Nafstars veut devenir le « Sorare » de la musique

En fait. Le 17 juin, a été lancée la plateforme Nafstars, permettant de gagner des cartes ou des jetons en jouant selon le principe du « play-to-earn ». A l’instar de la plateforme Sorare dédiée aux fans de foot et de ses joueurs, Nafstars propose aux fans de musiciens de « gérer leur propre label avec de véritables artistes sous forme de NFT ».

En clair. Malgré l’effondrement du marché mondial des NFT ces derniers mois (1), les industries culturelles restent attirées par l’écosystème de ces jetons non-fongibles gérés et authentifiés par la blockchain. La musique n’y échappe pas. Après Audius, Bolero Music, Limewire, Pianity ou encore Tamago qui sont les pionniers de la « NFTéisation » de l’industrie musicale (2), voici un nouvel entrant : Nafstars, société niçoise cofondée par Romain Delnaud, ancien directeur de label chez Universal Music où il fut auparavant directeur des opérations internationales, Cyril Braun, producteur d’artistes à succès (Aldam Production), et Jean-David Pautet qui préside l’entreprise dont il est l’un des coactionnaires.
Ce dernier est par ailleurs coactionnaire de Sorare, plateforme française lancée en 2019 et cofinancée par Softbank pour collectionner des cartes et des jetons NFT autour de footballeurs préférés des fans. Nafstars s’en inspire pour se développer dans le domaine de la musique avec ses tokens « $Nstars » et ses cartes NFT. Attendue depuis le début de l’année, la plateforme basée sur la blockchain Polygon a été lancée officiellement le 17 juin lors d’une rencontre organisée sur la croisette à Cannes, une semaine après le Midem – Marché international du disque et de l’édition musicale – qui s’y tenait. Il s’agit d’un jeu dit « play-to-earn » (P2E), catégorie qui monte en puissance dans le Dixième art (3), « qui permet aux joueurs de gérer leur propre label avec de véritables artistes sous la forme de NFT ». Le joueur peut notamment collectionner des cartes NFT sous licence exclusive afin de constituer son propre label. Plusieurs artistes ont signé avec Nafstars (d’Eva Queen à Jacky Brown en passant par Bolemvn, Blaya et Calema), qui compte parmi ses partenaires NRJ (groupe de Jean-Paul Baudecroux), Fun Radio (groupe M6), Trace (Modern Times Group) et Universal Music (spin-off de Vivendi).
La première des majors mondiales « du disque » permet la vente de cartes physiques avec code lors des tournées des artistes. La start-up Nafstars a obtenu le soutien de la banque d’investissement publique Bpifrance, notamment pour « le paiement des minimums garantis demandés par certains ayants droits internationaux », et a annoncé en avril dernier avoir levé 1,7 million de dollars. L’ambition de la plateforme est de s’imposer dans le secteur du divertissement. @

La bulle « NFT » a-t-elle éclatée ? A moins que les jetons non-fongibles ne reprennent leur souffle

Selon les constatations de Edition Multimédi@ et d’après la plateforme NonFungible de tracking en temps réel du marché mondial des jetons non-fongibles, les fameux NFT, les ventes de ces actifs numérique certifiés par la blockchain ont retrouvé les niveaux d’il y a un an. Pour mieux rebondir ?

Les NFT ne sont pas morts ; ils bougent encore. Ces actifs numériques appelées « jetons non-fongibles » continuent plus que jamais à faire office de certificat d’authenticité inviolable pour propriétaire détenteur d’un bien numérique voire d’un bien physique associé. Cet « acte de propriété » est certifié sur une des nombreuses blockchains disponibles, ces chaînes de blocs cryptées de bout en bout qui permettent d’assurer la traçabilité des transactions dont fait l’objet le bien rare – et cher ? – possédé.

