La mission « Acte II de l’exception culturelle » n’a pas réussi à trouver un consensus

Plus de cinq ans après les 43 pages du rapport Olivennes, plus de trois ans après les 147 pages du rapport Zelnik, les 719 pages du rapport Lescure n’ont pas suffit
à mettre d’accord les industries culturelles et les acteurs du numérique.

Les « pour »
• La SACD (1) :
« La modernisation de la chronologie des médias [SVOD à 18 mois et dérogation pour les films fragiles] va dans le bon sens. (…) La taxe sur les appareils connectés, pourrait être utile pour consolider le financement de la création culturelle ».
• L’ARP (2) : « Des pistes de financement crédibles à travers la taxation et la mise en place de financements spécifiques, et la redéfinition des responsabilités [hébergement et distribution]. (…) La chronologie des médias (…) doit s’ouvrir à davantage de souplesse ». • La Sacem (3) : « Figure la garantie de la juste rémunération des créateurs à l’ère numérique. (…) Instaurer une taxe sur les appareils connectés [est] une piste intéressante ».
• La SPPF (4) : « marque sa satisfaction vis-à-vis de la plupart des propositions [maintien de la réponse graduée, taxe des appareils connectés, préservation du régime copie privée] » .
• L’Adami (5) : « retient la rémunération des artistes de la musique [soumise] à un régime de gestion collective, le revenu minimum garanti pour les comédiens et l’extension de la rémunération équitable aux webradios ».
• La Scam (6) : « Le rapport vient à raison renforcer la gestion collective des droits.
Les préconisations sur la chronologie des médias apportent un nouveau souffle. (…) La convergence des médias justifie pleinement qu’une même autorité [le CSA] veille à ce que les règles applicables soient adaptées et équitables entre les diffuseurs linéaires et non-linéaires ».
• La FFTélécoms (7) : « Des propositions, telles que la chronologie des médias, la lutte contre le gel des droits et la suppression de la coupure Internet, vont dans le sens d’une amélioration concrète des conditions de consommation légale ».
• Le Geste (8) : « attend avec impatience l’application d’un principe de neutralité technologique et fiscale (cf. taux réduit de TVA à la presse en ligne) ».
• Le SEVN (9) : « Le rapport propose de maintenir le principe de la riposte graduée en lui adjoignant un système d’amendes, de responsabiliser les différents intermédiaires techniques, de réformer la chronologie des médias ».
• Le SNJV (10) : « salue la proposition de la création d’un fonds d’avance en prêts participatifs pour le jeu vidéo ».
• L’Asic (11) : « salue (…) la mission Lescure qui proclame qu’une révision de leur statut [les hébergeurs] ne paraît ni souhaitable ni nécessaire ». @

Les « contre »
• Fevad, Secimavi, Sfib, Simavelec, SNSII et Gitep Tics (12) :
« dénoncent les propositions de la mission Pierre Lescure [qui] préconise, d’une part, d’alourdir encore
la rémunération pour copie privée payée par le consommateur en élargissant son assiette aux usages du cloud computing et d’autre part, de créer une nouvelle taxe “sur les terminaux connectés’’ » (lire interview p. 1 et 2).
• L’Asic : « s’inquiète de deux propositions du rapport : l’idée de confier au CSA des missions de régulation touchant aux vidéos distribuées via Internet (l’Internet n’a pas besoin d’un CSA du Net), la proposition de créer une taxe sur les plateformes de vidéo
via leur qualification en distributeur ».
• Le Snep (13) : « Le faible montant proposé pour cette amende (60 euros) décrédibilise sérieusement la pertinence de l’ensemble de l’édifice. (…) Une nouvelle taxe sur les terminaux se substituerait purement et simplement à la redevance pour copie privée.
(…) La gestion collective recommandée pour les exploitations en ligne est une aberration économique et juridique ».
• La SPPF : « La menace d’une gestion collective obligatoire en cas de refus de
négocier un code des usages avec les services de musique en ligne et des rémunérations minimales pour les artistes interprètes ne s’impose nullement ».
• La FFTélécoms : « reste globalement très attentive à l’idée que le financement de la culture, dont la nécessité n’est nullement contestée, ne se traduise par des prélèvements nouveaux sur un secteur qui est déjà très fortement contributeur. (…) Les diverses pistes de financement ne peuvent être envisagées qu’à enveloppe constante ».
• La CLCV (14) : « Seule la solution de la licence globale permettrait de concilier une juste rémunération des auteurs et la légitime liberté des internautes. (…) En proposant une taxe sur la vente de tous les appareils connectés, le rapport ne propose rien d’autre qu’une nouvelle taxation massive à l’heure où le pouvoir d’achat des consommateurs est mis
à rude épreuve ».
• Franck Riester (15) : « La volonté du gouvernement de démanteler la Hadopi est incompréhensible. (…) Le principal message politique de la suppression de la Hadopi s’approche bien d’une incitation au piratage (…). Le principe de gouvernement de François Hollande de taxer d’abord et de réfléchir ensuite ». @

