Believe, mini major de la musique, veut financer « une grosse acquisition » et songe à entrer en Bourse

Consacré coup sur coup en mars par Tech Tour et par Challenges, le distributeur et producteur de musique Believe cherche à nouveau à lever des fonds pour continuer à croître à l’international. Sony Music aurait pu n’en faire qu’une bouchée l’an dernier, mais les discussions ont tourné court.

Ce n’est ni Universal Music, ni Sony Music, ni Warner Music,
mais Believe (ex-Believe Digital) se voit déjà presque la quatrième major mondiale. C’est même à se demander si l’entreprise française cofondée en 2005 par Denis Ladegaillerie (photo), son actuel président, ne devrait pas à nouveau modifier sa dénomination sociale pour devenir cette fois « Believe Music » afin de se mettre au diapason du « Big Three » de la musique enregistrée. Avec un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros en 2017, en croissance de 40 % sur un an, Believe devrait franchir allègrement le demi-milliard d’euros cette année. Ce qui fait de cette société l’une des licornes potentielles les plus en vue en Europe.

Demi-licorne à 0,5 milliard de dollars
Autant distributeur numérique au service des artistes et labels indépendants que producteur de musique avec ses propres marques (Naïve, All Points et Animal 63), Believe a été identifié comme l’une des 284 pépites à fort potentiel en Europe par Tech Tour (ex-Europe Unlimited) – une société de conseil basée à Bruxelles et proche de l’Union européenne. Bien qu’elle n’ait pas été sélectionnée dans le « 2018 Tech Tour Growth 50 » dévoilé le 13 mars dernier, la mini major de la musique est en passe de rentrer dans le club des licornes – ces sociétés privées non cotées en Bourse affichant un chiffre d’affaires d’au moins 1 milliard de dollars. Pour 2017, si l’on exprime ses revenus en dollars, Believe est déjà une demi-licorne à un demi-milliard ! Mais Denis Ladegaillerie est décidé à mettre les bouchées doubles en accélérant sa croissance déjà à deux chiffres, en misant notamment sur l’international où l’ex-Believe Digital revendique déjà être « le leader mondial de la distribution digitale et des services aux artistes et labels indépendants ».
Cette activité consiste à aider et accompagner les artistes et labels dans une trentaine de pays – avec un effectif de d’environ 500 personnes – en leur fournissant une gamme complète de services : distribution digitale audio et vidéo, marketing digital, promotion, synchronisation, management des droits voisins, ainsi que des labels maison. La mini major joue surtout le go-between entre les indépendants et les plateformes de streaming musical telles que Spotify, Apple Music/iTunes, Deezer ou encore YouTube. Mais cette ambition mondiale, conjuguée à une croissance externe (acquisitions en 2015 de l’américain TuneCore spécialisé dans le self-releasing musical (1), fin 2015
du producteur français de musiques urbaine Musicast (2), et en 2016 du label français Naïve Records fondé par Patrick Zelnik il y a vingt ans (3)), est dévoreuse de capitaux. Les 60 millions de dollars levés en 2015 auprès du fonds californien Technology Crossover Ventures (TCV), lequel est aussi actionnaire de Spotify, ne suffisent plus. «Nous recherchons des partenaires qui pourraient nous aider à financer une grosse acquisition », a confié Denis Ladegaillerie à Challenges qui lui a décerné le 14 mars l’un des cinq Trophées des futures licornes parmi la cinquantaine d’entreprises françaises nominées cette année selon des critères très précis (4) et dans cinq secteurs d’activité différents à forte croissance. L’événement a eu lieu à Paris dans les locaux d’Euronext, l’opérateur de la Bourse du même nom… Or, c’est justement sur l’Euronext que Denis Ladegaillerie étudie actuellement une introduction boursière de Believe. En envisageant de faire appel au marché, il affiche sa volonté d’accélérer la croissance de cette startup de treize ans d’âge, tout en lui apportant une visibilité internationale, tout en se projetant dans le futur.
Augmenter ses fonds propres lorsque son activité est en expansion peut atteindre un certain seuil où les capitaux nécessaires au financement de son développement ne peuvent plus être réunis par les seuls actionnaires fondateurs. L’introduction en Bourse permet de pallier cette contrainte, tout en diversifiant les sources de financement.

