L’empire des drones

Si, pendant des millénaires, nos ancêtres se sont satisfaits du fascinant spectacle des astres à contempler au-dessus de leur tête, nos grands parents n’ont eu qu’un siècle seulement pour s’habituer à voir le ciel s’animer des longues traînées blanches d’avions intercontinentaux. Nous, nous devons partager notre espace aérien avec un nouveau peuple d’objets volants, la plupart parfaitement identifiés. La révolution annoncée des drones a bien eu lieu, plus vite qu’attendu. La miniaturisation et la baisse des coûts des composants, accompagnées par l’augmentation régulière des performances des batteries, ont permis un développement accéléré de très nombreuses applications. Les applications militaires ont mis du temps à être véritablement au point. Les premiers prototypes d’avions sans pilote ne sont-ils pas apparus dès 1916 pour être finalement de tous les conflits à partir des années 2000 ? Depuis, les forces armées sont restées
à la pointe avec ces nouvelles générations de drones stratosphériques ou ces essaims de nano-drones, redoutables espions indétectables. Les UAV (Unmanned Aerial Vehicle) ont su se rendre irremplaçables.

« Le drone personnel miniature, qui nous indique
notre chemin, est également doté de fonctions de
base (photo, musique, traduction simultanée, …). »

Parmi les nombreux types de robots qui envahissent notre vie quotidienne, les flying robots occupent une place particulière. Ces drones de loisirs ont très vite conquis un marché prometteur que le français Parrot a su exploiter avec succès en sortant dès 2014 une gamme de mini-drones pilotés par smartphone. Mais ce sont les drones à usages civils et professionnels qui sont devenus des auxiliaires indispensables, car souples et peu onéreux : pour les prises de vues dans la télévision ou le cinéma, pour la surveillance d’infrastructures (rails, oléoducs, lignes à haute tension, etc.), pour la protection civile, pour la cartographie 2D et 3D, ou encore pour la gestion des exploitations agricoles.
Google les utilisa même pour compléter son réseau planétaire d’accès à Internet qu’il s’est constitué grâce à une flotte de mini-satellites. En rachetant le pionnier Titan Aerospace, il lança ses premiers drones atmosphériques en 2015. Propulsés grâce
à l’énergie photovoltaïque produite par de larges panneaux solaires placés sur leurs ailes, ces UAV étaient capables de voler pendant cinq ans sans avoir besoin d’atterrir ou d’être ravitaillés. Mais cette technologie n’a pas pu être déployée à grande échelle.

Le pilotage de drones, à vue ou en automatique, a très tôt été soumis à la réglementation stricte de l’aviation civile, comme tous les autres aéronefs. Une législation contraignante que la France, pionnière en la matière, adopta dès 2012,
ce qui favorisa la mise en place d’une véritable activité de services autour de 20 constructeurs et quelques 300 opérateurs de drones. Une activité sur mesure pour d’anciens pilotes professionnels, souvent à l’origine des nombreuses start-up aujourd’hui réunies autour de puissants groupes d’opérateurs de flottes entières de drones. Les contraintes limitent encore actuellement le développement de nombreuses autres activités commerciales, certaines étant testées depuis des années. Amazon défraya la chronique en livrant des pizzas par drones dès 2013 ! L’année suivante, DroneCast, première start-up de drones équipés de bannières publicitaires lança,
sa petite flotte à l’assaut des rues de Philadelphie. Aujourd’hui, quelques couloirs aériens de basse altitude sont réservés à des services de livraison, notamment pour
les hôpitaux. Mais on s’attend à une généralisation pour les grandes villes dans les
cinq prochaines années : plus de 80 % des commandes traitées par Amazon et 75 % de celles d’UPS pèsent moins de 2,5 kilos. Un poids à la portée des drones actuels.

Mais le produit qui fait fureur en ce moment, c’est ce drôle de drone personnel miniature qui vole autour de nous et nous accompagne partout. Ce guide qui nous devance pour nous indiquer le chemin, est également doté de nombreuses fonctions
de base comme la photo, la musique ou la traduction simultanée. Véritable totem des temps modernes, ces petits assistants personnalisables, sont comme autant de dæmons, doubles identitaires des personnages imaginés par Philip Pullman dans
sa fameuse série des Royaumes du Nord. @

Jean-Dominique Séval*
Prochaine chronique « 2025 » : Smart Toys.
* Directeur général adjoint de l’IDATE,
auteur du livre « Vous êtes déjà en 2025 » (http://lc.cx/b2025).

