Taxation des GAFAM : l’annulation du redressement fiscal d’Apple illustre les velléités de l’Europe

Si la Commission européenne fait appel de l’arrêt du Tribunal de l’UE qui a annulé le 15 juillet sa décision condamnant Apple à rembourser l’Irlande de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux, le verdict final interviendra en 2021. Sinon, l’affaire sera close. Retour sur un jugement qui fera date.

(Au moment de la publication de cet article dans le n°241 de Edition Multimédi@, la Commission européenne annonçait qu’elle faisait appel du jugement « Apple-Irlande »)

Par Fabrice Lorvo (photo), avocat associé, FTPA

La révolution numérique, en dématérialisant l’achalandage, a entraîné, brutalement, une redistribution du partage de la valeur en faveur de certains distributeurs à savoir les GAFAM (1) et en défaveur des producteurs (de produits et de services). Cette captation par les géants dominants d’Internet se fait aussi au détriment des Etats, notamment européens, car si ces Big Tech affichent une prospérité démesurée, leurs contributions par le biais de l’impôt demeurent souvent symboliques.

Le « LuxLeaks » révélé en 2014
A la suite d’articles de presse indiquant, sur les révélations « LuxLeaks » du consortium international de journalistes d’investigation ICIJ (2), que des grandes entreprises – dont Apple et Amazon (3) – avaient bénéficié d’importantes réductions d’impôts, accordées par des autorités fiscales nationales, au moyen de « décisions anticipatives en matière fiscale » ou tax rulings (4), la Commission européenne avait ouvert le 11 juin 2014 une enquête pour vérifier la conformité de ces pratiques au regard des règles de l’Union européenne (UE) en matière d’aides d’Etat. Elle en a finalement dénoncé le mécanisme. L’enquête a notamment visé deux filiales (à 100 %) de droit irlandais du groupe Apple : Apple Sales International (ASI) et Apple Operations Europe (AOE). ASI est chargée d’acheter des produits Apple et de les vendre notamment en Europe. AOE, elle, fabrique certaines gammes d’ordinateurs pour le groupe Apple.
Ces deux filiales d’Apple déclaraient, chacune, n’avoir qu’une succursale en Irlande et leur siège en dehors de l’Irlande. En conséquence, du fait de répartitions internes, seule une petite fraction des bénéfices d’ASI et d’AOE étaient affectés à leurs succursales irlandaises et soumis à l’impôt en Irlande. La plupart des bénéfices étaient affectés en interne à un « siège » des deux filiales situé en dehors de l’Irlande où ils échappaient à l’impôt – et sans qu’aucun pays ne soit mentionné. Les deux « rulings » fiscaux émis par l’Irlande, le premier de 1991 à 2007 et le second de 2007 à 2014, avalisaient ces répartitions internes. En 2011, ASI a fait état lors d’auditions devant le Sénat américain d’un bénéfice de 16 milliards d’euros mais du fait du tax ruling, seuls 50 millions d’euros ont été imposés en Irlande. Résultat : 15,95 milliards d’euros de bénéfice ont éludé l’impôt (5). L’enquête de la Commission européenne a conclu que les rulings fiscaux irlandais avalisaient une répartition interne artificielle des bénéfices au sein d’ASI et d’AOE, que rien ne justifiait sur le plan factuel ou économique. Cet avantage présentait un caractère sélectif, puisqu’il entraînait une réduction de la charge de l’impôt des deux filiales d’Apple en Irlande par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable reflétait les prix négociés sur le marché dans des conditions de pleine concurrence. La Commission européenne a justifié son analyse par trois arguments :
• A titre principal, la Commission européenne a reproché le principe d’attribution des bénéfices dérivés des licences de PI qu’elles détenaient aux sièges (hors d‘Irlande) d’ASI et d’AOE et non à ses succursales irlandaises. Selon elle, cette attribution était fictive dès lors que ces sièges n’étaient situés dans aucun pays, n’employaient aucun salarié et ne possédaient pas de locaux. Leurs activités s’en tenaient à des décisions limitées prises par ses directeurs – dont un grand nombre travaillaient simultanément à temps plein comme cadres dirigeants pour Apple Inc. – concernant la distribution des dividendes, les arrangements administratifs et la gestion de trésorerie.

Gestion fantôme des licences PI
Plus particulièrement s’agissant des fonctions afférentes aux licences de PI, la Commission européenne a soutenu que de telles fonctions n’avaient pas pu être exercées uniquement par le biais des conseils d’administration d’ASI et d’AOE, en l’absence de personnel. De plus, il n’a été trouvé dans les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration aucune référence à des discussions et à des décisions à cet égard. Dans la mesure où les sièges des deux filiales de droit irlandais n’avaient pas pu contrôler ni gérer les licences de PI du groupe Apple, ces sièges n’auraient pas dû se voir attribuer, dans un contexte de pleine concurrence, les bénéfices tirés de l’utilisation de ces licences. Seule les branches irlandaises d’ASI et d’AOE étaient en mesure d’exercer effectivement des fonctions essentielles à l’activité commerciale en rapport avec la PI du groupe Apple, et avaient la capacité opérationnelle d’exercer et de gérer l’activité de distribution, et ainsi la capacité de générer des revenus commerciaux. En conséquence, les bénéfices de vente d’ASI et d’AOE auraient dû être attribués aux succursales irlandaises d’ASI et d’AOE, et donc imposés en Irlande.

