Directive « Gestion collective » : dernière ligne droite

En fait. Le 6 novembre, le Comité des représentants permanents de l’Union européenne (alias Coreper), qui réunit les représentants des Vingt-huit, a approuvé l’accord sur le projet de directive Gestion collective et licences multi-territoriales. Vote final du Parlement européen en février 2014.

En clair. Il aura fallu près de dix ans de gestation pour que le projet de directive européenne sur la gestion collective des droits d’auteurs à l’heure d’Internet n’aboutisse. Mais comme dans tout marathon, les derniers kilomètres sont les plus difficiles ! Après l’accord trouvé le 4 novembre sur le projet de texte par le Conseil de l’UE, la Commission européenne et le Parlement européen, et son approbation formelle par le comité Coreper le 6 novembre, il reste encore deux étapes à franchir : l’adoption le 26 novembre par la commission des Affaires juridiques du Parlement européen, puis, si tout va bien, le vote en séance plénière espéré pour février 2014. Parallèlement, la Commission européenne va lancer « prochainement » une consultation publique en vue de réformer de l’autre directive, dite IPRED, sur la propriété intellectuelle (1).

Pourtant, il y a urgence (2). Il s’agit notamment de faciliter l’accès à la musique en ligne sur les plates-formes légales de téléchargement et de streaming en Europe, tout en améliorant le fonctionnement et la transparence des sociétés de gestion collective – comme la Sacem en France. Rien de moins. Grâce à cette future directive, les services de musique en ligne paneuropéens (Spotify, Deezer, Qobuz, …) pourront accéder plus facilement aux répertoires de titres. « Le système amélioré de concession de licences multi-territoriales de droits d‘auteurs portant sur des œuvres musicales sera l’un des facteurs importants qui contribuent à un marché unique européen pour les services de musique en ligne. Cela permettra également aux consommateurs de l’UE de profiter de l’accès le plus large possible à des répertoires musicaux divers », s’est félicité Sarunas Birutis, ministre lituanien de la Culture (3).
Au lieu d’avoir à négocier avec autant de sociétés de gestion collective qu’il y a d’Etats membres, seul un petit nombre d’entre elles suffit avec la future directive (selon des conditions identiques pour tous les répertoires). C’est aussi l’assurance pour les artistes, auteurs, interprètes et créateurs que leurs droits seront mieux protégés à travers l’Europe et leurs rémunérations payées plus rapidement. Le texte prévoit en effet que les créateurs percevront leurs royalties dans les neuf mois suivant la fin de la collecte annuelle des sociétés de gestion collective (4). Les ayants droits auront aussi leur mot à dire dans le choix de la société de gestion collective de leurs droits. @

Ce que prévoit Aurélie Filippetti dans sa « grande loi » sur la création attendue avant le printemps

La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, promet de déposer en conseil des ministres une « grande loi » sur la création « avant les élections municipales » de mars 2014 – faute de pouvoir le faire avant Noël.
Elle intègrera un « deuxième volet » consacré au numérique.

La future loi sur la création, qui sera présentée en conseil des ministres avant le printemps prochain, aura deux volets : l’un sur la création physique (1), l’autre sur la création numérique.
« A l’heure où je défends la neutralité technologique, c’est bien de pouvoir avoir une grande loi création qui embrasse aussi les aspects numériques. Mais il n’y aura pas que la réponse graduée ! », a prévenu Aurélie Filippetti le 17 octobre dernier, invitée par l’Association des journalistes médias (AJM).

Gestion collective et chronologie des médias
Faute d’avoir été intégré dans la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public, le transfert de l’Hadopi au CSA risque de faire de l’ombre aux autres mesures envisagées. « Il faut aussi avancer sur les autres sujets numériques pour montrer que le maintien de la réponse graduée transférée au CSA – j’ai supprimé en juin la coupure de l’Internet qui était disproportionnée – est une réponse parmi d’autres. Il y a aussi la piste sur le domaine public, la sécurisation des nouveaux usages créatifs et les œuvres ‘’transformatives’’, les échanges non-marchands, et la dimension offres légales. Il faut que tous ces aspects-là avancent en même temps pour que l’on puisse avoir un paquet numérique global dans un deuxième volet de la grande loi sur la création », a-t-elle expliqué.
Lorsque le CSA aura récupéré les compétences issues de l’ancienne Hadopi, la ministre compte sur lui pour mettre en place le conventionnement des sites web (2).
« Enrichir le CSA de l’idée de conventionnement est bien l’un des piliers des propositions du rapport Lescure qui a été arbitré favorablement par le gouvernement
– conventionnement au service de l’exception culturelle du numérique. Il ne s’agit pas de régulation punitive, mais incitative, au travers d’une régulation souple », a-t-elle poursuivi.
Le contenu de la loi sur la création dépend ainsi d’accords interprofessionnels préalables : la gestion collective pour la musique et la chronologie des médias pour le cinéma. « Cela marchera si, en parallèle, une offre légale se développe. J’y travaille et on essaie d’avancer sur la gestion collective qui, si la concertation interprofessionnelle ne marche pas, sera une gestion collective obligatoire pour la musique. Ce qui permettra une mise à disposition de contenus plus importante, tout en rémunérant les ayants droits. Pour le cinéma, il y a la question de la chronologie des médias : je veux que l’on avance là-dessus ; les blocages ne sont pas normaux ; il y en a trop. Il faut au moins un compromis sur la SVOD (3) d’ici la fin de l’année, sinon une disposition législative pourrait intervenir », prévientelle. Côté musique, selon nos informations, la SCPP (4) et le Snep (5) n’excluent pas de supprimer la licence légale pour la radio en cas de gestion collective obligatoire. Questionnée sur la mission qu’elle a confiée en septembre à Christian Pheline, lequel doit rendre en novembre ses conclusions sur le partage de la valeur de la musique en ligne (streaming notamment) avec les créateurs, elle a répondu : « La gestion collective, c’est une bonne piste à l’ère du numérique. Il faut avancer dans ce sens-là et je préférerais qu’on le fasse avec un accord de leur part, plutôt que par une forme de contrainte. Il y a déjà une gestion collective dans le livre [loi du 1er mars 2012 sur “l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXIe siècle” (6), ndlr] et c’est un bon système. La gestion collective doit être obligatoire car
il faut qu’elle soit appliquée à tous si l’on veut que cela marche. Si les catalogues sont cloisonnés ou fragmentés, ce sera toujours plus facile d’aller pirater que de trouver un titre original en offre légale. Mais je ne veux pas aller plus vite que la musique ! »
Côté films, le rapport Lescure propose de passer la SVOD de 36 à 22 mois après
la sortie d’un film en salle mais il y a encore discussion sur ces 22 mois. « Je ne désespère pas : si on a réussi à trouver un accord sur la convention collective dans
le cinéma, on pourra arriver à un accord sur la chronologie des médias ! », espère la ministre.

Taxe sur les terminaux connectés pour 2014
Et d’ajouter : « Sur la VOD, pour laquelle le rapport Lescure propose des dérogations [pour rendre des films disponibles à 3 mois après leur sortie en salle, ndlr], les syndicats de producteurs de cinéma ne sont déjà pas d’accord entre eux. Le président de la République a luimême exprimé qu’il fallait faciliter l’accès à l’oeuvre par l’amélioration du fonctionnement actuel de la chronologie des médias ». Et concernant la taxe sur les terminaux connectés, « on verra comment elle pourra aboutir l’année prochaine ». Le débat parlementaire sur ce projet de loi sur la création s’annonce houleux. @

Charles de Laubier

Jeux vidéo : industrie culturelle sans droits d’auteurs

En fait. Le 24 septembre, les sénateurs André Gattolin et Bruno Retailleau ont publié leur rapport sur les jeux vidéo. Pour soutenir ce secteur, ils prônent une
taxe sur les jeux vidéo vendus en boîte sur support physique en France. Mais cette « industrie culturelle » peut-elle se passer de droits d’auteurs ?