Retour au niveau de juin 2021
D’après l’historique sur un an arrêté au jeudi 26 mai par Edition Multimédi@ à partir des données de la plateforme d’analyse de marché de la société canadienne NonFungible, le marché mondial des NFT a retrouvé les niveaux d’il y a un an. Le nombre de transaction n’est plus que de 15.514 ventes sur cette journée-là pour une valorisation totale de 17 millions de dollars (voir graphique ci-dessous). Autant dire qu’il y a eu une sorte d’éclatement de bulle « NFT » depuis les records atteints l’an dernier, à 224.768 ventes le 24 septembre 2021 pour un total de valorisation de 78,3 millions de dollars ce jour-là. Quant au nombre de vendeurs ou d’acquéreurs actifs de ces tokens de propriété, c’est-à-dire les utilisateurs détenteurs de portefeuilles actifs (active wallets), il n’est plus que de 12.000 à cette même date du jeudi 26 mai comparé aux quelque 120.000 de l’automne dernier. La société NonFungible, basée dans la Nouvelle-Ecosse au Canada et cofondée en 2018 par le Canadien Daniel Kelly alias Dan (avatar de gauche) et le Français Gauthier Zuppinger alias Zoup (avatar de droite), a débuté en suivant les transactions en temps réel de la place de marché Decentraland, pour ensuite étendre son tracking à l’ensemble de la blockchain Ethereum sur laquelle s’appuie aussi bien d’autres plateformes (The Sandbox, OpenSea, Polygon, Rarible, Sorare, Cryptokitties, Audius, Shiba Inu, …). Les données sont collectées directement par NunFungible via des « Blockchain Nodes » afin de suivre 100 % de l’activité des jetons à la norme ERC-721 (1) établie en janvier 2018. Le marché des NFT n’est pas le seul à avoir subi un « krach » puisque, dans un contexte d’inflation, de remontée des taux d’intérêt obligataires et de guerre, l’ensemble de places financières ont sérieusement accusé le coup ces dernières semaines – du Nasdaq (la Bourse newyorkaise de valeur technologique à forte croissance) au cryptomonnaies (le bitcoin en tête), comme l’explique bien l’économiste Marc Touati dans une vidéo démonstrative publiée sur YouTube le 17 mai (2). « L’année 2022 est bien celle de la fin des excès financiers et du retour à la réalité », explique-t-il.
Les NFT, dans le sillage de la chute des cryptomonnaies plus que jamais volatiles, n’échappent pas à ce brusque atterrissage. La société NonFungible a montré dans son « NFT Market Report » portant sur le premier trimestre 2022 que la fin de l’euphorie amorcée fin 2021 s’est confirmée sur les trois premiers mois de l’année. En un an, le nombre des ventes a baissé de presque moitié (47 %) à 7,4 millions et le nombre de d’acquéreurs de près d’un tiers (31 %) à un peu plus 1,1 million. Résultat sur un an : les ventes en valeur ont reculé au premier trimestre de 4,6 %, à 7,8 milliards de dollars (3).
C’est une douche froide par rapport à l’année 2021 qui a affiché (4) des performances record : le nombre des ventes avait bondi de… 1.836 % par rapport à l’année précédente, à plus 27,4 millions, et le nombre de d’acquéreurs de… 2.962 %, à plus de 2,3 millions. Résultat en 2021 : les ventes en valeur avaient explosé de… 21.350 %, à 17,7 milliards de dollars (5). Mais rien ne dit que l’année 2022 ne va pas rebondir et les NFT retrouver des sommets. @

Charles de Laubier

Les écosystèmes play-to-earn séduisent le jeu vidéo, où éditeurs et joueurs sont gagnants

P2E : trois lettres qui pourraient rapporter gros aux joueurs assidus. Perdre son temps à jouer en ligne ou gagner des revenus en jouant ? L’ère du play-to-earn a vraiment commencé en 2021 et se confirme cette année. Les « récompenses » sont payées en jetons non fongibles (NFT) ou en cryptomonnaies.

