Le CSA veut obliger Netflix et YouTube à financer la création cinématographique et audiovisuelle

C’est le grand cheval de bataille du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) au niveau européen en 2015 : amener Netflix, YouTube et d’autres gatekeepers du Net à contribuer au financement de films et de productions audiovisuelles, en réformant en ce sens la directive européenne « SMA ».

Par Charles de Laubier

Olivier SchrameckEn France, Netflix ou YouTube ne sont ni soumis aux obligations de financement de la production cinématographique et audiovisuelle ou de quotas prévues par le premier décret dit « SMAd » (services de médias audiovisuels à la demande) de novembre 2010, ni aux dispositions « anti-contournement » du second décret « SMAd » de décembre 2010 censé s’appliquer aux services de vidéo en ligne situés dans un autre pays européens que la France.
Car ces plateformes mondiales d’origine américaine ne sont pas basées dans l’Hexagone : le numéro un mondial de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD), Netflix, est aux Pays-Bas (Amsterdam) depuis le 1er janvier (après avoir été au Luxembourg) – et le numéro un mondial des plateformes de partage vidéo, YouTube, est basé à Dublin chez sa maison mère Google. Même le service Jook Video du groupe AB (fondé par le Français Claude Berda et basé au Luxembourg) échapperait aux obligations audiovisuelles françaises (1).

Distorsion de concurrence
C’est pour remédier à cette « distorsion de concurrence » au détriment des plateformes vidéo françaises comme CanalPlay, Videofutur ou Filmo TV que le CSA coopère avec la Commission européenne dans la réforme de la directive de 2010 sur les services de médias audiovisuels (SMA) (2).
Son président, Olivier Schrameck (photo), est aux avant-postes de la réforme depuis qu’il a été nommé il y a un peu plus d’un an maintenant à la présidence de l’ERGA (3), le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels alors créé auprès de la Commission européenne.
Son objectif est, avant la fin de son mandat à la tête de l’ERGA le 31 décembre prochain (il en sera ensuite vice-président en 2016), d’ »intégrer les nouveaux opérateurs dont les plateformes Internet pour qu’ils participent eux aussi au financement de la création » (4).
Son président, Olivier Schrameck (photo), est aux avant-postes de la réforme depuis qu’il a été nommé il y a un peu plus d’un an maintenant à la présidence de l’ERGA (5), le groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels alors créé auprès de la Commission européenne. Son objectif est, avant la fin de son mandat à
la tête de l’ERGA le 31 décembre prochain (il en sera ensuite vice-président en 2016), d’« intégrer les nouveaux opérateurs dont les plateformes Internet pour qu’ils participent eux aussi au financement de la création » (6). Si Netflix ou YouTube sont les premiers en ligne de mire, d’autres acteurs du Net devenus des « gardiens d’accès » (gatekeepers) dans la chaîne de valeur du secteur audiovisuel font aussi l’objet d’une réflexion européenne sur l’opportunité de les inclure dans la future nouvelle directive SMA. Pour l’heure, cette dernière ne concerne que les services de VOD et de catch up TV. Mais quid des nouveaux intermédiaires audiovisuels que sont les plateformes vidéo, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) avec leur box d’accès à la télévision ADSL, les fabricants de terminaux connectés (smartphones, tablettes, smart TV, …) ?
« S’ils n’exercent pas nécessairement de responsabilité éditoriale sur les contenus qu’ils transportent, ils sont désormais des acteurs importants dans le paysage audiovisuel. Il apparaît donc nécessaire de réfléchir sur les conséquences de tels développements, notamment en termes (…) de financement des contenus (7) »,
est-il expliqué dans le programme de travail de l’ERGA pour 2015. Les conclusions
des « CSA » européens sur l’adaptation du cadre réglementaire sont attendues d’ici la fin de l’année. Après les trois premières réunions plénières de l’ERGA, de mars 2014, d’octobre 2014 et d’avril 2015, la prochaine aura lieu à l’automne prochain et les conclusions d’ensemble sont prévues en décembre. La dimension transfrontalière rend encore plus nécessaire une approche au niveau des Vingthuit. C’est là qu’entre en jeu la question de la « compétence territoriale » qui fait l’objet de divergences entre les Etats membres dans le cadre de la transposition de la directive SMA, laquelle – tout comme l’ancien directive « Télévision sans frontières » qu’elle avait remplacée – s’appuie sur le principe du « pays d’origine » et non sur celui souhaité de « pays de destination ». Par exemple, Netflix est basé aux Pays-Bas et relève donc pas de la réglementation audiovisuelle de la France sur le financement de la création (seule la TVA a commencé à être harmonisée depuis le 1er janvier). Pour remédier à cette
« asymétrie » entre services français et services provenant d’un pays tiers, l’ERGA veut changer la directive SMA sur ce point sensible et ainsi « résoudre les conflits en ce qui concerne la compétence territoriale, afin d’éviter tout vide juridique sur ce sujet ».