Contrefaçon en ligne : comment le Follow the money du rapport « MIQ » complèterait l’arsenal

Mireille Imbert-Quaretta, dans son rapport de lutte contre la contrefaçon en ligne, fait quatre propositions, dont l’implication des acteurs financiers du Net (publicité et paiement). Les ayants droit, eux, devront choisir entre action privée ou publique, administrative ou judiciaire.

Par Patrick Dunaud et Christophe Clarenc (photo), cabinet Dunaud, Clarenc Combles & Associés

Dans la lignée du rapport Lescure, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a confié le 16 juillet 2013 à Mireille Imbert-Quaretta, conseiller d’Etat, la mission d’« élaborer les outils opérationnels permettant d’impliquer efficacement les intermédiaires techniques et financiers dans la prévention de la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne ». Cette mission faisait suite au « rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », une mission déjà menée par Mireille Imbert-Quaretta pour le compte de l’Hadopi (1).

Implication des « intermédiaires » du Net
Après avoir mené une large consultation, elle a remis son rapport (2) en mai 2014 en suivant une approche reposant sur quatre convictions. La première est que les actions proposées devront s’inscrire dans une stratégie globale de lutte contre la contrefaçon sur Internet. Les trois autres sont déjà bien connues : le développement d’une offre légale attractive ; la répression pénale des acteurs responsables d’atteintes graves et avérées ; et la pédagogie à l’égard des internautes sur le nécessaire respect du droit d’auteur.
La mission de Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») ajoute une quatrième dimension :
« l’implication des intermédiaires, qui, sans être responsables au sens strict d’actes de contrefaçons, engendrent des revenus pour les sites engagés massivement dans des actes de contrefaçon : c’est-à-dire la publicité et les moyens de paiement ».
Rappelant, comme c’est désormais la norme, la nécessite de respecter un équilibre entre les droits fondamentaux en cause : les droits de la propriété intellectuelle d’une part, et la liberté d’information et de communication, la protection de la vie privée et la liberté d’entreprendre, d’autre part, la mission MIQ propose quatre outils opérationnels qui s’inscrivent essentiellement dans le cadre de la directive sur le commerce électronique (3). Ces outils sont les suivants : des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ; une information publique sur les sites Internet portant massivement atteinte aux droits d’auteurs et aux droits voisins ; une injonction de retrait prolongé ciblée sur certains contenus contrefaisants ; un dispositif de suivi dans le temps des décisions judiciaires concernant les sites Internet abritant massivement de la contrefaçon.

• 1 – La signature de chartes sectorielles
MIQ reprend ainsi la voie de l’autorégulation déjà suivie dès 2009 par Bernard Brochand (4) et Pierre Sirinelli (5) dans le travail de préparation ayant abouti notamment à la « Charte de la lutte contre la vente de produits contrefaisants sur Internet conclue entre les plateformes de vente en ligne et les détenteurs de droits
en matière de commerce électronique ». Le rapport se fait l’avocat de la conclusion
de telles chartes en matière de publicité et de services en ligne. Ces chartes pourraient permettre de développer les outils spécifiques qui ont déjà été mis en place par certains acteurs de la publicité : par exemple, des techniques de filtrage a priori ou de contrôle
a posteriori permettant de vérifier que les publicités diffusées ne sont pas associées à un contenu inapproprié ou illégal.
Du côté du paiement en ligne, il est vital que les services de paiements en ligne étendent les procédures, déjà mises en place par certains, permettant le signalement des atteintes en formalisant une procédure de saisine et de fermeture de compte.

• 2 – Une mission publique d’information
Constatant, comme chacun, d’un côté les difficultés rencontrées par les ayants droits pour faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle sur l’Internet, et de l’autre
la nécessité de ne pas porter atteinte de manière trop répressive à la liberté de communication et au développement de l’Internet, la mission MIQ adopte une démarche purement administrative en considérant qu’une autorité publique pourrait servir de « tiers de confiance », ce qu’on pourrait aussi qualifier de « notaire de l’Internet » avec pour mission de certifier la légalité ou l’illégalité de certains sites
grâce aux informations qui lui seraient communiquées par les ayants droits. Autorité qui, à la suite d’une enquête contradictoire, pourrait publier des avis de constat d’atteintes graves aux droits d’auteurs, validant ainsi les mesures répressives que pourraient prendre les intermédiaires en interrompant toute publicité sur les sites Internet ou en mettant un terme au paiement en ligne.