Grâce à la technologie chaîne de blocs, ou blockchain, l’industrie du jeu vidéo est en train d’étendre son domaine de la lutte aux play-to-earn (P2E) voire au create-to-earn (C2E) : jouer et créer pour gagner des récompenses ou des rémunérations. L’appât du gain aidant, de nombreux éditeurs – historiques comme le français Ubisoft ou start-up comme la vietnamienne Axie Infinity et la française The Sandbox financées par des levées de fonds – ont entrepris de surfer sur cette tendance aux promesses lucratives. Mais il reste à en démocratiser l’usage.

Blockchain Gaming, NFT et… hacking
Ubisoft a lancé en décembre 2021 la plateforme Quartz (1) en version bêta. « C’est l’endroit où vous pouvez acquérir des Digits, les premiers NFT d’Ubisoft, jouables dans un jeu HD stockés sur la chaîne de blocs Tezos », explique le groupe fondé par les frères Guillemots (2). Les jetons non fongibles Digits offrent plus de contrôle au joueur : « Alors qu’ils sont d’abord et avant tout des objets jouables, les Digits vous permettent de mettre vos objets en vente auprès d’autres joueurs éligibles, quand vous voulez et au prix que vous définissez. De même, vous pouvez acheter de nouveaux articles directement auprès d’autres joueurs. Toutes ces transactions auront lieu sur les marchés tiers autorisés, Rarible.com ou Objkt.com, pas sur Ubisoft Quartz ». Les premiers Digits sont jouables sur la version PC de « Tom Clancy’s Ghost Recon Breakpoint », un jeu vidéo à gros budget de tir tactique en ligne sorti en 2019 et disponible sur la plateforme de distribution Ubisoft Connect.
Les Digits proposés sont en nombre limité, chacun numéroté, et peuvent représenter un objet de collection unique et jouable dits « cosmétiques » dans le jeu. Ceux-ci peuvent aller des véhicules in-game aux armes sous la forme de pièces d’équipement (une arme, un vêtement, un casque, …). Les objets en jeu ne sont plus censés rester dans l’inventaire du joueur. Ubisoft entend ainsi « récompenser les joueurs les plus loyaux » plutôt que « des spéculateurs » (dixit Nicolas Pouard, en charge de l’innovation chez Ubisoft). C’est en tout cas la première major du jeu vidéo à se lancer, avec Quartz, dans le Blockchain Gaming (3) et le play-to-earn. Et ce, malgré l’accueil plutôt frais réservé par des gamers et certains développeurs à l’annonce de Quartz l’an dernier. Par ailleurs, le groupe Ubisoft dirigé par Yves Guillemot (photo de gauche) a notamment investi dans la start-up vietnamienne Sky Mavis qui a développé en 2018 Axie Infinity, un jeu P2E basé sur la blockchain Ethereum et précurseur des jeux à NFT. Lors d’un premier tour de table, elle avait levé près de 150 millions de dollars avec l’aide de Marc Andreessen (4) et Ben Horowitz via leur fonds Andreessen Horowitz, alias A16z (5). Ce qui a valorisé Sky Mavis 3 milliards de dollars. Axie Infinity est un jeu de combat où les joueurs collectionnent des créatures certifiées par NFT et appelées Axies qu’ils élèvent (ces petits monstres se reproduisent) et combattent, ou revendent (en spéculant sur les plus rares), pour obtenir des récompenses en mode play-to-earn sous forme de cryptomonnaie. Les joueurs peuvent aussi acquérir des terrains virtuels. Dans l’univers effervescent du Blockchain Gaming, ce jeu est considéré comme le plus important projet. A février 2022, d’après Forkast, Axie Infinity – qui revendique quelque 2,8 millions de joueurs actifs chaque jour en moyenne – a franchi la barre des 4 milliards de dollars de ventes dans son écosystème (6). Le bien le plus cher s’est vendu 820.000 dollars (7).
« Axie est un jeu animalier numérique axé sur la communauté qui remplace le modèle de jeu traditionnel violent, et permet aux joueurs de gagner de l’argent tout en luttant, en élevant et en construisant un royaume avec leurs amis. Axie est inspiré par des jeux classiques comme Pokémon, Neopets ou Tamagotchi. », décrit Trung Nguyen (photo de droite), le cofondateur et directeur général d’Axie Infinity (le studio Sky Mavis ayant été, lui, cofondé par Aleksander Leonard Larsen, Jeffrey Zirlin). Mais, fin mars, ce crypto-jeu de combats virtuels a été victime d’un cyber piratage bien réel des détenteurs du wallet Ronin, dont le butin des hackers s’élève à 620 millions de dollars (8). Comme pour regagner la confiance des gamers, l’éditeur a lancé début avril un jeu free-to-play appelé « Origin » (9).