La fiscalité irlandaise en question
• A titre subsidiaire, la Commission européenne a reproché les méthodes d’attribution aux sièges (hors d‘Irlande) d’ASI et d’AOE des bénéfices dérivés des licences de PI qu’elles détenaient. En effet, même si les autorités fiscales irlandaises avaient eu raison d’accepter l’hypothèse de l’attribution hors d’Irlande des licences de PI, les méthodes d’attribution ayant permis de déterminer le bénéfice annuel d’ASI et d’AOE imposable en Irlande étaient fondées sur des choix méthodologiques inadéquats qui ne permettait pas une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché dans des conditions de pleine concurrence.
• A titre alternatif, elle a considéré que les rulings fiscaux contestés avaient été adoptés par les autorités fiscales irlandaises de façon discrétionnaire, en l’absence de critères objectifs liés au système fiscal irlandais, et que, de ce fait, ils procuraient un avantage sélectif à ASI et à AOE.
En conséquence, la Commission européenne a jugé que les rulings fiscaux irlandais constituaient donc une aide d’Etat incompatible avec le marché intérieur. Elle a exigé que l’Irlande récupère auprès d’Apple les impôts impayés pendant la période considérée. L’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont contesté cette décision.
Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) en date du 15 juillet 2020, dans les deux affaires concernées (6) (*) (**), a annulé la décision contestée car il a jugé que la Commission européenne n’avait pas rapporté la preuve de l’existence d’un avantage économique sélectif et, consécutivement, d’une aide d’Etat en faveur d’ASI et d’AOE. Sur l’argument à titre principal, le TUE a considéré que la Commission européenne n’est pas parvenue à démontrer, qu’eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, aux décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales, lesdites succursales irlandaises auraient dû se voir attribuer les licences de PI du groupe Apple, aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. Le TUE a jugé que la Commission européenne n’a pas rapporté la preuve qu’une telle attribution découlait des activités réellement effectuées par lesdites succursales irlandaises. Elle n’a pas cherché à établir que les organes de gestion des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE avaient effectivement exercé la gestion quotidienne active de l’ensemble des fonctions et des risques afférents à la PI du groupe Apple. A l’inverse, selon le TUE, les activités des succursales irlandaises sont des activités auxiliaires et d’exécution de politiques et de stratégies conçues et adoptées en dehors de ces succursales, notamment en ce qui concerne la recherche, le développement et la commercialisation des produits de la marque Apple. De plus, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE ont prouvé que lesdites activités n’ont inclus ni la gestion ni la prise de décisions stratégiques concernant le développement et la commercialisation de la PI. A l’inverse, il apparaît que toutes les décisions stratégiques, particulièrement en ce qui concerne la conception et le développement des produits, ont été prises suivant une stratégie commerciale globale déterminée à Cupertino où se trouve le siège d’Apple en Californie et mises en œuvre par les deux sociétés en question, par leurs organes de direction, en tout état de cause, en dehors des succursales irlandaises. En outre, le TUE considère que la Commission européenne n’est pas parvenue à démontrer, au titre de son raisonnement subsidiaire, des erreurs méthodologiques dans les rulings qui auraient abouties à une diminution des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande. En effet, bien que le TUE déplore le caractère lacunaire et parfois incohérent des rulings fiscaux contestés, les défaillances identifiées par la Commission européenne, à elles seules, ne suffisent pas à prouver l’existence d’un avantage (7). Par ailleurs, le TUE considère qu’elle n’a pas prouvé, au titre de son raisonnement alternatif, que les rulings fiscaux contestés étaient la conséquence du pouvoir discrétionnaire exercé par les autorités fiscales irlandaises.
Le TUE semble avoir rappelé à la Commission européenne qu’on ne fait pas de droit fiscal avec du droit de la concurrence et que ces questions nécessitent un accord au niveau des Etats européens mais aussi du reste du monde…
Parallèlement, faute d’accord international, l’adoption « au cours du premier semestre 2021 » d’une taxe européenne sur les entreprises du numérique a été annoncée à l’occasion d’une réunion le 11 septembre 2020 des ministres des Finances de l’UE (8).

Victime collatérale : le consommateur
Il est cependant plus que probable que ce succès espéré aura pour victime collatérale le consommateur. En effet, certains pays européens (France, Italie, Royaume Uni) ou pas (Chili, Mexique, Arabie saoudite, Turquie) ont déjà soumis les GAFAM à des taxes nationales. Dans un communiqué, Apple a fait savoir aux développeurs français que la taxe sur le numérique de 3% du chiffre d’affaires votée en 2019 serait intégrée dans le calcul de leurs revenus générés dans l’App Store (9). De même, le fabricant des iPhone et des iPad reportera sur le prix la taxe de 3 % votée en Italie et celle de 2 % adoptée au Royaume-Uni, ainsi que le prélèvement de 7,5 % mis en place par la Turquie. @

* Fabrice Lorvo est l’auteur du livre
« Numérique : de la révolution au naufrage ? »,
paru en 2016 chez Fauves Editions.