Marc Héraud, délégué général du SNSII : « Vouloir taxer les terminaux connectés n’est pas la solution »

Le délégué général du Syndicat national des supports d’image et d’information (SNSII) revient pour EM@ sur les propositions du rapport Lescure qu’il juge – avec cinq autres organisations professionnelles (Fevad, Secimavi, Sfib, Simavelec et Gitep Tics) – « inacceptables ». Il met en garde les industries culturelles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : C’était une revendication du Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) depuis 2009 : le rapport Lescure propose de taxer les terminaux connectés à hauteur de 1 % du prix de vente. Comment accueillez-vous cette nouvelle taxe et quel impact aurait-elle en France ?
Marc Héraud :
Nous ne pensons pas qu’une nouvelle taxe, en plus de celles existantes, ne soit la solution pour aider l’industrie culturelle à se réformer. Doit-on créer une nouvelle taxe sur l’essence pour aider l’industrie automobile française à se restructurer ? De plus, cette nouvelle taxe – sur les ordinateurs, smartphones, tablettes, téléviseurs connectés, consoles de jeux, etc. – vient se superposer à la rémunération pour copie privée (RCP), dont le périmètre serait élargi avec la prise en compte du cloud computing et aux droits déjà réglés aux ayants droit dans le cadre de l’offre légale. Cette nouvelle taxe est estimée, dans le rapport Lescure, à environ 85 millions d’euros par an, soit 1 % des
8,579 milliards d’euros qu’a généré le marché français des terminaux connectés en 2012.
En taxant localement toujours plus l’industrie numérique, il y a un vrai risque à freiner le développement de celle-ci, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’elle constitue un des principaux relais de croissance de notre économie. Ce type de nouvelle taxe n’aidera sûrement pas notre pays à améliorer son classement dans la prochaine édition du rapport du World Economic Forum qui vient de situer la France à la 26e position mondiale, pour ses infrastructures numériques, perdant trois places par rapport à la même analyse menée en 2012…

Lors du Conseil des ministres du 15 mai dernier, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication,
a indiqué que « la contribution sur les terminaux connectés [que le rapport Lescure propose à “un taux très modéré (par ex. 1 %)”] fera l’objet d’un arbitrage dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2014 ». Reste à savoir si le président de la République, François Hollande, arbitrera en faveur de cette nouvelle taxe.

EM@ : Craignez-vous que cette nouvelle taxe censée « corriger un transfert de valeur » ne soit, comme le suggère le rapport, fusionnée à terme avec la taxe pour copie privée supposée « compenser le préjudice lié à la copie privée », les recettes de cette dernière étant amenée à diminuer au profit de l’accès en streaming ou en cloud aux œuvres ?
M. H. :
La fusion de la taxe des terminaux connectés avec celle de la copie privée
est sans doute ce qui va se passer à moyen terme… Il est cependant à craindre que,
d’ici là, une bonne partie des achats des consommateurs soient réalisés sur des sites Internet étrangers afin d’échapper aux différentes taxes (TVA, RCP, taxe équipements connectés,…). Seule une rapide harmonisation fiscale européenne permettra de limiter cette évolution.