Les « toqués » du token
Sur le P2E, un NFT Axie peut être utilisé pour générer un maximum de 10.000 dollars de revenus. Au delà, il faut la signature d’un accord de licence officiel. Les revenus peuvent provenir soit de « fan-art », c’est-à-dire une œuvre (tokenisée ou physique), réalisée par un fan et s’inspirant d’un ou de plusieurs personnages, d’une scène ou de l’univers numérique lui-même, soit de marchandises (t-shirts, sweats/hoodies, tasses, etc.). Avec son écosystème playto- earn, ou play & earn, Axie se définit comme un nouveau type de jeu « partiellement possédé et exploité par ses joueurs ». Les gamers peuvent gagnez des jetons AXS – Axie Infinity Shards – en jouant, et les utiliser pour décider de l’avenir du jeu. Ces tokens sont le ciment de toute la communauté Axie. « Les détenteurs d’AXS pourront réclamer des récompenses s’ils mettent en jeu leurs jetons, jouer et participer à des votes-clés sur la gouvernance du jeu », est-il expliqué dans les règles du jeu. Les AXS sont disponibles sur les plateformes d’échange décentralisé de cryptomonnaies Binance ou Uniswap.

Un « bac-à-sable » lucratif
Les métavers, eux aussi, tendent à intégrer dans leurs univers virtuels immersibles un écosystème P2E voire create-to-earn (C2E). C’est le cas de l’écosystème The Sandbox, qui, comme son nom le suggère, est un jeu vidéo de type « bac-à-sable » s’appuyant sur la blockchain Ethereum pour les transactions de bien virtuels ou les récompenses. Ce métavers fut développé au départ – il y a dix ans – par la société française Pixowl et édité par Bulkypix. Ce jeu, créé d’abord pour mobile, fut revendu en 2018 à la société hongkongaise Animoca Brands, mais les deux fondateurs français – Arthur Madrid et Sébastien Borget – restent respectivement directeur général et directeur des opérations. Ce dernier est président de la Blockchain Game Alliance (BGA). Sur son smartphone ou son ordinateur (PC ou Mac), le joueur peut créer sur The Sandbox son propre univers à travers l’exploration de ressources (eau, sol, foudre, lave, sable, …), d’humains et d’engins, le tout dans un univers 3D aux graphismes similaires à ceux de Minecraft ou de Roblox. Il peut aussi enregistrer les mondes qu’il a créés et éventuellement les télécharger dans une galerie publique. The Sandbox, dont la version « Alpha Saison 2 » vient d’être lancée (10), peut récompenser jusqu’à 1.000 dollars en jetons « Sand », propre à ce jeu décentralisé, avec le nouveau pass. C’est au cours de l’année 2024 que la totalité des tokens « Sand », à savoir 3 milliards, seront en circulation dans ce métavers, contre un peu plus de 1 milliard en mars 2022 – où l’on compte à ce stade 20.307 propriétaires possédant au total 170.968 jetons (11).