Le numérique pèse à peine 7 % du plan « France Relance » sur deux ans (2020-2022) : décevant

Etant donné que le numérique – télétravail, e-commerce, école à distance, téléconsultations ou encore administrations en ligne – a permis à la France de sauver les meubles lors des trois mois du confinement, il aurait été logique que le chef de l’Etat fasse du digital une priorité pour résorber la fracture numérique. Hélas.

Le président de la République Emmanuel Macron (photo), qui fut il n’y a pas si longtemps ministre de l’Economie, de l’Industrie et… du Numérique, aurait été bien inspiré de consacrer à ce dernier une part de son plan de relance bien plus grande que les à peine 7 % des 100 milliards d’euros annoncés en grandes pompes le 3 septembre. A titre de comparaison : l’écologie s’arroge à elle toute seule 30 % de cette même enveloppe « France Relance » sur la période 2020- 2022. Le numérique devra donc se contenter de 6,8 milliards d’euros environ sur deux ans, lorsque la transition écologique bénéficiera d’au moins 30,3 milliards d’euros. « France Relance », c’est donc deux poids, deux mesures. Cette disparité budgétaire pour reconstruire le monde d’après n’a pas échappé à France Digitale, une association créée en 2012 à la suite du mouvement des Pigeons et forte aujourd’hui de plus de 1.800 entrepreneurs et investisseurs du numérique français. « On s’attendait à ce qu’il y ait un peu plus d’effort sur le numérique. Le numérique n’est pas oublié du plan de relance, mais il n’est pas non plus la priorité et c’est dommage parce que justement il remplit la case emploi, la case souveraineté », a confié à l’AFP Frédéric Mazzella (Blablacar), coprésident de France Digitale, qui organise son France Digitale Day le 15 septembre.

« France Relance » numérique déçoit France Digitale
Dans son communiqué où elle prend acte, l’organisation des startup est plus policée et « invite le gouvernement à renforcer le plan de relance selon trois axes forts : envisager une politique inédite en matière de commande publique, visant à attribuer au moins 50 % des marchés publics technologiques aux entreprises européennes ; encourager la sobriété numérique, alors que la transition environnementale est une part essentielle du plan de relance ; accentuer les efforts sur les marchés stratégiques (IA, quantique, cyber et e-santé, … ». France Digitale appelle en outre les parlementaires à améliorer en faveur du numérique ce plan de relance dont ils seront bientôt saisis, en s’inspirant de ses quinze propositions présentées au sortir du confinement. Dans son rapport « Alternatives », l’association professionnelle estime « l’effort à 20 milliards d’investissement sur deux ans, à répartir entre secteurs public et privé » (2). C’est bien plus que l’enveloppe digitale du plan gouvernemental « France Relance ».