EM@ : Quel est le montant total de la taxe copie privée perçue les terminaux de stockage ? Quelle est la taille de ce marché gris justement pour y échapper ?
M. H. :
En 2012, selon Copie France, la perception de la RCP en 2012 a été de
173,8 millions d’euros, dont 52,1 millions d’euros sur les smartphones (téléphone mobile multimédia), 32,4 millions sur les disques durs externes, 17,9 millions sur les clés USB non dédiées et 16,3 millions sur les DVD data. Quant aux tablettes tactiles multimédias, elles ont subi un prélèvement de 6,4 millions d’euros.
L’importance du marché gris est difficile à évaluer précisément (GfK ne le mesure pas) mais elle est directement proportionnelle à la part de la RCP dans le prix de vente au consommateur. Nous estimons le marché gris à plus de 70 % sur les DVD data (la RCP représente près de 50 % du prix de vente TTC de ce produit). Sur les disques durs externes, le marché gris est en pleine progression (plus de 30 % du marché total, sans doute) du fait de la baisse des prix et de l’augmentation des capacités. Ce marché gris
est particulièrement destructeur pour les distributeurs locaux avec une incidence directe sur l’emploi.

EM@ : Après la médiation Vitorino, la Commission européenne veut harmoniser les dispositifs de la RCP entre les différents Etats membres, notamment dans le cadre du réexamen en cours de la directive sur le droit d’auteur, ce qui pourrait remettre en cause du système français. Qu’attendez-vous du commissaire Michel Barnier ? M. H. : Nous souhaitons que les conclusions du rapport Vitorino soient le plus rapidement possible traduites dans des textes règlementaires européens. Ce qui permettra de mieux harmoniser les pratiques de RCP entre les Vingt-Sept, notamment la définition du préjudice qui est centrale pour imaginer des barèmes cohérents dans les différents pays.

EM@ : Les six organisations professionnelles, que sont le SNSII, la Fevad,
le Secimavi, le Sfib, le Simavelec et le Gitep Tics, ont souligné que le rapport Lescure ne reprend aucune de leurs sept pistes de réformes proposées lors
de différentes auditions : quelles sont ces sept propositions ?
M. H. :
Une refonte de la RCP en France est nécessaire aussi bien sur le plan juridique qu’économique. Ces objectifs ne pourront être remplis que si le nouveau système répond aux conditions suivantes :
1) Le préjudice, rien que le préjudice, tout le préjudice. Conformément à la directive européenne du 22 mai 2001 [sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ndlr] et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le système de copie privé doit correspondre uniquement au préjudice subi par les ayants droit – pour les actes de copie privée qui échappent à une autorisation préalable. Ce préjudice devra être déterminé dans le cadre d’une expertise juridique et économique neutre.
2) Réévaluation régulière du montant du préjudice. Nous proposons qu’elle ait
lieu tous les deux ans pour tenir compte de l’évolution des nouveaux usages et du développement des nouveaux services numériques.
3) Offre légale. Le nouveau système doit être moteur, et non frein, pour le déploiement
de l’offre légale d’œuvres numériques en s’assurant que les ayants droit bénéficient directement des revenus issus de l’innovation numérique : plates-formes de téléchargement direct d’œuvres musicales, services en streaming, télévision de rattrapage et vidéo à la demande (VOD)
4) Exclusion des usages professionnels. La directive du 22 mai 2001 indique que le système de copie privée n’est applicable qu’aux seules personnes physiques pour un usage privé et non aux personnes morales, ce qui a été rappelé par l’arrêt Padawan
rendu par la CJUE. Il ne s’agit pas de faire payer une personne morale et/ou une personne achetant à des fins professionnelles. De ce fait, le système de remboursement doit être aboli.
5) Harmonisation européenne. L’évaluation du préjudice doit se faire selon des critères harmonisés au sein de l’Union européenne, seul marché pertinent à prendre en compte. Le nouveau système permettra ainsi la décroissance du marché gris et la réduction de la distorsion des prix de vente des supports au sein du marché européen, causés par une RCP irréaliste et exorbitante en France.
6) Traitement légitime des 25 % pour les manifestations culturelles. Nous préconisons la dissociation de la RCP, destinée uniquement à la compensation
d’un préjudice, et de la contribution aux événements culturels en France.
7) Transparence. La transparence doit être assurée non seulement par la gouvernance équilibrée, au travers d’une représentativité identique entre ayants droit, consommateurs et industriels (1/3 chacun), mais aussi par la méthodologie utilisée, le calcul du préjudice et les tarifs appliqués en compensation de ce préjudice. @