En clair. Oeuvre logicielle ou oeuvre culturelle ? Pour les deux sénateurs, le jeu vidéo relève d’une industrie culturelle (1), d’ailleurs plus importante – avec 53 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2012 dans le monde, selon l’Idate – que le cinéma et la musique. En France, d’après le SNJV (2), le jeu vidéo pèse 3 milliards d’euros, contre 1,3 milliard pour le cinéma, 1,2 milliard pour la vidéo et 617 millions d’euros pour la musique.
« Le jeu vidéo constitue la première industrie culturelle en Europe. (…) La Commission européenne en a consacré le caractère culturel dans une décision de 2007 relative aux aides d’État », soulignent les sénateurs.

Mais ils déplorent que cette industrie culturelle du jeu vidéo soit, elle, dépourvue de droits d’auteurs. « [Nous avons] un seul regret : l’application du droit d’auteurs au jeu vidéo aurait pu permettre de lui donner un attribut symbolique des industries culturelles et la reconnaissance institutionnelle tant attendue par le secteur. Peut-être peut-on envisager que les récents accords signés avec la Sacem [en 2012 au profit des compositeurs de musique de jeux, rémunérés en droits d’auteurs, ndlr] en application, en quelque sorte, de la jurisprudence Cryo, trouveront à terme une équivalence pour les autres composantes du jeu ». L’arrêt Cryo du 25 juin 2009 a affirmé en effet la cohabitation de plusieurs régimes de droits d’auteur en fonction des différentes composantes du jeu : graphisme, musique, logiciel et narration. En attendant, à l’heure où le marché des jeux vidéo prend de l’ampleur en ligne au détriment des ventes de boîtes, l’« absence de régime juridique » sur fond « d’instabilité jurisprudentielle » perdure. « Le débat sur l’application du droit d’auteur aux jeux vidéo n’a jamais cessé, en raison du souhait de certaines sociétés de gestion collective, et notamment la SACD (3) [assimilant le jeu vidéo à une oeuvre audiovisuelle, ndlr] de bénéficier des revenus générés par cette industrie ».

Malgré un compromis trouvé en septembre 2012 (cession de droits contre rémunération proportionnellement aux résultats), les acteurs du jeu vidéo et le SNJV ont rapidement renoncé au droit d’auteurs – lui préférant l’intéressement des salariés. Le SELL (4), lui, demande de « ne pas alourdir le cadre règlementaire et fiscal ». Mais avec l’explosion
des jeux vidéo sur Internet et applis mobile, le débat pourrait être relancé. @

Webradios : vers l’extension de la licence légale ?

En fait. Le 16 juillet, l’OJD a publié pour la première fois les audiences de webradios, 6 .261 au total pour mai. Avec 5.980 webradios, le réseau Radionomy arrive en tête en terme d’écoutes actives cumulées : 63,9 millions, contre 45,5 millions pour les 174 du groupe NRJ. Après la mesure, les revendications ?

En clair. Même si le webcasting linéaire y est bien moins développé en France qu’aux Etats-Unis ou en Allemagne, la France franchit un cap important dans la reconnaissance des webradios comme nouveau média à part entière.

Tableau OJD-WebradiosAvec la publication de la mesure d’audience certifiée par l’OJD portant sur pas moins de 6.261 flux audio « live » (voir tableau ci-contre). Les webradios s’engagent sur la voie de la monétisation par la publicité en ligne.