Cédric O ne tarit pas d’éloges
Quant à la fédération Infranum (3), qui espérait des pouvoirs publics 7 milliards d’euros sur les 11,2 milliards d’euros estimés indispensables, selon elle (4), pour relancer la filière (5), elle a réagi en pointant d’autres « questions de financement » qui restent en suspens (6). Du côté de la Fédération française des télécoms (FFTélécoms), pas de communiqué mais seulement un tweet satisfait : « #FranceRelance va booster les investissements des opérateurs télécoms » (7). Enthousiaste, le secrétaire d’Etat chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, ne tarit pas d’éloges sur le volet numérique du plan de relance. « La transition numérique de notre économie et de notre société est une obligation si la France veut sauvegarder ses emplois, tenir son rang et continuer à faire société. Elle est au coeur de #FranceRelance, qui lui consacre des moyens inédits ! », a-t-il assuré sur Twitter (8). Et dans une tribune publiée sur Medium, il place « la transition numérique au cœur de la relance et de notre pacte social » (9). Même si le digital semble réduit à une portion congrue dans le plan de relance présenté par le Premier ministre, Jean Castex (photo de droite), et par son ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, le gouvernement veut se mettre en quatre. Cédric O a cependant indiqué qu’Emmanuel Macron s’exprimera « dans les semaines à venir » pour parler de numérique et de plans spécifiques.
D’ici à la fin du quinquennat (2020-2022), le plan « France Relance » prévoit, lui, d’injecter dans le digital :
• 3,7 milliards pour le soutien aux start-up et aux technologies stratégiques. Le Programme d’investissements d’avenir (PIA), qui fête d’ailleurs ses dix ans cette année, consacrera une augmentation de 60 % des aides à l’innovation destinées annuellement à la French Tech, pour un total de 800 millions. A quoi s’ajouteront 500 millions qui seront consacrés en plus au soutien des levées de fonds. Mais ce sont surtout 2,4 ,milliards d’euros qui seront consacrés aux « technologies numériques de rupture » où la France entend ne pas être en rupture de ban justement sur ces marchés-clés mondiaux : informatique quantique, cybersécurité, intelligence artificielle, cloud, edtech, santé digitale, fintech, etc. « Le plan de relance a vocation à accélérer la croissance de l’écosystème de la French Tech et à renforcer notre souveraineté numérique, tant par le soutien au développement de nos start-up que par une plus grande maîtrise des technologies numériques stratégiques », a expliqué Cédric O. Il s’agit aussi de faire émerger des licornes (10) et des champions capables de rivaliser avec les Big Tech.
• 2,3 milliards d’euros à la transformation numérique de l’Etat, des territoires et des entreprises. Pour l’Etat et les territoires, il est prévu sur cette somme 1,7 milliard d’euros de crédits qui permettront notamment de « financer le déploiement d’une identité numérique de niveau élevé, la modernisation et la sécurisation des infrastructures numériques de l’Etat, et l’utilisation de technologies numériques de pointe par les administrations ». Cédric O assure en outre que l’amélioration de la qualité du service public sera au cœur des préoccupations, tant au niveau de l’Etat, avec 1 milliard pour les démarches en ligne, et des territoires, avec près de 300 millions d’euros pour « les projets les plus prometteurs ». Quant à la santé, dans le cadre du « Ségur de la Santé » (11), 200 millions d’euros seront consacrés à la numérisation du système de santé. Pour les entreprises, cette fois, 400 millions d’euros seront injectés pour accompagner la transformation numérique des TPE, PME et ETI, ou accélérer l’adoption de technologies liées à l’industrie du futur et à l’intelligence artificielle. Tandis que 200 millions d’euros serviront à accélérer la numérisation des filières aéronautique et automobile.
• 500 millions d’euros consacrés au numérique du quotidien, partout et pour tous. C’est ce que le plan de relance va rajouter aux efforts non seulement pour contribuer à « la généralisation de la couverture fibrée du territoire à l’horizon 2025 » avec « 240 millions d’euros supplémentaires », mais aussi – « effort inédit et historique de 250 millions d’euros » – pour lutter contre la fracture numérique et l’illectronisme. « La fibre [optique] doit être aujourd’hui considérée comme une infrastructure essentielle (12) et l’accès à une bonne connexion Internet comme un service universel auquel l’Etat doit garantir l’accès. (…) Aujourd’hui encore, un Français sur six n’utilise pas Internet et plus d’un sur trois manque de compétences de base », affirme Cédric O. Là aussi, Emmanuel Macron devrait détailler un plan d’action dans les prochaines semaines.
• 300 millions d’euros pour la formation aux métiers du numérique. Il s’agit de tirer parti de l’opportunité pour l’insertion des jeunes que représentent les métiers du digital, lesquels font partie des « métiers prioritaires d’avenir » auxquels le gouvernement promet de former 100.000 jeunes. Sont également concernés tous ceux dont les métiers seront affectés par la crise et les mutations économiques. « Donner l’accès pour tous aux emplois du numérique contribue à l’effort de démocratisation du numérique », assure le gouvernement.

Notification en vue à Bruxelles
Il reste maintenant à la France à notifier son plan « France Relance » à la Commission européenne – a priori en octobre – et à obtenir l’approbation des autres Etats membres de l’Union européenne. Si ça passe, la France pourra espérer de l’Europe 40 milliards d’euros pour son plan à 100 milliards. De son côté, le Conseil national du numérique (CNNum) a remis le 8 septembre au gouvernement un avis (13) appelant « la France numérique » à inclure plus de talents « issus de la diversité ». @

Charles de Laubier

Dix ans après le rachat de PriceMinister, pionnier français du e-commerce, le japonais Rakuten résiste à la crise

Dix ans après avoir racheté PriceMinister, pionnière des places de marché françaises créée il y a 20 ans, le groupe japonais fondé par Hiroshi Mikitani se retrouve pris entre deux feux : un déficit sans précédent enregistré en 2019 et la crise économique provoquée par le covid-19. Mais l’écosystème « Rakuten » a des atouts.

Fondée il y a maintenant vingt ans par Pierre Kosciusko-Morizet, aujourd’hui business angel, qui l’a ensuite revendue il y a dix ans au groupe japonais Rakuten, la place de marché en ligne PriceMinister, pionnière du e-commerce en France, continue de prospérer depuis deux ans sous l’enseigne « Rakuten » de plus en plus mondiale. Ce terme signifie « optimisme » en japonais. Dans un contexte de crise et de récession économique mondiales, sur fond de pandémie plus ou moins maîtrisée, de l’optimisme, il en faut. Et si l’on y rajouter « ch », cela donne « rakutenchi », ce qui veut dire « paradis »… Avant d’y parvenir, Hiroshi Mikitani (photo), le président fondateur de Rakuten, société qu’il a créée il y a vingt-trois ans sous le nom de MDM, avant d’en changer le nom pour Rakuten en juin 1999, doit poursuivre son expansion internationale en se frayant un chemin entre les GAFA américains et les BATX chinois. En vingt ans, l’enseigne Rakuten s’est développée et diversifiée. Avec ses 70 services en ligne disponibles, elle revendique 1,4 milliard de consommateurs. Mais pour en faire une marque véritablement mondiale, il reste beaucoup à faire. Le Japon pèse encore 80 % de son chiffre d’affaires, du moins sur 2019, année où le groupe de Hiroshi Mikitani – dit « Mickey » – a franchi pour la première fois l’équivalent de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires (1) – 10,5 milliards précisément à la faveur d’une hausse annuelle de 14,7 %.