 

Le rapport Lescure dresse un bilan accablant de l’offre légale en France

C’est le diagnostique le plus sévère de la mission Lescure : l’offre légale d’accès aux œuvres et contenus culturels en ligne laisse encore à désirer, malgré toutes les promesses faites par les pouvoirs publics et les industries culturelles depuis les deux lois Hadopi de 2009.

Par Charles de Laubier

PLL’offre légale en ligne, encore insuffisante ou trop peu rémunératrice, doit affronter la concurrence d’une offre illicite gratuite et quasi illimitée », constate le rapport de Pierre Lescure (photo). « L’offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes. L’insatisfaction, quoique générale, est plus évidente encore s’agissant des films et des séries télévisées.
Les reproches les plus récurrents concernent les prix trop élevés et le manque de choix », poursuit-il.

Industries culturelles mises en cause
Manque d’exhaustivité, incohérence (indisponibilité de certains épisodes), absence de flexibilité (disponibilité des versions française de films étrangers), manque de fraîcheur (chronologie des médias) ou encore contraintes des protections de type DRM (1) sont autant de « sources de frustration ».
Sans parler du manque d’interopérabilité entre terminaux, fichiers et droits numériques.
La mission Lescure en vient même à décerner au passage un satisfecit aux sites pirates ! « L’offre illégale (…] paraît, à de nombreux égards, difficilement égalable : elle est majoritairement gratuite et tend à l’exhaustivité, elle est facile d’accès, dénuée de DRM et disponible dans des formats interopérables, et elle est parfois de meilleure qualité que l’offre légale et en termes de formats ou de métadonnées associées ».
Il ne manquerait plus que ces plates-formes pirates versent une rémunération aux créateurs et respectent la chronologie des médias pour que tout aille pour le mieux…
Les industries culturelles et leurs « intermédiaires » de l’Internet en prennent pour leur grade, qui ne parviennent pas à aider les internautes à « distinguer clairement entre les pratiques légales et les pratiques illégales », ni à « garantir la juste rémunération des auteurs et des artistes au titre de l’exploitation en ligne », ni encore à permettre
« l’accès facile et sécurisé aux contenus ». L’offre légale « pèche encore par sa relative uniformité, que ce soit en termes de modèles tarifaires, de fonctionnalités offertes ou de ‘’ligne éditoriale’’ ». Pas étonnant dans ses conditions que « la crise de confiance entre les industries de la culture et une partie des publics » perdure et que bon nombre d’internautes préfèrent continuer à pirater. Sur les millions d’e-mails d’avertissements envoyés par l’Hadopi, n’y a-t-il pas finalement qu’« une trentaine de dossiers » transmis
à la Justice et seulement à ce jour trois jugements connus (2), dont… une relaxe ?
« Le recul du téléchargement de pairà- pair, probablement lié pour partie à l’efficacité
de la réponse graduée, a davantage profité aux autres formes de consommation illicite [téléchargement direct, streaming] qu’à l’offre légale. (…) Les carences de l’offre légale expliquent, pour partie, le recours à des pratiques illicites », préviennent les rapporteurs. Le cinéma, le livre et le jeu vidéo n’ont donc pas appris des erreurs de
la musique qui avait eu recours massivement à ces DRM, au point de détourner les internautes au profit du téléchargement illicite. « C’est avant tout la qualité de l’offre légale qui incitera les publics à délaisser les pratiques illicites », martelle le rapport Lescure.
Pour y parvenir, il en appelle aux industries culturelles : « Les restrictions apportées aux usages (chronologie des médias, DRM), parfois légitimes devraient être justifiées avec davantage de transparence et de pédagogie ». Une des autres difficultés provient des
« réticences des industries culturelles à expérimenter de nouveaux modèles
économiques », comme le financement de la publicité. « Seule l’offre légale gratuite financée par la publicité peut espérer rivaliser [avec les sites pirates] », estiment-ils. Aussi, il devient urgent d’« améliorer la disponibilité en ligne des œuvres culturelles, favoriser le développement d’un tissu de services innovants et attentifs à la diversité culturelle et stimuler la demande en encourageant l’émergence d’une offre abordable
et ergonomique, respectueuse des droits des usagers » (3). Plus techniquement, la dispersion et le cloisonnement des bases de métadonnées (4) posent problème.
« Faute de coordination et de standardisation suffisantes, des bases se multiplient, partiellement redondantes, qui ne peuvent dialoguer entre elles », ce qui ne favorise pas le développement de l’offre légale.

