Yves Riesel, président de Qobuz Music Group : « Le clivage streaming versus téléchargement est déjà caduc ! »

Le cofondateur et président du directoire de Qobuz Music Group (ex-Lyra Media Group), qui comprend la plate-forme de musique en ligne Qobuz.com et la maison de disques Abeille Musique, estime qu’il est temps de passer à la qualité Hi-Fi sur Internet. Et il ne cesse de pester contre la gratuité musicale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Yves RieselEdition Multimédi@ : La holding Lyra Media Group est devenue au 1er février Qobuz Music Group, du nom de votre plate-forme de musique en ligne Qobuz créée il y a cinq ans. Est-ce parce que les ventes numériques de musiques deviennent majeures dans vos activités ?
Yves Riesel :
Lyra regroupe la maison de disques Abeille Musique créée en 1997 et Qobuz créée en 2007. Les deux sociétés font du numérique, lequel génère 60 % du chiffre d’affaires de l’ensemble. Mais Abeille Musique, qui est toujours engagée dans la vente de CD, la production et la distribution, fait essentiellement de la vente aux professionnels (B2B). Tandis que Qobuz fait de la vente aux particuliers (B2C). Ce changement de dénomination ne concerne
pas le clivage physique/numérique. Il vise à donner de la force à la marque Qobuz qui maintenant s’ouvre à l’international et à montrer la totale cohérence du métier de distribution de musique des deux sociétés, que ce soit en B2B ou en B2C. Abeille Musique est maintenant devenue une société de distribution de musique numérique,
avec un catalogue important, elle est positionnée en tant que fournisseur de services
de distribution de haute qualité auprès des labels et des artistes – rien à voir avec tant d’agrégateurs dont le soin apporté aux produits est minime. Qobuz et Abeille, qui partagent le même souci de qualité (son, documentation, métadonnées) font un travail cohérent, qui sera réuni sous la même marque en particulier à l’international. Quant à notre filiale Virgule, elle a une activité de publishing [gestion des droits des compositeurs et des chanteurs, ndlr].

« Le sujet du partage de la valeur sur lequel on a
fait plancher Monsieur Phéline est le type même de la mauvaise question à un problème qui ne se posait pas.
Les producteurs de musique aujourd’hui sont souvent affaiblis, et on les met encore une fois en accusation au
lieu de se dépêcher de les soutenir. »

EM@ : Qobuz se différencie avec une “vraie qualité CD” (17 millions de titres)
ou bien un son “studio masters 24 bits” (6.000 albums), alors que les internautes
se contentent encore du MP3, comment constatez-vous un attrait ou un
« basculement » vers le son Hi-Fi en ligne ?
Y. R. :
La bande passante n’est plus une excuse suffisante pour justifier la persistance
du MP3 que rien ne justifie, sauf l’effrayant désintérêt de tant de services de musique en ligne pour la qualité sonore qu’ils délivrent. Véritable plaie de la musique depuis 15 ans,
la compression du son, n’a plus de raison d’être ! D’autant qu’il y a bien sûr un attrait pour une meilleure qualité de musique, ce que prouve le succès immédiat qui suit notre ouverture dans d’autres pays. Le son « Studio master 24 bits », qui est notre produit très haut-de-gamme, transporte jusqu’à six fois plus d’informations musicales que la « Qualité CD 16 bits/44,1 Khz » ! Mais il n’y a pas que le son qui fasse la différence de Qobuz. Il y
a aussi la documentation, nos savoir-faire devenus rares de nos jours, l’expertise de nos catalogues, ainsi que notre manière de faire. Sur Qobuz, tout est beaucoup mieux rangé que chez les autres et nos utilisateurs s’y retrouvent plus facilement. Et la façon dont nous animons notre service en ligne est également extrêmement ouverte à tous les genres musicaux. Nous haïssons le mainstream systématique. Nous sommes les spécialistes de toutes les spécialités !

EM@ : Qobuz était présent au dernier Midem : dans quels autres pays comptez-vous déployer Qobuz, après l’Europe ? Quels fabricants ont déjà adopté l’API Qobuz ?
Y. R. :
Europe du Sud, Amérique du Nord et nous réfléchissons aussi à l’Orient mystérieux. Nos quatre offres d’abonnement streaming sont disponibles dans huit nouveaux pays européens : Allemagne, Autriche, Belgique, Irlande, Luxembourg,
Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse. Quant au service de téléchargement, localisé et
« éditorialisé », il arrivera dans ces pays début avril 2014. Il serait trop long de citer toutes les marques qui intègrent désormais Qobuz dans leurs appareils. Citons toutefois Sonos, Harman Kardon, Blue Sound, Loewe, NAD et des constructeurs japonais. Contrairement à ce que l’on a dit, la 4G, la qualité Hi-Fi de Qobuz non seulement est techniquement possible en mobilité, mais surtout s’entend. Il faut dire que Qobuz est le seul service au monde à proposer des applis qui « passent » cette qualité – sur iPhone, Android, W8…

EM@ : Prévoyez-vous et quand un accord avec un opérateur mobile 4G ?
Y. R. :
L’idéal serait vraiment que Orange nous propose aujourd’hui le même deal qu’à Deezer en 2010. Vous verriez : on ferait beaucoup mieux qu’eux !

EM@ : Que pensez-vous du lancement en décembre par Spotify du service de streaming gratuit financé par la pub, à l’instar de YouTube ou Dailymotion ?
Vous aviez déjà protesté en 2010 contre le deal exclusif Deezer/Orange…
Y. R. :
J’avais protesté, et j’avais eu raison. Tout le monde voit bien pourquoi aujourd’hui : parce que ce deal créait une grave distorsion de concurrence avec les autres services français, lesquels ont été plaqués au sol pendant trois ans…
Mais les services dont vous parlez ne font pas le même métier que nous, et nous ne souhaitons pas faire le même métier qu’eux. Ou alors comparez McDonalds et Troisgros ! Ne sont comparables ni la manière, ni la taille, ni les buts, rien. Ces services font du gratuit pour engranger des millions de noms et ensuite tenter un jour de faire un peu payer leurs utilisateurs. Cela suppose une mobilisation de capital importante, qui ne va pas à la musique et qui d’ailleurs ne va pas même vraiment au marketing de la musique. Il va à la bulle Internet… Nous, nous exerçons un vrai métier ; nous créons des produits musicaux innovants ; nous avons une feuille de route avec des dizaines de projets originaux qui amélioreront puissamment la vie et la joie des amateurs de musique. Nous visons un public pour qui la musique n’est pas du domaine des « utilities » mais de la passion, et qui acceptent de payer pour leur passion. Là où il y a du désir, les gens acceptent de payer. Le consentement à payer n’a d’ailleurs pas forcément à voir avec les moyens financiers des clients.

EM@ : Quel regard portez-vous sur le marché de la musique en ligne avec le streaming qui prend le pas sur le téléchargement ?
Yves Riesel : Je pense que le clivage téléchargement à l’acte/ streaming est désormais caduc. On possèdera des droits sur de la musique dans le nuage, et ces droits seront peuvent être définitifs, ou temporaires, voire limités par le répertoire, segmentés par la qualité, par l’animation du service, etc.
Chez Qobuz, je préfère dire que nous faisons du téléchargement définitif ET du streaming incluant du téléchargement temporaire – le tout étant accessible depuis le Cloud. Voilà quels devraient être les mots exacts pour désigner ce que l’on a trop longtemps appelé téléchargement à l’acte et streaming.

EM@ : Qu’attendez-vous de la loi Création, qui sera présentée au printemps,
en termes de partage de la valeur proposé par le rapport Phéline, notamment par une gestion collective du numérique ?
Y. R. :
Je ne voudrais pas être désagréable avec quiconque, ce n’est pas mon genre, vous le savez bien ! Mais je n’en attends strictement rien. Le sujet du partage de la valeur sur lequel on a fait plancher Monsieur Phéline est le type même de la mauvaise question à un problème qui ne se posait pas.
Les producteurs de musique aujourd’hui sont souvent affaiblis, et on les met encore une fois en accusation au lieu de se dépêcher de les soutenir.
Pour partager quoi que ce soit, il faut d’abord qu’il y ait quelque chose à partager. Et c’est ce que nous devons imaginer, nous les services de musique en ligne : permettre aux labels, c’est-à-dire aux artistes, de s’en sortir avec le streaming nécessite de déchaîner un peu plus d’imagination marketing et d’amour pour les musiques. @