Japon : lancement de la 5G de Rakuten Mobile retardé
Les « Amériques » (Canada et Etats-Unis) sont arrivées en tête des revenus internationaux à 15,6% du total du chiffre d’affaires de 2019, suivies de l’Asie (Chine) à 2,4 %, l’Europe n’arrivant qu’en dernière des régions contributrices au chiffre d’affaires global, à 2,2 %. Mais le Vieux Continent devrait peser plus lourd à l’avenir, au vu de la croissance à deux chiffres des revenus observée au premier trimestre 2020 en France et en Espagne. Alors que le groupe Rakuten a accusé un fort déficit l’an dernier – avec une perte nette équivalente à 274,7 millions d’euros (2) – après avoir été habitué à des années de rentabilité, Hiroshi Mikitani se retrouve à devoir redresser la barre au moment où l’économie nippone et les marchés internationaux où il est présent vacillent sous les effets dévastateurs de la pandémie covid-19. Pourtant, le 13 mai dernier, « Mickey » a maintenu ses prévisions pour cette année d’« une croissance à deux chiffres » de son résultat d’exploitation par rapport à l’exercice précédent grâce au e-commerce, aux activités de fintech et au mobile. Si les deux premiers pôles de croissance ont pu profiter du confinement, il n’en va pas de même pour Rakuten Mobile qui pourrait dégrader les comptes de la firme tokyoïte.
Devenu en début d’année le quatrième opérateur de réseau mobile de l’archipel nippon, après avoir été MVNO (3), la filiale télécoms coûte cher à la maison mère en infrastructures 4G et 5G (4). Rakuten Mobile a bien lancé ses offres 4G début avril, mais le coronavirus l’a contrainte de retarder de trois mois – à septembre au lieu de juin – le lancement commercial de ses forfaits 5G. Ce qui pénalise ce nouvel entrant par rapport à ses rivaux NTT Docomo, Softbank et KDDI, lesquels sont, eux, opérationnels depuis mars. Et comme un malheur n’arrive jamais seul : les Jeux olympiques de Tokyo, qui devaient se tenir du 24 juillet au 7 août prochains et qui auraient servi de rampe de lancement en grandes pompes à la 5G, ont dû être reportés d’un an à cause de la pandémie. Ces contre-temps devraient peser sur les résultats de l’année 2020.
Cotée depuis vingt ans, où elle est actuellement valorisée à la Bourse de Tokyo l’équivalent de 13 milliards de dollars, l’entreprise de « l’optimisme » est détenue à hauteur de 29,69 % du capital par Hiroshi Mikitani (dont 16,69 % via sa holding Crimson Group). Sa femme Haruko, avec laquelle il a eu deux enfants, en possède 9,78 %. Ainsi, le couple multimilliardaire – lui, né à Kobé il y a 55 ans, étant classé par Forbes 6e fortune du Japon, 33e fortune de la Tech et 383e personne la plus riche du monde (5) – détient ensemble près de 40 % du groupe. Que de chemins parcourus à l’international depuis dix ans. Rakuten a racheté en 2011 le fabricant canadien de liseuses Kobo assorti de sa bibliothèque d’ebooks pour 315 millions de dollars (6). C’est cette filiale qui a porté plainte contre Apple auprès de la Commission européenne (voir pages 6 et 7).
En 2012, le japonais a investi dans Pinterest à hauteur de 100 millions de dollars, avant de multiplier les implantations dans le e-commerce de divers pays, dont la Chine, Taïwan, Hong-Kong, la Corée, la Thaïlande, le Canada, l’Australie, l’Espagne, et la France. C’est dans l’Hexagone que Rakuten va investir dans le site comparateur de prix VoyagerMoinsCher.com que PriceMinister rachètera en 2017, avant que ce dernier ne devienne en 2010 une filiale de Rakuten (7). En juin 2012, c’est au tour de la plateforme de VOD espagnole Wuaki.tv – disponible dans plusieurs pays européens – d’entrer dans le périmètre du groupe japonais pour tenter de défier Netflix et Amazon Prime Video. Wuaki.tv sera rebaptisé Rakuten TV mi-2017.
En septembre 2013, Rakuten rachète aussi Viki, un service de VOD basé à Singapour. Tout en développant ses places de marché en ligne, le groupe de Hiroshi Mikitani se renforce dans « les contenus numériques sans frontières » (8). Puis, affichant alors une bonne santé financière et plus que jamais téméraire, le groupe Rakuten s’empare en 2014 de l’application de téléphonie (VoIP) et messagerie multimédia Viber pour pas moins de 905 millions de dollars ! A l’automne de la même année, il débourse encore 952 millions de dollars pour s’emparer de la société californienne Ebates (devenu Rakuten Rewards début 2019), spécialisée dans le cash-back et les programmes de fidélité et de récompenses commerciales. En 2015, Rakuten jette cette fois son dévolu sur le distributeur américain de livres numériques et de contenus digitaux OverDrive pour 410 millions d’euros. Puis, il injecte 300 millions de dollars dans la startup californienne Lyft, concurrente d’Uber, ainsi que dans un autre concurrent Cabigy basé en Espagne pour plus de 100 millions de dollars. Sans oublier des investissements ou acquisitions de moindre importance tous azimuts : DC Storm (en Grande- Bretagne), Slice, Acorns et Curbside (aux Etats-Unis) ou encore MetroResidences (à Singapour).
Ainsi, « Mickey » a réussi non seulement à faire fortune mais surtout à constituer un vaste écosystème « Rakuten » vertueux, où toutes les applications se complètent (voir schéma cicontre). Lorsqu’il débourse il y a six ans près de 1 milliard de dollars pour Viber, le visionnaire doit expliquer aux analystes financiers dubitatifs que l’opération en vaut la chandelle car e-commerce et réseaux sociaux sont les deux faces d’une même pièce. Les messageries vont permettre de recruter de nouveaux clients en ligne. Depuis, il mise à fond sur les « Rakuten Points » (9) que gagnent les consommateurs lors de leurs achats dans les différents services-maison. Au Pays du Soleil-Levant, cela fait partie de l’hospitalité que les Japonais appellent « omotenashi ». Cela permet surtout de retenir le plus longtemps possible le consommateur dans le même écosystème. Outre le paiement par « R Point », les règlements peuvent aussi se faire via la Rakuten Card, par virement de Rakuten Bank, avec la monnaie virtuelle « R Edy », par code-barre « R Pay » ou bientôt la cryptomonnaie « R Wallet ». Le cross-use, où un client passe d’un service à l’autre au sein de l’écosystème, dépasse les 72 %. Optimisme rime avec fidélité. @