Licence globale pour offre non marchande
Quant à l’offre légale non marchande (bibliothèques et médiathèques notamment), par opposition à l’offre légale commerciale, elle reste aujourd’hui « beaucoup trop pauvre ».
« Le développement et la diversification de ces offres [non marchandes] devraient rendre moins pressante la demande d’une licence globale, conçue en partie comme un remède
à l’insuffisance de l’offre légale ». La balle est maintenant dans le camp du gouvernement. @

Charles de Laubier

Libre-échange : les craintes sur l’exception culturelle n’interdisent pas de s’interroger sur les quotas

Les acteurs du monde culturel sont sur le pied de guerre dans l’attente du 14 juin prochain, date à laquelle le Conseil de l’Union européenne examinera le projet de mandat transmis par la Commission européenne en vue de négocier avec les Etats-Unis un accord de libre-échange.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée et Laurent Teyssandier, avocat, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

Christiane Féral-Schuhl est Bâtonnier du barreau de Paris.

L’approbation par la Commission européenne, le 12 mars dernier, d’un projet de mandat pour la négociation d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis soulève d’importantes contestations dans les milieux culturels européens – français en tête.
En cause, une intégration des services audiovisuels
et culturels dans le périmètre des négociations qui porteraient atteinte à « l’exception culturelle » en Europe.

La culture « soustraite » aux marchés
L’accord en question, intitulé « Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement », est présenté comme
le plus important accord commercial bilatéral jamais négocié. Il devrait permettre – selon Barack Obama, président des Etats-Unis, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, et Herman Van Rompuy, président du Conseil européen –
de développer le commerce et les investissements transatlantiques et de contribuer à l’élaboration de règles mondiales pouvant renforcer le système commercial multilatéral.
Cependant, l’ouverture des discussions avec les Etats- Unis reste conditionnée à l’approbation par le Conseil de l’Union européenne, institution dans laquelle siègent les ministres des Etats membres, du projet de mandat qui serait donné à la Commission européenne. Déclarant que l’exception culturelle n’est pas négociable, le gouvernement français a fait savoir qu’il opposerait son veto au mandat (1).
Quels sont les termes et enjeux du débat ? La notion d’exception culturelle peut se définir comme « la volonté de sauvegarder certaines valeurs ou certaines singularités culturelles en s’efforçant de les soustraire aux lois du marché, notamment à celles du commerce international » (2). Cette exception, dont l’objet est de préserver la diversité culturelle,
se traduit en pratique par l’exclusion des activités culturelles des accords commerciaux internationaux.
Au niveau international, c’est sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) que la diversité culturelle trouve protection. Aux termes de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, l’Unesco érige la diversité culturelle en « un patrimoine commun de l’humanité » devant être « célébré et préservé au profit de tous » (3). Relevant que « les activités, biens et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu’ils sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens et qu’ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale », l’Unesco incite les Etats à promouvoir et protéger leurs expressions culturelles. Signataire de la convention, l’Union européenne a toujours veillé à ce que les actes législatifs qu’elle adopte en respectent les principes et que les services audiovisuels soient exclus des négociations sur les accords commerciaux de service (4). L’an dernier, le Parlement européen a à nouveau rappelé l’importance de la diversité culturelle dans une résolution portant sur les relations commerciales et économiques
avec les Etats-Unis (5).
Que ce soit dans l’Union européenne ou en France, c’est principalement par la mise en place de quotas de promotion, de production et de diffusion que les autorités assurent la protection de la diversité culturelle.