En outre, le 16 mars dernier, la banque internationale HSBC (basée à Hong Kong et à Shanghaï) a annoncé qu’elle ouvrira aux communautés virtuelles du monde entier du métavers The Sandbox de nombreuses possibilités financières et sportives. Par exemple, HSBC va acquérir une parcelle de « Land », un bien immobilier virtuel dans ce métavers, qui sera développé pour interagir et se connecter avec les amateurs de sports, d’esport et de jeux vidéo. HSBC n’est pas le premier partenaire du « bac-à-sable » en 3D puisque de nombreuses autres marques (plus de 200 à ce jour) se sont déjà lancées dans l’aventure tels qu’Ubisoft, Adidas, Warner Music Group, Atari, Gucci ou encore Cryptokitties (12). Le français Ubisoft, encore lui, a annoncé début février qu’il rejoint The Sandbox pour permettre aux joueurs d’intégrer des personnages et des objets de la série de jeux « Les Lapins crétins » (Raving Rabbids en anglais). Outre ce partenariat autour de cette franchise multimédia, Ubisoft aura son propre « Land » comme destination de divertissement proposant des expériences interactives. Les deux fondateurs français de The Sandbox ont conçu ce métavers intégrant P2E et C2E avec l’idée que ce jeu en 3D pourrait être à terme en-tièrement géré par sa communauté en tant qu’organisation autonome décentralisée de type DAO (Decentralized Autonomous Organization).
Selon la Blockchain Game Alliance (BGA), le play-to-earn associé au Blockchain Gaming est une nouvelle étape majeure pour l’industrie des jeux vidéo. Les consommateurs auront plus de contrôle sur les jeux et en récolteront les bénéfices. Cette tendance va créer de nouvelles opportunités de chiffre d’affaires, dont profiteront aussi les joueurs. «68% de nos membres affirment que le play-to-earn a été le principal moteur de la croissance de l’industrie », indique la BGA dans son rapport 2021 (13). En Asie, notamment, les thèmes de metaverse et de play-to-earn sont les plus discutés en ligne (réseaux sociaux et moteurs de recherche) ainsi que dans les médias. « Avec le play-to-earn permettant de gagner la propriété d’objets ou d’actifs, les joueurs deviendront une partie intégrante du système plutôt que des consommateurs passifs. Les jeux de blockchain seront l’outil le plus puissant pour amener les crypto-curieux au Web3 et convertir l’intérêt en participation », assure Supreet Raju, cofondateur de OneRare, un jeu de « métavers alimentaire » (14), cité par la BGA. Le P2E et le C2E, boostés à la blockchain et au métavers, pourraient donc « disrupter » l’industrie du jeu vidéo en redonnant la main aux joueurs et en les rémunérant pour leur activité dans le jeu.