Charles de Laubier

Amazon, porté par l’explosion des achats en ligne due au confinement, s’attire des critiques de toutes parts

Le géant mondial du e-commerce fondé par Jeff Bezos profite-t-il du malheur des autres ? C’est en substance ce que pensent certains, victimes ou pas de la position dominante renforcée d’Amazon dans la vente et les services en ligne. Et ce, au moment où la pandémie du covid-19 faire rage.

(Depuis cet article paru dans EM@ n°231 du 6 avril, le tribunal de Nanterre a ordonné le 14 avril à Amazon de s’en tenir aux seuls produits essentiels durant un mois, et d’évaluer les risques au covid-19. Le 24 avril, la cour d’appel de Versailles a confirmé ce jugement, mais en ramenant l’astreinte de chaque infraction de 1 million à 100.000 euros)

A qui profite le crime ? Amazon est plus que jamais pris pour cible par ses détracteurs, qui reprochent au géant du e-commerce de profiter de la pandémie du coronavirus pour booster son chiffre d’affaires (qui affichait déjà 280,5 milliards de dollars en 2019) et son bénéfice net (11,5 milliards). Et à son président fondateur Jeff Bezos (photo), déjà l’homme le plus riche du monde (1) et détenteur de 12 % de ce GAFA, de s’enrichir encore plus (fortune de 117,3 milliards de dollars au 02-04-20).

Des revenus colossaux qui dérangent
Bien que redescendue sous la barre des 1.000 milliards de dollars, la valorisation boursière d’Amazon continue de tutoyer ce seuil, à 949,7 milliards (au 02-04-20). Si entre son pic du 19 février et son plongeon du 12 mars, l’action d’Amazon a perdu 22,7 % de son prix, entraînée dans sa chute par l’effondrement des Bourses dans le monde, elle s’est redressée depuis et à contre-courant de la plupart des autres entreprises cotées. Cette insolente résilience financière est d’autant plus dérangeante qu’elle s’affiche en cette période historique de crise sanitaire mondiale sans précédent, contraignant plus de 3 milliards d’êtres humains au confinement, et annonçant de terribles conséquences économiques qui appauvriront le plus grand nombre. Alors que la vente en ligne explose dans le monde en raison de ces mesures de confinement et de mises en quarantaine de la population dans de nombreux pays, le commerce physique et les commerçants indépendants se sentent, eux, les premiers sacrifiés sur l’autel du covid-19. Déjà que le e-commerce était en temps normal montré du doigt comme destructeur de magasins de proximité et de boutiques brick and mortar dans les centres-villes et les villages (2), les plateformes de vente en ligne se retrouvent plus que jamais accusées de tous les maux. Amazon est en toute première ligne, tant il est le premier géant du Net à tirer profit du #Restezchezvous, situation qui provoque une recrudescence de commandes sur Internet et via les applications mobiles. Et ce, au détriment des enseignes ayant pignon sur rue. C’est que l’activité de e-commerce de la firme de Seattle – avec notamment ses 150 millions d’abonnés revendiqués par Jeff Bezos au 30 janvier pour son bouquet de services Prime (3) – tourne à plein régime, lorsqu’elle n’est pas en surchauffe et ses entrepôts débordés, avec des ruptures de stocks à la clé. Amazon dans le monde, c’est un effectif de quelque 800.000 personnes travaillant soit à temps plein, soit à temps partiel (intérimaires), voire comme saisonniers (4). Et Jeff Bezos a annoncé le 21 mars aux « Amazoniens » qu’il recrutait 100.000 personnes supplémentaires (5), tout en gratifiant ses salariés – aux Etats-Unis et en Europe – de 2 dollars, livres ou euros de plus par heure « afin que les autres puissent rester chez eux ». Mais de là à fermer ses entrepôts où des employés ont été diagnostiqués « Covid- 19 », il y a un pas sanitaire que Jeff Bezos se refuse à franchir, ce que reproche par exemple l’ONG Les Amis de la Terre (6). Surtout lorsqu’un salarié de Brétigny-sur-Orge se trouve en réanimation. Par précaution face au « danger grave et imminent » de la pandémie, des salariés du groupe ont soit déposé des congés, soit exercé leur droit de retrait (comme dans les entrepôts d’Amazon près de Douai dans le Nord et à Montélimar dans la Drôme). Sous la pression, Amazon France a annoncé le 3 avril la fourniture de masques à tous ses salariés. Amazon est en outre critiqué pour son peu d’empressement à lutter contre les fake news et arnaques autour du coronavirus, en particulier sur les prix élevés de masques FFP2, gels hydroalcooliques, gants ou encore lingettes désinfectantes. Pendant que des secteurs d’activité sont contraints d’être à l’arrêt, les livraisons e-commerce restent, elles, autorisées – comme l’a rappelé la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad), le 24 mars (7) en France où les ventes par Internet ont franchi l’an dernier les 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Et le gouvernement français a garanti dès le 15 mars « l’appro-visionnement en produits alimentaires et en produits de première nécessité »