Quotas de production et de diffusion
Sur le plan communautaire, ces quotas – véritables armes de défense de la diversité culturelle qui soulèvent des questions à l’heure d’Internet (voir encadré) – ont été instaurés par la directive « Télévision sans frontière » (TVSF) du 3 octobre 1989, abrogée et remplacée par la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) du 10 mars 2010. Qualifiée de « pierre angulaire de la politique audiovisuelle communautaire », la directive SMA opère une distinction entre la radiodiffusion télévisuelle et les services
de médias audiovisuels à la demande.
Pour la radiodiffusion télévisuelle, service linéaire, les Etats membres sont tenus de veiller à ce que les radiodiffuseurs réservent une proportion majoritaire de leur temps de diffusion à des œuvres européennes et au moins 10 % de leur temps d’antenne ou 10 % de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants.
Pour les services de médias audiovisuels à la demande, services non linéaires, les obligations sont moins fortes, les Etats membres devant seulement veiller à ce que ces services promeuvent la production d’œuvres européennes et l’accès à ces dernières.
Et ce, notamment en contribuant financièrement à la production de ces œuvres ou en
leur réservant une part importante dans le catalogue de programmes proposé par ces services.

La France aux avant-postes
En France, les textes législatifs et règlementaires imposent également aux services de télévision et aux services de médias audiovisuels à la demande des quotas de promotion, de diffusion et de production des œuvres européennes et/ou d’expression originale française. Ainsi, les services de médias à la demande – qu’il s’agisse des services de télévision par rattrapage, des services de vidéo à la demande par abonnement ou par
acte – sont tenus, en application d’un décret du 12 novembre 2010, de consacrer
chaque année une part de leur chiffre d’affaires annuel net de l’exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, d’une part, et d’œuvres d’expression originale française, d’autre part. Ces services doivent également garantir l’offre d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d’expression originale française en respectant des quotas « catalogue ».
Le projet de mandat approuvé par la Commission européenne le 12 mars 2013 n’exclut pas expressément les services audiovisuels et culturels du périmètre des discussions. Cette absence d’exclusion (6) a soulevé l’ire des acteurs du secteur de la culture en France et en Europe. Craignant la suppression de l’exception culturelle, plusieurs réalisateurs européens ont lancé une pétition appelant les chefs d’Etat européens à
se prononcer en faveur de l’exclusion des services audiovisuels et cinématographiques des négociations entre l’Europe et les Etats-Unis. Cette initiative a trouvé écho auprès des pouvoirs publics. Aux termes d’une proposition de résolution du 29 mars 2013 déclarant que « la culture ne peut être acceptée comme une marchandise comme les autres, sauf à accepter la disposition de la diversité culturelle », l’Assemblée nationale
a demandé à ce que les services audiovisuels soient expressément exclus du mandat
de négociation de la Commission européenne et, à défaut, à ce que le gouvernement s’oppose à ce mandat lors de son examen par le Conseil de l’Union européenne prévu le 14 juin 2013, si nécessaire en utilisant le droit de veto qui lui est conféré par le Traité sur
le fonctionnement de l’Union européenne. Se félicitant de cette initiative, Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, et Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, ont indiqué le 9 avril que « l’exception culturelle n’est pas négociable »
et que « le mandat de négociations du projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement qui sera donné par les Etats membres à la Commission devra faire pleinement état de cette ligne rouge ».
Le 24 avril dernier, la commission du Commerce international du Parlement européen
a annoncé qu’un amendement visant à exclure du mandat de négociation les services culturels et audiovisuels, notamment ceux en ligne, avait été adopté (7). Face à cette opposition, Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce – sans dire que les services culturels seraient exclus de l’accord – a indiqué que l’exception culturelle ne serait pas négociée et que les Etats membres qui le souhaitent « resteront libres de maintenir les mesures existantes, et la France en particulier restera parfaitement libre
de maintenir ses mécanismes de subvention et de quotas. »  @