Compétence territoriale
La France, qui est le pays européen aux plus fortes obligations d’investissement dans le cinéma et l’audiovisuel via le compte Cosip du CNC, va tout faire pour que la directive SMA change pour le pays de destination. C’est le CSA qui préside justement, à l’ERGA, le nouveau groupe de travail sur la compétence territoriale. Quant à la Commission européenne, dans le cadre de son programme dit
« Refit » (Regulatory Fitness and Performance), elle espère parvenir à une nouvelle directive SMA dès l’an prochain. @

Charles de Laubier

Comment Endemol France veut fédérer les talents jusque sur YouTube et Dailymotion

Pendant que sa maison mère devient Endemol Shine Group après son alliance avec la société 21st Century Fox (Rupert Murdoch), Endemol France ne change pas de nom et poursuit sa diversification dans le numérique qui génère aujourd’hui 6 % de ses revenus. Son président, Nicolas Coppermann, se constitue un réseau multi-chaînes.

Par Charles de Laubier

Nicolas Coppermann« Nous faisons actuellement 6 % de notre chiffre d’affaires dans le numérique », nous a indiqué Nicolas Coppermann (photo), président d’Endemol France (1), en marge d’un dîner du Club audiovisuel de Paris (CAVP) le 20 avril dernier, tout en confirmant vouloir atteindre 10 % à 15 % dans les cinq ans à venir. La filiale du groupe Endemol, lequel fut cofondé en 1994 par le Néerlandais John de Mol, ne divulgue pas de résultats par pays mais son chiffre d’affaires en France serait inférieur à 150 millions d’euros.
L’inventeur de la téléréalité – avec des émissions comme « Big Brother » (alias « Loft Story » en France), « Star Academy » et « Secret Story » – s’est diversifié dans les programmes de télévision dits de « flux » que sont les magazines audiovisuels, les émissions de divertissement, ou encore les jeux tels que « Money Drop » (2).

6 chaînes en ligne et d’autres à venir
Quant à la production de fictions, elle représente environ 25 % du chiffre d’affaires du groupe Endemol, mais constitue une nouvelle activité pour la filiale française qui a démarré avec succès dans ce domaine avec « L’Emprise » (vue par près de 10 millions de téléspectateurs sur TF1). D’autres séries, téléfilms ou mini-séries sont en cours de développement.
Cette diversification s’accentue aussi dans le numérique. Cela passe non seulement par des programmes de télévision en mode « 360 », c’est-à-dire multi-écrans comme a pu l’être la pionnière « Love Story », mais aussi dans la production de contenus numériques originaux. « Après avoir lancé en France six chaînes sur YouTube [FrenchBall, Kick On, Le Woop, It’s Big, La Débande, et Inernet, ndlr], nous allons en lancer d’autres dans les domaines du gaming, du lifestyle, de la comédie, de la mode ou encore du divertissement », a-t-il poursuivi, en se félicitant que ces six premières chaînes en ligne totalisent environ 20 millions de vues par mois. « Ce qui nous place dans les dix premiers. Nous sommes une sorte d’alternative, non liée à une chaîne de télévision,
à des initiatives comme Studio Bagel de Canal+ et Golden Moustache de M6. Nous fédérons les talents, dont nous voulons être un agrégateur et un catalyseur, que ce soit pour des talents reconnus ou ceux émergents du Web. Nous leur apportons tous les outils et les leviers, face à des diffuseurs ou des plateformes, pour créer de nouvelles choses », a expliqué devant le CAVP celui qui fut jusqu’en 2006 directeur adjoint des programmes chez M6. Avec la progression des six premières chaînes numériques et
la création de nouvelles, Endemol France s’est donné comme objectif d’atteindre 300 millions de vues (cumulées depuis les dates de création des chaînes) d’ici la fin de l’année. Nicolas Coppermann a mis haute la barre d’audience, voire inatteignable pour les sept mois restants… Tandis qu’il vise la rentabilité dans les deux ou trois ans. Selon les constatations de Edition Multimédi@ au 5 mai dernier la chaîne la plus fréquentée était « Le Woop » qui totalise alors près de 1,5 million d’abonnés (gratuit) pour plus de 131 millions de vue depuis sa création en février 2014 (voir encadré ci-dessous). Et si l’on cumule les six chaînes : plus de 2,1 millions d’abonnés pour 68 millions de vues. C’est le 16 mars dernier, lors d’une soirée à Paris réunissant annonceurs et diffuseurs, qu’Endemol France a officialisé le lancement de ces six premières chaînes YouTube originale. Elles s’inscrivent dans le label de réseau multi-chaînes – ou MCN (Multi-Channel Networks) – baptisé « Endemol Beyond », que le producteur néerlandais a lancé au niveau mondial dès novembre 2013. On y compte déjà plus d’une centaine
de chaînes originales accessibles sur différentes plateformes (YouTube, Yahoo, Dailymotion, MSN, AOL, …). La société de John de Mol y investit plus de 30 millions d’euros et la France constitue un des « hubs de vidéos digitales » avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et des marchés émergents.

