Marc Héraud, délégué général du SNSII : « Vouloir taxer les terminaux connectés n’est pas la solution »

Le délégué général du Syndicat national des supports d’image et d’information (SNSII) revient pour EM@ sur les propositions du rapport Lescure qu’il juge – avec cinq autres organisations professionnelles (Fevad, Secimavi, Sfib, Simavelec et Gitep Tics) – « inacceptables ». Il met en garde les industries culturelles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : C’était une revendication du Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) depuis 2009 : le rapport Lescure propose de taxer les terminaux connectés à hauteur de 1 % du prix de vente. Comment accueillez-vous cette nouvelle taxe et quel impact aurait-elle en France ?
Marc Héraud :
Nous ne pensons pas qu’une nouvelle taxe, en plus de celles existantes, ne soit la solution pour aider l’industrie culturelle à se réformer. Doit-on créer une nouvelle taxe sur l’essence pour aider l’industrie automobile française à se restructurer ? De plus, cette nouvelle taxe – sur les ordinateurs, smartphones, tablettes, téléviseurs connectés, consoles de jeux, etc. – vient se superposer à la rémunération pour copie privée (RCP), dont le périmètre serait élargi avec la prise en compte du cloud computing et aux droits déjà réglés aux ayants droit dans le cadre de l’offre légale. Cette nouvelle taxe est estimée, dans le rapport Lescure, à environ 85 millions d’euros par an, soit 1 % des
8,579 milliards d’euros qu’a généré le marché français des terminaux connectés en 2012.
En taxant localement toujours plus l’industrie numérique, il y a un vrai risque à freiner le développement de celle-ci, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’elle constitue un des principaux relais de croissance de notre économie. Ce type de nouvelle taxe n’aidera sûrement pas notre pays à améliorer son classement dans la prochaine édition du rapport du World Economic Forum qui vient de situer la France à la 26e position mondiale, pour ses infrastructures numériques, perdant trois places par rapport à la même analyse menée en 2012…

Lors du Conseil des ministres du 15 mai dernier, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication,
a indiqué que « la contribution sur les terminaux connectés [que le rapport Lescure propose à “un taux très modéré (par ex. 1 %)”] fera l’objet d’un arbitrage dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2014 ». Reste à savoir si le président de la République, François Hollande, arbitrera en faveur de cette nouvelle taxe.

EM@ : Craignez-vous que cette nouvelle taxe censée « corriger un transfert de valeur » ne soit, comme le suggère le rapport, fusionnée à terme avec la taxe pour copie privée supposée « compenser le préjudice lié à la copie privée », les recettes de cette dernière étant amenée à diminuer au profit de l’accès en streaming ou en cloud aux œuvres ?
M. H. :
La fusion de la taxe des terminaux connectés avec celle de la copie privée
est sans doute ce qui va se passer à moyen terme… Il est cependant à craindre que,
d’ici là, une bonne partie des achats des consommateurs soient réalisés sur des sites Internet étrangers afin d’échapper aux différentes taxes (TVA, RCP, taxe équipements connectés,…). Seule une rapide harmonisation fiscale européenne permettra de limiter cette évolution.

EM@ : Quel est le montant total de la taxe copie privée perçue les terminaux de stockage ? Quelle est la taille de ce marché gris justement pour y échapper ?
M. H. :
En 2012, selon Copie France, la perception de la RCP en 2012 a été de
173,8 millions d’euros, dont 52,1 millions d’euros sur les smartphones (téléphone mobile multimédia), 32,4 millions sur les disques durs externes, 17,9 millions sur les clés USB non dédiées et 16,3 millions sur les DVD data. Quant aux tablettes tactiles multimédias, elles ont subi un prélèvement de 6,4 millions d’euros.
L’importance du marché gris est difficile à évaluer précisément (GfK ne le mesure pas) mais elle est directement proportionnelle à la part de la RCP dans le prix de vente au consommateur. Nous estimons le marché gris à plus de 70 % sur les DVD data (la RCP représente près de 50 % du prix de vente TTC de ce produit). Sur les disques durs externes, le marché gris est en pleine progression (plus de 30 % du marché total, sans doute) du fait de la baisse des prix et de l’augmentation des capacités. Ce marché gris
est particulièrement destructeur pour les distributeurs locaux avec une incidence directe sur l’emploi.

EM@ : Après la médiation Vitorino, la Commission européenne veut harmoniser les dispositifs de la RCP entre les différents Etats membres, notamment dans le cadre du réexamen en cours de la directive sur le droit d’auteur, ce qui pourrait remettre en cause du système français. Qu’attendez-vous du commissaire Michel Barnier ? M. H. : Nous souhaitons que les conclusions du rapport Vitorino soient le plus rapidement possible traduites dans des textes règlementaires européens. Ce qui permettra de mieux harmoniser les pratiques de RCP entre les Vingt-Sept, notamment la définition du préjudice qui est centrale pour imaginer des barèmes cohérents dans les différents pays.

EM@ : Les six organisations professionnelles, que sont le SNSII, la Fevad,
le Secimavi, le Sfib, le Simavelec et le Gitep Tics, ont souligné que le rapport Lescure ne reprend aucune de leurs sept pistes de réformes proposées lors
de différentes auditions : quelles sont ces sept propositions ?
M. H. :
Une refonte de la RCP en France est nécessaire aussi bien sur le plan juridique qu’économique. Ces objectifs ne pourront être remplis que si le nouveau système répond aux conditions suivantes :
1) Le préjudice, rien que le préjudice, tout le préjudice. Conformément à la directive européenne du 22 mai 2001 [sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, ndlr] et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le système de copie privé doit correspondre uniquement au préjudice subi par les ayants droit – pour les actes de copie privée qui échappent à une autorisation préalable. Ce préjudice devra être déterminé dans le cadre d’une expertise juridique et économique neutre.
2) Réévaluation régulière du montant du préjudice. Nous proposons qu’elle ait
lieu tous les deux ans pour tenir compte de l’évolution des nouveaux usages et du développement des nouveaux services numériques.
3) Offre légale. Le nouveau système doit être moteur, et non frein, pour le déploiement
de l’offre légale d’œuvres numériques en s’assurant que les ayants droit bénéficient directement des revenus issus de l’innovation numérique : plates-formes de téléchargement direct d’œuvres musicales, services en streaming, télévision de rattrapage et vidéo à la demande (VOD)
4) Exclusion des usages professionnels. La directive du 22 mai 2001 indique que le système de copie privée n’est applicable qu’aux seules personnes physiques pour un usage privé et non aux personnes morales, ce qui a été rappelé par l’arrêt Padawan
rendu par la CJUE. Il ne s’agit pas de faire payer une personne morale et/ou une personne achetant à des fins professionnelles. De ce fait, le système de remboursement doit être aboli.
5) Harmonisation européenne. L’évaluation du préjudice doit se faire selon des critères harmonisés au sein de l’Union européenne, seul marché pertinent à prendre en compte. Le nouveau système permettra ainsi la décroissance du marché gris et la réduction de la distorsion des prix de vente des supports au sein du marché européen, causés par une RCP irréaliste et exorbitante en France.
6) Traitement légitime des 25 % pour les manifestations culturelles. Nous préconisons la dissociation de la RCP, destinée uniquement à la compensation
d’un préjudice, et de la contribution aux événements culturels en France.
7) Transparence. La transparence doit être assurée non seulement par la gouvernance équilibrée, au travers d’une représentativité identique entre ayants droit, consommateurs et industriels (1/3 chacun), mais aussi par la méthodologie utilisée, le calcul du préjudice et les tarifs appliqués en compensation de ce préjudice. @