Mini major indépendante des « Big Three »
Car l’ADN de Believe est l’indépendance au service des indépendants, avec l’objectif d’attirer de nombreux artistes et producteurs qui ne sont pas disposés à perdre leur âme au sein du quasi triopole mondial constitué par Universal Music, Sony Music et Warner Music. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les discussions engagées il y a un an avec Sony Music – révélées en juillet 2017 par le journal japonais Nikkei – ont tourné court. Pourtant, Denis Ladegaillerie fut de 2010 à 2012 président du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représente en France les intérêts des majors. Mais Believe n’en est plus membre depuis que la société a rejoint l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI). L’indépendance à tout prix. @

Charles de Laubier

EuropaCorp boit le bouillon en Bourse à cause de pertes record, mais les recettes de VOD décollent

La diffusion des films de la major française du cinéma EuropaCorp sur les plateformes de VOD (à l’acte ou par abonnement) a bondi de 114 % en un an
à plus de 17 millions d’euros, d’après ses résultats annuels 2016/2017 publiés
cet été. La consommation de films en ligne dépasse 10 % de ses revenus.

« Actuellement, les films EuropaCorp sont toujours exploités
en France par l’ensemble des acteurs de la VOD (fournisseurs d’accès à Internet et autres opérateurs majeurs comme CanalPlay ou Netflix). Cependant, dans le but de maximiser
la valeur de ses programmes, le groupe étudie l’opportunité économique de réorienter sa stratégie vers des collaborations exclusives avec un nombre réduit de partenaires », a indiqué le groupe de Luc Besson (photo) dans son document de référence annuel publié le 28 juillet dernier, alors que s’organise l’assemblée générale des actionnaires prévue le 27 septembre.

Valoriser en ligne et en exclusivité
C’est ainsi que EuropaCorp avait signé en novembre 2015 un accord-cadre avec Amazon pour l’exploitation en SVOD de ses films sur les Etats-Unis, afin notamment de s’assurer de la visibilité de ses films. L’accord avec le géant mondial du e-commerce, lequel a élargi en décembre dernier la disponibilité de sa plateforme Amazon Prime Video (y compris en France) au-delà de cinq pays initiaux (1), porte aussi sur la diffusion en Pay TV. Cette stratégie de valorisation des films en ligne semble payer puisque le chiffre d’affaires total du groupe en VOD (à l’acte) et en SVOD (par abonnement) dépasse les 17 millions d’euros, en progression de 114 % sur un an (au titre de l’exercice 2016/2017 clos le 31 mars). Le bond de ce mode de consommation des films est très significatif depuis deux ans, avec pas moins de 330 % de hausse cumulée sur cette période par rapport à l’année 2014/2015 où la VOD/SVOD ne dépassait pas les 4 millions d’euros de chiffre d’affaires (2). Cette fois, et pour la première fois, le cinéma à la demande a franchi la barre des 10 % des revenus globaux de la major française – pour peser précisément 11,2 % du chiffre d’affaires. Cette performance est une maigre consolation pour EuropaCorp qui a fait état d’une perte record sur le dernier exercice, à hauteur de près de 120 millions d’euros (3), alors que le chiffre d’affaires a progressé de seulement 2,9 % à 151,7 millions d’euros. Coté à la Bourse de Paris depuis dix ans maintenant, la société de production et de distribution de films cofondée en 1999 par Luc Besson (actuel président du conseil d’administration et premier actionnaire à 31,58 % du capital via notamment Front Line) et Pierre-Ange Le Pogam (parti de l’entreprise depuis plus de six ans mais resté actionnaire minoritaire via Equitis Gestion), boit le bouillon. Le méga-succès du film « Lucy » et son demi-milliard de dollars de recettes dans les salles de cinéma du monde entier – le plus gros succès historique du cinéma français à l’international – avait contribué à limiter les pertes 2015/2016 à 27, 7 millions d’euros. Mais l’année suivante a déçu, faute de blockbusters d’action et de science-fiction qui ont pu faire le succès d’EuropaCorp : « Ma vie de chat », « Oppression » ou encore « Miss Sloane » n’ont pas été à la hauteur.
En ayant produit le film le plus cher de l’histoire du cinéma français, « Valérian et la
cité des mille planètes » qui a coûté 197,5 millions d’euros (125 millions après crédits d’impôts obtenus en France et ailleurs), Luc Besson joue gros à 58 ans. Sortie en juillet, et cofinancée par Orange et TF1, cette méga-production de science-fiction
a rencontré un succès mitigé : bonnes performances en France, bien moindres aux EtatsUnis, et décevantes en Chine malgré son partenariat avec le chinois chinoise Fundamental Films (entré au capital d’EuropaCorp fin 2016). Selon Variety, le seuil de rentabilité du film est à 400 millions de dollars, contre moins de 250 millions de recettes à ce stade.