Shoppertainment versus « première nécessité »
Difficile pour Amazon – leader mondial du « shoppertainment » (8) – de s’en tenir aux produits dits de première nécessité, à ceci près que « certains produits » domestiques et médicaux « seront désormais prioritaires dans les centres de commandes » (jusqu’au 5 avril). « Si la vente de livres en librairie n’est pas “indispensable” à la vie de la nation, pourquoi la vente de livres par Amazon ou un hypermarché l’est-elle ? », s’est plaint le Syndicat national de la librairie française (SLF), accusant d’« hérésie sanitaire » cette « concurrence déloyale » (9). A la demande de la Commission européenne et à l’instar de Netflix et Google/YouTube, Amazon a réduit de 25 % la bande passante de sa plateforme Prime Video. @

Charles de Laubier

Pris en étaux entre Amazon et Alibaba, eBay – 25 ans – cherche à augmenter sa valorisation

1995-2020 : un quart de siècle. Lorsque le Français Pierre Omidyar lança Auctionweb il y a 25 ans, il était loin d’imaginer que sa « place de marché honnête et ouverte » allait devenir le géant mondial du e-commerce eBay. Mais distancée par Amazon et Alibaba, la firme de San José est contrainte de se recentrer sur son métier historique.

Malgré un chiffre d’affaires 2019 de 10,8 milliards de dollars, un bénéfice net de plus de 1,7 milliard de dollars, une valorisation boursière proche de 30 milliards (1), plus de 183 millions d’acheteurs actifs dans le monde, et un volume de ventes en ligne de 90,2 milliards de dollars de transactions cumulées l’an dernier sur ses places de marché, eBay est en pleine crise des 25 ans. Des actionnaires, parmi lesquels deux fonds d’investissement newyorkais, Starboard Value et Elliott Management, estiment que le groupe eBay est « profondément sous-évaluée » et qu’il lui fallait – et ils ont eu gain de cause – se séparer de ses filiales StubHub (billetterie en ligne) et eBay Classifieds (petites annonces).
Est-ce aussi l’avis de Pierre Omidyar (photo), fondateur d’eBay, toujours membre du conseil d’administration (un des 14 « Director ») et encore l’un des principaux actionnaires avec plus de 4 % du capital de la firme de San José ? Ce Français d’origine iranienne – devenu milliardaire à 31 ans lors de l’introduction d’eBay en Bourse en 1998 et aujourd’hui 120e fortune mondiale et 36e américaine, selon Forbes (2) – s’était opposé en 2014 à la vente de PayPal (3). Et ce, avant que l’investisseur activiste Carl Icahn n’obtienne la scission l’année suivante. Cinq ans après l’introduction en Bourse de ce pionnier du paiement en ligne (4), c’est au tour des investisseurs Starboard Value et Elliott Management de réussir à convaincre la direction d’eBay de vendre StubHub et ses actifs « Classifieds ».

Cessions d’actifs et rachats d’actions
La décision de céder StubHub n’a pas été prise sans remous. Devin Wenig, opposé à cette vente, a choisi fin septembre 2019 de démissionner de son poste de PDG. Sous pression de ces deux fonds « activistes » (5), il avait expliqué ne plus être « sur la même longueur d’onde que [son] nouveau conseil d’administration » (6). Cinq ans auparavant, son prédécesseur John Donahoe avait déjà dû céder les rênes d’eBay après s’être opposé à la scission de PayPal. Perdre deux CEO en cinq ans, cela fait beaucoup ! Il y a maintenant près de six mois qu’eBay a un PDG par intérim, en la personne de Scott Schenkel (7). Le conseil d’administration, présidé par Thomas Tierney, cherche toujours son futur CEO. En cette période de transition incertaine, les spéculations vont bon train : « Amazon est dans une position privilégiée pour faire une offre sur eBay en 2020, et peut se permettre de le faire en cash », a récemment écrit un analyte financier sur Forbes.com (8). Pour l’heure, eBay accuse Amazon de détourner illégalement ses cybercommerçants et a déposé plainte l’été dernier devant la justice californienne (9).

