La revente numérique de jeux vidéo interdite en France : une « exception culturelle » qui interroge

Retour sur la décision de la Cour de cassation qui, le 23 octobre 2024, clôt l’affaire opposant depuis 2015 UFC Que-Choisir à la société américaine Valve, laquelle interdit la revente de jeux vidéo dématérialisés. Pas d’« épuisement des droits » pour ces derniers, contrairement aux logiciels…

La plus haute juridiction française, la Cour de cassation, a eu le dernier mot dans l’affaire qui opposait depuis près de dix ans en France l’Union fédérale des consommateurs-Que choisir (UFC-Que choisir) et la société américaine Valve Corporation. Cofondée en 1996 par son président Gabe Newell (photo de gauche), Valve opère la plateforme numérique Steam créée en 2002 pour distribuer et diffuser en ligne des jeux vidéo, des logiciels, des films ou encore des séries. L’arrêt du 23 octobre 2024 a tranché en faveur de Valve qui n’autorise pas la revente de jeux vidéo dématérialisés.

Directive : « DADVSI » ou « Logiciels » ?
La Cour de cassation a estimé dans cette décision du 23 octobre 2024 (1) que la cour d’appel a eu raison de dire dans son arrêt du 21 octobre 2022 (2) qu’« un jeu vidéo n’est pas un programme informatique à part entière mais une œuvre complexe en ce qu’il comprend des composantes logicielles ainsi que de nombreux autres éléments tels des graphismes, de la musique, des éléments sonores, un scénario et des personnages [“dont certains deviennent cultes”, ajoutait même Valve, ndlr] ». Et que, « à la différence d’un programme d’ordinateur destiné à être utilisé jusqu’à son obsolescence, le jeu vidéo se retrouve rapidement sur le marché une fois la partie terminée et peut, contrairement au logiciel, être encore utilisé par de nouveaux joueurs plusieurs années après sa création ». Dans ses arguments distinguant logiciel et jeu vidéo, la cour d’appel avait aussi affirmé qu’« il ne peut être considéré que la fourniture d’un jeu vidéo sur un support matériel et la fourniture d’un jeu vidéo dématérialisé sont équivalentes d’un point de vue économique et fonctionnel, le marché des copies immatérielles d’occasion des jeux vidéo risquant d’affecter beaucoup plus fortement les intérêts des titulaires de droit d’auteur que le marché d’occasion des programmes d’ordinateur ».
La plus haute juridiction française, qui avait déjà fait sienne cette définition d’« œuvre complexe » pour les jeux vidéo dans l’arrêt « Cryo » du 25 juin 2009 (3), a donc finalement donné raison à la cour d’appel et, partant, à la société Valve contre l’association UFC-Que Choisir, tout en ajoutant que la cour d’appel « a déduit à bon droit que seule la directive 2001/29 [directive européenne “Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information” ou DADVSI (4), ndlr] est applicable aux jeux vidéo, que la règle de l’épuisement du droit ne s’applique pas en l’espèce et qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE, ndlr] d’une question préjudicielle ». Donc, circulez, il n’y a rien à voir. (suite)

Projet de loi SREN : procédure accélérée… ralentie

En fait. Le 10 avril, l’Assemblée nationale discutera en séance publique du texte élaboré le 26 mars par la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi visant à « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN). Et ce, après que le Sénat a amendé le 2 avril dernier ce texte de la CMP.

En clair. Le projet de loi « Sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) – émanant donc du gouvernement qui avait engagé une procédure accélérée le 10 mai 2023 – termine son marathon parlementaire. Il aura duré près d’un an ! Pourtant, le Sénat avait adopté un texte le 5 juillet 2023, suivi par l’Assemblée nationale le 17 octobre.
Bien que la commission mixte paritaire (CMP) ait été convoquée le 18 octobre, celle-ci n’a pu se réunir que le… 26 mars 2024, soit près de six mois après. Pourquoi un tel délai, alors que le gouvernement avait opté pour une « procédure accélérée » ? C’est que « ce texte relève pour une très large partie des domaines de compétence de l’Union européenne, et qu’en la matière des législations sont ou bien déjà adoptées ou bien en cours d’adoption [DSA, DMA, AI Act ou encore Data Act, ndlr], ce qui ne nous a pas facilité la tâche », a expliqué la présidente de cette CMP, la sénatrice (centriste) Catherine Morin-Desailly. Le gouvernement a dû notifier à la Commission européenne son projet de loi « SREN » par trois fois (texte gouvernemental, texte des sénateurs et texte des députés), puis attendre à chaque fois la réponse de Bruxelles. La Commission européenne avait même rendu un « avis circonstancié » – voire très critique, notamment au regard du Data Act. Paris a dû revoir sa copie à l’aune des nouvelles législations du marché unique numérique.

Quel rapport entre le e-commerçant Zalando et trois sites pornos ? Le Digital Services Act !

Les plateformes de e-commerce Zalando et pornographiques Pornhub et Stripchat – mais pas XVideos – ont en commun de contester devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) leur inscription dans la liste des « très grandes plateformes en ligne » dans les Vingt-sept régies par le DSA.