Les six premières chaînes YouTube d’Endemol France
• Le Woop • https://www.youtube.com/user/woopgang

• 1 457 209 abonnés • 131 690 942 vues (Membre depuis le 4 févr. 2014)
• FrenchBall • https://www.youtube.com/user/FrenchBallchannel
• 303 814 abonnés • 21 912 075 vues (Membre depuis le 2 sept. 2014)
• It’s Bighttps://www.youtube.com/user/channelitsbig
• 214 261 abonnés • 26 621 926 vues (Membre depuis le 14 sept. 2012)
• Kick On • https://www.youtube.com/user/Kickonchannel
• 153 959 abonnés • 4 910 856 vues (Membre depuis le 6 mai 2014)
• Inernet • https://www.youtube.com/user/INERNETvideo
• 29 220 abonnés • 1 249 974 vues (Membre depuis le 26 sept. 2013)
• La Débande • https://www.youtube.com/channel/UCzSW7WYj_F2G6htPaA2hXJA
• 4 302 abonnés • 211 594 vues (Membre depuis le 29 janv. 2015)
Source : Edition Multimédi@ (au 5 mai 2015)

En France, Endemol a recruté il y a un an et demi Julien Brault au poste de directeur digital et diversification. « L’ensemble de notre secteur fait face à une concurrence d’acteurs de type GAFA ou Netflix. (…) Je suis très conscient sur le fait qu’il y a très peu d’auteurs dont le réflexe de base sera venir voir Endemol à Aubervilliers pour savoir si nous sommes le meilleur cadre pour faire s’épanouir leur talent », a expliqué Nicolas Coppermann, qui est par ailleurs président de la commission numérique de la Confédération des producteurs audiovisuels (CPA). @

Charles de Laubier

Takis Candilis, président de Lagardère Entertainment : il faut taxer Google et travailler avec YouTube

A la tête depuis sept ans de Lagardère Entertainment, première société de production audiovisuelle française, Takis Candilis est aussi cofondateur de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I). Pour lui, il est urgent que les producteurs et les chaînes s’emparent du numérique, et que Google soit taxé.

Par Charles de Laubier

Takis Candilis

Takis Candilis

Plus de trois ans après la remise à deux ministres de l’époque du rapport « La télévision connectée », dont il était un coauteurs (1), Takis Candilis (photo), président de Lagardère Entertainment depuis août 2010 (après en avoir été le directeur général), estime que taxer les acteurs étrangers de l’Internet est plus que jamais urgent. Interrogé le 11 février dernier devant l’Association des journalistes médias (AJM) pour savoir s’il maintenait la proposition de ce rapport d’instaurer une « contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », il a répondu sans hésité : « Exactement ! Malheureusement, quatre ans après on en est toujours par là. Mais je suis ravi que quelqu’un comme Fleur Pellerin [ancienne ministre déléguée à l’Economie numérique] soit la ministre de la Culture et de la Communication. Car elle prend à bras le corps ce problème car elle les connaît (les acteurs du numérique). Il faut accélérer parce que cette machine [prenant son smartphone, ndlr], elle bouge tout le temps… ».

