Le paquet « connectivité » de la Commission européenne veut rebattre les cartes des télécoms

Projet de règlement « Infrastructure Gigabit Act », projet de recommandation « Gigabit », consultation « exploratoire » : retour sur les trois composantes du paquet « connectivité » présenté par la Commission européenne pour tenter d’atteindre en 2030 les objectifs de la « Décennie numérique ».

Par Marta Lahuerta Escolano*, avocate of-counsel, Jones Day

La connectivité au sein des Etats membres de l’Union européenne (UE) est marquée par des changements technologiques de rupture avec le développement rapide de l’intelligence artificielle, le métavers, la diffusion en continu de films et séries, l’informatique en nuage, les interfaces de programmation d’applications (« API »), etc. Les nouvelles infrastructures vont devoir être en mesure de supporter un volume toujours plus élevé de données transitant sur leurs réseaux chaque seconde.

Un « Infrastructure Gigabit Act » en vue
Le programme d’action pour la décennie numérique (1) de la Commission européenne, dont le but est de guider la transformation numérique d’ici 2030, a pour objectif de permettre à toutes les personnes physiques et morales situées dans l’UE de bénéficier à cette échéance d’une connectivité dite « gigabit », à savoir 30 Mbits/s. Dans ce contexte, elle a dévoilé le 23 février 2023 trois initiatives en vue de transformer le secteur de la connectivité.
La première initiative consiste en l’adoption d’une proposition de règlement sur les infrastructures « gigabit » – « Infrastructure Gigabit Act » (2) – qui comprend des mesures visant à stimuler le déploiement de réseaux « à très haute capacité » moins coûteux et plus efficaces. Il a vocation à remplacer la directive européenne « Réseaux haut débit » de 2014 visant à réduire le coût de déploiement (3). La proposition coexiste avec d’autres instruments juridiques soutenant les objectifs de connectivité fixés par l’UE, notamment le code européen des communications électroniques établi en 2018 (4) et la recommandation « Régulation des marchés pertinents » de 2020 (5).
Le projet de règlement propose un ensemble de moyens visant à surmonter les barrières associées au déploiement lent et très coûteux des infrastructures qui affectent les réseaux « gigabit ». Compte tenu du développement rapide des fournisseurs d’infrastructures physiques sans fil, la définition d’opérateur de réseau – initialement comprise comme les entreprises fournissant ou autorisées à fournir des réseaux de communications électroniques et des entreprises mettant à disposition une infrastructure physique destinée à fournir d’autres types de réseaux, tels que les transports, le gaz ou l’électricité – est élargie aux entreprises fournissant des ressources associées tels que définis dans la directive « Code européen des communications électroniques » (6). Il ressort également que les « towerco » (détenteurs d’infrastructures réseaux tels que pylônes pour 4G/5G ou TNT) rentrent dans le champ d’application du projet de règlement « Infrastructure Gigabit Act ». Ce dernier étend aussi l’obligation d’accès aux infrastructures physiques qui ne font pas partie d’un réseau, mais qui sont détenues ou contrôlées par des organismes du secteur public. Il introduit également l’obligation – pour les opérateurs de réseaux de communications électroniques ou l’organisme du secteur public propriétaire ou contrôlant l’infrastructure physique refusant de faire droit à une demande d’accès – d’indiquer par écrit au demandeur les raisons spécifiques et détaillées de leur refus dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la demande d’accès. Il clarifie en outre les motifs de refus d’accès. Ce projet du « Infrastructure Gigabit Act » prévoit également une dérogation aux obligations de transparence lorsque l’obligation de fournir des informations sur certaines infrastructures physiques existantes serait jugée disproportionnée sur la base d’une analyse coûts avantages détaillée, réalisée par les Etats membres et fondée sur une consultation des parties prenantes (7).
Concernant la coordination des travaux de génie civil, le projet « Infrastructure Gigabit Act » porte à deux mois le délai dans lequel la demande de coordination des travaux de génie civil doit être introduite et supprime la possibilité pour les Etats membres de prévoir des règles de répartition des coûts liées à la coordination des travaux de génie civil (8). De plus, il prévoit le droit d’accès à un minimum d’informations concernant tous les travaux de génie civil planifiés publics et privés réalisés par l’opérateur de réseau. Cet accès pourrait être limité, pour des raisons de sécurité nationale, de sécurité des réseaux, ou de secrets d’affaires (9).