• 3 – Une injonction de retrait prolongée
Le troisième outil proposé par le rapport réside dans une mesure simple, pratique
et certainement plus efficace que le droit positif actuel. La réapparition des contenus supprimés constitue la principale limite des procédures de notification des contenus contrefaisants hébergés sur les sites web. Les ayants droits qui ont recours à la notification prévue par la loi « Confiance dans l’économie numérique » ou LCEN (6), sont confrontés à la réapparition permanente de contenus et des liens dont ils demandent le retrait. Pour réduite cette difficulté, la mission MIQ propose de confier
à l’autorité administrative la possibilité d’enjoindre à un site de communication public
en ligne de faire cesser, ou de prévenir pendant une durée déterminée, la réapparition des contenus qui lui ont été signalés comme constituant une atteinte aux droits d’auteurs ou droit voisins sur le site.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre du point 3 de l’article 14 de la directive européenne « Commerce électronique » qui prévoit « qu’une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des Etats Membres, [exige] que les Etat Membres aient la possibilité d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou des actions pour rentre l’accès impossible ». Ces injonctions seront toutefois limitées par les dispositions de l’article 15 de la même directive qui interdit aux Etats Membres d’imposer aux hébergeurs « une obligation générale de surveiller les informations stockées » (7) (*) (**). Cette proposition viserait donc à utiliser la faculté offerte par la directive d’autoriser les autorités administratives à prendre des mesures pour faire cesser et prévenir une atteinte particulière à des droits sur des œuvres (8).

4 – Dispositif de suivi dans le temps
En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin occasionnée par un service de communication public en ligne, les ayants droits peuvent solliciter du tribunal de grande instance (TGI) qui leur donne, sur le fondement de l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’autorisation de prendre toutes les mesures propres à prévenir ou faire cesser l’atteinte. Ces mesures peuvent consister en une injonction de blocage d’un service de communication public adressée à un fournisseur d’accès
à Internet (FAI) ou une injonction de déréférencement de ce service adressée à un moteur de recherche.
Il existe cependant des possibilités de contourner les mesures ordonnées. Ainsi, le site en cause peut offrir un service identique en utilisant une adresse ou un nom de domaine non bloqué : un site miroir. Ces manœuvres interviennent le plus souvent très peu de temps après la décision du juge (9), lequel est donc confronté à un problème d’effectivité de sa décision.

Dans l’affaire « Allostreaming » ayant donné lieu au jugement du TGI de Paris du
28 novembre 2013, rendu en la forme des référés et l’objet d’un recours en appel
[par Microsoft et Yahoo, ndlr], il avait été sollicité par les ayants droits « que soit prise une décision les autorisant à faire évoluer ses données principales par l’intermédiaire d’un outil qu’ils décrivent comme permettant l’actualisation des injonctions du tribunal ». Or, le TGI n’a pas accédé à cette demande en relevant en l’état du droit positif que la juridiction ne disposait pas de moyens lui permettant de contrôler l’exécution de sa décision.
La mission MIQ propose une solution qui consiste à confier à un service indépendant des parties aux litiges, placé sous l’autorité fonctionnelle du juge, le suivi des décisions judiciaires concernant lesdits sites Internet abritant massivement de la contrefaçon. Dans son hypothèse, le juge resterait, en principe, saisi de l’affaire jusqu’à l’exécution totale des mesures qu’il a ordonnées et en conserverait la maîtrise. Cette réflexion s’inspire d’ailleurs des procédures de blocage des sites de jeux en ligne initiées par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) en coopération avec le TGI de Paris et est également au centre des préoccupations du groupe de travail interministériel chargé de l’adoption du dispositif de lutte contre la cyber-criminalité présidé par Marc Robert, procureur général près la Cour d’appel de Riom.

Un arsenal pour les ayants droits
Voici quatre propositions visant à compléter l’arsenal de lutte contre la contrefaçon. C’est aux ayants droits d’apprécier l’opportunité de recourir à une action privée ou publique, administrative ou judiciaire pour la défense de leurs droits.
Si, constatant des atteintes à ceux-ci, ils choisissent d’agir, il est d’intérêt public qu’ils disposent de tous les moyens pour protéger leur propriété. @

Timeline

20 juin
• La RNT est lancée à Paris, Marseille et Nice (lire p. 7).
• Le SNRL lance le site http://pretpourlaradionumerique.fr
• Bouygues Telecom supprime 1.500 postes.