De la consécration du farming
Le play-to-earn ou le create-to-earn tirent leur origine de la pratique du farming, laquelle consiste dans un jeu vidéo en ligne – notamment ceux dits massivement multi-joueurs ou MMORPG (15) comme l’historique « World of Warcraft » – à passer du temps à jouer et à rejouter pour accumuler des gains, de l’argent, des objets, ou de l’agilité en s’entraînant sans cesse et en améliorant sa performance afin de monter en niveau et de s’enrichir. Avec la multiplication des P2E, dont on peut citer aussi Polychain Monsters, Alien Worlds, Mobox, Bomb Crypto, Mist, Illivium, Sorare ou encore Neoland (sur la blockchain Solana), les opportunités sont nombreuses (16) mais… « le temps c’est de l’argent » est limité. @

Charles de Laubier

Yves Guillemot n’exclut pas de vendre (cher) Ubisoft

En fait. Le 17 février, le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot a indiqué que « s’il y avait une offre d’achat [sur son groupe], le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les parties prenantes ». Cinq ans après avoir mis en échec Vincent Bolloré (Vivendi) qui voulait s’en emparer, Ubisoft n’exclut pas d’être racheté.

En clair. Le français Ubisoft Entertainment, l’une des premières majors mondiales du jeu vidéo, n’est pas à vendre mais ne s’opposerait pas à être cédé au prix fort. C’est ce qu’a laissé entendre le PDG cofondateur du groupe, Yves Guillemot, lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier. « Nous avons toujours pris des décisions dans l’intérêt de nos parties prenantes, qui sont nos employés, nos joueurs et nos actionnaires. Ubisoft peut rester indépendant : nous avons le talent, l’échelle financière et un large portefeuille de propriétés intellectuelles originales. Cela dit, s’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », a-t-il dit. Peu après, le directeur financier du groupe, Frédérick Duguet, a tenu à préciser : « Nous ne spéculerons pas sur les raisons pour lesquelles les gens n’ont fait aucune offre ». Et Yves Guillemot d’ajouter aussitôt : « Ou si une offre a été faite ». La direction du groupe familial – fondé il y a plus de 35 ans par les frères Guillemot – se refuse donc à en dire plus sur l’intérêt potentiel d’un candidat, ou plusieurs, au rachat d’Ubisoft, mais elle n’en fait pas non plus un sujet tabou. D’autant que des rafales de consolidations soufflent depuis le début de l’année sur le marché mondial des éditeurs de jeux vidéo : Microsoft s’est emparé d’Activision Blizzard pour près de 70 milliards de dollars ; Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga pour 11 milliards de dollars ; Sony a racheté Bungie pour 3,6 milliards de dollars Ce n’est pas la première qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt (1) – a cherché à lancer une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Rayman », « Les Lapins Crétins » ou encore « Just Dance », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft (2).
Mais les frères Guillemot ont tenu tête à Vincent Bolloré – Breton comme eux (3). Si Vivendi a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 pour Ubisoft (4). Avec les perspectives alléchantes des métavers et des NFT dans le jeu vidéo (play-to-earn), des acheteurs potentiels tels que Netflix, Amazon, Tencent, Byte Dance (TikTok) ou encore Sony sont en embuscade pour faire des offres. A moins que Microsoft ne remette au pot. @

Questions autour des plateformes d’intermédiation des « NFT », tickets d’entrée de l’économie 3.0

Après l’« ubérisation » de l’économie, voici la « tokenisation » des marchés, où les jetons nonfongibles – dits NFT – vont devenir monnaie courante : art, jeux vidéo, musique, livre, cinéma, … Mais cette « monétisation 3.0 » via des plateformes d’intermédiation soulève bien des questions.

Par Sandra Tubert et Laura Ziegler, avocates associées, Algo Avocats

Depuis plusieurs mois maintenant, les applications pratiques des « NFT » (Non- Fungible Tokens) se multiplient et différentes typologies d’acteurs s’y intéressent : des éditeurs de jeux vidéo aux plateformes d’échange de crypto-art, en passant par les marques de luxe, les start-up proposant de monétiser des données (1) ou de créer de la valeur autour de leurs services. Cela se propage aussi aux autres industries culturelles souhaitant utiliser ces jetons non-fongibles, donc non-interchangeables et authentifiés sur une chaîne de blocs (blockchain), pour monétiser leurs œuvres (musiques, films, livres, etc.).

Tokenisation : vers l’économie Web 3.0
Employés pour une multitude d’usages et à même de « disrupter » de nombreux marchés, notamment en raison de leur nature spéculative (inhérente aux opérations de revente successives qu’ils facilitent), ces NFT suscitent à ce jour un engouement tout particulier dans le domaine de l’art, et plus largement des objets de collection, des jeux vidéo ou du sport. Ce recours grandissant à la blockchain pour gérer des actifs numériques en leur associant une unité de donnée non modifiable – tendance innovante appelée aussi « tokenisation » – participe de l’avis de certains à l’essor d’une nouvelle « économie numérique » apportant son lot de nouvelles opportunités et, inévitablement, de questionnements.
En France, selon le code monétaire et financier (CMF), un « token » (jeton) est un bien incorporel représentant sous forme numérique un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés sur une blockchain permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire du bien (2).
Au cœur des dispositifs décentralisés co-existent plusieurs typologies de jetons cryptographiques, qui peuvent donner lieu à de nombreuses applications. Parmi celles-ci, les NFT – concept inventé en septembre 2017 par Dieter Shirley (3) – occupent le devant de la scène depuis plusieurs mois. Ils ont pour particularité, à la différence de la cryptomonnaie (4) comme le bitcoin ou d’autres actifs numériques émis dans le cadre de levées de fonds de type ICO (5), d’être par nature non-fongibles, donc uniques et non interchangeables par un actif du même type. Identifié par le « contrat intelligent » ou smart-contract qui le génère, chaque NFT dispose d’un numéro unique d’identification et ne peut être reproduit. Cette particularité en fait son plus grand atout puisqu’elle permet ainsi d’apporter, en particulier aux biens numériques, la rareté et l’unicité qui leur faisaient défaut. D’un point de vue juridique, la qualification des NFT est débattue. En effet, les définitions d’« actifs numériques » proposées en France par le CMF (6) – renvoyant, pour l’une, à la définition de « jetons » précitée (mise en place dans le cadre de la réglementation des ICO), et, pour l’autre, à la définition des cryptomonnaies (7) – ne sont pas totalement satisfaisantes en ce qu’elles ne sont pas adaptées au caractère non fongible du NFT. Il sera donc plus prudent de rechercher la qualification juridique des NFT en fonction des actifs qu’ils représentent et des droits qu’ils confèrent (8).
Le domaine de l’art reste l’un des principaux terrains de jeux des NFT (9), en témoignent notamment la vente record de l’œuvre numérique « Everydays: the First 5 000 Days » du crypto-artiste Beeple pour 69,3 millions de dollars en mars 2021 (10) et la levée de fond de 300 millions de dollars d’Opensea, l’une des principales plateformes de marché du domaine. Mais l’utilisation de ces NFT soulève des questions, à la fois sur la qualification du NFT lui-même et des droits qu’il confère, ainsi que sur le cadre contractuel offert par les plateformes d’échanges. Lorsqu’il est utilisé dans le domaine de l’art, le NFT ne doit pas être confondu avec l’œuvre numérique à laquelle il est attaché. Il est un actif distinct de l’œuvre elle-même.

NFT acheté et droits sur l’œuvre
D’ailleurs, le NFT en tant que tel ne remplit pas les conditions pour être lui-même une œuvre de l’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle (CPI). C’est en réalité un token standard, sous licence open source, qui ne constitue pas une œuvre de l’esprit (11). Ce jeton non fongible permet plutôt d’identifier l’œuvre concernée, d’attester de son intégrité et de son auteur, ainsi que de rattacher l’œuvre unique – identifiée par ce moyen – à ses propriétaires successifs. De sorte que le NFT s’apparente à un titre de propriété et à un certificat d’authenticité. Le NFT ne doit pas non plus être assimilé au support de l’œuvre qu’il désigne. En effet, le droit d’auteur distingue depuis toujours l’œuvre en tant que telle, sur laquelle s’appliquent les droits de propriété intellectuelle (droits patrimoniaux et moraux), et son support matériel, lequel peut être cédé indépendamment des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre. Le NFT ne fait ainsi qu’identifier l’œuvre par des pratiques qui peuvent varier (adresse URL vers sa représentation, simple référence, etc.). En réalité, l’œuvre numérique liée au NFT est la plupart du temps stockée et hébergée sur un serveur distinct en dehors de la blockchain sur laquelle le NFT est créé – à savoir sur un cloud, sur l’espace de stockage d’une galerie virtuelle, etc.