Mediawan intéressé par EuropaCorp ?
Payant ces échecs successifs, Edouard de Vésinne a été démis le 4 septembre de ses fonctions de directeur général adjoint d’EuropaCorp. L’Américain Marc Shmuger (4), directeur général du groupe, a désormais les coudées franches pour recentrer la stratégie sur la France et tenter de se relancer aux EtatsUnis, alors que des spéculations vont bon train sur la vente éventuelle d’EuropaCorp à Mediawan ou à Fundamental Films (5). Son catalogue étant riche aujourd’hui de 113 films produits et distribués, de 151 films distribués, et de quelque 500 autres films détenus ou sous mandats de gestion, le studio français peut toujours le valoriser en VOD et SVOD. @

Charles de Laubier

Pourquoi l’extension de la licence légale aux webradios n’a pas été jugée anti-constitutionnelle

Maintenant que le Conseil constitutionnel a validé le 4 août l’extension de la licence légale aux services de radio sur Internet – du moins ceux non interactifs ni dédiés à un artiste –, il ne reste plus qu’à la commission « rémunération équitable » de publier les modalités d’application et le barème.

La Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), bras armé du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) représentant les majors de la musique (Universal Music, Sony Music, Warner Music), et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) n’ont pas convaincu le Conseil constitutionnel. Ce dernier a donc rendu le 4 août une décision validant l’extension de la licence légale aux webradios, telle que prévue par la loi « Création » (1) promulguée il y a plus d’un an, le 8 juillet 2016.