La taxe Internet est préconisée depuis le rapport « TV Connectée » de 2011
Il intervenait le jour même où Le Canard Enchaîné indiquait que Bercy menait une étude sur l’instauration d’une telle taxe, indexée sur l’utilisation de la bande passante.
Cette idée de contribution sur les débits de l’Internet ne date donc pas d’hier, mais elle revient au devant de l’actualité car ce prélèvement permettrait – selon leurs promoteurs – de fiscaliser les acteurs du numérique étrangers qui, comme Google installé en Irlande, Apple au Luxembourg ou encore Netflix aux Pays-Bas, échappent en France à l’impôt et aux obligations de financement de la création – à savoir les films et les séries. « Les opérateurs télécoms pourraient collecter et reverser au Cosip (2) le produit d’une contribution perçue sur les échanges générés par les services en ligne », préconisait
en effet le rapport « Télévision connecté » en novembre 2011. Lors des Rencontres cinématographiques de Dijon, en octobre dernier, l’idée est revenue au devant de la scène : Frédérique Bredin, présidente du CNC, parlant de « territorialisation des réseaux » (4), Olivier Schrameck, président du CSA, de « régulation de la bande passante », et Rodolphe Belmer, DG du groupe Canal+, de « taxer la tête de réseau ». La France pousse cette idée de péage sur l’Internet au niveau de la Commission européenne.

« Google pille la recette publicitaire »
Pour Takis Candilis, c’est d’autant plus urgent que la publicité numérique atteint en 2014 une part de 25 % des investissements médias en France, passant ainsi pour
la première fois devant la publicité dans la presse imprimée (24 %) et talonnant la publicité à la télévision (27 %). Et le président de Lagardère Entertainment, devant l’AJM, d’en appeler au gouvernement « C’est un marché encore balbutiant, alors que 50 % de la publicité est digitale et égale celle de la télévision. Or elle passe en très grande majorité sur les liens Google qui pille – pille ! – la recette publicitaire. Et cela ne profite ni à vous [la presse] – il n’y a pas de taxe – ni à nous – il n’y en a pas non plus. Pourtant, ils vivent de vos articles et de nos vidéos. Donc il va falloir quand même que l’on regarde cela de près. C’est ce que l’on demande aux pouvoirs publics ».
C’est justement un des chevaux de bataille de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (A2I), dont Takis Candilis, vice-président, est cofondateur en novembre 2014 avec trois autres sociétés de production audiovisuelle françaises : TelFrance, Elephant et Cie et Fédération Entertainment. Cela n’empêche pas Lagardère Entertainment, qui regroupe vingt-trois sociétés de production ou de distribution audiovisuelles au sein de Lagardère Active (filiale médias du groupe d’Arnaud Lagardère), de commencer à lancer des chaînes sur YouTube – filiale de Google. Mais cela se fait sur le mode du « Je t’aime, moi non plus » : « Un certains nombre de nos programmes sont sur YouTube. Vous savez que YouTube est une caverne d’alibaba, à l’intérieur de laquelle il y a beaucoup de programmes piratés. Donc, il faut déjà se faire connaître auprès de YouTube en disant que ce programme est à nous : c’est-à-dire qu’il faut le géotagguer et lui mettre de la publicité, même si c’est sur des chaînes pirates sur YouTube ou des mini-chaînes de fans aux contenus piratés et aux programmes captés à l’écran », a expliqué Takis Candilis, qui s’est défendu d’encourager ainsi le piratage audiovisuel sur Internet. C’est que la plateforme vidéo mondiale de Google est devenue incontournable malgré tout. « Il y a des milliards de programmes. Il y a quelques diffuseurs qui ont dit : “Nous, YouTube, jamais !”. Allez-vous faire un procès au plus gros distributeur ? Et si l’on s’entendait avec lui… Vous créez un partenariat avec YouTube qui est demandeur aussi et a besoin d’éditorialiser ses chaînes. Ils ont
besoin du savoir-faire, de programmes organisés, présentés en séries, etc. », a-t-il
dit en se démarquant implicitement de la démarche de TF1 qui avait préféré dès 2008 s’attaquer à YouTube en justice – avant finalement de nouer l’an dernier un accord de partenariat (5).
Entre les groupes Lagardère et Google, il y a un partage des recettes publicitaires.
Sur deux de ses séries – «Un gars et une fille » et une série jeunesse –, Lagardère Entertainment enregistre une audience cumulée en ligne de 9,5 millions de vues par mois environ, en forte croissance. « C’est beaucoup. Cela ne rapport pas beaucoup
car le CPM (coup pour mille vues) sur YouTube est petit mais cela fait plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois tout de même », s’est-il félicité. A la question
de savoir si Lagardère Entertainment ne contribue pas ainsi à la richesse de Google,
il a rétorqué : « Non, Google préfère contribuer à la nôtre [de richesse] quand on les taxera » ! Même si YouTube ne rapporte rien, le groupe Lagardère estime y gagner
en synergie, médiatisation et marketing. Sur un marché où l’offre d’images et de contenus est très atomisée, les marques importantes sont les plus puissantes. C’est
ce qui a motivé Takis Candilis lorsqu’il a lancé – pour la première pour Lagardère –
un programme dit « 360 », une « opération triangulaire » entre France Télévisions, Femina, le magazine féminin du groupe, et sa production « Toute une histoire ». Lagardère produit ainsi quotidiennement ce programme avec Sophie Davant sur
France 2, assorti d’une chaîne YouTube sur laquelle sont mis certains sujets du jour, visionnables également sur le site web de France 2.
A la question de savoir si Lagardère pourrait lancer son propre service de SVOD,
il a répondu : « Franchement, non. En tout cas pas aujourd’hui. Il faudrait que l’on soit d’une taille beaucoup plus importante. Mais ne disons jamais “jamais” ». Lagardère Entertainment préfère s’en tenir à ses deux métiers : producteur et distributeur. Il fournit les chaînes traditionnelles et commence à le faire auprès de plateformes numériques. Par exemple, la deuxième saison de « Transporteur » a été vendue à Netflix aux Etats-Unis (en plus de Turner Network Television, TNT).

