Contrefaçon en ligne : comment le Follow the money du rapport « MIQ » complèterait l’arsenal

Mireille Imbert-Quaretta, dans son rapport de lutte contre la contrefaçon en ligne, fait quatre propositions, dont l’implication des acteurs financiers du Net (publicité et paiement). Les ayants droit, eux, devront choisir entre action privée ou publique, administrative ou judiciaire.

Par Patrick Dunaud et Christophe Clarenc (photo), cabinet Dunaud, Clarenc Combles & Associés

Dans la lignée du rapport Lescure, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a confié le 16 juillet 2013 à Mireille Imbert-Quaretta, conseiller d’Etat, la mission d’« élaborer les outils opérationnels permettant d’impliquer efficacement les intermédiaires techniques et financiers dans la prévention de la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne ». Cette mission faisait suite au « rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », une mission déjà menée par Mireille Imbert-Quaretta pour le compte de l’Hadopi (1).

Implication des « intermédiaires » du Net
Après avoir mené une large consultation, elle a remis son rapport (2) en mai 2014 en suivant une approche reposant sur quatre convictions. La première est que les actions proposées devront s’inscrire dans une stratégie globale de lutte contre la contrefaçon sur Internet. Les trois autres sont déjà bien connues : le développement d’une offre légale attractive ; la répression pénale des acteurs responsables d’atteintes graves et avérées ; et la pédagogie à l’égard des internautes sur le nécessaire respect du droit d’auteur.
La mission de Mireille Imbert-Quaretta (« MIQ ») ajoute une quatrième dimension :
« l’implication des intermédiaires, qui, sans être responsables au sens strict d’actes de contrefaçons, engendrent des revenus pour les sites engagés massivement dans des actes de contrefaçon : c’est-à-dire la publicité et les moyens de paiement ».
Rappelant, comme c’est désormais la norme, la nécessite de respecter un équilibre entre les droits fondamentaux en cause : les droits de la propriété intellectuelle d’une part, et la liberté d’information et de communication, la protection de la vie privée et la liberté d’entreprendre, d’autre part, la mission MIQ propose quatre outils opérationnels qui s’inscrivent essentiellement dans le cadre de la directive sur le commerce électronique (3). Ces outils sont les suivants : des chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ; une information publique sur les sites Internet portant massivement atteinte aux droits d’auteurs et aux droits voisins ; une injonction de retrait prolongé ciblée sur certains contenus contrefaisants ; un dispositif de suivi dans le temps des décisions judiciaires concernant les sites Internet abritant massivement de la contrefaçon.

• 1 – La signature de chartes sectorielles
MIQ reprend ainsi la voie de l’autorégulation déjà suivie dès 2009 par Bernard Brochand (4) et Pierre Sirinelli (5) dans le travail de préparation ayant abouti notamment à la « Charte de la lutte contre la vente de produits contrefaisants sur Internet conclue entre les plateformes de vente en ligne et les détenteurs de droits
en matière de commerce électronique ». Le rapport se fait l’avocat de la conclusion
de telles chartes en matière de publicité et de services en ligne. Ces chartes pourraient permettre de développer les outils spécifiques qui ont déjà été mis en place par certains acteurs de la publicité : par exemple, des techniques de filtrage a priori ou de contrôle
a posteriori permettant de vérifier que les publicités diffusées ne sont pas associées à un contenu inapproprié ou illégal.
Du côté du paiement en ligne, il est vital que les services de paiements en ligne étendent les procédures, déjà mises en place par certains, permettant le signalement des atteintes en formalisant une procédure de saisine et de fermeture de compte.

• 2 – Une mission publique d’information
Constatant, comme chacun, d’un côté les difficultés rencontrées par les ayants droits pour faire respecter leurs droits de propriété intellectuelle sur l’Internet, et de l’autre
la nécessité de ne pas porter atteinte de manière trop répressive à la liberté de communication et au développement de l’Internet, la mission MIQ adopte une démarche purement administrative en considérant qu’une autorité publique pourrait servir de « tiers de confiance », ce qu’on pourrait aussi qualifier de « notaire de l’Internet » avec pour mission de certifier la légalité ou l’illégalité de certains sites
grâce aux informations qui lui seraient communiquées par les ayants droits. Autorité qui, à la suite d’une enquête contradictoire, pourrait publier des avis de constat d’atteintes graves aux droits d’auteurs, validant ainsi les mesures répressives que pourraient prendre les intermédiaires en interrompant toute publicité sur les sites Internet ou en mettant un terme au paiement en ligne.

• 3 – Une injonction de retrait prolongée
Le troisième outil proposé par le rapport réside dans une mesure simple, pratique
et certainement plus efficace que le droit positif actuel. La réapparition des contenus supprimés constitue la principale limite des procédures de notification des contenus contrefaisants hébergés sur les sites web. Les ayants droits qui ont recours à la notification prévue par la loi « Confiance dans l’économie numérique » ou LCEN (6), sont confrontés à la réapparition permanente de contenus et des liens dont ils demandent le retrait. Pour réduite cette difficulté, la mission MIQ propose de confier
à l’autorité administrative la possibilité d’enjoindre à un site de communication public
en ligne de faire cesser, ou de prévenir pendant une durée déterminée, la réapparition des contenus qui lui ont été signalés comme constituant une atteinte aux droits d’auteurs ou droit voisins sur le site.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre du point 3 de l’article 14 de la directive européenne « Commerce électronique » qui prévoit « qu’une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des Etats Membres, [exige] que les Etat Membres aient la possibilité d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou des actions pour rentre l’accès impossible ». Ces injonctions seront toutefois limitées par les dispositions de l’article 15 de la même directive qui interdit aux Etats Membres d’imposer aux hébergeurs « une obligation générale de surveiller les informations stockées » (7) (*) (**). Cette proposition viserait donc à utiliser la faculté offerte par la directive d’autoriser les autorités administratives à prendre des mesures pour faire cesser et prévenir une atteinte particulière à des droits sur des œuvres (8).

4 – Dispositif de suivi dans le temps
En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin occasionnée par un service de communication public en ligne, les ayants droits peuvent solliciter du tribunal de grande instance (TGI) qui leur donne, sur le fondement de l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’autorisation de prendre toutes les mesures propres à prévenir ou faire cesser l’atteinte. Ces mesures peuvent consister en une injonction de blocage d’un service de communication public adressée à un fournisseur d’accès
à Internet (FAI) ou une injonction de déréférencement de ce service adressée à un moteur de recherche.
Il existe cependant des possibilités de contourner les mesures ordonnées. Ainsi, le site en cause peut offrir un service identique en utilisant une adresse ou un nom de domaine non bloqué : un site miroir. Ces manœuvres interviennent le plus souvent très peu de temps après la décision du juge (9), lequel est donc confronté à un problème d’effectivité de sa décision.

Dans l’affaire « Allostreaming » ayant donné lieu au jugement du TGI de Paris du
28 novembre 2013, rendu en la forme des référés et l’objet d’un recours en appel
[par Microsoft et Yahoo, ndlr], il avait été sollicité par les ayants droits « que soit prise une décision les autorisant à faire évoluer ses données principales par l’intermédiaire d’un outil qu’ils décrivent comme permettant l’actualisation des injonctions du tribunal ». Or, le TGI n’a pas accédé à cette demande en relevant en l’état du droit positif que la juridiction ne disposait pas de moyens lui permettant de contrôler l’exécution de sa décision.
La mission MIQ propose une solution qui consiste à confier à un service indépendant des parties aux litiges, placé sous l’autorité fonctionnelle du juge, le suivi des décisions judiciaires concernant lesdits sites Internet abritant massivement de la contrefaçon. Dans son hypothèse, le juge resterait, en principe, saisi de l’affaire jusqu’à l’exécution totale des mesures qu’il a ordonnées et en conserverait la maîtrise. Cette réflexion s’inspire d’ailleurs des procédures de blocage des sites de jeux en ligne initiées par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) en coopération avec le TGI de Paris et est également au centre des préoccupations du groupe de travail interministériel chargé de l’adoption du dispositif de lutte contre la cyber-criminalité présidé par Marc Robert, procureur général près la Cour d’appel de Riom.

Un arsenal pour les ayants droits
Voici quatre propositions visant à compléter l’arsenal de lutte contre la contrefaçon. C’est aux ayants droits d’apprécier l’opportunité de recourir à une action privée ou publique, administrative ou judiciaire pour la défense de leurs droits.
Si, constatant des atteintes à ceux-ci, ils choisissent d’agir, il est d’intérêt public qu’ils disposent de tous les moyens pour protéger leur propriété. @