Encadrement possible et nécessaire
Sur les plateformes d’intermédiation, l’acquéreur de NFT achète en réalité un titre de propriété sur une œuvre numérique telle qu’identifiée dans le smart contract attaché au NFT. Il n’acquiert en aucun cas, automatiquement, l’ensemble des droits de propriété intellectuelle attachés à cette œuvre numérique, à l’exception du droit d’en jouir et de l’exposer dans son cercle privé (notion relativement peu adaptée dans le monde numérique dans lequel le NFT a vocation à circuler). En effet, en droit français (12), toute cession de droits de propriété intellectuelle sur une œuvre doit être écrite et respecter les formes exigées par le CPI pour être valable. Or, les plateformes d’échange de NFT, telles qu’Opensea et Rarible par exemple, ne permettent pas techniquement et facilement à ce jour aux créateurs et aux acheteurs de formaliser les conditions d’une telle cession via ces plateformes. L’enjeu en pratique pour les créateurs et les acheteurs de NFT est donc de pouvoir, via ces plateformes d’intermédiation, encadrer contractuellement, et dans les formes exigées par la loi, les autorisations accordées pour l’exploitation des œuvres : supports sur lesquelles elles peuvent être diffusées, reproduction, merchandising, etc. Cela est d’autant plus important que les NFT évoluent par nature dans un environnement numérique complexe (diversité des supports de diffusion, métavers, …) et qu’il sera essentiel dans ce contexte pour les acheteurs de connaître les droits d’exploitation dont ils disposent sur l’œuvre numérique. A défaut, les acheteurs s’exposent à des risques en matière de contrefaçon en faisant une utilisation non autorisée par l’auteur de l’œuvre identifiée par le NFT. Il est donc dans l’intérêt de chacun des acteurs d’encadrer un tel sujet. Cette cession de droits d’auteur qui précisera de manière détaillée les droits consentis à l’acheteur pourrait être matérialisée de différentes manières. On pourrait imaginer que le smart contract à l’origine de la création du NFT programme une transmission de la titularité des droits d’auteur sur l’œuvre accompagnant la création et la transmission du jeton, ce qui sera possible uniquement si le langage de programmation du smart contract le permet. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas de la majorité des plateformes. La mise en place d’un document autonome (rédigé par un avocat), vers lequel le smart contract pourrait renvoyer, serait également une solution. Par ailleurs, il serait envisageable, en pratique, de résumer les droits cédés dans les attributes du NFT, qui sont une sorte d’encart permettant d’intégrer une description succincte du bien et de ses caractéristiques. Dans ce dernier cas, les formes exigées par le CPI ne serait toutefois pas tout à fait respectées, de sorte que cette solution ne sera pas pleinement satisfaisante. Il n’est pas impossible par ailleurs que les plateformes d’intermédiation, à l’image de ce qu’ont pu faire les places de marché (marketplaces), mettent à disposition des créateurs de NFT une section ou un outil sur la plateforme leur permettant de préciser les conditions de cession attachées à leurs NFT.
Les utilisateurs de ces plateformes doivent par ailleurs avoir conscience des risques inhérents à l’utilisation de celles-ci, notamment l’acquisition d’œuvres contrefaisantes. Depuis quelques jours, la plateforme Opensea a mis elle-même en lumière ces problématiques en dévoilant sur Twitter que « plus de 80 % des articles créés avec cet outil [gratuit] étaient des œuvres plagiées, de fausses collections et du spam » (13). Rien d’étonnant puisque, en qualité d’intermédiaires, ces plateformes n’effectuent aucune vérification quant à l’identité à la fois des créateurs de NFT, au fait qu’ils aient ou pas la qualité d’auteur à l’origine de la création de l’œuvre ou de titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre, ou encore quant à l’authenticité ou la licéité ou non des contenus que les utilisateurs se proposent d’y échanger. D’une manière générale, les plateformes d’échange de NFT, telles que Opensea et Rarible, ne fournissent aucune garantie sur les transactions facilitées par le biais de leurs plateformes. Elles mettent toutefois en place un mécanisme de notification des contenus contrefaisants et illicites conformément aux exigences des lois locales qui leurs sont applicables, à savoir majoritairement à ce jour la loi américaine.

Eviter la « contrefaçon 3.0 »
Conscientes de l’importance d’instaurer une confiance nécessaire pour pérenniser leurs développements et d’éviter une explosion de la « contrefaçon 3.0 », les plateformes d’intermédiation semblent se saisir du sujet mais elles peinent toutefois à trouver des solutions concrètes pour endiguer l’échange d’œuvres contrefaisantes. Par exemple, récemment, Opensea avait annoncé limiter la création de nouveaux jetons à cinq collections NFT et 50 tokens pour chaque utilisateur, afin d’endiguer les dérives, mais la plateforme d’intermédiation a finalement fait machine arrière quelques jours plus tard (14) face au mécontentement de sa communauté. @