Produire pour Netflix et les autres
Netflix lui a aussi acheté les trois saisons de « Borgia » « Il faut que Netflix donne à manger à ses 59 millions d’abonnés, lesquels passeront à 70 millions dans quelques mois et à 100 millions dans deux ou trois ans ! Les contenus ont une très longue vie devant eux », s’est-il enthousiasmé. Mais pour l’heure, Lagardère Entertainment ne réalise que 5 % de son chiffre d’affaires dans le numérique. Takis Candilis se donne jusqu’à 2017 pour atteindre les 20 %, quitte à procéder par acquisitions – en Europe, pas aux Etats-Unis. @

Projet de loi « Liberté de création » et lutte contre le piratage : Fleur Pellerin est à pied d’oeuvre pour 2015

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, promet pour début 2015 un projet « Liberté de création, architecture et patrimoine » aux contours numériques encore flous. Tandis qu’elle prépare par ailleurs un renforcement de la lutte contre le piratage, avec « listes noires », et « chartes sectorielles », préférant l’autorégulation des acteurs du Net à la loi.

(Depuis la parution de cet article le 15 décembre dernier dans Edition Multimédi@, un texte de l’avant-projet de loi « LCAP » – accessible ici – a commencé à circuler.)

Fleur Pellerin portrait« Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine [LCAP, ndlr] sera présenté au premier trimestre 2015 en conseil des ministres », a promis à nouveau Fleur Pellerin (photo), ministre de la Culture et de la Communication, le 26 novembre dernier. Elle avait déjà eu l’occasion de le dire le 14 octobre, au cours de son audition par la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi fait l’objet de réunions interministérielles qui vont se poursuivre début 2015. Le gouvernement a encore jusqu’au 25 mars 2015, date du dernier conseil des ministres du premier trimestre, pour affiner un avant-projet de loi. Aucun texte ne circulait et n’était encore soumis à discussion au moment où nous avons publié cet article le 15 décembre dernier (une version accessible ici a été rendue publique depuis).

Vaste loi « Liberté de création, etc. » sans l’Hadopi
Promis depuis deux ans et demi, depuis que François Hollande est président de la République, le projet de loi « Création » s’est transformé au fil du temps en projet de loi à trois volets : « Liberté de création, architecture et patrimoine ». « Ce qui montre que je ne m’intéresse pas qu’à l’audiovisuel et au numérique ! », avait justifié Fleur Pellerin, comme pour rassurer le monde de la culture que ses fonctions passées de ministre déléguée aux PME, à l’Innovation et à l’Economie numérique (juin 2012-avril 2014) ne l’ont pas rendue « tout-numérique ».
Ce projet de loi fera-t-il pour autant l’impasse sur le numérique ? Alors que le transfert des compétences de l’Hadopi (1) vers le CSA (2) devait être inscrit dans le projet de loi « Création » sans lendemain d’Aurélie Filippetti, cette mesure est désormais oubliée par sa successeur Fleur Pellerin. D’autant que le budget de l’Hadopi pour 2015 a d’ores
et déjà été fixé par « Liberté de Création » du futur projet de loi prévoira des mesures
« numériques », notamment en faveur des artistes et interprètes qui revendiquent une meilleure rémunération dans la musique en ligne (streaming en tête). Fera-t-elle aussi la part belle aux exceptions aux droits d’auteurs ? « Nous devons travailler sur les demandes d’exception, comme (…) sur l’”exploration des données” (text and data mining)et sur les œuvres transformatives », a déclaré Fleur Pellerin le 18 novembre devant le CSPLA (3) qui dépend de son ministère, en faisant référence au mashup,
à l’hackathon ou encore à la création par hybridation numérique.

