Europe : Jean-Claude Juncker est décidé à abolir les frontières en faveur d’un marché unique numérique

La nouvelle Commission européenne, que va présider Jean-Claude Juncker, s’apprête à prendre ses fonctions. Avec un vice-président en charge du Marché unique numérique (Andrus Ansip) et un commissaire à l’Economie numérique et à la Société (Günther Oettinger), Internet devient une grande priorité pour l’Europe.

Par Charles de Laubier

« Nous devons faire une bien meilleure utilisation des opportunités offertes par les technologies numériques qui ne connaissent pas de frontières. Pour y parvenir, nous devrons casser les silos nationaux dans la régulation des télécoms, le droit d’auteur et la protection des données, dans la gestion des fréquences et dans la mise en oeuvre de la concurrence », a préconisé le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker (photo), le successeur du Portugais José Manuel Barroso.
Selon nos constatations, ce propos se retrouve dans chacune des lettres de mission datées du 10 septembre et adressées respectivement à L’Estonien Andrus Ansip, désigné comme futur vice-président de la Commission européenne en charge du Marché unique numérique, et à l’Allemand Günther Oettinger, futur commissaire à l’Economie numérique et à la Société.

Télécoms, droit d’auteur, … : « Casser les silos nationaux »
« En créant un marché unique numérique connecté, nous pourrons générer jusqu’à 250 milliards d’euros de croissance supplémentaire en Europe au cours du mandat de la Commission européenne, en créant des centaines de milliers de nouveaux emplois »,
a-t-il assuré à Andrus Ansip. Et à Günther Oettinger : « Plus les marchés seront régulés de manière transnationale, plus les règles concurrentielles peuvent devenir transversales et même continentales ».
Les deux commissaires européens en charge du numérique devront travailler ensemble pour présenter « dans les six premiers mois » après leur prise de fonction prévue initialement le 1er novembre, soit d’ici fin avril 2015, « des étapes législatives ambitieuses vers un marché unique numérique connecté ». Régulation des télécoms, réforme du droit d’auteur et protection des données seront ainsi au cœur des prochaines évolutions de plusieurs directives européenne afin de parvenir à un
marché unique numérique que Andrus Ansip doit mener à bien. « Je veux que
nous surpassions les mentalités en silos », a prévenu en introduction de chacune des lettres de mission le prochain président de la Commission européenne. Le plus grand défi auquel la prochaine équipe de l’exécutif européen sera en effet de s’attaquer aux législations nationales qui, souvent héritées de l’époque d’avant Internet et devenues aujourd’hui obsolètes pour la plupart, entretiennent encore un patchwork réglementaire au niveau des Vingt-huit.