Des procédures plus simples et digitales
Les mesures proposées répondent aux objectifs de simplification des règles et des procédures en les rendant plus claires, plus rapides et en promouvant leur numérisation. Le projet « Infrastructure Gigabit Act » simplifie la procédure de délivrance des autorisations en interdisant aux autorités compétentes de restreindre indûment le déploiement de tout élément des réseaux à très grande capacité et en obligeant les Etats membres à veiller à ce que toute règle régissant les conditions et procédures applicables à l’octroi des autorisations, y compris les droits de passage, soit cohérente sur l’ensemble du territoire national (10). Est aussi introduite une autorisation tacite, réputée accordée en l’absence de réponse de l’autorité compétente dans le délai de quatre mois requis pour délivrer l’autorisation, sauf prolongation de ce délai. Les Etats membres devront donc veiller à la compatibilité de cette autorisation tacite avec le régime prévu dans leur droit national.

Financement des infrastructures « gigabit »
En matière d’infrastructure physique à l’intérieur des immeubles, la proposition de règlement introduit l’obligation, pour les bâtiments nouvellement construits ou faisant l’objet de travaux de rénovation importants, d’être équipés d’une connexion fibre optique (11). Enfin, le projet « Infrastructure Gigabit Act » accorde le droit à toute partie de saisir d’un litige l’autorité nationale compétente de règlement des litiges lorsqu’un accord sur l’accès aux infrastructures physiques à l’intérieur des bâtiments n’a pas été conclu dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la demande officielle d’accès, et non plus deux mois (12) – comme le prévoyait la directive « Réseaux haut débit ». De son côté, l’autorité nationale compétente de règlement des litiges disposerait d’un délai d’un mois ou quatre mois, selon la nature du litige, à compter de la réception de la demande de règlement du litige, afin de prendre une décision pour résoudre le litige.
La deuxième initiative porte sur le lancement d’une consultation publique dont l’objectif est de recueillir des avis sur l’évolution des technologies et des besoins commerciaux et son impact sur le secteur des communications électroniques. Il aborde également le type d’infrastructure et le montant des investissements dont l’Europe aura besoin pour mener la transformation numérique dans les années à venir. Compte tenu des investissements très élevés requis pour la connectivité à très haut débit, la Commission européenne sollicite l’expression d’avis sur les infrastructures nécessaires pour atteindre la connectivité « gigabit » ainsi que le financement de celles-ci.
Selon Thierry Breton, commissaire européen en charge du Marché intérieur, « la charge de ces investissements est de plus en plus lourde, en raison entre autres du faible retour sur investissement dans le secteur des télécommunications, de l’augmentation du coût des matières premières et du contexte géopolitique mondial, qui exige une sécurité accrue de nos technologies-clés pour protéger notre souveraineté » (13). Une partie de la consultation exploratoire porte sur le sujet sensible de la contribution de tous les acteurs numériques au financement des infrastructures de haute connectivité – le fair share. Sur le fondement de la Déclaration européenne sur les droits et principes numériques (14), la consultation exploratoire interroge les acteurs concernés sur l’opportunité d’introduire un mécanisme consistant en une contribution ou un fond numérique européen/national (15). La consultation lance un dialogue ouvert avec toutes les parties prenantes qui prendra fin le 19 mai 2023 (lire p. 6 et 7 de ce numéro).
La troisième initiative consiste en un projet de recommandation sur le « gigabit » visant à fournir des orientations aux autorités de régulation nationales sur les conditions d’accès aux réseaux de communications électroniques des opérateurs ayant un pouvoir de marché significatif. Ce projet de recommandation (16) a été transmis à l’Organe des régulateurs européens des télécoms (Orece ou Berec) pour une consultation d’une durée de deux mois. Une fois l’avis de l’Orece pris en compte, la Commission européenne adoptera sa recommandation finale. La recommandation « gigabit » remplacera la recommandation « Réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA) » de 2010 (17) ainsi que la recommandation « Non-discrimination dans le haut débit » de 2013 (18).
Le projet de recommandation « Gigabit » vise à établir un environnement réglementaire adéquat, qui incite à l’abandon des technologies traditionnelles comme le réseau cuivre, et encourage l’accès et l’utilisation des réseaux à très haute capacité. Il a également pour objectif de contribuer au développement du marché unique des réseaux et services de communications électroniques, de promouvoir une concurrence effective, et de renforcer la sécurité juridique compte tenu des investissements à long terme dans ces réseaux « gigabit ». Il appartient maintenant au Parlement et au Conseil européens d’examiner et de modifier ce texte, par une série de lectures.