Le Spré n’attend plus que le barème
Selon nos informations auprès de Loïc Challier (photo), directeur général de la Société de perception de la rémunération équitable (Spré), il faut encore attente une décision réglementaire de la commission dite « rémunération équitable » – présidée par la conseillère d’Etat Célia Vérot – pour connaître les modalités d’application et le barème de rémunération des ayants droits au titre de la licence légale applicable au webcasting.« Tant que ladite commission (2) n’a pas pris de décision, la Spré est dans l’incapacité de s’organiser pour prendre en compte l’extension de la licence légale aux webradios », nous précise Loïc Challier. La commission « rémunération équitable » s’est, elle, récemment dotée d’une« formation spécialisée des services de radio sur Internet » (3) où sont représentés les « bénéficiaires du droit à rémunération » (SCPP, SPPF, Spedidam, Adami) et les « représentants des utilisateurs de phonogrammes » (Geste, Sirti, SNRL, SRN).
Jusqu’alors, et depuis plus de trente ans que la loi « Lang » du 3 juillet 1985 sur les droits d’auteur existe, seules les radios diffusées par voie hertzienne (FM notamment) ou par câble bénéficiaient de la licence légale qui leur permet de diffuser de la musique, gratuitement pour les auditeurs, sans autorisation préalable des ayants droits mais moyennant une redevance annuelle d’environ 4 % à 7 % de leur chiffre d’affaires versée à la Spré. L’article 13 de la loi « Création » de 2016 a modifié le fameux article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dans lequel il est désormais ajouté que « lorsqu’un [morceau de musique] a été publié à des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer public à (…) sa communication au public par un service de radio (4) ». Mais cette disposition et l’arrêté correspondant
du 13 février 2017 étaient contestés par la SCPP et la SPPF, qui avaient demandé les 10 mars et 20 avril derniers au Conseil d’Etat de les annuler et de renvoyer au Conseil constitutionnel une « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, comme ils menaçaient de le faire depuis plus d’un an (5) (*) (**).
Pour la SCPP, les dispositions d’extension de la licence légale aux webradios « privent les producteurs et les artistes-interprètes de la possibilité de s’opposer à la diffusion d’un phonogramme sur certains services de radio par Internet, entraîneraient une privation du droit de propriété ou, à tout le moins, y porteraient une atteinte disproportionnée ». De plus, les producteurs de musique dénoncent « des atteintes
à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre, dès lors que les producteurs
de phonogrammes et les artistes-interprètes seraient empêchés de déterminer et de négocier le montant de leur rémunération ». Ils estiment en outre « une méconnaissance du droit de propriété » consacré par la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (articles 2 et 17) et étendu à la propriété intellectuelle, les atteintes portées à ce droit devant être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi. Ils rappellent que les artistes-interprètes disposent du « droit exclusif d’autoriser l’exploitation de sa prestation et, le cas échéant, d’en percevoir une rémunération définie par voie contractuelle ». Mais le Conseil constitutionnel s’appuie, lui, sur les dérogations au droit d’auteur comme le prévoir notamment l’article L.214-1 du CPI qui était contesté.
« Les dérogations (…) ne s’appliquent qu’à certains modes de communication au public de phonogrammes dont les artistes-interprètes et les producteurs ont déjà accepté la commercialisation ».

« Un objectif d’intérêt général »
Ainsi, les webradios sont dispensées d’obtenir l’autorisation préalable des artistes-interprètes et des producteurs sauf si elles sont interactives (quand l’utilisateur peut en modifier le contenu) ou si elles sont dédiées « majoritairement » à un même artiste ou d’un même album. Les sages de la rue de Montpensier relèvent en outre que « le législateur a entendu faciliter l’accès des services de radio par Internet aux catalogues des producteurs de phonogrammes et ainsi favoriser la diversification de l’offre culturelle proposée au public [et donc] il a poursuivi un objectif d’intérêt général ». @

Charles de Laubier

Vers un «guichet unique» pour protéger les œuvres – films en tête – sur les plateformes numériques

Un an après la présentation, le 11 mars 2015, du plan gouvernemental de lutte contre le piratage sur Internet, les ayants droit se mobilisent face aux acteurs du Net. Le CNC a lancé une mission pour recenser les techniques de protection des œuvres et prévoir un « guichet unique » pour les producteurs.

La ministre de la Culture et de la Communication, qui était encore Fleur Pellerin avant d’être remplacée au pied levé par Audrey Azoulay, avait chargé le Centre national du cinéma
et de l’image animée (CNC) de mener des actions en vue d’enrichir l’offre légale et de lutter contre les sites Internet d’œuvres piratées.

