Publicité et live : Netflix devient plus que jamais un concurrent frontal de la télévision traditionnelle

Publicité, live streaming, mesure d’audience : Netflix marche de plus en plus sur les plates-bandes des chaînes de télévision traditionnelles – au point de menacer leur avenir dans leurs pré-carrés nationaux. Et Nielsen commence à comparer la première plateforme mondiale de SVOD avec les TV hertziennes ou câblées.

« Nous avons lancé notre partenariat de mesure [d’audience] avec Nielsen aux Etats-Unis ce mois-ci, en octobre. Nous sommes donc très enthousiastes. Nous avons une longue liste d’autres partenaires dans d’autres pays avec lesquels nous devons offrir la même capacité ; alors nous sommes impatients de le faire », a annoncé le 18 octobre Gregory Peters (photo), co-PDG (1) de Netflix, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats du troisième trimestre.
La première plateforme mondiale de la SVOD est décidée à se mesurer aux chaînes de télévision traditionnelles, au sein même du même agrégat audiovisuel – « The Gauge » – de l’institut américain de mesure d’audience Nielsen. Une révolution dans le « AAL », qui est aux Etats-Unis ce que le « PAF » est à la France (2). Les premiers résultats de « l’engagement » des téléspectateurs aux Etats-Unis portent sur le mois de septembre et montrent que Netflix s’arroge à lui seul chaque jour 7,8 % en moyenne de la part du temps d’écran TV américain. Non seulement, la plateforme de SVOD cocréée il y a plus de 15 ans par Reed Hastings coiffe au poteau les chaînes de télévision traditionnelles, mais elle se place aussi en seconde position – juste derrière YouTube – des grands streamers aux Etats-Unis. Dans le AAL, le streaming vidéo évolue en tête de l’audience audiovisuelle avec un total de 37,5 % de part du temps d’écran TV américain, bien devant la TV par câble (29,8 %) et la TV hertzienne (23 %).

Accord pluriannuel entre Nielsen et Netflix
C’est la première fois que Netflix voit ses contenus en streaming (séries, films, directs) mesurés par le géant américain de la mesure d’audience Nielsen aux côtés des mesures d’audience des programmes des chaînes linéaires de télévision. Octobre marque donc le mois de la concrétisation chiffrée aux Etats-Unis de l’accord pluriannuel qui avait été annoncé par Nielsen et Netflix en janvier dernier. « The Gauge » a d’abord été déployé au Mexique et en Pologne, les deux autres pays concernés par cet accord sans précédent et où les premiers résultats d’audience « TV & Streaming » ont été divulgués à partir du mois de mai (3). Pour ce faire, Netflix a souscrit aux Etats-Unis aux « données de mesure de la télévision nationale de Nielsen et aux évaluations des plateformes de streaming », et au Mexique et en Pologne aux « données d’audience multiplateformes provenant de panels de streaming sur chaque marché respectif » (4).

Bascule de la télé linéaire au streaming
Sur le marché américain, « The Gauge » est un exploit publicitaire et technologique puisque Nielsen a dû batailler face à la résistance de certains groupes de télévision traditionnelle. Cela a commencé l’an dernier lorsque Nielsen a signé le 16 août 2022 un accord triannuel avec Amazon pour mesurer sur Prime Video et Twitch l’audience des retransmissions exclusives des fameux Thursday Night Football (TNF), ces matchs très regardés de la ligue de football américaine NFL. Une première pour une plateforme de streaming. NBCUniversal, Paramount ou encore Warner Bros. Discovery avaient vu rouge, au point d’inciter les marques et agences publicitaires à boycotter Nielsen (5). En vain. « Le plus grand changement dans le domaine du divertissement continue d’être le passage de la télévision linéaire au streaming. Et “The Gauge” de Nielsen montre où les téléspectateurs passent leur temps – et comment leurs habitudes de consommation changent », avait déclaré en janvier Pablo Perez De Rosso (photo ci-contre), vice-président de Netflix, en charge de la stratégie, de la planification, de l’analyse et du financement de contenus.
Ainsi, la firme de Los Gatos (Californie) peut, grâce à Nielsen, monétiser son audience auprès des annonceurs publicitaires, demandeurs de transparence et de comparabilité des mesures entre télé et vidéo. Depuis le lancement il y a près d’un an (le 3 novembre 2022 aux EtatsUnis) de son abonnement moins cher compensé par de la publicité, Netflix met la pression sur le marché publicitaire de la télévision linéaire, dont le potentiel mondial est d’environ 180 milliards de dollars d’après le World Advertising Research Center (Warc). La plateforme de SVOD au « N » rouge, dont le seul tarif à ne pas avoir été augmenté le 18 octobre est celui de l’offre avec publicités (à partir de 6,99 dollars par mois aux Etats-Unis, à 5,99 euros en France et à 4,99 livres sterling au Royaume-Uni), s’active pour attirer à elle les marques encore « linéarisées » (ou « enchaînées », c’est selon). Le co-PDG Theodore Sarandos, qui n’exclut pas à terme le lancement d’une formule 100 % gratuite entièrement financée par la publicité, fonde de grands espoirs sur son offre AVOD (6) à bas prix. Le potentiel pour Netflix réside dans le 0,5 milliard de foyers ayant la télévision connectée dans le monde. « Notre priorité immédiate est que Netflix devienne un achat essentiel pour les annonceurs. Au troisième trimestre 2023, le nombre d’abonnés avec publicités a augmenté de près de 70 % par rapport au trimestre précédent et représente maintenant environ 30 % de toutes les nouvelles inscriptions dans nos 12 pays publicitaires », s’est félicité Netflix dans sa lettre aux actionnaires datée du 18 octobre (7). Entre l’augmentation des tarifs d’abonnements sans publicité, la persistance de l’inflation et la concurrence accrue entre les désormais nombreuses plateformes de SVOD, Netflix risque un désengagement de ses offres « premium ». L’offre avec publicités – qui s’améliore (meilleure qualité d’image depuis avril et la fonction téléchargement à partir de novembre) – pourrait compenser les désaffections. Mais, pour l’heure, la firme de Los Gatos peut encore se targuer d’avoir augmenté son parc d’abonnés mondial, à 247,1 millions au 30 septembre 2023, en hausse de 10,8 % sur un an.
Nielsen va désormais jouer un rôle crucial pour Netflix, y compris dans sa montée en charge dans le live streaming qui va concurrencer là aussi les retransmissions en direct d’événement (sportifs, culturels, …) des chaînes de télévision traditionnelles. Par exemple, sera diffusée le 14 novembre la « Coupe Netflix » (8), un événement sportif en direct d’un tournoi « épique » entre des athlètes de F1 de « Drive to Survive » et des golfeurs de « Full Swing » – deux « drama of sport » (dixit Ted Sarandos), comprenez séries sportives ou docufictions sportifs, qui rencontrent un grand succès sur la plateforme comme encore « Tour de France » (9). « Le direct est un excellent moyen d’étendre les marques de drama of sport que nous avons créées. Nous investissons massivement dans l’augmentation de nos capacités de live », a indiqué Ted Sarandos. Et pourquoi pas aussi acheter des droits sportifs pour les retransmettre en direct : dans le cadre de « Break Point », docusérie dans les coulisses du tennis professionnel (ATP et WTA) diffusé cette année, Netflix a tenté en 2022 de s’emparer des droits de diffusion de l’ATP dans certains pays européens, dont la France, avant de renoncer face à la surenchère des prix.

Netflix, bien plus rentable que la TV
Selon le Wall Street Journal, la plateforme s’intéresse aussi aux droits dans le cyclisme. Mais à condition que le sport en direct soit rentable : « Netflix n’est pas anti-sports, nous sommes juste pro-profits », a déjà dit Ted Sarandos (10). Le groupe de Reed Hastings – lequel est devenu en janvier 2023 président exécutif après avoir été Co-PDG et ne détenant plus que 2 % du capital – table cette année, et selon les calculs de Edition Multimédi@, sur un bénéfice net de 5,4 milliards de dollars, soit un bond de plus de 20 %, sur un chiffre d’affaires prévisionnel de 33,5 milliards de dollars, en hausse de 6,2 % par rapport à 2022. @

Charles de Laubier