve à tout l’amont et pas pour des projets estampillés Google. Je demande un suivi de l’utilisation de ce fonds [dont le conseil d’administration se réunissait le 17 octobre pour ne retenir que 7 premiers dossiers sur 26, ndlr (3)]. Il faut passer à des versements de Google par tranches et non pas par projets. (…) Quand l’Etat accompagne des projets avec le fonds stratégique [fonds SPEL pour les services de presse en ligne, ndlr], eux disent qu’ils ne financent pas. Alors qu’il n’y a pas de raison. Sinon, il va falloir se lever tôt pour consommer les 60 millions d’euros ! ». Quid de la presse non IPG ? « Je considère que ces 60 millions sont peu par rapport à la valeur dégagée pour Google. Donc, on pourrait légitimement demander à Google à avoir des négociations semblables avec d’autres secteurs, notamment la photo et pourquoi pas d’autres. C’est aux professionnels de le demander, pas au gouvernement », a-t-elle répondu. @