Plus loin que Kroes, Reding et Barnier
Les résistances nationales sont toujours fortes et sujettes à tensions, comme ont
pu le montrer les relations parfois houleuses entre le président de la Commission européenne sortant et le monde la culture – en particulier avec la France où
« l’exception culturelle » fait souvent office de ligne Maginot pour préserver en l’état
des niveaux élevés de subventions, de quotas de diffusion ou encore d’obligations de financement. José Manuel Barroso n’avait-il pas fustigé, dans l’International Herald Tribune du 17 juin 2013, la « vision anti-mondialisation réactionnaire » de ceux qui, comme la France, veulent exclure les services audiovisuels et culturels des négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis (1) (*) (**) en vue d’un accord de libre-échange commercial ?
Malgré les avancées enregistrées en dix ans vers une harmonisation européenne – avec la Néerlandaise Neelie Kroes (2) (*) (**), qui fut commissaire européenne en charge de la Concurrence (2004-2009), puis vice-présidente au Numérique (2009-2014), et avec Viviane Reding (3), qui fut commissaire européenne en charge de la Société de l’information et des Médias (2004-2009), puis de vice-présidente à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté (2009-2014) –, beaucoup de chemin reste encore à faire pour décloisonner l’Europe. Que cela soit dans les télécoms (itinérance mobile, déploiement du haut et très haut débit, gestions des fréquences, gouvernance du Net, …), les industries culturelles (droits de propriété intellectuelle, gestion collective, copie privée, plateformes d’offres légales, …), la protection des consommateurs (données personnelles, neutralité de l’Internet, libertés fondamentales, …) ou encore la fiscalité numérique (TVA du lieu de consommation, lutte contre l’évasion fiscale, neutralité technologique, …), la fragmentation du Vieux Continent devient la première des préoccupations. « Vous ferez en sorte que les utilisateurs sont bien au centre de votre action. Ils devraient pouvoir utiliser leurs mobiles à travers l’Europe sans avoir de frais d’itinérance à payer. Ils devraient avoir accès à des services, de la musique, des films, des événements sportifs sur leurs terminaux électroniques où qu’ils soient en Europe et sans considération de frontières. Vous devrez vous assurer que les bonnes conditions sont là, y compris à travers la législation du droit d’auteur, pour soutenir les industries de la culture et de la création
et pour exploiter leur potentiel économique », a encore donné comme consigne Jean-Claude Juncker à Günther Oettinger. Les droits de propriété intellectuelle devront donc être modernisés à la lumière de la révolution digitale, des nouveaux comportements des utilisateurs et de la diversité culturelle en Europe. Le Français Michel Barnier (4)
(*) (**), qui fut commissaire européen en charge du Marché intérieur et des Services (2010-2014), n’a pas réussi, lui, à trouver un consensus pour réformer la directive sur les droits de propriété intellectuelle (IPRED). La Commission européenne a même renoncé à publier fin septembre le « livre blanc », dont le draft daté de juin dernier circule sur le Web (5), alors qu’il était issu de quatre ans de concertations et de consultations publiques. Seul un rapport sur les réponses
à la dernière consultation publique a été publié le 24 juillet. Dans son audition du 29 septembre, Günther Oettinger – en charge l’Economie numérique et de la Société,
dont le copyright – a promis qu’il reviendra « dans un à deux ans avec une réforme équilibrée du droit d’auteur » – soit d’ici à 2016. Dans son audition du 6 octobre,
Andrus Ansip est lui aussi resté dans les pas du nouveau président de la Commission européenne.

Les réactions provoquées par le propos sans langue de bois de Jean-Claude Juncker, lorsqu’il appelle notamment à « casser les silos nationaux (…) dans le droit d’auteur », laissent présager de nouveaux bras-de-fer entre Bruxelles et certaines organisations d’ayants droits dans la mise en oeuvre du marché unique numérique dans la culture
et l’audiovisuel. Les Coalitions européennes pour la diversité culturelle (CEDC) – groupement informel créé en 2005 (6) – se sont par exemple insurgé le 23 septembre dernier de la formule employée par le nouveau président de la Commission européenne. « M. Juncker, ne fragilisez pas le droit d’auteur ! », a rétorqué le 26 septembre le cinéaste français Bertrand Tavernier, dans une tribune mise en ligne
sur Euractiv. La Société des Auteurs Audiovisuels (SAA), représentant les sociétés
de gestion collective des droits d’auteur dans une quinzaine de pays, s’est de son
coté étonnée que Günther Oettinger ne soit pas auditionné par la commission des Affaires juridique (concernée par le droit d’auteur), comme il l’a été devant les commissions Industrie et Culture. « Saura-t-il résister au lobbying des grands
acteurs du numérique ? », demande la SAA, elle-même lobby des ayants droits.

Verdict du Parlement européen le 22 octobre
Quoi qu’il en soit, à l’issue des auditions, le Parlement européen se prononcera le
22 octobre pour dire si elle accorde l’investiture à l’équipe de Jean-Claude Juncker,
y compris avec le Hongrois Tibor Navracsis à l’Éducation et à la Culture. Même avec
du retard, la nouvelle Commission européenne devra se mettre au travail dès sa prise de fonction. @

La copie privée n’est pas du piratage mais un droit

En fait. Le 17 septembre, l’Hadopi a publié un avis après avoir été saisie deux fois – en mai 2013 et en février 2014 – contre les restrictions techniques imposées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ou par satellite empêchant les plaignants d’exercer leur droit de copie privée de programmes télé.

En clair. L’Hadopi « invite donc les opérateurs de télévision par ADSL ou satellite
à proposer aux téléspectateurs, dans un délai raisonnable, une faculté de copie privée des programmes télévisés qui leur permette de réaliser des copies durablement conservables et disposant d’une interopérabilité suffisante pour l’usage privé du
copiste ». Cet avis (1) est un sérieux avertissement lancé aux fournisseurs de box que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free ou encore Numericable. D’autant que les
« box à disque dur ou à mémoire de stockage multimédia » sont taxées jusqu’à plus de 20 euros en fonction de leurs capacités de stockage.