* Christiane Féral-Schuhl
est Bâtonnier du barreau de Paris.

ZOOM

S’interroger sur l’effectivité des quotas à l’heure du Net
Si la diversité culturelle doit être protégée en France et en Europe, il faut s’interroger
sur l’effectivité des mécanismes de quotas qui ont été instaurés à une époque où les services culturels étaient assurés par les acteurs nationaux sur les réseaux hertziens. Avec Internet, la diffusion des œuvres culturelles en France n’est plus le monopole de
ces acteurs et il faut compter avec des géants américains qui eux, ne sont pas soumis
à ces législations. L’évolution du marché et des techniques impose donc, si l’on veut sauvegarder la diversité culturelle, de réfléchir à de nouveaux mécanismes pour éviter les distorsions de concurrence entre les acteurs nationaux et leurs compétiteurs étrangers. C’est l’une des pistes envisagées par le rapport Lescure, remis au Président de la République lundi 13 mai, lorsqu’il propose d’expertiser la faisabilité technique d’une taxation des services gratuits financés par la publicité et d’étendre cette taxation aux distributeurs de services de médias que sont les plates-formes vidéo, les constructeurs de terminaux connectés ou encore les magasins d’applications. @

Timeline

3 mai
• Vivendi et Le Monde Libre
(Pigasse-Niel-Bergé) ont chacun
exprimé leur intérêt pour Dailymotion, révèle Wansquare (Le Figaro).
• Stéphane Richard (France Télécom) se rend aux US pour trouver
un autre investisseur américain pour Dailymotion, selon Le Figaro.
• Henri Guaino, député UMP et ex-conseiller de Sarkozy, « soutient
la démarche » d’Arnaud Montebourg dans l’affaire « Dailymotion ».

2 mai
• Najat Vallaud-Belkacem
, porte-parole du gouvernement sur
Dailymotion : « La position [d’]Arnaud Montebourg est celle du
gouvernement ».
• Pierre Moscovici, ministre de l’Economie et des Finances :
« Ce n’est pas un dossier [Dailymotion/Yahoo] dans lequel j’ai été
particulièrement impliqué ».
• « Dailymotion est une filiale d’Orange et non de l’Etat. C’est le groupe
qui gèrent ce dossier », déclare Stéphane Richard aux Echos.
• L’Hadopi publie une étude sur les vidéos de Dailymotion : les médias
sont les plus représentés (37,52 %), loin devant les clips (6,54 %).
• Arnaud Lagardère se dit « prêt à étudier la reprise de 80 % [de
Vivendi dans Canal +] et à les introduire en Bourse », dans un
entretien au « Monde » (lire EM@ 77).
• Aurélie Filippetti reçoit le rapport Roch-Olivier Maistre sur les
aides à la presse que salue le Spiil : aligner TVA presse en ligne
(19,6 %) et presse papier (2,1 %).