Être racheté par Amazon ou se développer ?
En attendant son CEO et le verdict, le recentrage d’eBay sur son coeur de métier historique – vente en ligne de produits en tout genre aux consommateurs – se poursuit. La finalisation de la cession de StubHub, engagée en novembre 2019, a été annoncée le 13 février dernier, pour plus de 4 milliards de dollars cash. L’acquéreur est le spécialiste mondial des billetteries, Viagogo Entertainment (créé par le cofondateur de StubHub, Eric Baker). « La cession de StubHub renforce notre engagement à créer de la valeur pour l’actionnaire et est conforme aux autres mesures que nous avons prises, comme l’amélioration de la marge, le rachat d’actions et l’émission de dividendes », a justifié Scott Schenkel.
Mais pour eBay, se délester de StubHub va induire un manque à gagner de 1 milliard de dollars cette année. En volume de transaction, cette billetterie a même représenté l’an dernier 4,7 milliards de dollars (sur les 90,2 milliards de dollars globaux). Par conséquent, la place de marché du e-commerce et des enchères en ligne s’attend à ce que son chiffre d’affaires 2020 repasse sous la barre des 10 milliards de dollars, à savoir – selon ses prévisions – « de 9,56 milliards de dollars à 9,76 milliards de dollars ». Or, c’est sans compter la prochaine cession de l’activité de la filiale eBay Classifieds (petites annonces en ligne de voitures, d’immobilier, d’emploi, …). C’est le Wall Street Journal (Dow Jones) qui a révélé le 21 février au matin ce nouveau projet de vente d’actif valorisé autour de 10 milliards de dollars. Il y a un an, eBay Classifieds a été renforcé avec l’acquisition de Motors.co.uk en Grande-Bretagne pour 93 millions de dollars. Deux groupes de médias – le sud-africain Naspers et l’allemand Axel Springer – sont en lice pour racheter les « Classifieds » d’eBay. La firme de San José a dû clarifier en fin de journée ses nouvelles intentions : « eBay explore des alternatives susceptibles de créer de la valeur pour les petites annonces et poursuit des discussions actives avec de multiples parties [entreprises et investisseurs, ndlr] concernant une potentielle transaction », a confirmé le groupe, tout en précisant qu’il agit « en urgence » et qu’il fera un point sur ce processus en cours « d’ici le milieu de l’année ». Les banques d’affaires Goldman Sachs et LionTree l’aident à trouver preneur, tandis que le cabinet d’avocats newyorkais Wachtell, Lipton, Rosen & Katz le conseille. Pour Scott Schenkel, ce recentrage sur le e-commerce – où eBay perçoit des commissions sur les ventes, alors que les petites annonces génèrent essentiellement des recettes publicitaires – devrait permettre au groupe fondé par Pierre Omidyar d’augmenter le volume des transactions, du chiffre d’affaires, de la rentabilité et des flux de trésorerie, « tout en continuant à investir dans la croissance rentable à long terme ». Cela passera aussi par une réorganisation de l’équipe de direction, sous la houlette du prochain PDG une fois nommé, et surtout par une modernisation de la place de marché : plus d’outils et de data pour les vendeurs, de meilleures interfaces et moins d’arnaques pour les acheteurs. eBay, qui s’est retiré l’an dernier du projet Libra de Facebook, veut en outre accélérer le déploiement de sa propre solution de gestion des paiements, un service d’intermédiation lancé en septembre 2018 aux Etats- Unis, un an après en Allemagne, et, comme annoncé le 25 février (10), en Grande-Bretagne. Cet outil de paiement permet aux acheteurs de payer selon plusieurs options : cartes de crédit, Google Pay, PayPal (dont le contrat d’exploitation du e-paiement de son ex-filiale arrive à échéance au second semestre) et bientôt Apple Pay. Ces « paiements gérés » par eBay permettent de faire faire des économies aux vendeurs de la plateforme et de sécuriser les transactions.
Que va faire le groupe de e-commerce de tout cet argent provenant de la vente d’actifs ? Il prévu notamment d’augmenter son plan de rachat d’actions pour 2020, de 1,5 milliard de dollars à 4,5 milliards de dollars. Ce qui devrait contribuer à amortir l’impact négatif de la suppression de StubHub et des Classifieds du périmètre consolidé du groupe. En optimisant ainsi sa stratégie et son portefeuille d’actifs, eBay espère redorer son blason en Bourse.

Pierre Omidyar, philanthropie et journalisme
Pendant ce temps, le « Frenchie » américain Pierre Omidyar (52 ans) coule des jours que l’on suppose heureux avec sa femme Pam et ses trois enfants à Honolulu, à Hawaï, d’où il gère son patrimoine et – à travers la Omidyar Foundation depuis 1998 et la société d’investissement Omidyar Network depuis 2004, deux entités fondées avec Pam – ses oeuvres philanthropiques. Il investit par ailleurs dans des médias comme The Intercept, Field of Vision ou Topic, via sa société First Look Media créée en 2013, tout en étant éditeur à Honolulu du site web local Civilbeat.org via son autre entité Peer News (11). @

Charles de Laubier