Les fréquences 5G tout juste vendues en France n’offriront pas encore le très haut débit mobile

La cinquième génération de mobile (5G) existe déjà et n’a pas attendu les enchères des fréquences, dont la vente s’est terminée le 1er octobre avec près de 2,8 milliards d’euros empochés par l’Etat, pour expérimenter les services et contenus susceptibles d’en profiter. En attendant la « vraie 5G »…

Depuis début 2018, l’Arcep tient un guichet « pilotes 5G » qui délivre des autorisations d’utilisation de fréquences 5G, « à titre transitoire et dans la limite de leur disponibilité ». Ces attributions ponctuelles de spectre électromagnétique pour des tests se sont faites dans la bande de fréquences dite des 26 Ghz (« bande pionnière » de la 5G), lesquelles ne sont pas concernées par les enchères qui se sont terminées en France le 1er octobre (rapportant 2,786 milliards d’euros à l’Etat) et qui portaient, elles, sur les fréquences de la bande 3,4 à 3,8 Ghz (« bande coeur » de la 5G).

« Fausse 5G », en attendant les 26 Ghz
Dommage. La bande haute des 26 Ghz, qui sera utilisée bien plus tard en France, offre des fréquences très élevées dites « millimétriques », en référence à leur longueur d’onde courte dans des cellules de petites tailles mais avec des débits très importants. Bien que sensibles aux obstacles, c’est elle qui offrira le vrai très haut débit mobile – voire de l’ultra-haut débit mobile – que tous les opérateurs mobiles nous promettent, alors qu’ils viennent d’acheter des fréquences de la bande moyenne 3,4 à 3,8 Ghz susceptibles de décevoir les mobinautes car elles se limitent à un « compromis » entre la couverture (leur rayonnement) et le débit (leur vitesse). Bref, de la « fausse 5G » ! Pour que le très haut débit mobile soit au rendez-vous et que les mobinautes en aient pour leur argent (1), il sera nécessaire de complétée la « bande cœur » – aux propriétés physiques acceptables et à la quantité de fréquences disponibles – par la « bande pionnière » seule à même de faire un véritable saut technologique. Ce n’est qu’à cette condition que la 5G sera digne de ce nom et donnera sa pleine puissance. Il y a cinq ans la bande basse dite des 700 Mhz a déjà été attribuée fin 2015 aux opérateurs télécoms en France métropolitaine, mais ses débits laissent à désirer. La vraie révolution de la 5G interviendra donc ultérieurement avec cette bande des 26 Ghz, aux débits de données inégalés et aux temps de latence minimale (3). « La bande millimétrique des 26 Ghz doit encore être “nettoyée” car elle est encore utilisée par le ministère de la Défense ou pour des liaisons satellitaires [et des faisceaux hertziens, ndlr]. Son attribution n’est pas encore planifiée à ce jour », précise l’Arcep sur son site web. Or ces fréquences millimétriques n’ont jamais été utilisées pour des réseaux mobiles, jusqu’aux expérimentations menées en situation réelle depuis 2018. Et son incidence éventuelle sur la santé reste encore à étudier de façon approfondie (4). La bande des 26 Ghz est donc encore une terra incognita pour la téléphonie mobile et les smartphones de la cinquième génération. « Quelques services avec de très forts besoins de bandes passantes sont envisagés comme par exemple des services de multimédia augmenté avec multiples prises de vues lors d’événements sportifs ou culturels, ou encore la gestion d’outils industriels dans les usines », illustre le régulateur. A ce jour, d’après son tableau de bord actualisé (5), il existe 103 expérimentations 5G en France, en cours ou achevées, dont neuf de mobilité connecté, neuf autres d’Internet des objets, quatorze de ville intelligente, neuf de télémédecine, seize d’industrie du futur, deux de vidéo en ultra haute définition, deux autres de jeux vidéo, et les vingt-huit restantes d’expérimentations techniques. Paris arrive sans surprise en tête des expérimentations 5G (dix), suivi de Marseille et de Nozay dans l’Essonne (six chacun), puis d’une quarantaine de villes (d’une à quatre expérimentations chacune).
Sur les plateformes d’expérimentation 5G ouvertes – dans la bande 26 Ghz – aux start-up, industriels et autres opérateurs de services, il y a par exemple : Orange à Châtillon qui teste des « expériences multimédias enrichies » en mobilité (streaming vidéo haute résolution 4K/8K, 360°, réalité augmentée, virtuelle ou mixte, cloud gaming, e-sport, …) ; Bouygues Telecom à Vélizy et à Paris qui accueille avec son incubateur « SmartX 5G » des projets de ville intelligente, de réalité virtuelle, de télémédecine ou d’industrie du futur ; SFR (Altice Médias) qui a rediffusé à Paris en temps réel et en UHD des flux de BFM TV et RMC, et, à Nantes, testé avec l’incubateur numérique « La Cantine » la 5G pour l’Internet des objets ; Nokia à Nozay qui fait des tests avec des start-up du « Garage » de drones automatiques piloté en 5G, d’acoustique de concerts ou encore de vidéo 360° en réalité virtuelle.

500 stations-pilotes 5G en 3,5 Ghz
En attendant la « vraie » 5G et son très haut débit boosté aux 26 Ghz, la France a déjà déployé 500 antennes de « fausse » 5G. Selon l’ANFR, au 1er septembre (6), ce sont 483 stations 5G expérimentales dans la bande des 3,5 Ghz qui sont autorisées en métropole, réparties entre Orange (353 d’entre elles), Bouygues Telecom (67), SFR (54) et Free (9), auxquelles s’ajoutent 17 stations 5G à La Réunion. @

Charles de Laubier

Orange et Deutsche Telekom: et encore une alliance

En fait. Le 15 juin, Orange et Deutsche Telekom ont renforcé leur stratégie d’« alliance », cette fois entre leur filiale respective Deutsche Telekom Global Carrier et Orange International Carriers. Depuis dix ans, les deux opérateurs télécoms historiques mettent de plus en plus en commun – en rêvant de fusion.

En clair. Six mois après qu’Orange ait apporté un démenti formel aux informations du quotidien allemand Handelsblatt selon lequel un rapprochement avec Deutsche Telekom était en discussion, et sur fond de lobbying des opérateurs télécoms historiques auprès de la Commission européenne pour l’inciter à favoriser des rapprochements entre eux (1), voici que le français et l’allemand resserre encore plus leurs liens. Les deux opérateurs télécoms nouent une nouvelle alliance : faire cause commune sur le marché des services dits IPX, via leur filiale respective de prestation de gros Deutsche Telekom Global Carrier et Orange International Carriers.
IPX désigne les services d’interconnexion du trafic Internet sécurisé, voix et data, au niveau mondial. Sans IPX, pas d’échange de trafic IP entre les clients des différents opérateurs mobile, fixe ou Internet. Autant dire que cette alliance annoncée le 15 juin entre Orange et Deutsche Telekom n’est pas anodine. « Les entreprises l’ont bien compris : (…) leur réussite dépend de leur capacité à allier leurs forces et à mettre en commun leur expertise », justifient le duo franco-allemand dans un communiqué commun émis depuis Bonn, où Deutsche Telekom a son siège social. Les enjeux sont considérables, avec – outre la 4G – la 5G, l’Internet des objets, les voitures autonomes, la télémédecine ou encore de l’industrie en temps réel. Les deux partenaires veulent notamment « améliorer les services IPX » grâce à la blockchain pour « établir et valider les indicateurs de performance de bout en bout » (2). Il s’agit également d’optimiser le partage des données, selon le principe déjà très pratiqué de peering, entre fournisseurs de points d’interconnexion IPX dans le monde.
Cela fait dix ans qu’Orange et Deutsche Telekom intensifient leurs relations, toujours sur fond de spéculation quant à leur fusion à terme. Dès 2010, les deux « telcos » avaient regroupé en 2010 leurs activités de téléphonie mobile au Royaume-Uni sous la marque EE puis avaient cédé cet opérateur commun à BT en 2016. En 2011, ils créent une joint venture baptisée BuyIn pour grouper leurs « achats stratégiques » en réseaux, terminaux ou encore matériel informatique. En Pologne, Orange et Deutsche Telekom ont mutualisé des infrastructures fibre optique. Et en novembre dernier, Orange a lancé son enceinte connectée à commande vocale Djingo développée avec Deutsche Telekom. @

Christian Bombrun, président de l’AF2M (ex-AFMM) : « Le paiement sur facture opérateur progresse »

L’Association française du multimédia mobile (AF2M), cofondée il y a 15 ans sous le sigle AFMM par Orange, Bouygues Telecom et SFR (mais sans Free), a publié son bilan 2019 du paiement sur facture des trois opérateurs télécoms et d’Euro-Information Telecom (1). Entretien exclusivité avec son président Christian Bombrun (Orange).

(Depuis la parution de cet article dans le n°236 de Edition Multimédi@, Bouygues Telecom a annoncé le 26 juin vouloir acquérir Euro-Information Telecom, filiale du Crédit Mutuel)

Le « paiement sur facture opérateur », c’est lorsqu’un abonné mobile ou fixe se voit facturer par son opérateur mobile ou son fournisseur d’accès à Internet (FAI) un service payant via l’une des solutions multi-opérateurs de paiement à l’acte ou par abonnement : soit « Internet+ » (sur mobile de 0,20 euro à 10 euros, ou sur box de 0,15 euro à 30 euros), soit «SMS+» (services payants jusqu’à 4,5 euros accessibles par un numéro court à 5 chiffres), ou bien un nouvel usage SMS (collectes de dons, vente de tickets de transport ou de stationnement). Les opérateurs télécoms mettent en outre à disposition de grands marchants ou éditeurs de contenus des solutions appelées « Direct Billing » et « Store OTT », dont les recettes enregistrent la plus forte croissance du marché du paiement sur facture. Alors que les solutions SMS+ et Internet+ (mobile et box) ne cessent, elles, de décliner depuis quatre ans. De grands acteurs tels que Sony, Lagardère, Amazon, TF1, Apple, Microsoft, Canal+, NRJ ou même Netflix et la SNCF offrent l’option « facture opérateur » comme un moyen de paiement à part entière aux côtés de la carte bancaire, du porte-monnaie électronique ou du prélèvement. En 2019, le paiement sur facture opérateur – hormis Free qui n’est pas membre de la l’AF2M – a progressé de plus de 13 % à 443,2 millions d’euros.

Chiffre d’affaires d’un demi-milliard d’euros en 2019
Autrement dit, si l’on y intègre Free, le marché français a atteint le demi-milliard d’euros. Mais on est loin du pic de l’année 2012 qui affichait 664,8 millions d’euros (voir graphique). La concurrence dans le paiement en ligne s’est exacerbée. Face à PayPal, 1-Click d’Amazon, Google Pay, Samsung Pay, AliPay, Apple Pay ou Facebook Pay, les opérateurs télécoms résistent en jouant la carte du tiers de confiance auprès de leurs abonnés et en assurant le recouvrement des sommes directement sur leurs factures pour le compte des fournisseurs de contenus et services surtaxés. Le président de l’AF2M répond à EM@.

Edition Multimédi@ : Le marché français du paiement sur facture opérateur (PSF) en 2019 est très loin de la barre du 1 milliard d’euros qui avait été projetée en juin 2017 ? Comment expliquez-vous son déclin qui a suivi après l’année 2015 ?
Christian Bombrun (photo) : Nous sommes certes loin du chiffre estimé en 2017, mais le marché du paiement sur facture opérateur a connu une croissance en 2019 de 14 % pour atteindre près de 500 millions d’euros. L’année 2020 confirmera la tendance positive pour les solutions de paiement sur facture historiques SMS+ et Internet+. Le retard par rapport à nos prévisions d’il y a trois ans s’explique par la moindre arrivée de services à valeur ajoutée dans le marché historique des contenus digitaux et par le développement retardé des nouveaux marchés. Aujourd’hui, la presse, le caritatif ou encore les transports se développent sur les solutions de paiement sur facture opérateur. La solution d’achat de tickets de transport par SMS couvre plus de 620 communes en France, avec un chiffre d’affaires qui a doublé en un an (à 4,3 millions d’euros). Dans le contexte de la crise sanitaire « covid-19 », la vente de tickets par SMS a été adoptée par de nouvelles collectivités, dont la région Ile-de-France, afin de faciliter le respect des gestes barrières dans les transports publics, démontrant ainsi l’utilité du paiement sur facture face à de nouveaux besoins de dématérialisation. Par ailleurs, l’AF2M et les opérateurs ont encore renforcé en 2019 les mesures visant à améliorer la « conscience d’achat » [où le consommateur sait pleinement qu’il va payer le service ou le bien souhaité, sans que cela soit une fraude ou une arnaque, ndlr]. Ces mesures portent leurs fruits au niveau de la satisfaction client.

EM@ : Le marché français du PSF a rebondi en 2019 à 443,2 millions d’euros (soit +14 % sur un an) grâce à la seule croissance de ce qu’il est convenu d’appeler le « Direct Billing » et/ou le « Store OTT » : quels usages recouvrent ces deux concepts concrètement ?
C. B. : Nous nous réjouissons de la croissance importante de nos marchés de paiements sur facture en 2019. Le « Direct Billing » et le « Store OTT » sont des solutions de paiement sur facture qui ont la particularité de s’adresser à des services à valeur ajoutée ou à de grands éditeurs de contenus déjà connus du grand public. Les opérateurs mettent à disposition de ces acteurs leurs solutions de paiement sur facture avec des parcours d’achat renforçant la conscience d’achat. Ces solutions sont proposées en complément d’autres moyens de paiement tels que le porte-monnaie électronique, la carte bancaire ou le prélèvement. Elles ont des avantages spécifiques aux solutions traditionnelles, comme la simplicité pour le client et la sécurisation du paiement pour le marchand.

EM@ : Apple Pay, Google Pay ou Samsung Pay ne sonnent-ils pas le glas des solutions « opérateurs » Internet+ mobile, SMS+ et Internet+ box, lesquelles sont soumis à plus de restrictions « anti-fraudes » que celles des GAFA ? Le « RCS+ » donnera-t-il le change en 2021 ?
C. B. :
Pas du tout ! Les avantages concurrentiels des solutions SMS+ et Internet+ demeurent et se renforcent. Ces solutions permettent de se passer complètement d’une carte bancaire ou de toute autre information personnelle. Beaucoup de consommateurs sont frileux à l’idée de confier ce genre de données, d’autant plus lorsqu’il s’agit de les donner aux GAFA. Nous pensons que tous ces systèmes coexisteront dans le futur. L’introduction des solutions de paiement sur facture opérateur dans les RCS [pour Rich Communication Services, système sur le protocole IP de messagerie instantanée et de réseau social multimédia censé remplacer à terme les SMS et les MMS fonctionnant, eux, dans un écosystème mobile fermé (2), ndlr] est en effet tout à fait envisageable comme un levier complémentaire de croissance. Cela se fait déjà en Espagne et nous travaillons actuellement sur ce sujet au sein de l’AF2M pour la France.

EM@ : Free propose depuis mai 2012 du paiement sur facture de services SMS+, ainsi que pour « Internet+ box », mais pas pour « Internet+ mobile ». Pourquoi Free n’est pas membre de l’AF2M ?
C. B. :
Nous nous réjouissons que Free ait lancé des solutions SMS+ puis Internet+ box. Cependant, en effet, Free n’est pas encore sur Internet+ mobile. C’est leur choix que nous ne commentons pas au sein de l’AF2M, mais nous espérons qu’ils lancent également ce produit un jour. Notre observatoire ne peut pas intégrer les revenus de Free car celui-ci n’est pas encore membre de l’association, et par conséquent nous n’avons pas accès à ces informations. @

Propos recueillis par Charles de Laubier

Avec l’eSIM, les opérateurs mobile craignent de perdre le contrôle de leurs abonnés

La généralisation des cartes SIM virtuelles – appelées eSIM et intégrées une fois pour toute dans les terminaux ou des objets connectés (montre, voiture, …) – va bousculer le marché mobile. La traditionnelle carte SIM est vouée à disparaître, au profit de multiples fournisseurs de services.

Une révolution se prépare dans l’écosystème encore très fermé de la téléphonie mobile. La fameuse « carte SIM », que le grand public doit jusqu’à maintenant installer lui-même dans un minuscule rail de son smartphone – préalablement ouvert tant bien que mal par ses soins – pour se connecter à son opérateur mobile préféré, va disparaître à terme. Ce « Subscriber Identity Module », une puce contenant un microprocesseur et une capacité mémoire, va laisser place à une eSIM, pour « Embedded SIM », un module intégré en série dans les terminaux et objets.

Fin du monopole des « telcos » mobile
Fini les manipulations hasardeuses et délicates dans l’appareil. Fini aussi le « fil à la patte » qui lie l’abonné à l’opérateur mobile, tant qu’il n’a pas remplacé la carte SIM par une autre de son concurrent : Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free pour les opérateurs de réseau, ou par un de leurs opérateurs mobile virtuels ou MVNO (1). Les cartes numériques dites eSIM vont changer la donne pour tous les possesseurs de smartphones, de tablettes, de montres intelligentes, ou de tout autre objet connecté. Passer d’un opérateur mobile à l’autre, voire d’un opérateur mobile à un fournisseur de services mobiles – lequel pourra être directement un fabricant de smartphones par exemple et/ou un acteur du numérique – sera simple comme un « clic ». Fini la rigidité – aux sens propre et figuré – des cartes physiques (SIM, micro SIM ou nano SIM, avec adaptateur ou pas) qui ont contribué justement aussi rigidifier quelque peu le marché mobile. Sans elles, pas d’appels téléphonique, pas de messages courts SMS (2) ni de textos multimédias MMS (3).
L’eSIM, elle, intégrée une bonne fois pour toute dans chaque appareil connectable, servira à tous les « opérateurs » quels qu’ils soient : des « telcos » aux GAFA ou aux fabricants de smartphones (Samsung, Huawei, Apple, …), en passant par des fournisseurs de services en ligne. Une trentaine d’années après son invention, cette petite puce mobile amovible va se retrouver au musée des nombreuses autres technologies qui ont fait leur temps. De quoi faire frémir les opérateurs mobile historiques de la planète, réunis dans leur puissante association GSMA qui leur fait office de lobby (4). Ils avaient jusqu’à maintenant la mainmise sur leur écosystème. Pour les utilisateurs, c’est la garantie de pourvoir s’émanciper de l’emprise d’un seul et même opérateur mobile. Désormais, avec les terminaux « eSIM Inside » ou les voitures connectées, il est possible non seulement de changer de réseau mobile mais aussi de souscrire à plusieurs abonnements utilisables en fonction des circonstances : usages personnels ou professionnels, voyages d’un pays à l’autre, opportunités promotionnelles, etc. L’abonnement à distance est voué à un bel avenir, d’autant que selon le cabinet ABI Research, environ 1 milliard d’appareils compatibles eSIM seront écoulés tous les ans dès 2024. « Il ne fait aucun doute que les ventes de smartphones eSIM atteindront plus de 225 millions d’unités en 2020. Toujours supportée par Apple, Google et Samsung, ainsi que par bon nombre de smartphones eSIM provenant plusieurs autres équipementiers, attendez-vous à un minimum de 500 millions de smartphones eSIM capables d’expédier à l’échelle mondiale en 2024 », a expliqué Phil Sealy, directeur de recherche chez ABI Research.
Mais il pointe le fait qu’il reste encore beaucoup de travail à faire sur l’ensemble de la chaîne de valeur, Apple, Google, Samsung et Motorola étant les seuls fournisseurs de gros de smartphones compatibles eSIM (destinés au marché amont dit OEM, Original Equipment Manufacturer, ou fabricant d’équipement d’origine destiné à des tiers). «Même si les opérateurs adoptant l’eSIM ou s’y préparant sont de plus en plus nombreux, force est de constater qu’il n’y a aucun opérateur à ce jour qui appuie exclusivement l’eSIM. En même temps, de nombreux opérateurs ne sont pas encore prêts pour l’eSIM », a-t-il ajouté, lors de la présentation d’une étude à Londres le 4 mars (5). D’ici 2024, jusqu’à 30 % des ordinateurs portables vendus – soit environ 122 millions – seront « eSIM Inside ». La société américaine MobileIron, spécialiste de la gestion unifiée de terminaux (UEM), entend par exemple sécuriser l’activation des eSIM sur les ordinateurs Windows 10 des entreprises avec le français Idemia (ex-Oberthur- Safran Identity/Morpho).

L’eSIM et le cloud vont de pair
La carte mobile ainsi dématérialisée a toutes son intelligence et sa mémoire stockées à distance dans le nuage informatique, et non plus sur son microcontrôleur. eSIM et cloud deviennent alors les deux facettes d’un nouveau marché du mobile et des objets connectés. Les ressources logicielles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement sécurisés sont gourmandes en capacités de calcul informatique. Sans data center, pas de parc mobile « eSIM ». Pour les géants mondiaux du cloud, Google, Amazon et Microsoft en tête, l’ouverture du marché mobile à la concurrence au-delà des seuls opérateurs mobile est une énorme opportunité. Pour les acteurs locaux du cloud aussi (en France OVH, Atos, Dassault Systèmes et malgré les échecs de CloudWatt et de Numergy), à l’heure où de nombreux pays – Cloud Act aidant – ne jurent maintenant que par le « cloud souverain », la « souveraineté numérique », voire le « cloud de confiance » et donc la « localisation des données » supposée rassurer.

La GSMA impose sa certification
La Big Tech française Thales, qui a déboursé 4,6 milliards d’euros pour s’emparer en avril 2019 de son compatriote Gemalto – le fabricant français de cartes à puce, devenu leader mondial – ne veut pas manquer la vague eSIM. Début mai, le groupe Thales a annoncé avoir commencé à nouer des alliances avec des géants mondiaux du nuage informatique. Premier point d’appui et non des moindres : Google Cloud. Le groupe Thales, spécialiste des hautes technologies de l’aéronautique, de la défense, de l’espace, du transport, de l’identité et de la sécurité numériques, revendique le déploiement de « la première solution d’activation de cartes eSIM au monde certifiée GSMA ». Car les 750 opérateurs mobile – dont plus de 200 européens – membres de la puissante GSM Association, à laquelle adhèrent aussi près de 400 sociétés œuvrant pour l’écosystème mobile (soit un total de 1.150 membres), vont devoir faire face « au boom des abonnements mobiles pour des appareils compatibles eSIM » (dixit Thales). Pour ne pas perdre la main, les opérateurs mobile historiques se sont déjà positionnés avec une offre eSIM mais avec parcimonie. Orange, dont le PDG Stéphane Richard préside encore cette année la GSMA, propose par exemple le service eSIM en France (6) pour iPhone ou Samsung (à condition d’être déjà client Orange ou Sosh), mais aussi pour les montres connectées Apple Watch ou Samsung Galaxy Watch. SFR est également présent sur ce nouveau marché (7), en partenariat avec Apple (iPhone), Samsung (Galaxy Fold), Google (Pixel 3) et Motorola (Razr), ainsi que les montres connectées (Apple Watch et Samsung Galaxy Watch). Orange et SFR font tout de même payer l’option eSIM (10 euros). Toujours en France, Bouygues Telecom promet de répondre présent à l’appel de l’eSIM « au printemps 2020 » (8) mais le coronavirus a quelque peu retardé le lancement de son offre orientée iPhone et Samsung Galaxy Fold (mais pas Google Pixel) – et en attendant de prendre en charge par la suite les « Smart Watch ». Concernant Free, son patron Xavier Niel avait lancé il y a un an : « On n’est pas fan de l’eSIM ». Depuis, la filiale d’Iliad n’en dit mot. Quant à l’opérateur mobile français virtuel Transatel, devenu filiale en février 2019 du japonais NTT (9), il est en France et à l’étranger un pionnier de l’eSIM avec notamment son offre Ubigi lancée en novembre 2018 et destinée avant tout aux voyageurs d’affaires, occasionnels et réguliers à l’international. Mais les opérateurs mobile historiques ne seront pas les seuls à vouloir profiter des opportunités de marché offertes par la généralisation de l’eSIM. « Nous le savons, l’évolutivité de Google Cloud sera décisive face à l’essor des réseaux 5G et aux milliards d’objets connectés sur le réseau cellulaire dans le monde », assure Anil Jain (photo de la page précédente), directeur général « télécommunications, médias et divertissement » de la filiale d’Alphabet, cité dans le communiqué de Thales du 4 mai dernier (10). Le marché de la connectivité cellulaire est en pleine transformation, à la veille du lancement de la 5G dans le monde. Les fabricants de smartphones, comme le numéro un mondial Samsung, sont attendus dans ces nouveaux écosystèmes eSIM qui miseront sur l’interaction entre les smartphones (ou les tablettes) et tout une gamme d’objets connectés. « Parallèlement à cela, les offres d’abonnement évoluent (des forfaits voix aux données, et bientôt des bundles d’appareils). Ce qui nécessite de la gestion à distance des abonnements – ou Remote Subscription Management (RSM)– pour partager un profil sur plusieurs types d’appareils », a constaté de son côté Phil Sealy chez ABI Research.
Avec Google Fi, son projet d’opérateur mobile virtuel (MVNO) lancé en 2015 puis concrétisé d’abord aux Etats- Unis (en s’appuyant sur la 4G et bientôt la 5G des opérateurs Sprint-T-Mobile et US Cellular, ainsi que sur des millions de hotspots Wifi), le géant du Net tente de se déployer dans le monde (11). Depuis cette année, les détenteurs d’iPhone « eSIM Compatibles » peuvent l’activer avec Google Fi (12). L’Europe est en ligne de mire, France comprise (13), puisque la marque « Google Fi » a été déposée en décembre 2018 auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

L’eSIM sonne le glas des SMS/MMS
Par ailleurs, Google Fi a annoncé début 2019 le déploiement de RCS (Rich Communication Services) – y compris sur l’Hexagone (14). Le RCS va remplacer à terme les SMS et les MMS qui étaient la chasse-gardée des « telcos » (15). Fonctionnant sous le protocole IP (Internet), il s’agit d’une messagerie instantanée et d’un réseau social multimédia tout-en-un (texte, chat, appels vidéo, audio, photo, live, fichiers, etc.). A suivre. @

Charles de Laubier

Les risques du pistage des populations à l’aide des données des opérateurs mobiles et des applications

Le pistage mobile des populations, au nom de la lutte contre le coronavirus, présente des risques sur les libertés fondamentales en général et sur les données personnelles et la vie privée en particulier. De plus, l’efficacité d’une telle pratique technologique reste contestée et controversée.

Par Christophe Chadaillac, avocat, et Héloise Tientcheu, juriste, cabinet Jones Day

« Les technologies numériques, les applications mobiles et les données mobiles ont des atouts formidables qui peuvent nous aider à comprendre le mode de propagation du virus et à réagir efficacement » (dixit Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, le 8 avril 2020). Les mesures technologiques envisagées pour contribuer à la lutte contre le covid-19 ne se comptent plus. Mais en plus d’être controversées et leur efficacité remise en cause, elles posent de sérieuses questions sur la préservation de nos libertés fondamentales.

Géolocalisation et contact tracing en question
Un arsenal de mesures est déployé afin de tenter d’enrayer la propagation du covid-19 dans le contexte de la pandémie mondiale actuelle : port de masque, mise en quarantaine des personnes malades, fermeture des lieux accueillant du public, confinement partiel ou total des populations, … A ces mesures de distanciation sociale restreignant la liberté d’entreprendre et la liberté de mouvement des personnes s’ajoutent des mesures technologiques que les Etats et les géants du numérique mettent progressivement en place. Celles-ci reposent sur la géolocalisation, le contact tracing ou la reconnaissance faciale, susceptibles de porter également atteinte à la vie privée et suscitant des interrogations sur l’utilisation des données à caractère personnel. Il est aisé de localiser n’importe quel objet (ordinateur, téléphone portable, tablette, …) connecté à un réseau de communications électroniques (1). La géolocalisation s’appuie notamment sur les technologies GPS ou Galileo utilisées par les applications, ou sur la connexion aux réseaux Wifi ou les antennes de téléphonie mobile.
Dans le cadre de la lutte contre le covid-19, il est avancé que la géolocalisation pourrait utilement servir à l’identification de concentrations de personnes et à l’observation de flux de population grâce à des données anonymisées et agrégées. Et ce, afin de détecter et d’anticiper les potentiels foyers de propagation en vue d’optimiser le déploiement des ressources médicales sur le territoire. Par exemple, Orange a transmis aux autorités françaises des données qui ont permis d’établir que 17 % des Franciliens avaient quitté l’Ile-de-France juste avant la mise en place du confinement. Par ailleurs, les différents opérateurs mobile sont susceptibles de transmettre l’ensemble de leurs données anonymisées au Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne. Quant à Google et Apple, ils ont également fourni des statistiques d’utilisations de leurs applications montrant des zones de concentration ou des zones vides. La géolocalisation pourrait aussi être employée pour vérifier le respect des obligations de confinement et de distanciation sociale. Les données, cette fois-ci non-anonymisées, permettent – comme en Israël par exemple – de tracer les individus et en cas d’infraction infliger des amendes. En Pologne, les autorités ont couplé données de géolocalisation et reconnaissance faciale : il est demandé aux citoyens de prendre régulièrement un selfie géolocalisé pour démontrer qu’ils respectent la mesure de quarantaine qui leur est imposée.
Le contact tracing consiste, lui, à établir pour les malades récemment contaminés un historique des personnes avec lesquelles ils ont été dans des conditions de proximité susceptibles de permettre une transmission du covid-19 selon des critères d’infectiologie déterminés. La technologie numérique permet l’automatisation de l’établissement de cet historique, grâce à une application installée sur les smartphones et reposant sur la technologie Bluetooth, laquelle permet aux terminaux d’établir des communications radio de courte portée, sans fil. Le contact tracing peut être utilisé pour identifier les chaînes de transmission du virus et ralentir sa propagation en incitant les personnes susceptibles d’être infectées et contagieuses à appliquer les gestes-barrière et à se faire tester le plus rapidement possible. Cet outil se veut particulièrement utile pendant le confinement, mais également lors de phase critique de déconfinement au cours de laquelle de nouveaux foyers de contamination risquent d’apparaître.

Applications mobiles appelées à la rescousse
StopCovid, l’application mobile dont le gouvernement français a révélé le développement le 8 avril dernier, sera une application de contact tracing qui pourrait être mise en service lors du déconfinement. L’approche choisie par la France est celle d’une application pilotée par l’Etat, par l’intermédiaire de l’Inria (2), en partenariat notamment avec Dassault Systèmes, l’Inserm (3), l’Institut Pasteur ou encore Orange, ainsi que sur les conseils du Comité d’analyse de recherche et d’expertise (Care). De multiples initiatives privées émergent en parallèle pour contribuer à cet « effort ». En particulier, Apple et Google collaborent sur la création d’une interface de program-mation en vue de permettre aux applications d’être interopérables. Ces deux géants du numérique, qui ont refusé de collaborer à StopCovid, travaillent également à l’intégration de fonctionnalités de contact tracing directement dans les systèmes d’exploitation Android et iOS.

Des limites techniques et comportementales
Plusieurs pays européens comme l’Allemagne ou la Norvège envisagent d’utiliser le contact tracing, ou le font déjà. La Commission européenne, elle, a insisté sur la nécessité d’une « approche commune » dans l’utilisation des applications mobiles et des données mobiles (4). L’efficacité des solutions reposant tant sur la géolocalisation que sur le contact tracing présentent des limites techniques et comportementales. La géolocalisation ne permet que de rendre compte de concentrations ou de flux de population en masse ou de localiser individuellement des personnes avec une précision relative. Elle ne permet pas d’établir leur proximité physique et fonctionne mal en intérieur. Le Bluetooth, certes, opère mieux en intérieur, mais il n’est pas conçu pour mesurer des distances. D’autant que le champ de détection varie d’un appareil à l’autre et en fonction des circonstances (appareil tenu en main, au fond d’un sac, dans une voiture, etc.), ce qui entraîne un taux non négligeable de faux positifs et de faux négatifs. Il n’y a pas non plus de consensus scientifique sur la durée et la distance de proximité justifiant l’envoi d’une notification. En outre, les systèmes d’exploitation mobiles ne permettent pas aux applications en tâche de fond d’utiliser le Bluetooth, ce qui oblige à conserver en permanence les applications de contact tracing au premier plan pour que les terminaux communiquent. Le gouvernement peine à trouver un accord avec Apple et Google pour lever cette barrière technique (5). Et pour que le contact tracing remplisse pleinement son objectif, il est nécessaire qu’au minimum 60 % de la population utilise l’application. Rendre son utilisation obligatoire paraît difficilement conciliable avec les libertés fondamentales. L’atteinte de ce seuil critique dépend aussi éminemment du taux d’équipement et de la capacité à maîtriser cette technologie. Enfin, le contact tracing peut générer un taux important de faux positifs créant de la panique et de faux négatifs générant un sentiment infondé de sécurité susceptible de favoriser la propagation du virus, surtout dans les zones denses (6). Les données de géolocalisation revêtent un caractère stratégique dans la protection de la vie privée ; les données de santé sont sensibles et appellent des mesures de protection renforcées (7). La problématique liée à la géolocalisation dépend de la finalité des traitements. L’utilisation de données de géolocalisation anonymisées et agrégées en masse évince de prime abord le risque d’atteinte à la vie privée, sans toutefois parvenir à l’éliminer complètement. Si la donnée est simplement « pseudonymisée », ou si en dépit de l’anonymisation il est possible de suivre un identifiant en particulier, alors la ré-identification en exploitant et recoupant les données est possible. Le risque d’atteinte à la vie privée est exacerbé en cas de suivi individualisé des personnes, d’autant qu’elle aboutit à restriction de la liberté de circulation.
Le contact tracing se veut plus respectueux de la vie privée en l’absence de géolocalisation ou de traitement d’autre donnée personnelle que la seule donnée de santé, laquelle doit rester entre les mains des autorités de santé et ne pas être recoupée avec d’autres données. Les différents protocoles envisagés pour sa mise en œuvre ont de commun qu’ils ne devraient pas permettre de faire le lien entre la donnée de santé et l’identité des personnes utilisant l’application, ni d’identifier celles-ci, même si ce point est vigoureusement débattu (8).
L’Union européenne a proposé une « boîte à outils » et des lignes directrices (9). En France, la Cnil a émis des recommandations et réaffirmé l’importance du volontariat, de la sécurité des données personnelles et de la limitation de la durée de leur traitement. Et plusieurs institutions publiques ont été mises à contribution pour apporter des garanties à l’action du gouvernement (Inria, Care, Dinum, ANSSI). Le CNNum a quant à lui rendu un avis favorable sur StopCovid « en tant que brique d’une stratégie plus globale ».

Intimité et droits fondamentaux menacés
Les avis des hérauts de la liberté individuelle sont attendus. Ils verront un piège dans le volontariat et dénonceront l’effet cliquet, déjà tangible : en lui demandant d’accepter volontairement d’abandonner un peu de ses libertés au profit du bien commun, le citoyen est conduit dans un processus progressif qui, de lois anti-terroristes aux états d’urgence sanitaires, l’entraîne dans organisation sociétale qui instrumentalise les données personnelles pour des finalités collectives qui pourraient s’avérer liberticides et de long terme.
Quelle que soit la solution retenue par le gouvernement sur le fonctionnement de StopCovid, une fois les barrières techniques et comportementales levées, l’application devra s’insérer dans une réponse sanitaire globale. Il serait utile que sa mise en œuvre soit accompagnée de discipline et pédagogie renforcées, pour à la fois maintenir les gestesbarrière et préserver – y compris en temps de pandémie – l’intimité qui demeure au cœur des droits fondamentaux de l’individu. @