Cette « rémunération pour copie privée » est payée (sans qu’il le sache vraiment)
par l’abonné, lequel obtient ainsi le droit de procéder à des copies – sans limitation de nombre d’exemplaires, ni de durée de conservation, ni de nombre d’écrans, ni encore d’interopérabilité – pour peu qu’elles soient « strictement réservées à l’usage privé du copiste » (2). Or sur une box ADSL, qui représente encore aujourd’hui en France 98 % des accès haut débit, l’abonné téléspectateur ne peut généralement enregistrer le programme audiovisuel qu’à partir de l’enregistreur numérique (3) intégré à la box.
De plus, les copies numériques ne peuvent être lues qu’à partir de ce même matériel. Résultats : ces enregistrement ne peuvent pas être lus par un autre appareil que la box qui les a enregistrés, celle du FAI. Pire : « Le changement de fournisseur, voire parfois le simple remplacement du récepteur, implique la perte de tous les enregistrements réalisés », déplore l’Hadopi, qui dénonce ainsi d’importantes restrictions d’usage qui limitent l’interopérabilité et la conservation des fichiers. Dans son avis, la présidente Marie- Françoise Marais estiment que ces mesures de protection excessives sont le plus souvent motivées par la crainte du piratage : « Les artistes, producteurs et diffuseurs soutiennent que le partage illicite de copies de ces programmes détourne une partie de l’audience, à la fois en direct et pour la télévision de rattrapage, privant d’autant de ressources d’abonnement ou de publicité les bénéficiaires de l’exploitation de l’oeuvre ».
Mais la copie privée n’est pas du piratage. Quoi qu’il en soit, l’Hadopi demande aux FAI qu’« une information précise soit donnée sur les possibilités d’usage des copies réalisables avec chaque matériel ». @

Le géant américain Google s’adapte de plus en plus à l’Union européenne, de gré ou de force

Droit à l’oubli, protection des données, respect de la vie privée, concurrence sur son moteur de recherche, fiscalité numérique, investissement dans la culture, … Plus de quinze ans après sa création aux Etats-Unis, Google s’européanise – volontairement ou par obligation – chaque jour un peu plus.

Par Charles de Laubier

Carlo d'Asaro BiondoIl ne se passe plus une semaine sans que Google ne défraie la chronique européenne, souvent sur des sujets de fond, parfois sensibles. Bien que disposant de longue date d’un siège européen
à Dublin (Irlande) et ayant parmi ses dirigeants des Européens – comme depuis près de cinq ans maintenant le Franco-italien Carlo d’Asaro Biondo (photo), patron de Google pour le Sud et l’Est de l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique (Seemea), basé et habitant à Paris –, ces « affaires » européanisent encore un peu plus chaque fois le géant du Net américain.

Formulaire pour le droit à l’oubli : une première mondiale
C’est le cas du droit à l’oubli confirmé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dont un arrêt daté du 13 mai dernier permet aux internautes des Vingt-huit d’exiger de Google de supprimer toutes pages web et informations personnelles les concernant sur son moteur de recherche.
Le géant du Net a dû se plier à cette décision européenne en mettant en ligne le 29 mai
un formulaire à remplir par les candidats au droit à l’oubli ou soucieux de leur e-réputation. Lors d’une recherche, un message pourra signaler que les résultats ont été modifiés conformément l’arrêt de la CJUE et à la directive européenne de 1995 sur la protection des données personnelles.

Formulaire pour le droit à l’oubli : une première mondiale
C’est sans précédent pour le numéro un mondial des moteurs de recherche. Google s’étant engagé à traiter les demandes au cas par cas et non automatiquement, cela risque d’être fastidieux puisque 12.000 requêtes avaient été enregistrées dès le premier jour et plus de 40.000 au bout de quatre ! L’Europe compte 500 millions d’internautes potentiels… Le comité consultatif d’experts (2) mis en place par Google, et censé rendre son rapport
« début 2015 », risque d’être très vite débordé. Reste à savoir si le « G29 », le groupement des « Cnil » européennes (3) qui s’est réuni les 3 et 4 juin, trouvera le dispositif suffisant et conforme à l’arrêt de la CJUE, sachant que Google ne précise
pas dans quel délai il supprimera – uniquement sur le moteur en Europe… – les données concernées. