La vente d’Orange Studio et des chaînes OCS à Canal+ est l’épilogue d’une stratégie « contenus » sacrifiée

En cédant son bouquet de télévision OCS et sa société de production Orange Studio à Canal+ (groupe Vivendi), l’ex-France Télécom donne le clap de fin à ses ambitions hésitantes dans les contenus. Mais c’est surtout la vente d’Orange Studio (ex-Studio 37) et de son catalogue qui laisse un goût amer.

Orange Studio, c’est Frédérique Dumas (photo) qui en parle le mieux. Dans son livre « Ce que l’on ne veut pas que je vous dise », paru il y a un an chez Massot Editions (1), celle qui fut à partir de 2007 directrice générale de Studio 37, puis d’Orange Studio lors du changement de nom il y a dix ans, raconte par le menu la stratégie chaotique de cette société de production audiovisuelle et cinématographique de l’opérateur télécoms historique français.

De Didier Lombard à Stéphane Richard
Productrice de cinéma et femme politique, Frédérique Dumas est aussi en novembre 2005 conseillère régionale d’Île-de-France lorsque France Télécom (2) l’appelle pour qu’elle conseille l’opérateur historique décidé à se lancer dans les contenus. « Je propose donc alors à Orange tout simplement la création d’un outil de coproduction à l’image de StudioCanal (…) sans déclencher de guerre [avec Canal+] », relate-t-elle. Et de « travailler avec tout le monde, y compris avec sa propre concurrence ». En mars 2007, soit un an après avoir remis sa « note stratégique » avec business plan à la division des contenus d’Orange et après avoir convaincu Didier Lombard (successeur en 2005 de Thierry Breton à la présidence de France Télécom), la filiale de coproduction Studio 37 est créée et nommée ainsi parce que ses bureaux étaient alors 37 rue du ChercheMidi à Paris. Le PDG de Pathé, Jérôme Seydoux, sera le premier à coproduire avec Studio 37. « Les Beaux Gosses » de Riad Sattouf sera un succès. UGC, TF1 International (droits audiovisuels) et d’autres suivront, à l’exception de Nicolas Seydoux, président de Gaumont, et de sa fille Sidonie Dumas. «Il faut le dire. S’il y a des films comme “The Artist” [de Michel Hazanavicius, ndlr], c’est grâce à Didier Lombard. S’il y a des films dits “politiques” comme ‘’Welcome’’ de Philippe Lioret, “L’Ordre et la Morale” de Mathieu Kassovitz, c’est grâce à Didier Lombard. Il était fier de Studio 37 et il venait à toutes les avant-premières », assure Frédérique Dumas. Didier Lombard lui a garanti une vraie indépendance – « Chez Orange, ils n’y connaissent rien », lui a-t-il même dit – mais si le patron de l’époque lui reprochera de «provoquer une guerre avec Canal+» après qu’elle ait accordé une longue interview publiée le 22 mai 2008 dans Le Monde sous le titre « Canal+ essaie de dissuader les producteurs de venir nous voir » (3). Ses propos avaient donné des sueurs froides au directeur des contenus d’Orange de l’époque, Xavier Couture, ex-PDG de Canal+, lequel ne cessera de tenter de « récupérer le pouvoir sur Studio 37 ». Mais la protégée de Didier Lombard gardera sa « liberté » durant quatre ans. « Tout va donc changer avec l’arrivée de Stéphane Richard [nommé directeur général d’Orange le 1er mars 2020 avant de succéder à Didier Lombard le 24 février 2011, ndlr]. Studio 37 est immédiatement dans le collimateur », se souvient Frédérique Dumas. Stéphane Richard est devenu PDG depuis à peine un mois que des rumeurs circulent selon lesquelles « les chaînes [Orange Cinéma Séries (OCS), bouquet de télévision créé dans la foulée de Studio 37 le 17 novembre 2008 (4), ndlr] pourraient être cédées à Canal+ et Studio 37 vendu à Gaumont ». En juillet 2011, Canal+ prendra 33,3 % du capital d’OCS. Côté studio, on fait comprendre à Frédérique Dumas que « [ses] jours sont comptés ». Stéphane Richard, dont la femme Anne est productrice de films (mais dans l’impossibilité de bénéficier de financement de la filiale cinéma) et critiquera auprès de son mari les choix de la directrice d’Orange Studio, ne lui fera jamais confiance. Frédérique Dumas est licenciée en janvier 2014 et ses avocats « obligeront Orange à négocier (…) une transaction à titre confidentiel » à l’été 2015. A ce jour, Orange Studio – 200 coproductions et près de 1.800 œuvres à son catalogue, dont des films oscarisés comme « The Father » de Florian Zeller – est en train d’être vendu avec OCS à Canal+. @

Charles de Laubier

ZOOM

Frédérique Dumas a failli être ministre de la Culture de Macron
C’est dans le média Blast de Denis Robert que l’exmacroniste Frédérique Dumas (ex-militante d’« En marche » dès novembre 2016 et ex-députée LREM des Hauts de Seine, proche d’Emmanuel Macron) confie une anecdote dont elle n’a pas fait état dans son livre « Ce que l’on ne veut pas que je vous dise » (Massot Editions, avril 2022) : « En février 2017, lors du meeting d’Emmanuel Macron à Lyon, raconte-t-elle, Anne-Marie Idrac (ancienne ministre) vient me voir toute excitée :  »Frédérique, Frédérique, j’ai parlé avec Emmanuel hier ; je lui disais qu’il avait peu de femmes autour de lui, pour être ministre. Et il m’a répondu :  »Si, j’ai Frédérique ». Quant elle me dit ça, je lui dis que c’est gentil mais que c’est un peu bizarre qu’il dise ça. Mais bon. Et après, comme ça fait vingt ans que je porte mes idées sur la politique culturelle, à un moment donné je me suis dit que si on peut les porter et avec le pouvoir et la capacité de les mettre en œuvre, pourquoi pas. Donc, c’est vrai que (…) j’ai eu peut-être cette envie-là [d’être ministre de la Culture] et je l’assume. Mais deux ou trois mois après l’élection présidentielle, j’ai compris que de toute façon je ne serai jamais parce que je ne pourrai jamais l’être : porter les réformes de l’audiovisuel public telle qu’elles ont été portées (aujourd’hui, on en est à supprimer la redevance), le Pass Culture qui est absolument une imposture, … Toutes ces choses-là, c’était hors de question pour moi de l’être. Pour moi, ça a durée deux ou trois mois cette idée-là. Dès 2018, dans un documentaire, j’ai dit que je ne serai jamais ministre d’Emmanuel Macron pour ne pas être soupçonnée de vouloir l’être… » (https://lc.cx/Blast05-04-22). Frédérique Dumas a été l’ancienne conseillère de François Léotard au ministère de la Culture entre 1986 et 1988. @

Nielsen mesure les audiences d’Amazon (Prime Video et Twitch), ce qui inquiète la TV

Nielsen, géant américain de la mesure d’audience, a noué cet été un accord sans précédent avec Amazon pour mesurer aux Etats-Unis les retransmissions exclusives de matchs de football sur Prime Video et Twitch. Et les comparer avec la télévision : une révolution. Et en France ?

La saison 2022 de la NFL (1), la ligue nationale de football américaine, a débuté le 8 septembre et s’achèvera le 8 janvier 2023. Le 16 août dernier, l’institut américain de la mesure d’audience Nielsen et le numéro un mondial du e-commerce Amazon ont signé un accord triennal pour mesurer l’audience des retransmissions exclusives des fameux Thursday Night Football (TNF), ces matchs de la NFL joués et très regardés le jeudi soir en général. C’est la première fois qu’une telle convention est signée avec une plateforme de streaming – en l’occurrence les deux d’Amazon.