19 juin
• Twitter acquiert SnappyTV (partage de programmes télé sur réseaux sociaux).
• Le Snep publie l’édition 2014 de « L’économie de la production musicale enregistrée » : http://bit.ly/GuideEco2014
• Le Sacem : 834,8 M€de droits d’auteur collectés en 2013 (+ 4 %), dont 24,7 M€
(+ 16,7 %) sur la musique en ligne.
• L’Hadopi publie « Pratiques sur Internet et dépenses culturelles » : http://lc.cx/Culture
• Le CSA publie « Les pratiques médias des 13-24 ans » : http://lc.cx/CSA-J
• Axel Springer achète 20 % du moteur de recherche français Qwant.
• Pinterest veut inciter les actes d’achat pour séduire les marques.
• Mobile Marketing Association France : « Plus de 50 % des Français possèdent désormais un smartphone ! » (ComScore, GfK et Médiamétrie).
• Le Geste tient son AG annuelle, avec un atelier sur « Quel financement pour vos projets de VOD ? ».
• La Poste Mobile (La Poste/SFR) vise 1,25 million d’abonnés fin 2014.
• Epson lance Moverio, de lunettes-écrans pour smartphone.

18 juin
• Amazon lance son smartphone 3D, Fire Phone (lire p. 5).
• Blackberry passe un accord avec Amazon sur l’App Store.
• Jean-Ludovic Silicani, auditionné à l’Assemblée nationale : «On peut parfaitement envisager que le marché se reconcentre raisonnablement » ; « On peut espérer une stabilisation des prix ».
• Youboox, plateforme de livres numériques en streaming, lance un bundle « tablette + abonnement » pour 7,99 €/mois.

17 juin
• Apple, sous la menace de 840 M€de dommages et intérêts dans son contentieux sur le prix des livres numériques, soumet au tribunal de New York un accord à l’amiable avec les plaignants américains.
• YouTube annonce des accords « avec des centaines de grands labels et de labels indépendants » pour Music Pass qui sera lancé à la fin de l’été, mais bloquera les clips vidéo des labels qui n’ont pas signé (EM@ 103, p. 5).
• Bouygues Telecom lance une offre 4G+.
• Le Sirti lance son « Appel du 17 juin » en faveur de la RNT (lire p. 7).
• Facebook lance Slingshot, appli de partage de photos.
• TNS Sofres : 51 % des internautes français partagent leurs photos en ligne.

16 juin
• Le Bureau de la Radio publie une « note relative à l’absence de perspective pour la RNT » (lire p. 7).
• La Commission européenne signe un accord avec la Corée du Sud sur la 5G.
• Alibaba rachète UCWeb (navigateur mobile).

15 juin
• Libération, qui va être racheté à 50 % par Patrick Drahi (Altice/Numericable/SFR) et qui sera dirigé par Laurent Joffrin, choisit Marc Laufer pour le représenter.

14 juin
• La FCC ouvre une enquête sur la qualité d’accès à Internet : http://lc.cx/FCC-Net

13 juin
• Le CNNum remet son rapport « Neutralité des plateformes » (lire p. 3).
• Imaginove organise le Global Media Connect 2014 et récompense trois projets
« cross média », en partenariat avec la SACD, France Télévisions et Ina Expert.

12 juin
• Amazon lance Prime Music aux Etats-Unis (lire p. 5).
• Samsung lance la Galaxy Tab S, tablette haut de gamme.
• Le Bureau de la Radio diffuse un article du Telegraph titrant « DAB Radio : dead on arrival? » (lire p. 7).
• La SPPF : « Le streaming musical par abonnement ne permet pas de compenser la baisse inéluctable des ventes physiques ».

11 juin
• Bouygues Telecom échoue à se vendre à Free et à Orange.
• Apple fait l’objet d’une enquête fiscale de la Commission européenne.
• L’Assemblée nationale installe la « commission sur le droit et libertés à l’âge du numérique » (lire p. 3).
• Ouest France se dote d’un directoire (présidé par François Régis Hutin) et d’un conseil de surveillance (présidé par David Guiraud).
• Le Conseil d’Etat valide la régulation de l’Arcep sur le marché de gros de la diffusion de la TNT (TDF, Towercast, Multiplex R5).

10 juin
• Google acquiert Skybox Imaging (mini-satellites prenant photos et vidéos HD).
• Sony annonce le lancement fin 2014 de la PlayStation TV.

9 juin
• Time Inc fait son entrée en Bourse (lire p. 5).
• L’UPF s’inquiète pour la chronologie des médias avec l’arrivée de Netflix.
• Facebook lance (par erreur ?) Slingshot, sa messagerie éphémère pour concurrencer Snapchat qu’il avait voulu racheter 3 Mds de $ en 2013.

6 juin
• Orange confirme aux Echos l’échec des négociations avec Canal+ sur Dailymotion (lire p. 4).
• Françoise Benhamou (Arcep) : « Le différend Amazon-Hachette me semble dénoter de la part d’Amazon une triple erreur d’analyse » (Livres Hebdo).
• Webedia vise 100 M€de CA dès 2015, déclaré Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac) au Figaro.

La radio numérique terrestre (RNT) est lancée malgré le tir de barrage des grandes radios privées nationales

Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour discréditer – voire annuler avec le recours
de NRJ devant le Conseil d’Etat – la RNT lancée le 20 juin. Le Sirti, syndicat
des radios indépendantes, en appelle aux pouvoirs publics.

Par charles de Laubier

Malgré l’hostilité des groupes de radios privées nationaux que sont Lagardère (Europe 1/RFM/ Virgin Radio), RTL Group (RTL/RTL2/Fun Radio) NRJ Group (NRJ/Chérie FM/Nostalgie/Rire & Chansons) et NextRadioTV (RMC/BFM Business).
Malgré l’absence de Radio France pour laquelle le gouvernement n’avait pas préempté de fréquences.
Malgré les tergiversations des pouvoirs publics qui, depuis cinq ans maintenant, promettaient la radio numérique terrestre (RNT) prévue par la loi depuis… dix-huit
ans (1).

Recours de NRJ devant le Conseil d’Etat
Malgré les valses hésitations du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourtant commanditaire de trois rapports sur la radio numérique (rapport Kessler de mars 2011, rapport Tessier de novembre 2009 et rapport Hamelin d’octobre 2009), sans oublier une consultation de la DGMIC (ministère de la Culture et de la Communication) en octobre 2012 sur la norme technique à utiliser.
Malgré tous ces freins et obstacles, la RNT prend enfin son envol en France (2) le
20 juin 2014 à Paris, Marseille et Nice. Mais ce coup d’envoi historique ressemble
plus à un ball-trap, dont les plateaux en argile sont les 107 nouvelles radios, qu’à un lancement orchestré comme pour la TNT.
« Les groupes nationaux, le CSA et le gouvernement semblent s’être entendus pour briser ce lancement », a dénoncé le Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (Sirti) le 28 mai dernier, après avoir appris ce que Edition Multimédi@ révélait dès le 12 mai (3). A savoir que le groupe NRJ avait déposé le
19 juin 2013 devant le Conseil d’Etat un recours pour « excès de pouvoir » à l’encontre du CSA, lequel avait finalement délivré le 15 janvier de la même année 107 autorisations d’exploiter un service de RNT. Pour le groupe de Jean-Paul Baudecroux, « ces autorisations sont illégales en raison notamment des fortes incertitudes entourant ce projet ». Pourtant, NRJ fut par le passé candidat à la RNT ! Mais la première radio de France (en terme d’audience, selon Médiamétrie) avait retiré sa candidature en mai 2012, là aussi « face aux très importantes incertitudes économiques et techniques entourant le projet ». Ce recours devant la Haute cour administrative, le groupe NRJ
– coté en Bourse – en a fait état pour la première fois dans son document de référence 2013 publié le 28 mars par l’AMF. Et dans la section « Risques liés à l’environnement économique et à la position concurrentielle » de ce même rapport annuel, la RNT y est en fait redoutée comme pouvant « éventuellement modifier les équilibres concurrentiels actuels ». Le Bureau de la radio, qui représente Lagardère, RTL Group, NRJ Group et NextRadioTV, aura tout tenté pour jeter le doute sur la viabilité économique de la RNT. Son président, Michel Cacouault, a envoyé à la presse le 16 juin dernier une « note relative à l’absence de perspective pour la radio numérique terrestre », en Europe comme en France. Les grandes radios privées craignent en réalité que le gâteau publicitaire, déjà en diminution, ne soit à partager avec un plus grand nombre de radios – les historiques et les nouvelles entrantes. « Sans subventions publiques conséquentes, la RNT, dans son schéma actuel, n’a aucun avenir », affirme Le Bureau de la radio pour discréditer l’appel au gouvernement en faveur de la RNT lancé par le Sirti, lequel compte plus de 150 membres (essentiellement des radios indépendante, locales, régionales ou thématiques). L’absence de Radio France serait pour les grandes radios privées une preuve supplémentaire que « les doutes » qui pèsent sur l’avenir
de la RNT, de même que « les échecs » à l’étranger (Etats- Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique et Autriche), ne plaident pas en faveur de la RNT. Quelques
jours plus tôt, Le Bureau de la radio diffusait un artiche du quotidien britannique
The Telegraph considérant la technologie DAB+ «mort-née » (4). Mais les 107 radios retenues pour Paris, Marseille et Nice ne l’entendent pas de cette oreille. Le Sirti, estimant que « le silence assourdissant du gouvernement et incompréhensible »,
a réussi à partager son désarroi le 17 juin en présence de trois membres du CSA (5)
et du député PS Marcel Rogemont.

Paris, Marseille et Nice : expérimental ?
Le Syndicat des entreprises de commerce international de matériel audio, vidéo
et informatique (Secimavi) et TDF ont aussi été appelés en renfort pour rassurer sur
la réalité respectivement des récepteurs et de la diffusion des multiplexes. Quoi qu’il
en soit, le CSA –qui considère encore le lancement à Paris, Marseille et Nice comme
« une phase expérimentale » – rendra « à l’automne » (avec près d’un an de retard) son rapport « RNT » au Parlement, en attendant de lancer des appels à candidatures dans d’autres villes de France. @

Le marché de l’occasion numérique reste à inventer

En fait. Le 9 juin, l’avocate Josée-Anne Bénazéraf nous a indiqué qu’elle ne savait pas quand la commission spécialisée du CSPLA sur « l’apparition éventuelle d’un marché secondaire des biens culturels numériques » achèvera ses travaux.
Elle et la professeure Joëlle Farchy sont censées les terminer en juillet.

Josée-Anne-BénazérafEn clair. La lettre de mission de Josée-Anne Bénazéraf (photo) et de Joëlle Farchy, chargées il y a près d’un an de mener à bien les travaux d’une « commission spécialisée sur les enjeux aussi bien juridiques qu’économiques de l’apparition éventuelle d’un marché secondaire des biens culturels numériques », fixe bien une échéance à juillet 2014.
Mais l’incertitude apparaît quant au respect de la période de remise au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) du rapport, lequel est supervisé par Alexandre Segretain, conseiller au tribunal administratif de Paris.

Le pionnier ReDigi aux Etats-Unis essuie les plâtres
La revente d’occasion de biens numériques (musiques, films, logiciels, ebooks…), qui se présentent donc sous la forme de fichiers numériques identiques à l’original, fait déjà l’objet d’une bataille rangée avec, d’un côté, les ayants droits opposés à ce marché secondaire et, de l’autre, les partisans de cette nouvelle avancée digitale.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, la commission judiciaire de la chambre des représentants tente de défricher la question. Lors de l’audience du 2 juin à New York, John Ossenmacher, directeur général et fondateur de la société américaine ReDigi, laquelle avait été condamnée le 1er avril 2013 avant de faire appel (1), a plaidé en faveur d’un marché secondaire numérique dont il est l’un des pionniers.

« Si les détenteurs de livres (imprimés) et de CD achetés légalement peuvent revendre leur bien, pourquoi n’en irait-il pas de même pour ceux qui veulent revendre leurs fichiers numériques ? », demande-t-il en substance, en s’appuyant sur la doctrine dite
« The First Sale » (2) et sur un arrêt de la CJUE du 3 juillet 2012 autorisant la revente de logiciels.
« Nous ressentons tous une frustration quand nous acquérons un bien numérique, alors que nous espérons le même accord que nous avons toujours eu lors d’achats de biens physiques, livres ou musiques : de pouvoir le revendre, le donner ou de s’en débarrasser. Or cet accord n’existe pas de la part des fournisseurs numériques », a déploré John Ossenmacher. Il estime que « les consommateurs américains perdent des milliards de dollars à cause de leurs biens numériques restant verrouillés sur leur terminal, sans mécanisme de revente ou de don de leurs musiques ou livres ». La RIAA (3) pour la musique et la MPAA (4) pour les films sont vent debout contre la perspective d’un tel marché secondaire numérique. @