Le e-commerçant allemand Zalando avait été désigné le 25 avril 2023 par la Commision européenne – dans le cadre du Digital Services Act (DSA) – comme « très grande plateformes » ou VLOP (1) dans le jargon bruxellois, aux côtés de Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia et YouTube, ainsi que des « très grands moteurs de recherche en ligne » ou VLOSE (2), Bing et Google Search (3). A ce « Big 19 » sont venus s’ajouter le 28 décembre 2023 trois autres VLOP, les plateformes pornographiques Pornhub, Stripchat et XVideos (4).

La Commission européenne devant la CJUE
Chacune de ces vingt-deux plateformes très fréquentées présentent autant de « risque systémique » qu’elles ont l’obligation de gérer pour l’éviter sous peine d’amendes. Mais depuis juin 2023, Zalando demande à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’annulation de la décision de la Commission européenne, celle du 25 avril 2023 listant les dix-neuf géants du Net qui présentent chacun un « risque systémique » et qui sont soumis de ce fait à des obligations renforcées. Et, selon les informations de Edition Multimédi@, la société Aylo Freesites éditrice du site pornographique Pornhub et basée à Chypre – elle-même rachetée il y a un an par le fonds d’investissement québécois Ethical Capital Partners (ECP) –, vient de déposer, le 1er mars 2024, son recours devant la CJUE. Également basée à Chypre, la société Technius – éditrice du site pornographique Stripchat – avait fait de même le 29 février 2024.

Lutte contre le piratage : les « cyberlockers » donnent du fil à retordre aux industries culturelles