Le streaming se mesure à la télé
Les audiences de Prime Video et de Twitch sont désormais intégrées à la mesure nationale de la télévision établie par Nielsen. « Nous sommes déterminés à offrir des mesures comparables et complètes de toutes les audiences, sur toutes les plateformes », a lancé Deirdre Thomas (photo de gauche), directrice générale chez Nielsen, en charge de la mesure d’audience aux Etats-Unis. C’est une avancée sans précédent outre-Atlantique, puisque les diffusions des matchs du TNF seront mesurées et analysées comme tous les autres matchs de la NFL et à l’aide du panel de téléspectateurs de Nielsen. Ce qui permettra, selon Deirdre Thomas, de déclarer les mêmes paramètres que dans tous les autres médias audiovisuels nationaux, dont les puissants networks américains de la télévision traditionnelle, et d’établir des tendances continues et de les comparer (2).
Entre TV et SVOD, le nombre de téléspectateurs sur tel ou tel programme sera enfin comparable – notamment avec les audiences de NBC Sports, ESPN, Fox Sports ou encore Turner Sports. « Notre collaboration avec Nielsen nous permettra de fournir aux annonceurs des mesures de campagne habituelles pour faire des “comparaisons comparables” (apples-to-apples) entre leurs investissements multimédias », s’est félicitée Srishti Gupta, directrice de la mesure média chez Amazon Ads (3). D’autant que le géant mondial du e-commerce multiplie les acquisitions de droits de diffusion sportifs, notamment en Europe depuis trois ans (4) et en France où il a décroché la Ligue 1 en juin 2021 (5). Nielsen héberge la majorité des données issues de ses mesures d’audience, quels que soient ses clients, chez Amazon Web Services (AWS). Cette avancée de Nielsen dans le streaming ne plait cependant pas à tous les éditeurs de chaînes de télévision. D’après Variety (6), des groupes télévisuels traditionnels comme NBCUniversal, Paramount Global et Warner Bros. Discovery poussent les marques et les agences vers d’autres solutions de mesure que celles de Nielsen, quitte à les orienter vers les rivaux de ce dernier : ComScore, iSpot ou VideoAmp. Quoi qu’il en soit, la première saison exclusive d’Amazon a vraiment commencé le 15 septembre avec la rencontre « Los Angeles Chargers-Kansas City Chiefs ».
Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à harmoniser la mesure d’audience. Le Royaume-Uni fait des avancées, comme avec le projet Origin Panel initié par l’ISBA (organisation des annonceurs britanniques) et impliquant Kantar (7). En France, Médiamétrie prépare le terrain en sollicitant les plateformes. « Les discussions vont dans le bon sens avec certains acteurs mais nous sommes tenus par la confidentialité de nos échanges », indique son PDG, Yannick Carriou (photo de droite), à Edition Multimédi@. Mais il estime qu’« il faudra à peu près deux ans pour mesurer ces audiences des plateformes car il y a un déploiement technologique à mettre en œuvre ». Le patron de Médiamétrie a donné sur Franceinfo le 30 août un aperçu de la teneur des échanges : « Il y a une discussion sur les conventions pour savoir ce qu’est un téléspectateur d’un contenu Netflix ou Amazon. Pour la télévision, il s’agit de l’audience moyenne du programme de la première seconde jusqu’à la dernière. Netflix, lui, a d’autres indicateurs. Nous voulons que ces indicateurs soient homogènes et équitables pour toutes les parties prenantes » (8).

Médiamétrie se donne deux ans
Selon Médiamétrie, la France compte un peu plus de 10 millions de foyers abonnés à au moins une offre payante de type Netflix, Amazon Prime Video, MyCanal ou encore Salto. Et 8 à 9millions de Français consomment chaque jour un contenu sur l’une de ces plateformes. Mais sur l’Hexagone, les plateformes ne sont toujours pas mesurées comme l’est la télévision. « C’est un problème majeur. C’est un manque majeur dans le dispositif de mesure aujourd’hui », déplore Yannick Carriou. Il a dénoncé – dans une tribune publiée dans Les Echos (9) – les « informations globalisantes et floues, au mieux données au compte-gouttes » par les Amazon Prime Video, Netflix et autres Apple Music. « Ce n’est ni équitable ni viable ! Et pas acceptable quand ces acteurs entendent capter une part des revenus publicitaires ». Révolution en vue. @

Charles de Laubier

TikTok diversifie la monétisation des productions

En fait. Le 2 juin, le média américain The Hollywood Reporter a révélé que TikTok lançait ce mois-ci une série payante intitulée « Finding Jericho » : 4,99 dollars pour les huit épisodes de 30 minutes chaque (dont les deux premiers gratuits). Une première pour le réseau social du groupe chinois ByteDance.

En clair. C’est une première tentative de production payante lancée sur la plateforme « Live Events » de TikTok avec un paiement à l’acte. Il a fallu les révélations de The Hollywood Reporter le 2 juin (1), suivies de celles de TechCrunch le lendemain (2), pour avoir connaissance de cette initiative de monétisation – sans précédent sur le réseau social du chinois ByteDance – d’une production diffusée en exclusivité.
Créée par la société Pearpop, cette comédie satirique utilise la plateforme Live Events que TikTok a lancée il y a près d’un an. Elle permet aux créateurs l’accès à des filtres, à des effets et au contrôle de la caméra. Les créateurs n’ont pas – contrairement à TikTok normal – de limites de temps lorsqu’ils sont en direct. Mais pour la première fois, les fonctions de Live Events ont été utilisées pour diffuser une production préenregistrée, une série. Les outils permettent aux créateurs de mieux planifier leurs prochaines sessions, pour sortir des docu-séries comiques comme « Finding Jericho », en en planifiant et en promouvant leurs événements à l’avance pour susciter l’adhésion de leur communauté. Les fans peuvent découvrir, s’inscrire et recevoir des notifications et des rappels lorsque le « live » est sur le point de commencer. Reste à savoir si TikTok ne sera pas tenté de produire ou coproduire des séries originales à la « Netflix » pour les proposer à son milliard d’utilisateurs dans le monde. Ce qui fait de la filiale de ByteDance un rival potentiel. « Pensez à Live comme une émission de télévision », suggère TikTok (3).
Le réseau social musical – ex-Musical.ly (4) – cherche ainsi à proposer aux créateurs et aux producteurs des outils pour gérer leurs publics et être rémunérés pour leur créativité et leurs productions. Fin mai, TikTok a lancé auprès de certains créateurs (5) la fonction « Live Subscription », afin de leur permettre de proposer un abonnement mensuel pour les fans qui acceptent de soutenir financièrement leurs créateurs préférés. Les fans abonnés payants reçoivent une insigne « abonné » et ont accès à des émoticônes personnalisées et exclusives, ou encore bénéficient d’un « chat » en tant que téléspectateur abonné payant permettant d’échanger directement avec le créateur. Fans et créateurs doivent cependant être âgés d’au moins 18 ans pour souscrire un abonnement payant, et le créateur avoir un minimum de 1.000 abonnés. @

Comment Netflix cherche à rester le numéro un mondial, 15 ans après avoir pivoté dans la SVOD

Netflix a chuté au Nasdaq sous les 200 euros. Mais le groupe fondé par Reed Hastings, dont l’assemblée générale se tiendra le 2 juin, diversifie ses contenus – jusqu’aux productions hybrides « jeu mobile-série télé » – pour ne plus perdre d’abonnés ni licencier, et rester le n°1 mondial.

Pas de panique. Les Cassandres qui voudraient reléguer le numéro un mondial de la SVOD derrière ses concurrents risquent d’être contredits dans leurs sombres prévisions. Certes, Reed Hastings, le PDG fondateur de Netflix a décidé de licencier 150 personnes mais cela ne représente que 2 % (essentiellement aux Etats-Unis) des 11.000 salariés du groupe de Los Gatos. Certes, Netflix a perdu 200.000 abonnés au cours du premier trimestre 2022 mais cela ne représente que l’équivalent de… 0,09 % du parc actuel de ses 221,6 millions de clients dans le monde.

Le « N » rouge reste une cash-machine
Certes, le groupe prévoit encore une perte au second trimestre en cours, de 2 millions d’abonnés. Mais selon les prévisions de Digital TV Research, Netflix restera le grand gagnant de la SVOD en 2027. Alors, les investisseurs n’ont-ils pas surréagi en sanctionnant l’entreprise en Bourse, où son cours s’est effondré de 52,2 %, passant de 348,61 dollars le 19 avril dernier – quelque heures avant l’annonce des résultats du premier trimestre – à 166,37 dollars le 11 mai, son point le plus bas et équivalent au prix de septembre 2017 ?
Le marché de Wall Street, qui s’attendait jusqu’à quelque 5 millions d’abonnés en plus, a sans doute été trop sévère. D’autant que la marge de manœuvre de Netflix reste potentiellement grande si l’on considère que le groupe au « N » rouge dispose à fin mars 2022 d’une trésorerie disponible de 6 milliards de dollars, quand bien même il est endetté à hauteur de 8,6 milliards de dollars. Et Netflix est encore une cash-machine puisque son flux de trésorerie disponible (free cash-flow) pour faire tourner l’entreprise a été de 802 millions de dollars rien que pour les trois premiers mois de l’année. « Nous continuons de nous attendre à ce flux positif pour l’année 2022 et au-delà », avait tenu à rassurer le groupe dans sa lettre à ses actionnaires le 19 avril dernier à l’occasion de la présentation des résultats du premier trimestre. Rappelons que sur l’ensemble de 2021, le géant de la SVOD a réalisé 29,6 milliards de chiffre d’affaires, en hausse de 18,8 % par rapport à l’année précédent. Et ce, pour un bénéfice net de 5,1 milliards de dollars tout de même, en hausse de 85,3% sur un an. Qui dit mieux ? La diversification dans les contenus proposés par la plateforme au logo rouge a déjà commencé avec les jeux vidéo. Sa première incursion remonte à 2017 avec « Stranger Things » (jeu mobile développé par BonusXP et en appli sur iOS et Android) et à 2018 avec « Minecraft: Story Mode » (Telltale Games) utilisant cette fois une télécommande télé. Depuis six mois maintenant, sont proposés aux abonnés de la plateforme vidéo des jeux mobiles, comme l’exclusif « Relic Hunters: Rebels », développé par le studio brésilien Rogue Snail, ou encore « Hextech Mayhem: A League of Legends Story » sorti du studio Riot Forge (Riot Games). « Nous devons continuer à améliorer le service de base, qui propose des séries télé et des films, et maintenant des jeux vidéo que les gens aiment vraiment. C’est ce sur quoi nous mettons vraiment l’accent », a expliqué Theodore Sarandos (photo), co-PDG et directeur général des contenus de Netflix depuis 22 ans, et bras-droit de Reed Hastings.
Avec son cash disponible, le groupe compte bien continuer à se développer dans le jeu vidéo par croissance interne et des acquisitions, afin de développer ses propres titres de jeux comme cela est le cas dans les films et les séries. En septembre 2021, Netflix a racheté la société californienne Night School Studio. Et outre l’acquisition annoncée en novembre 2021 du spécialiste des effets spéciaux Scanline VFX (1), la firme de Los Gatos s’est emparée au premier trimestre 2022 du studio de jeux vidéo américain Boss Fight Entertainment (2), et compte finaliser son offre sur le finlandais Next Games (3) d’ici le second semestre. Mieux, Netflix veut joindre les deux bouts : produire des séries et des jeux autour d’un même titre. Ce sera le cas avec le premier projet « jeu mobile-série télé » autour de la licence « Exploding Kittens », à l’origine du jeu physique de roulette russe dans un jeu de cartes illustrées. Le jeu mobile vient de sortir (4) et la série animée est prévue pour 2023.

Plus de jeux vidéo que de sports
Theodore Sarandos a dit en avril qu’il croyait plus en la rentabilité des jeux vidéo sur Netflix qu’aux sports, même si la plateforme vidéo montre son intérêt en diffusant depuis 2018 la série « Drive to Survive » sur la Formule 1. Netflix s’intéresse aussi au tennis, au golf et aux documentaires sportifs. Mais le jeu vidéo reste prioritaire. « Nous renforçons nos capacités, franchement, plus rapidement que lorsque nous sommes entrés dans le cinéma », s’est félicité Reed Hastings. Il reste à Netflix à mieux éditorialiser sa plateforme vidéo avec des contenus plus attractifs, comme le fait si bien Disney+. @

Charles de Laubier

Le marché de la SVOD (sans pub) semble saturé ; des plateformes s’ouvrent à l’AVOD (avec pub)

The Walt Disney Company l’a confirmé le 4 mars : sa plateforme Disney+, jusqu’à maintenant par abonnement (SVOD), offrira aussi à partir de fin 2022 un accès peu cher financé par la publicité (AVOD). La pression des annonceurs est tellement forte que même Netflix pourrait céder à son tour.

« L’élargissement de l’accès à Disney+ pour un public plus large et à un prix plus bas est avantageux pour tout le monde – les consommateurs, les annonceurs et nos conteurs », a justifié Kareem Daniel (photo), président de Disney Media and Entertainment Distribution (DMED), lors de la confirmation faite le 4 mars du lancement d’ici fin 2022 aux Etats-Unis et courant 2023 pour le reste du monde – d’une offre moins chère de Disney+ financée par de la publicité. Et Rita Ferro, présidente en charge de la publicité chez DMED d’ajouter : « Depuis son lancement, les annonceurs réclament à cor et à cri la possibilité de faire partie de Disney+ » (1).

Disney cède à la pression des annonceurs
La pression des annonceurs en quête d’espaces sur les services de streaming vidéo, encore très dominés dans les foyers par les plateformes par abonnement et sans publicités (SVOD), est telle que The Walt Disney Company a dû céder aux sirènes des marques. Pourtant, en juin 2021, devant des investisseurs réunis par le Credit Suisse, le PDG du groupe, Bob Chapek, avait écarté l’idée d’une offre financée par la publicité (AVOD) : « Nous n’avons pas de tels plans maintenant. Nous sommes satisfaits des modèles que nous avons en ce moment », avait-t-il assuré (2).
Neuf mois après, c’est le contraire. C’est surtout le moyen d’espérer engranger plus rapidement des abonnés, certes low cost, afin de parvenir à son objectif d’atteindre lors de son exercice 2024 (clos fin septembre) de 230 à 260 millions d’abonnés au total à Disney+, soit cinq ans après son lancement aux Etats-Unis. Pour le mythique conglomérat du divertissement et major d’Hollywood, qui fêtera son centenaire en octobre 2023, ce serait la consécration de son déploiement mondial réussi dans le streaming – sous la houlette de Bob Chapek, successeur de Bob Iger depuis plus de deux ans maintenant (3). La date de lancement et le prix allégé par rapport aux 7.99 dollars par mois actuels (ou 8,99 euros) seront connus dans le courant de l’année. Conséquence de l’ouverture dès cette année de Disney+ à l’AVOD, outre le fait que Disney+ Hotstar (4) fasse déjà de la publicité en Inde et en Asie du Sud-Est, ce marché mondial de l’« Advertising Supported Video on Demand » devrait largement dépasser les 66 milliards de dollars en 2026, selon Digital TV Research : « Je pense que les nouvelles prévisions seront supérieures, mais nous les publierons en mai prochain », indique Simon Murray, son analyste principal, à Edition Multimédi@. Autrement dit, dans quatre ans, les revenus en termes d’abonnements de l’AVOD devraient pouvoir plus que doubler par rapport aux 3,7 milliards de chiffre d’affaires réalisés en 2021 dans les 138 pays observés. Les Etats-Unis demeureront sans surprise à la tête de ce marché, suivis par la Chine, le Japon, le Royaume-Uni ou encore l’Inde (voir tableau page suivante).
Digital TV Research pourrait devoir revoir encore à la hausse ses prévisions si Netflix se décidait à son tour à franchir la clôture pour aller voir du côté de l’AVOD si l’herbe y est vraiment plus verte… Ce que le numéro un mondial de la SVOD au logo rouge n’exclut pas. C’est du moins ce qu’a laissé entendre son directeur financier, Spencer Neumann, à la conférence « Technology, Media & Telecom » de Morgan Stanley le 8 mars dernier : « Ne jamais dire jamais, a-t-il répondu à ce sujet. Ce n’est pas quelque chose dans notre plan en ce moment. [Mais] ce n’est pas comme si nous avions la religion d’être contre la publicité. (…) Il est difficile pour nous d’ignorer que les autres le font, mais pour l’instant cela n’a pas de sens pour nous » (5). Cette réponse de Normand ressemble à celle que faisait Bob Chapek, le patron de Disney, il y a neuf mois…
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, pourrait ne pas laisser son rival Disney+ prendre trop d’avance sur ce terrain publicitaire, d’autant que le rythme des nouveaux abonnés ad-free (sans pub) au « N » rouge a ralenti au cours des derniers trimestres, entraînant l’action de la firme de Los Gatos (Californie) dans une chute de plus de 40 % depuis le début de l’année.