De nouvelles règles directement applicables
Les règlements sont des actes législatifs d’applicabilité directe dès leur entrée en vigueur, de manière automatique et uniforme dans tous les Etats membres, à la différence des directives qui nécessitent d’être transposées dans les législations nationales. Si les deux institutions approuvent ces nouvelles règles, celles-ci seront donc directement applicables dans tous les Etats membres. Il appartiendra aux Vingt-sept d’unifier leurs droits nationaux et d’en assurer la cohérence, dans la mesure où de potentielles contradictions pourraient survenir entre les mesures adoptées par chacun de ces pays dans le cadre de la transposition de la directive « Réseaux haut débit » en droit national et celles prévues par le projet de règlement « Gigabit », une fois adopté, qui seront directement applicables et obligatoires. @

* Tous les points de vue ou opinions exprimés dans cet article
sont personnels et n’appartiennent qu’à l’auteur

The Sandbox, pionnier français du Web3, reprend son souffle et étoffe son écosystème

Après le crypto-krach de 2022 (l’ « hiver crypto »), qui fut une descente aux enfers pour les écosystèmes du Web3, les acteurs reprennent des couleurs comme le monde virtuel décentralisé The Sandbox, cofondé par deux Français. Son écosystème compte plus de 730 partenaires.

The Sandbox n’a pas attendu le métavers pour rencontrer le succès avec sa plateforme décentralisée, qui permet aux joueurs et aux créateurs de créer des mondes 3D immersifs, leurs avatars, des jeux en ligne, des NFT (1) et tout actif numérique original, de les stocker, les échanger et les monétiser en toute sécurité. Cet écosystème propose aussi sa propre cryptomonnaie : « Sand », construite sur la blockchain Ethereum. Aujourd’hui, cette plateforme de mondes virtuels décentralisés du Web3 dépasse les 730 partenaires qui contribuent à son écosystème créatif – soit un doublement en un an. Et ce, malgré le crypto-krach de l’an dernier et le faux départ des métavers.rme de mondes virtuels décentralisés du Web3 dépasse les 730 partenaires qui contribuent à son écosystème créatif – soit un doublement en un an. Et ce, malgré le crypto-krach de l’an dernier et le faux départ des métavers.

La culture Web3 attire les marques
Ce monde virtuel The Sandbox est né à partir d’un jeu mobile en 2D du même nom, de type « bac à sable » (comme Minecraft), créé il y a plus de dix ans par deux Français cofondateurs de la société Pixowl, basée à San Francisco : Arthur Madrid (photo) et Sébastien Borget. Avant qu’il ne devienne un métavers, The Sandbox fut développé en tant que jeu mobile et téléchargé plus de 40 millions de fois dans le monde, jusqu’à ce qu’il soit racheté par la société hongkongaise Animoca Brands en août 2018. Elle en fit une plateforme de monde virtuel en 3D, en gardant le nom et les deux cofondateurs, aujourd’hui respectivement directeur général (CEO) et directeur opérationnel (COO) de The Sandbox. Preuve que les mondes immersifs suscitent toujours un grand intérêt après le « bear market » de l’an dernier : Arthur Madrid et Sébastien Borget sont intervenus le 18 janvier dans le cadre du Forum économique mondial de Davos pour parler de The Sandbox au « Web3 Day@Davos » (2), une cession organisée par le groupe hongkongais AMTD et L’Officiel sur les thèmes de la création de valeur des actifs numériques et de la réinvention de la propriété intellectuelle par le Web3.
Y intervenaient aussi Yat Siu, le cofondateur et président d’Animoca Brands – maison mère de The Sandbox depuis 2018 – ou encore le Français Pascal Gauthier, PDG de The Ledger, lequel propose de sécuriser hors ligne les actifs numériques sur un portefeuille matériel crypté de la taille d’une clé USB et à l’abris des cybermenaces (3). Au sein de l’écosystème The Sandbox, l’on compte plus de 400 marques et ayants droits, plus de 300 agences et studios de création et de marketing, plus de 100 studios indépendants de développement de jeux, plus de 20 partenaires dans la formation, et plus de 10 plateformes technologiques (4). «De Ubisoft ou Atari à Warner Music ou SnoopDog, en passant par Adidas ou Tony Hawk, ou encore à Gucci ou Balenciaga, les marques adoptent les codes du Web3, à savoir une approche communautaire avec une communication bidirectionnelle plus authentique et directe, encourageant la cocréation d’actifs et d’expériences, par exemple avec des Game Jams [hackathon avec pour thème principal les jeux vidéo, ndlr] », a expliqué le 10 janvier Mathieu Cervety, directeur des partenariats de The Sandbox.
Les marques peuvent acquérir des terrains virtuels (des « land »), créer leurs magasins, vendre des produits, et interagir avec les avatars, clients potentiels. Il y a un an, Carrefour achetait pour 300.000 euros de parcelle de terrain virtuel dans ce monde en 3D. Le PDG du groupe d’hypermarchés, Alexandre Bompard, s’en était même félicité (5). Le groupe Casino l’avait devancé. La banque britannique HSBC (fondée à Hong Kong) s’est elle aussi offert des terrains virtuels, comme l’a confirmé en mars 2022 The Sandbox. Pour l’établissement financier, il s’agit d’« interagir et se connecter avec les amateurs de sports, d’e-sports et de jeux » (6). Autre exemple : l’assureur Axa s’est lui-aussi « sandboxisé » en février 2022. Pour aider marques et entreprises à s’installer dans The Sandbox, plus de 300 agences et studios dans plus de 20 pays les aident à adopter une stratégie Web3, à créer des actifs digitaux et marketing. C’est le cas de l’agence créative Wunderman Thompson du géant de la publicité WPP. Coinhouse va aussi aider des marques à y aller. The Sandbox a revendiqué un chiffre d’affaires de 180 millions de dollars en 2021 issus des ventes de « land » ou de NFT, ainsi que des reventes où il ne perçoit plus la totalité mais 5 % des transactions. Si son écosystème a doublé en 2022, les revenus ont dû suivre.

Un « hub » agences-studios en 2023
Les plus de 100 studios indépendants de développement de jeux vidéo peuvent candidater au « Game Maker Fund » doté de 300 millions de « Sand » pour financer leurs projets. Ils ont aussi à leur disposition les logiciels de création Voxedit et Game Maker – dont la V0.8 va améliorer les créations ludiques, sociales et immersives. En 2023, The Sandbox a aussi annoncé (7) un hub de « ressources partenaires » pour aider à informer les agences et les studios, et à les mettre en relation. @

Charles de Laubier

Devenue en cinq ans la plus grande bourse mondiale de cryptomonnaies, Binance mise sur la France

Binance, numéro un mondial des plateformes d’échange de cryptomonnaies, s’est fait pirater début octobre. Le Sino-Canadien Changpeng Zhao, son PDG cofondateur devenu milliardaire, aurait sans doute rêvé meilleur événement pour les cinq ans de sa licorne. Qu’à cela ne tienne, il accélère et compte sur Paris.

Quand la plus grande plateforme mondiale d’échange de cryptomonnaies se fait pirater, en plus du krach des bitcoin, ether, ripple et autres dogecoin de cet été, cela n’augure rien de bon dans l’esprit du public pour l’avenir des monnaies numériques. Surtout qu’elles sont censées être sécurisées et certifiées par leur blockchain, ces réseaux décentralisés, cryptés et capables d’authentifier la détention et les échanges d’actifs numériques. Ainsi, Binance – le numéro un mondial de cette finance décentralisée (DeFi (1)) – s’est fait « hacker » dans la nuit du 6 au 7 octobre 2022. Le pirate a pu s’emparer de l’équivalent de 100 millions voire 110 millions de dollars sur le demimilliard de dollars que celui-ci comptait détourner en BNB (2), la cryptomonnaie de Binance. Celle-ci fonctionne sur la blockchain Binance Smart Chain (BSC) depuis septembre 2020, après avoir été lancée comme token sur Ethereum il y a cinq ans, au moment du démarrage de la plateforme d’échange de cryptomonnaies. Plus de peur que de mal pour cette licorne sans frontières – la start-up Binance n’est pas (encore) cotée mais elle est valorisée 300 milliards de dollars (3) – qui a réalisé l’an dernier plus de 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires (4).

Piratage de Binance : deux « exploits » inquiétants
La cyberattaque a été rapidement circonscrite par la « suspension temporaire » de la blockchain BSC et la faille identifiée sur « un pont à chaînes multiples » (5). La majorité des fonds ont été « gelés », mais l’hackeur s’est évaporé dans le cyberespace avec au moins 100 millions de dollars dérobés. « Le problème est maintenant maîtrisé. Nous nous excusons pour les désagréments et nous vous fournirons en conséquence d’autres mises à jour », a twitté le PDG de Binance, Changpeng Zhao (photo), le 7 octobre au petit matin (6). Cette déconvenue pour Binance laissera des traces, au-delà de la forte chute du cours du BNB qui fut au pire moment de – 7,5 % par rapport au niveau le plus haut du 6 octobre (7). Surtout que ce n’est pas la première fois que Binance se fait pirater : un précédent « exploit » (8) s’est produit en mai 2019, avec un vol de 7.000 bitcoins d’un montant à l’époque de 40 millions de dollars (9). De tels incidents font désordre pour la plus grande bourse de cryptomonnaies au monde en volume. Forte actuellement de ses 90 millions d’utilisateurs, la fintech des cryptos nourrit des ambitions planétaires sans précédent et son patron lance un véritable défi à tout la finance internationale.

Un total de 1 milliard d’investissements en 2022
Se surnommant « CZ », ce Sino-Canadien (né et ayant grandi en Chine avant d’avoir la nationalité canadienne) a cofondé Binance il y a cinq ans à Singapour avec Yi He (photo ci-contre) – aujourd’hui directrice marketing (CMO) et depuis début août en charge aussi de l’incubateur Binance Labs gérant 7,5 milliards de dollars d’actifs (10). Malgré les embûches, la crypto-exchange continue d’aller de l’avant pour conforter sa place de leader, loin devant son rival Coinbase (11), qui est, lui, coté à la Bourse de New-York, au Nasdaq. La licorne de CZ est devenue le fleuron du « capitalisme Web3 » et affiche déjà des pics d’activité impressionnants : jusqu’à 100 milliards de dollars échangés en 24 heures, soit jusqu’à 7.700 milliards dollars négociés sur une année ! De quoi donner le tournis, même aux plus aguerris du trading. Depuis 2018, CZ est milliardaire et aujourd’hui – à 45 ans depuis le 10 septembre – sa fortune atteint (au 14-10-22) 17,4 milliards de dollars (12).
Dans un entretien à l’agence Bloomberg (13), publié le 7 octobre, CZ affirme que Binance pourrait dépenser sur l’ensemble de l’année 2022 plus de 1milliard de dollars dans des acquisitions et des investissements. Le numéro un mondial de l’exchange de tokens veut faire des emplettes pour accroître ses activités dans la DeFi, les NFT, le métavers, les jeux vidéo ou encore le e-commerce. Or, depuis janvier, seulement 325 millions de dollars ont été dépensés dans quelque 67 projets. Si le milliard était atteint, cela représenterait sept fois les dépenses de l’année 2021. Et encore, cela ne prend pas en compte deux investissements très en vue : le plus important est le projet de participer à la prochaine acquisition de Twitter par Elon Musk, opération dans laquelle Binance prévoit d’injecter 500 milliards de dollars ; le second, déjà envisagé en février dernier mais reporté, consiste à investir 200 millions de dollars dans Forbes Media, l’éditeur américain du plus que centenaire magazine économique. Et ce, via une Spac (14) – sorte de « coquille vide » boursière permettant de lever des fonds en Bourse et baptisée Magnum Opus Acquisition.
La participation minoritaire dans Twitter pourrait se concrétiser dès que le patron de Tesla et de SpaceX aura jeté son dévolu sur la firme à l’oiseau bleu. Concernant Forbes Media et son projet d’introduction en Bourse accompagné par Binance, lequel apportait aussi son expertise dans les cryptomonnaie, la blockchain et le Web3 dans des contenus éditoriaux du célèbre titre (lu par 150 millions de personnes dans le monde), ce n’est que partie remise comme l’avait confirmé Forbes Media le 1er juin (15). Avec CoinMarketCap, le site web d’information de référence sur les cryptomonnaies et 543e site web le plus visité au monde avec 120 millions de visiteurs par mois (16), Binance a fait en avril 2020 sa première acquisition de taille. A qui le tour ? « Binance Labs gère actuellement des actifs pour un total de 7,5 milliards de dollars, ce qui en fait la plus grande société de capital de risque en cryptoactifs de l’industrie », déclare l’incubateur qui finance plus de 180 projets liés au Web décentralisé (blockchain) et à la crytographie. Autant de start-up dont certaines pourraient tomber dans son escarcelle. CZ se focalise notamment sur l’Europe et plus particulièrement sur la France où il a déclaré lors du Paris Blockchain Week Summit (PBWS) le 13 avril 2022 : « We love France » ! Il y a annoncé vouloir investir 100 millions d’euros en France justement, dans le cadre de son projet « Objectif Lune » (Moon Objective) lancé en novembre 2021, avec la bénédiction de Cédric O, alors secrétaire d’Etat chargé du Numérique, et le partenariat de l’incubateur de startup Station F créé par Xavier Niel (il y a cinq ans comme Binance). Et ce, au moment de la création de Binance France SAS domiciliée à Montrouge et présidée par David Prinçay. A l’instar de Binance US, l’entité distincte aux Etats-Unis (BAM Trading Services Inc., enregistrée dans le Delaware), la société française n’a pas de lien juridique avec Binance Asia Services (BAS) à Singapour. BAS a d’ailleurs dû fermer sa plateforme en février dans ce pays pour pivoter en hub de blockchain.
CZ avait indiqué au printemps qu’il avait choisi la France – à la crypto-régulation plus accueillante – comme « rampe de lancement pour l’Europe » et en faire de l’Hexagone « le coeur de la communauté crypto européenne ». CZ s’est ainsi « engag[é]à construire et soutenir un écosystème fort autour de la blockchain, du Web3 et des métavers » (17). Le mois suivant, le 4 mai dernier, Binance obtenait en France son statut de prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), véritable sésame délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF). De là à faire de Paris la domiciliation de son futur siège social (européen ou mondial) voire la place financière de sa cotation en Bourse envisagée, il n’y aurait qu’un pas.

Paris, tête de pont pour l’Europe voire le monde
La fintech du Web3 a franchi une étape supplémentaire durant la Binance Blockchain Week (BBW) qui s’est tenue à Paris mi-septembre dernier, où Changpeng Zhao a rencontré Jean-Noël Barrot, le nouveau ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications (18). « Nous avons aujourd’hui 150 personnes à Paris et nous prévoyons d’en embaucher environ 200 autres d’ici la fin de l’année », a indiqué le Sino-Canadien, plus francophile que jamais. Selon nos informations, un directeur général de Binance France pourrait être recruté d’ici la fin de l’année. Durant ce même BBW dans la capitale française, Binance s’est constitué un conseil mondial d’experts (Global Advisory Board), présidé par Max Baucus, ancien sénateur américain et ambassadeur en Chine. Le haut fonctionnaire français Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor à Bercy, en est un des membres. Après le crypto-krach du marché des cryptos, surnommé « l’hiver crypto », Binance – adoubé par la France – veut montrer pattes blanches aux régulateurs financiers du monde entier. @

Charles de Laubier

La bulle « NFT » a-t-elle éclatée ? A moins que les jetons non-fongibles ne reprennent leur souffle

Selon les constatations de Edition Multimédi@ et d’après la plateforme NonFungible de tracking en temps réel du marché mondial des jetons non-fongibles, les fameux NFT, les ventes de ces actifs numérique certifiés par la blockchain ont retrouvé les niveaux d’il y a un an. Pour mieux rebondir ?

Les NFT ne sont pas morts ; ils bougent encore. Ces actifs numériques appelées « jetons non-fongibles » continuent plus que jamais à faire office de certificat d’authenticité inviolable pour propriétaire détenteur d’un bien numérique voire d’un bien physique associé. Cet « acte de propriété » est certifié sur une des nombreuses blockchains disponibles, ces chaînes de blocs cryptées de bout en bout qui permettent d’assurer la traçabilité des transactions dont fait l’objet le bien rare – et cher ? – possédé.

Retour au niveau de juin 2021
D’après l’historique sur un an arrêté au jeudi 26 mai par Edition Multimédi@ à partir des données de la plateforme d’analyse de marché de la société canadienne NonFungible, le marché mondial des NFT a retrouvé les niveaux d’il y a un an. Le nombre de transaction n’est plus que de 15.514 ventes sur cette journée-là pour une valorisation totale de 17 millions de dollars (voir graphique ci-dessous). Autant dire qu’il y a eu une sorte d’éclatement de bulle « NFT » depuis les records atteints l’an dernier, à 224.768 ventes le 24 septembre 2021 pour un total de valorisation de 78,3 millions de dollars ce jour-là. Quant au nombre de vendeurs ou d’acquéreurs actifs de ces tokens de propriété, c’est-à-dire les utilisateurs détenteurs de portefeuilles actifs (active wallets), il n’est plus que de 12.000 à cette même date du jeudi 26 mai comparé aux quelque 120.000 de l’automne dernier. La société NonFungible, basée dans la Nouvelle-Ecosse au Canada et cofondée en 2018 par le Canadien Daniel Kelly alias Dan (avatar de gauche) et le Français Gauthier Zuppinger alias Zoup (avatar de droite), a débuté en suivant les transactions en temps réel de la place de marché Decentraland, pour ensuite étendre son tracking à l’ensemble de la blockchain Ethereum sur laquelle s’appuie aussi bien d’autres plateformes (The Sandbox, OpenSea, Polygon, Rarible, Sorare, Cryptokitties, Audius, Shiba Inu, …). Les données sont collectées directement par NunFungible via des « Blockchain Nodes » afin de suivre 100 % de l’activité des jetons à la norme ERC-721 (1) établie en janvier 2018. Le marché des NFT n’est pas le seul à avoir subi un « krach » puisque, dans un contexte d’inflation, de remontée des taux d’intérêt obligataires et de guerre, l’ensemble de places financières ont sérieusement accusé le coup ces dernières semaines – du Nasdaq (la Bourse newyorkaise de valeur technologique à forte croissance) au cryptomonnaies (le bitcoin en tête), comme l’explique bien l’économiste Marc Touati dans une vidéo démonstrative publiée sur YouTube le 17 mai (2). « L’année 2022 est bien celle de la fin des excès financiers et du retour à la réalité », explique-t-il.
Les NFT, dans le sillage de la chute des cryptomonnaies plus que jamais volatiles, n’échappent pas à ce brusque atterrissage. La société NonFungible a montré dans son « NFT Market Report » portant sur le premier trimestre 2022 que la fin de l’euphorie amorcée fin 2021 s’est confirmée sur les trois premiers mois de l’année. En un an, le nombre des ventes a baissé de presque moitié (47 %) à 7,4 millions et le nombre de d’acquéreurs de près d’un tiers (31 %) à un peu plus 1,1 million. Résultat sur un an : les ventes en valeur ont reculé au premier trimestre de 4,6 %, à 7,8 milliards de dollars (3).
C’est une douche froide par rapport à l’année 2021 qui a affiché (4) des performances record : le nombre des ventes avait bondi de… 1.836 % par rapport à l’année précédente, à plus 27,4 millions, et le nombre de d’acquéreurs de… 2.962 %, à plus de 2,3 millions. Résultat en 2021 : les ventes en valeur avaient explosé de… 21.350 %, à 17,7 milliards de dollars (5). Mais rien ne dit que l’année 2022 ne va pas rebondir et les NFT retrouver des sommets. @

Charles de Laubier