Aiguillonnée par l’Alpa et l’Arcom, la justice française multiplie les décisions de blocage de sites pirates qui recourent aux « cyberlockers », hébergeurs générant des liens web pour permettre à leurs utilisateurs d’accéder à des fichiers de films, séries, musiques ou livres, souvent piratés. Les « cyberlockers » ont le vent en poupe et jouent au chat et à la souris avec les ayants droits, les régulateurs et les juges. En France, rien qu’en janvier 2024, ce ne sont pas moins cinq d’entre eux – Turbobit, Rapidgator, Streamtape, Upstream et Nitroflare – qui ont été bloqués par décision de justice. En un an, près d’une quinzaine de ces sites d’hébergement générateurs de liens web uniques ou multiples – des URL (Uniform Resource Locator) pour permettre de télécharger des fichiers de contenus et de les partager – ont été bloqués, sur décision du juge, par les Orange, SFR, Bouygues ou Free. Les 25 membres de l’Alpa en lutte Outre les cinq cyberlockers épinglés en janvier, il en a aussi été ainsi de Doodstream, Mixdrop, Vidoza et Netu par jugement de juin 2023, de Uptobox en mai 2023 (1), ainsi que de Uqload, Upvid, Vudeo et Fembed en janvier 2023. C’est ce que révèle une étude de l’Association de la lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), réalisée avec Médiamétrie et publiée discrètement le 7 mars dernier – communiquée, sans présentation formelle, aux membres de l’Alpa qui l’a mise en ligne sur son site web (2). Contacté par Edition Multimédi@, le délégué général de l’Alpa depuis plus de 21 ans, Frédéric Delacroix (photo), nous explique que « les sites pirates utilisent les cyberlockers pour héberger les contenus illicites qu’ils proposent sur leurs pages en mettant à disposition des liens – de téléchargement DDL (3) ou de streaming – renvoyant sur ces derniers, les cyberlockers étant des services essentiels dans l’écosystème pirate et ne servant qu’à l’hébergement de contenus illicites ». Les sites pirates et leurs sites miroirs peuvent y recourir pour brouiller les pistes en multipliant les URL. Les sites miroirs sont, eux, de nouveaux chemins d’accès via de nouveaux noms de domaine qu’utilisent les sites pirates, faisant l’objet de mesures de blocage sur leur nom de domaine initial, pour poursuivre leur activité illégale. Ces sites illégaux se nomment 1fichier.com, Yggtorrent.qa, Wawacity.autos, Papadustream.to ou encore Rapidgator.net, pour ne citer que les plus utilisés en décembre 2023 d’après Médiamétrie. « Les cyberlockers ont longtemps bénéficié du statut (favorable) d’hébergeurs, supprimant sur notification les fichiers illicites notifiés par les ayants droit, mais en favorisant leur réintroduction à l’identique en connivence avec les administrateurs pirates. Nous avons réussi à prouver que leur système économique ne reposait que sur la contrefaçon d’œuvres protégées », poursuit Frédéric Delacroix. Le délégué général de l’Alpa rappelle que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a – dans son arrêt « Cyando/ Uploaded » du 27 juillet 2021 (4) – édicté des principes permettant d’établir le caractère contrefaisant de ce type de cyberlocker (plateforme de partage de vidéos ou plateforme d’hébergement et de partage de fichiers). « Ce qui a permis aux ayants droit, membres de l’Alpa et à notre initiative, d’en demander le blocage en justice fin 2022 ». Et depuis 2017, les ayants droit membres de l’Alpa sont à l’initiative de décisions de justice portant sur 1.300 sites pirates à ce jour, correspondant à l’utilisation de plus de 3.400 noms de domaine. L’Alpa – association française créée il y aura 40 ans l’an prochain et présidée depuis plus de 20 ans par Nicolas Seydoux (84 ans), président de Gaumont – compte aujourd’hui vingt-cinq membres que Edition Multimédi@ présente de façon inédite par catégorie : Organisations professionnelles : Association des producteurs indépendants (API), Auteurs, réalisateurs et producteurs (L’Arp), Fédération nationale des éditeurs de films (FNEF), Motion Picture Association (MPA), Société civile des producteurs de cinéma et de télévision (Procirep), Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), Syndicat des producteurs indépendants (SPI), Union des producteurs de cinéma (UPC). Studios de cinéma : Gaumont, Paramount Picture France, Pathé Films, Sony Pictures Home Entertainment, Universal Pictures Vidéo France, Walt Disney Entertainment, Warner Bros Home Video. Salles de cinéma : Fédération nationale du cinéma français (FNCF), UGC (ex-Union générale cinématographique). Chaînes de télévision : France Télévisions, Canal+, TF1, M6 via sa Société nouvelle de distribution (SND). Plateforme de SVOD : Netflix. Autorité publique : Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). L’Alpa touche des subventions publiques, notamment de la part du CNC qui est un établissement public à caractère administratif placé sous l’autorité du ministère de la Culture.Le CNC pourra bientôt saisir l’Arcom Grand argentier du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (dont la création numérique sur Internet, jeu vidéo, réalité virtuelle et métavers), le CNC pourrait voir ses pouvoirs étendus aux sites miroirs par la proposition de loi « visant à conforter la filière cinématographique ». Ce texte législatif, qui a été adopté en première lecture au Sénat le 14 février dernier et est actuellement entre les mains de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale (5) a fait l’objet d’un amendement adopté en commission début février (6). Celui-ci prévoit que les titulaires de droits ne soient plus les seuls à pouvoir saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour lui demander d’enjoindre directement aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) et sans passer par un juge (7) – comme c’est cas depuis octobre 2022 – de bloquer des sites miroirs de ces sites illégaux et cyberlockers déjà condamnés par la justice. Avec la nouvelle mesure, le CNC aurai aussi la possibilité de saisir l’Arcom pour lutter contre ces sites miroirs. Les ayants droits, les organismes de gestion collective et les organismes de défense professionnelle – autrement dit « toute personne qualifiée pour agir » (8) – pourraient aussi saisir l’Arcom sur ces sites miroirs. D’autant que les premiers résultats de cette procédure sans juge sont considérés par le régulateur et les parlementaires comme « prometteurs » au regard de « la baisse de l’audience des “galaxies” de sites miroirs ». L’Arcom aurait ainsi reçu jusqu’à maintenant plus de 600 demandes d’« actualisation de décisions de justice » qui ont lui ont permet de notifier depuis plus d’un an 770 noms de domaine aux FAI pour en empêcher l’accès. L’audience des sites illicites baisse Ces jugements de blocage de cyberlockers, ordonnés le plus souvent par le tribunal judiciaire de Paris aux opérateurs télécoms et FAI contribuent – à l’instar du blocage des sites illégaux ou de leurs miroirs – à la baisse de l’audience des sites de streaming vidéo en France. A chaque décision judicaire, les audiences de ces cyberlockers et plus généralement des sites pirates ou de leurs répliques (sites miroirs) reculent de façon significative. Pour autant, la fréquentation de ces mêmes cyberlockers et/ou sites pirates peut reprendre du poil de la bête avec la mise en ligne de nouveaux sites miroirs et de nouveau liens URL, mais sans retrouver les niveaux d’avant les jugements (voir graphique plus haut). Résultat, toujours selon Médiamétrie pour l’Alpa : l’audience globale des sites illicites en France ne cesse de baisser d’année en année (sauf en 2018), passant de 15,1 millions d’« internautes pirates » en 2016 à seulement 6,3 millions en 2023. Si l’on part de l’année 2018 où les smartphones ont été pris en compte pour la première fois, portant à 15,4 millions le nombre d’« internautes pirates », cela représente un recul de 59 % en cinq ans (voir graphique ci-dessous). Mais le piratage en ligne (streaming et téléchargement) n’est pas mort pour autant. « L’efficacité est “relative” si l’on regarde la courbe du piratage », relève le délégué général de l’Alpa, d’autant que « nos statistiques ne prennent pas en compte les blocages des services IPTV que nous opérons depuis 2020 ». @

Charles de Laubier

Abonnements payants de Facebook et Instagram en Europe : Meta se heurte aux exigences du RGPD

Pour Instagram ou Facebook sans publicités, il en coûte désormais aux Européens 9,99 euros par mois sur le Web et même 12,99 euros sur application mobile. C’est cher payé pour ne plus être ciblé dans sa vie privée. Et le consentement « libre » des utilisateurs exigé par le RGPD est-il respecté ?

(Cet article juridique a été publié dans EM@ n°312 du 18 décembre 2023. Le 11 janvier 2024, l’organisation Noyb a annoncé avoir déposé plainte contre Meta)