Rapport Lescure
Mais il leur reste à obtenir des avancées réglementaires.
Bien que les producteurs de musique n’y soient pas favorables, le rapport Lescure préconise d’étendre la rémunération équitable au webcasting linéaire comme pour les radios traditionnelles
de la bande FM relèvent du régime dit de « rémunération équitable », qui les dispense d’obtenir l’autorisation des détenteurs de droits, en contrepartie d’une rémunération calculée en fonction des recettes – soit de 4 % à 7 % du chiffre d’affaires – et répartie à parts égales entre les producteurs et les artistes interprètes par les sociétés de gestion collective SCPP et la SPPF.
En revanche, les webradios ne bénéficient pas de cette « licence légale » et doivent
donc obtenir l’autorisation des ayants droits, puis acquitter 12,5 % de leurs revenus
pour rémunération ces derniers. « Discrimination ! », dénonce le Syndicat des éditeurs
de musique de services en ligne (ESML) (1). Sans parler des « minima garantis » qui constituent, selon lui, des barrières à l’entrée. Ce « deux poids, deux mesures » paraît d’autant plus injustifié que les webradio sont elles aussi soumises à des quotas de musiques françaises depuis le décret daté du 27 avril 2010. Pour l’heure, seules 150 webradios sont soit déclarées (140 d’entre elles), soit conventionnée (soit 10 générant plus de 75.000 euros par an) auprès du CSA.
A l’instar du rapport Zelnik (Création et Internet) de janvier 2010, suivi par l’échec de la mission Hoog sur ce point, le rapport Lescure (Acte II de l’exception culturelle) de mai 2013 a recommandé l’extension du régime de la rémunération équitable aux webradios linéaires au nom du principe de neutralité technologique (2). « Rien ne justifie l’expropriation des droits de propriété des producteurs de [musique] que constituerait l’extension de la licence légale au webcasting. Cette exploitation est déjà gérée collectivement par les producteurs », a répondu la SCPP le 26 juin dernier. @

Lescure : les producteurs contre la gestion collective

En fait. Le 12 juin, Pierre Lescure, président de la mission « Acte II de l’exception culturelle », et Jean- Baptiste Gourdin, rapporteur général, ont été auditionnés par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Ils ont à nouveau insisté sur la gestion collective à l’ère du numérique.

En clair. « La gestion collective, loin d’être un archaïsme, est LE mode de gestion adapté à l’exploitation numérique des oeuvres, laquelle se caractérise par des nano paiements
et une multitude de micro transactions. La gestion collective est le système, même en termes économiques, le plus adapté à cette exploitation. (…) C’est ce système que nous voulons généraliser », a insisté Jean-Baptiste Gourdin, rapporteur général de la mission
« Acte II de l’exception culturelle » (1). Ce plaidoyer pour la gestion collective agace les producteurs, aussi bien de musiques que de films, très attachés à la gestion individuelle des auteurs. « Cette collectivisation à marche forcée, nous y sommes opposés. (…) La gestion collective est portée auprès du ministère de la Culture par l’Adami (2) », a fustigé Guillaume Leblanc, directeur général du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) le 31 mai dernier. Il compte bien « rectifier et corriger » les propositions du rapport Lescure dès ce mois de juin lors des réunions de travail avec le ministère de la Culture et de la Communication. « En quoi un système de gestion collective crée de la valeur et en quoi il est meilleur que le système actuel ? (…) Nous ne voulons pas de gestion collective obligatoire [en cas de refus de négocier, ndlr] », a ajouté Stéphane Le Tavernier, président du Snep, en indiquant avoir confié avec l’UPFI (3) au cabinet Ernst & Young la réalisation pour « fin juin – début juillet » d’un audit pour comparer les modèles économiques. Quant aux producteurs de cinéma, ils défendent aussi leurs droits exclusifs sur les films.
Mais la mission Lescure n’en démord pas devant les députés : il faut des négociations interprofessionnelles entre les syndicats des industries culturelles et, pour la mise en oeuvre, les sociétés de gestion collective afin de garantir la rémunération des auteurs et des artistes à l’heure d’Internet. « Ce n’est pas une solution irréaliste car elle fonctionne déjà dans certains secteurs : par exemple, dans le domaine de la VOD, les auteurs sont rémunérés par la SACD (4) qui collecte directement les rémunérations auprès des plates-formes vidéo de type iTunes [mais aussi Dailymotion, YouTube, CanalPlay Infinity, Filmo TV et depuis juin Videofutur, ndlr]. Et ce, en vertu d’un accord avec les producteurs ».
Ces derniers n’ont en tout cas pas dit leur dernier mot… @