Chartes et listes noires antipiratages
Mais le sujet le plus sensible pour la ministre de la Culture et de la Communication sera le renforcement de la lutte contre le piratage sur Internet que les industries culturelles de la musique et du cinéma disent en constante augmentation. Ralliée à l’approche de « droit souple » adoptée par Mireille Imbert-Quaretta (MIQ) dans son rapport sur la lutte contre la contrefaçon en ligne, Fleur Pellerin préfèrerait favoriser l’autorégulation plutôt que d’avoir à légiférer dans un domaine aussi sensible. La loi « Liberté de création » ne devrait donc pas compléter la réponse graduée, sauf peut-être en renforçant la coopération entre l’Hadopi et les services de l’Etat.
Le premier outil que préconise le rapport MIQ consiste à faire signer aux acteurs du
Net concernés « des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ». Selon nos informations, l’élaboration de deux chartes de bonne conduite (publicité et paiement en ligne) vient de commencer dans le cadre de discussions menées à un niveau interministériel : ministère de la Culture et de la Communication, ministère de la Justice, ministère de l’Intérieur. Le Syndicat des régies Internet (SRI)
est le plus avancé en la matière car elle dispose déjà d’une « charte de qualité » qui prévoit, depuis 2013, que ses membres (Yahoo, Microsoft, Dailymotion, Orange, Lagardère Active, HiMedia, …) s’engagent à « empêcher la diffusion de messages publicitaires sur les sites coupables de manquements répétés aux droits de propriété intellectuelle ». Une troisième charte est envisagée pour les moteurs de recherche et les hébergeurs.
Le deuxième outil « antipiratage » proposé par le rapport MIQ, et que Fleur Pellerin a déjà fait sien, consiste en « une information publique sur les sites Internet qui portent massivement atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins ». En d’autres termes, il s’agit d’une « liste noire » portée à la connaissance non seulement de tous les intermédiaires techniques de l’Internet mais aussi des internautes et mobinautes eux-mêmes. Selon Mireille Imbert- Quaretta, qui est aussi la président de la commission
de protection des droits (CPD), le bras armé de l’Hadopi dans la réponse graduée,
cette blacklist permettrait de « renseigner le public, qui s’interroge parfois sur la licéité d’un site en particulier ». Tous les acteurs numériques intervenant dans l’écosystème en ligne (opérateurs télécoms, FAI, moteurs de recherche, régies et serveurs de publicités en ligne, système de e-paiement, …) devront prendre connaissance de
cette liste noire et prendre eux-mêmes les mesures qui s’imposent pour lutter contre
le piratage en ligne. « Beaucoup des propos du rapport [MIQ] me paraissent très intéressants et l’Hadopi pourra mettre certaines de ses propositions en oeuvre :
je suis en train de voir celles qui exigent des aménagements législatifs ou requièrent
un dialogue avec le ministère de la justice. L’établissement et la publication de listes noires me paraissent par exemple entrer dans le cadre des compétences de l’Hadopi », a expliqué Fleur Pellerin devant les députés le 14 octobre. Les acteurs de la publicité et du paiement en ligne se sont dits favorables à cette démarche d’autorégulation pour lutter contre la contrefaçon commerciale en ligne.
Il s’agit, dans le cadre de la directive « Commerce électronique » (4) de 2000,
d’« assécher » les ressources des sites web dits « massivement contrefaisants »
selon une approche dite « follow the money ». Mais avant de « frapper au portefeuille », les acteurs du Net demandent à ce qu’il y ait « l’intervention de l’autorité publique qui constaterait, notamment à partir d’informations fournies par les ayants droit, les atteintes et qui rendrait ses constatations publiques ». D’où l’instauration de listes noires officialisée par une autorité publique qui devrait être l’Hadopi. C’est ce qui se passe par exemple aux Etats-Unis, où une « Notorious Markets List » (5) recense les sites web de contrefaçon ou de violation de droits d’auteur.
Sans légiférer, Fleur Pellerin pourrait ainsi contourner la loi « LCEN » (6), promulguée
il y a dix ans (7), laquelle prévoit une responsabilité limitée des hébergeurs techniques, lesquels ne sont tenus responsables de piratage en ligne que si les contenus contrefaits leurs sont signalés par notification. Dans ce cas, conformément à l’article
14 de la directive « Commerce électronique », ils sont tenus les retirer promptement.

Impliquer les intermédiaires du Net
Bien que les hébergeurs ne puissent pas être soumis à « une obligation générale de surveiller les informations » (8), ils peuvent quand même être soumis à des obligations spécifiques dès lors qu’il y a « une violation ». C’est cette brèche législative que va exploiter Fleur Pellerin pour impliquer tous les intermédiaires dans la lutte contre le piratage sur Internet. Et ce, dès 2015. Nul acteur du Net ne sera censé ignorer la liste noire ou dire qu’il ne savait pas. Mais cette publicité sur les sites web proposant musiques et films (voire livres) piratés ne risquera-t-elle pas de tenter de nouveaux internautes prêts à braver les interdits ? L’avenir nous le dira. @

Jook Video profite du Luxembourg, où siège sa maison mère AB Groupe, du Français multimillionnaire Claude Berda

C’est un service de SVOD français et francophone, dont le site Jookvideo.com
est hébergé en France, et qui appartient au groupe AB contrôlé par un Français, Claude Berda, avec TF1 comme actionnaire français. Pourtant, Jook Video échappe comme Netflix à la réglementation audiovisuelle française…

Par Charles de Laubier

Claude Berda

Claude Berda, président d’AB Groupe.

« Je rappelle qu’avant Netflix, il y a un service de SVOD – commercialisé par un certain nombre d’opérateurs – qui ne respecte absolument pas la réglementation française, en particulier les fameux quotas d’exposition », a lancé Marc Tessier, administrateur de Videofutur, le 18 octobre dernier,
lors des Rencontres cinématographiques de Dijon (1), en se gardant bien de citer de nom… »Personne ne s’en ait jamais prévalu. Il existe et il a même des actionnaires de nationalité française, même s’il ne réside pas nécessairement en France. Il faut quand même le dire. Donc, on a un marché qui est poreux », a-t-il poursuivi.
Selon nos informations, il s’agit de Jook Video, le service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) que le groupe AB – basé au Luxembourg et contrôlé par le Français multimillionnaire Claude Berda (photo), avec TF1 comme actionnaire minoritaire – a lancé il y a dix-huit mois.

Côté fiscalité, Claude Berda n’a rien à envier à Netflix
Si Jook Video est beaucoup moins connu et puissant que Netflix, ces deux rivaux ont cependant un point commun en Europe : ils sont chacun exploités à partir du Grand-Duché, où la fiscalité y est bien meilleure qu’en France et où les obligations audiovisuelles françaises ne s’appliquent pas.
Alors que tout les professionnels du PAF (2), ainsi que CSA, CNC et gouvernement, s’offusquent de l’iniquité fiscale et réglementaire entre les plateformes vidéo venues d’outre-Atlantique (dont Netflix, YouTube ou bientôt Amazon Prime) et les services de SVOD français (CanalPlay, Videofutur, FilmoTV, …), personne ne trouve à redire sur la situation de Jook Video en Europe.
Parce qu’éditée par AB Entertainment, filiale située au Luxembourg comme l’est sa maison mère AG Groupe, cette plateforme vidéo de langue française échappe à la réglementation française – alors qu’elle est pourtant conçue d’abord pour le marché français (3). Ainsi, comme Netflix, il n’est ni soumis aux obligations de financement de la production cinématographique et audiovisuelle ou de quotas prévues par le premier décret dit « SMAd » (services de médias audiovisuels à la demande) de novembre 2010 (4), ni aux dispositions « anti-contournement » du second décret « SMAd » de décembre 2010 (5) censé s’appliquer aux services de vidéo en ligne situés dans un autre pays européen que la France.

AB, à l’actionnariat français (dont TF1)
A l’instar de Netflix, mais aussi d’iTunes (filiale d’Apple), d’Amazon ou encore d’Altice (maison mère de Numericable), eux aussi basés au Luxembourg (6), Jook Video ne fait a priori rien d’illégal : le service de SVOD profite seulement de l’avantage concurrentiel que lui procure le patchwork du marché – supposé unique – de l’Union européenne.
A ceci près que les actionnaires de la maison mère de Jook Video sont, eux, bien français. Claude Berda (67 ans) est en effet le discret fondateur, en 1999, de AB Groupe (issu du démantèlement de la société AB Productions créée en 1977), dont il détient aujourd’hui 66 % du capital – via sa holding luxembourgeoise personnelle Port Noir Investment (du nom de la rue à Genève où il réside…) – aux côtés des 33,6 %
du groupe TF1 (7). Son empire audiovisuel – grâce auquel il est devenu aujourd’hui la
61e fortune de France (selon Challenges) – est à l’origine des premiers sitcoms à la télévision française, pour notamment le Club Dorothée sur TF1 (Hélène et les Garçons, Le Miel et les Abeilles, Premiers baisers, …), et de nombreuses séries policières à succès (Derrick, Un cas pour deux,…).
Claude Berda édite aussi depuis le milieu des années 1990 des chaînes thématiques, dont AB moteurs, et le bouquet ABsat complété par Bis Télévisions (BiS TV), ainsi que la chaîne du cinéma et du divertissement RTL9 rachetée par la suite. En 2005, il lance TMC (aux côtés de TF1), NT1 et AB1 sur la TNT. L’année suivante, TF1 – à qui il revendra ensuite NT1 et ses parts dans TMC – entre au capital de AB Groupe à hauteur de 33,5 %. C’est enfin en mars 2013 que Claude Berda lance Jook Video, un service de SVOD qui se veut multi-thématique : films de cinéma, séries de télévision, documentaires, sports, spectacles, mangas, concerts, …, soit au total plus de 10.000 programmes proposés en illimité et en streaming moyennant un abonnement mensuel de 6,99 euros. De quoi rivaliser avec Netflix et ses tarifs à partir de 7,99 euros par mois. Jook Video revendique aujourd’hui près de 1 million d’utilisateurs (8) mais le nombre d’abonnements serait, lui, bien moindre : plus de 300.000 en début d’année (9).
Bien que le site Jookvideo.com soit hébergé par la société française AB Sat (située en région parisienne à La Plaine Saint-Denis) et que le service de SVOD soit distribué en France par Orange, Numericable, Free et Bouygues Telecom (également via Google Play, App Store d’Apple et SmartHub de Samsung), l’abonnement est contracté auprès la filiale luxembourgeoise AB Entertainment du groupe de Claude Berda – qui plus est, avec une TVA réduite (en attendant l’harmonisation européenne à partir du 1er janvier 2015). S’il y a contournement de la réglementation audiovisuelle française, alors pourquoi le décret « anti-contournement » (le second décret SMAd) n’a-t-il pas été appliqué à Jook Video, ni maintenant à Netflix ? Comment expliquer cette « porosité » du marché français et l’inaction du CSA, lequel a pourtant le pouvoir d’utiliser cette mesure ?
L’explication est à aller chercher du côté de la Commission européenne qui, comme
l’a d’ailleurs rappelé le rapport Lescure l’an dernier, a envoyé à la France un courrier daté du 28 janvier 2013 pour lui signifier qu’elle ne cautionnait pas ce décret « anti-contournement ». Motif : la réglementation française aurait dû se limiter aux services
de télévision linéaires – conformément à la directive européenne « SMA » (10). Or, la France a pris l’initiative da la transposer en étendant son application aux services délinéarisés, les fameux SMAd (VOD, SVOD et télévision de rattrapage). Mal lui en
a pris car Bruxelles, à qui doit être notifiée préalablement toute décision « anti-contournement », a clairement laissé entendre que Paris n’obtiendra pas de feu vert dans ce cas. Ceci explique que le second décret SMAd n’ait jamais été appliqué !
Mais les autorités françaises sont déterminées à convaincre la nouvelle Commission européenne, qui a pris ses fonctions le 1er novembre, du bien fondé d’une fiscalité
dite du « pays de destination » (au lieu du « pays de résidence ») applicable aux plateformes vidéo situées en Europe. Deux nouvelles mesures lui ont été notifiées.
La première, adoptée il y a un an dans la loi de Finances rectificatif pour 2013, consiste à étendre la « taxe vidéo » – les 2% appliqués sur le prix de vente de la vidéo physique/ DVD/Blu-ray et de la VOD à l’acte – non seulement aux opérateurs de SVOD installés en France mais également à ceux (comme Netflix, Jook Video ou bientôt Amazon Prime) qui opèrent d’un autre pays européen. La seconde mesure, que la présidente du CNC Frédérique Bredin compte pousser lors des débats sur le projet de loi de Finances 2015, prévoit d’étendre cette taxe à la publicité des services vidéo gratuits comme YouTube ou Dailymotion.

Frédérique Bredin presse Bruxelles
« Ce n’est pas des recettes financières considérables pour le CNC en faveur de la création, mais c’est une bataille très importante symboliquement en termes de concurrence et d’équité. Ces mesures sont notifiées à la Commission européenne et il faut que Bruxelles accepte », a-t-elle insisté le 17 octobre à Dijon, elle aussi présente aux Rencontres cinématographiques. Reste à savoir si Bruxelles suivra… @