 

Empreintes, watermarking, fingerprinting, …
C’est dans ce cadre que la présidente du CNC, Frédérique Bredin (photo), a confié à Emmanuel Gabla (ancien membre du CSA, actuellement membre du CGEIET (1)), Olivier Japiot (ancien directeur général du CSA) et Marc Tessier (ancien président
de France Télévisions et actuel président de Videofutur) la mission de mobiliser les auteurs, les producteurs et les plateformes numériques pour faciliter l’utilisation des technologies de protection des œuvres (films, séries, clips vidéo, etc.).
Cette mission « Gabla-Japiot-Tessier » a pour objectif, d’une part, de recenser les
outils et les bonnes pratiques « qui existent déjà chez les ayants droit et chez les intermédiaires de diffusion », et, d’autre part, de préfigurer « un guichet unique qui permettrait à la profession d’avoir accès au meilleur service possible à coûts maîtri-
sés ». Mais cette mission n’aboutira pas à un rapport comme nous l’a indiqué le CNC
à Edition Multimédi@ : « Il s’agit d’une mission avant tout opérationnelle. Il n’y a pas de date ferme fixée, par extension. La mission porte en effet sur la mise à plat des outils d’ores et déjà existants et d’examiner leur faisabilité. Le guichet unique est toujours actuellement à l’état de projet ».
Quoi qu’il en soit, il est toujours difficile aujourd’hui d’y voir clair entre les solutions d’empreintes numériques, de tatouages numériques, de watermarking, de fingerprinting, de filigranes, de DRM (Digital Rights Management), ainsi que parmi les offres techniques Content ID (YouTube/Google), Signature (INA), Audible Magic, Hologram Industries (ex-Advestigo), Trident Media Guard (TMG), Civolution, Attributor, Blue Efficience, … « A l’heure où la diffusion numérique prend une place toujours plus importante dans l’accès aux œuvres, notamment avec le développement de grandes plateformes web de diffusion de contenus devenues incontournables (YouTube, Dailymotion ou Facebook), il est indispensable que les technologies de protection
des œuvres, existantes ou à venir, soient mieux appréhendées et répertoriées par
les professionnels, afin d’être intégrées le plus en amont possible dans les nouveaux modèles de production des œuvres », explique le CNC (2). C’est pour avoir une approche coordonnée dans ce domaine que la mission « Gabla-Japiot-Tessier » a été lancée, en vue d’accompagner les auteurs et les producteurs. Dans un premier temps, cette démarche se fera avec les intermédiaires du Net existants. Et à plus long terme, elle portera sur les outils qui pourront être développés à l’avenir.
La direction de l’innovation, de la vidéo et des industries techniques (Divit) du CNC
sera notamment mise à contribution. Depuis début janvier, c’est Raphaël Keller qui
a été nommé à sa tête. Il fut conseiller « industries culturelles » de la secrétaire d’Etat au Numérique, Axelle Lemaire, avant d’assurer pour elle le suivi de la concertation en ligne à l’automne 2015 sur le projet de loi « République numérique ». C’est un ancien rapporteur de la mission « Acte 2 de l’exception culturelle » (2012-2013) de Pierre Lescure, dont le rapport a été publié en mai 2013. Il y est notamment question de
« détection automatique de contenus » qui suppose des prestataires « fouille » ou
« e-monitoring ». « Ces outils reposent sur la comparaison automatisée (matching) entre les contenus téléchargés par les utilisateurs du site et une base de données d’empreintes (fingerprints) fournies par les ayants droit », explique le rapport Lescure.

Une approche « notice and stay down »
Cela nécessite une coopération volontaire entre hébergeurs et ayants droit, ces derniers fournissant les empreintes pendant que la plateforme compare ces empreintes aux contenus mis en ligne. L’ayant droit est alors alerté lorsqu’une correspondance est établie entre l’oeuvre qui circule sur Internet et son identification numérique. L’avantage est que la plateforme vidéo ou musicale n’a pas à opérer une surveillance généralisée du Net (ce qu’elle se refuse d’ailleurs à faire et qui est surtout interdit). C’est l’ayant droit, et non pas l’hébergeur lui-même, qui rend la décision de bloquer le contenu litigieux sur un mode similaire au « notice and stay down ». « Ces outils présentent
un autre intérêt : sur certaines plateformes, l’ayant droit, informé de la présence d’un contenu sur lequel il détient un droit exclusif, peut choisir entre le retrait de ce contenu et sa “monétisation” (c’est-à-dire le partage des recettes publicitaires générées par ce contenu) », relève encore le rapport.