Netflix et Amazon Prime Video ralentis
Un accès à Netflix moins coûteux que l’abonnements actuels – de 9,99 dollars à 19,99 dollars par mois, ou de 8,99 euros à 17,99 euros – permettrait peut-être d’inverser la tendance baissière. Plus globalement, en l’état des offres ad-free et des forces en présence, les prévisions montrent que Netflix devrait être dépassé par Disney+ en 2028, d’après Digital TV Research. La montée en puissance des plateformes HBO Max, conjuguée à la plateforme Discovery+ une fois que Warner Bros. Discovery sera opérationnel cette année (6), et Paramount+ (Paramount Global, ex- ViacomCBS), devrait néanmoins pressuriser le parc d’abonnés des deux leaders.
Si l’on rajoute Peacock lancé il y a près de deux ans par NBCUniversal, filiale de Comcast, la question de l’encombrement du marché de la SVOD – proche de la saturation – reste posée dans un marché toujours en croissance. A cette prolifération de l’offre de plus en plus chère, s’ajoute le casse-tête des mots de passe (7), avec le risque de pousser certains à préférer le piratage au légal.

L’AVOD, menace sur les chaînes TV
Selon Digital TV Research, les abonnements mondiaux à la SVOD augmenteront de 550 millions entre 2021 et 2027 pour atteindre 1,75 milliard. La Chine et les Etats- Unis représenteront ensemble près de la moitié (48 %) de ce total mondial dans cinq ans. « Certains ont affirmé récemment que le marché américain de la SVOD était au point de saturation. Même si nous nous attendons à une certaine décélération pour les acteurs plus établis [Netflix et Amazon Prime Video, ndlr], il reste encore beaucoup à faire pour les plateformes plus jeunes comme Disney+, Paramount+ et HBO Max », a nuancé Simon Murray le 17 février dernier. La vidéo à la demande financée par la publicité n’est pas nouvelle. YouTube et Dailymotion sont les plateformes pionnières dans ce domaine. La plate-forme Hulu, lancée la même année que celle de la mise en ligne de Netflix (en mars 2 0 0 7 ) e t d é tenue aujourd’hui majoritairement par Disney (depuis avril 2019) aux côtés de Comcast, s’est développée d’abord avec de la publicité. Des formules d’abonnements ont ensuite été proposées, comme Hulu + Live TV. Peacock joue sur les deux tableaux : de la publicité sur les options « Free » et « Premium », et ad-free avec « Premium Plus ». Quant aux service HBO Max, jusqu’alors faisant partie de WarnerMedia (groupe AT&T), il ne voulait pas entendre parler de publicités. Du moins jusqu’à l’an dernier, se décidant à rajouter une option ad-supported. Et une fois que HBO Max et Discovery+ auront fusionnés, SVOD et AVOD pourraient cohabiter. Selon un rapport de Tubi (le service de streaming gratuit de Fox), entre 20 % et 46 % des foyers américains – selon le nombre d’abonnements SVOD par foyers (de un à cinq ou plus) – regardent aussi des services d’AVOD (8).

140 millions d’Américains ciblés
Aux Etats-Unis, le cabinet d’études et d’informations eMarketer a montré le 10 mars dernier (9) que les plateformes vidéo avec publicités attirent plus de 140 millions d’Américains en 2022, soit 41,6 % de la population étatsunienne. Ses prévisions tablent sur 171,5 millions d’Américains en AVOD d’ici 2026, soit près de la moitié de la population (49,5 %). Sur fond de bataille entre les ad-free et les adsupported, ce sont les chaînes de télévision le plus souvent nationales – payantes et gratuites – qui pourraient être les victimes collatérales de l’avancée de ces acteurs OTT (Over-the-Top) globaux. @

Charles de Laubier