1er mai
• Yahoo
renonce à prendre le contrôle Dailymotion, selon le WSJ,
après que son COO Henrique de Castro se soit rendu à une réunion
le 12 avril avec Arnaud Montebourg.
• « Yahoo veut dévorer Dailymotion ; nous leur avons dit : non, ce
sera 50/50 », déclare Arnaud Montebourg sur Europe 1.
• Apple, disposant d’une trésorerie de 145 milliards de dollars,
confirme un emprunt obligataire record de 17 milliards de dollars.
• Ye$ Profile permet aux internautes de « reprendre le contrôle »
de leurs données personnelles et de « gagner de l’argent » (65 %)
en les louant aux marques, selon l’AFP.

30 avril
• Yahoo et France Télécom
n’ont pas trouvé d’accord de « partenariat
équilibré », regrette Arnaud Montebourg.
• La Commission européenne lance jusqu’au 28 mai la 3e et dernière
consultation publique sur les aides d’Etat au cinéma.
• Le CSA lance une consultation publique jusqu’au 31 mai sur les
« difficultés » d’application du décret SMAd du 12-11-10.
• Vivendi tient son AG: « Nous pourrions procéder à une mise en
Bourse de SFR ultérieurement », déclare Jean-René Fourtou (lire p. 5).
• Publicis (ZenithOptimedia) revoit à la baisse ses prévisions de croissance
du marché mondial de la pub en 2013 : + 3,9 % au lieu de 4,1 %.
• Alibaba (Chine) acquiert 18 % de Weibo, le « Twitter chinois »,
valorisé plus de 3 milliards de dollars.

29 avril
• Netgem
détient 93,57 % de Videofutur au terme de son OPA,
annonce l’AMF (lire interview de Joseph Haddad dans EM@ 78).
• Bertelsmann met en Bourse 17,2 % du capital de RTL Group.
• RTL lance la diffusion en direct et en vidéo sur Rtl.fr et applis.
•Technicolor accueille le FSI dans son capital (7,5 % avec la CDC).

26 avril
• L’Arcep
(le comité d’experts « cuivre ») autorise le VDSL2 (lire p. 4).
• Aurélie Filippetti : la mission Lescure rendra son rapport le 13 mai.
• IDC : pour la première fois les ventes mondiales de smartphones
dépassent celles des téléphones mobiles basics (au T1 2013).

25 avril
• Google
, soupçonné d’abus de position (moteur et pub), fait l’objet
d’une consultation publique par la Commission européenne.
• Fleur Pellerin et Louis Gallois consacrent 150 millions d’euros
à 4 prochains appels à projets numériques, dont Big Data et Cloud.
• L’Open Mobile Alliance (OMA) élit Gary Jones (Deutsche
Telekom/T-Mobile) comme président.
• Facebook nomme comme DG de sa filiale française Laurent
Solly (ex-DG de TF1 Publicité).
• La Commission européenne entend harmoniser la gestion du
spectre des fréquences pour un «marché unique des télécoms ».
• Amazon ne commente pas les rumeurs selon lesquelles il
pourrait lancer un décodeur TV de streaming vidéo.

24 avril
• La Commission européenne
publie son livre vert « TV
connectée » (lire interview p. 1 et 2).
• Apple est en position dominante dans la VOD aux Etats-Unis,
constate NPD Group.
• France Télécom « aurait suspendu la vente de Dailymotion à
Yahoo », révèle Le Monde.

23 avril
• La SACD et YouTube
récompensent 10 projets de création web.
• Google et Kantar Media publient le 1er baromètre des performances
des sites de e-commerce en France.
• Free nous précise ne pas avoir de développement sur Internet+
mobile (EM@78, p. 5), seulement sur Internet+ box, et est prêt à
des expérimentations en SMS+.

22 avril
• Netflix
« se lancera dans un nouveau pays européen au second
semestre 2013 », indique Reed Hastings, son CEO.
• TF1 présente son site et appli d’info axé vidéos, « MyTF1News ».

19 avril
• Viacom
voit sa plainte « piratage » contre YouTube à nouveau rejetée.
• La CE lance une consultation publique le prix des ebooks.
• Benoît Thieulin, président du CNNum, accorde une interview à
« PC INpact » : http://lc.cx/BT