Lescure en 2013 : pour une base mutualisée
Mais la mission Lescure avait déjà identifié des insuffisances : ils ne sont pas assez utilisés par les ayants droit ; ils ne fonctionnent pas si l’oeuvre est cryptée ; toutes les plateformes numérique ne les utilisent pas ; les plateformes développent chacune leur propre technologie. D’où la recommandation faite à l’époque par la mission « Acte 2 » : « Les pouvoirs publics pourraient accompagner et soutenir une initiative mutualisée visant à créer, pour chaque type d’œuvres, une base d’empreintes unique, couplée
à un dispositif de reconnaissance automatique ». Ce qui faciliterait la détection des contenus protégés. De plus « une telle mutualisation serait particulièrement bénéfique aux plus petits ayants droit qui n’ont pas les moyens de recourir aux services d’opérateurs privés spécialisés dans le e-monitoring ». Le rapport Lescure proposait même que les bases d’empreintes soient hébergées par les responsables du dépôt légal, à savoir l’INA (3), le CNC et la BnF (4), et, à terme, « adossées aux registres publics de métadonnées » à mettre en place. Constituer des bases d’empreintes d’œuvres nécessite d’appliquer des algorithmes de calcul et de stocker les résultats dans une base de données.
En octobre 2007, de grands groupes de télévision et cinéma (Disney, Fox, Viacom, Sony Pictures, CBS, …) ont mis en oeuvre – en partenariat avec des plateformes de partage de vidéo et de musique – une sorte de « réponse graduée privée » à travers l’accord « UGC principles » (5). Dailymotion fait partie des signataires. Ce code de bonne conduite prévoit le recours à des techniques d’identification des œuvres afin
de supprimer ces dernières en cas de piratage. Mais une telle démarche il y a près de dix ans n’a pas fait assez d’émules parmi les ayants droit, particulièrement en France. D’autant que les industries culturelles françaises sont assez réticentes à utiliser des outils de protection développées par des acteurs du Net dont elles se méfient. Le groupe TF1 n’a-t-il pas préféré la solution de reconnaissance d’empreintes numériques de la start-up française Blue Efficience plutôt que l’offre équivalente Content ID de YouTube/Google ? « Le robot Content ID ne permet en effet pas d’identifier les contenus qui ont été habilement déformés par les pirates afin de passer entre les mailles du filet. Ainsi, YouTube héberge actuellement des milliers de films dont la mise en ligne n’a été aucunement approuvée par leurs auteurs », dénigre même son fournisseur (6). Il faut dire que la chaîne du groupe Bouygues avait préféré ferrailler
dès 2008 en justice contre la filiale vidéo de Google qu’il accusait de contrefaçon, alors que YouTube lui proposait d’utiliser Content ID. Ce que TF1 s’est résolu à faire fin 2011 avant de mettre un terme au procès en 2014. De son côté, M6 a préféré en 2012 la solution concurrente Signature de l’INA, tout comme EuropaCorp en 2008, Dailymotion et Canal+ en 2007. En revanche, en France, les ayants droit sont plus prompts à s’attaquer aux sites web pirates qu’à prendre des précautions numériques pour se protéger. Une charte « des bonnes pratiques » a été signée il y a près d’un an, le 23 mars, par les professionnels de la publicité en ligne « pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins ». Et ce, en présence de Fleur Pellerin : « Nous allons lancer une réflexion avec les trois principales plateformes pour nous doter d’outils technologiques efficaces et simples pour le signalement et le retrait des œuvres », avaitelle indiqué.
Ce que l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication avait redit le 10 septembre dernier : « Il s’agit désormais de progresser sur le chemin du signalement
et du retrait des œuvres exploitées illégalement, par l’intermédiaire d’outils technologiques efficaces et performants. Il en existe et je travaille aujourd’hui avec le CNC pour que les producteurs s’en saisissent plus massivement », avait-elle insistée
à l’occasion du lancement du « Comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins » (7).

Bientôt une « liste noire » à l‘Hadopi ?
En attendant une charte « paiement en ligne », Fleur Pellerin avait demandé à Thierry Wahl, inspecteur général des Finances, et à Julien Neutre, nommé l’été dernier directeur de la création, des territoires et des publics au CNC, de poursuivre leurs travaux pour aboutir à une charte d’engagements signée. Quant à l’Hadopi, elle avait confirmé à Edition Multimédi@ qu’elle était déjà prête à gérer la « liste noire » (8) des sites web coupables de piraterie d’œuvres que le gouvernement souhaite mettre en place. @

Charles de Laubier

Ciné : les producteurs veulent leur propre site de VOD

En fait. Le 27 juin, Christophe Lambert, DG d’Europacorp, société de production et de distribution de films dirigée par Luc Besson, a indiqué à l’AFP qu’une réflexion était en cours pour que les producteurs puissent proposer leurs films
et séries sur leur propre service de VOD, directement aux internautes.

En clair. « On réfléchit à une solution qui reviendrait à désintermédiatiser la diffusion numérique, c’est-à-dire que les ayants droits se regrouperaient pour opérer des plateformes de diffusions numériques et de commercialiser directement auprès du consommateur », a indiqué Christophe Lambert. Le directeur général d’Europacorp s’exprimait à l’occasion de la présentation des résultats annuels du groupe français de production de films (1). Et d’ajouter : « Il y a des discussions en cours (…) un peu plus largement qu’au stade français. Cela existe déjà aux Etats-Unis avec Epix ou Hulu.
Les groupes de télévision ont essayé mais n’y sont pas arrivés ; c’est un peu compliqué pour les groupes de TV en France de se parler ». En 2009, M6, TF1 et Canal+ avaient en effet entamé des discussions pour le lancement d’une plate-forme commune de télévision de rattrapage. Mais ce fut sans succès. En mars 2013, M6 avait encore écarté toute plateforme commune avec les deux autres groupes privés de télévision (2). Pourtant, trois mois avant, il s’était montré ouvert à un partenariat SVOD avec TF1, dont le patron Nonce Paolini avait dit quelques jours plus tôt que c’était « une idée intéressante ». En février dernier, Jean-François Mulliez, directeur délégué de e-TF1, s’est dit en faveur d’un « Hulu à la française », alors que Netflix est annoncé pour l’automne en France et que Prime d’Amazon et Wuaki de Rakuten sont en embuscade (lire EM@96, p. 3).
Du côté des producteurs et des ayants droits du cinéma, en revanche, une plateforme commune de VOD/SVOD permettrait de maîtriser la diffusion des films en streaming à la manière d’Hulu (plateforme vidéo lancée en 2007 par News Corp, NBC Universal et Disney) ou d’Epix (joint-venture créée en 2009 entre Viacom/Paramount, MGM/Metro- Goldwyn-Mayer et Lionsgate). En France, « il en existe une : Universciné qui regroupe 30 à 40 producteurs », rappelle Marc Tessier (Videofutur) à EM@. Mais comme l’évoque Christophe Lambert, la plateforme des ayants droits du cinéma ne devra pas être uniquement française. « En France, il y a trop de parts dans le gâteau (trop petit) parce qu’il y a trop d’intermédiaires », a estimé Christophe Lambert. A cela s’ajoute le fait que la VOD est, là aussi pour l’instant, un marché très local. « Mais je ne suis pas sûr que les frontières numériques résistent très longtemps », a-t-il prévenu. @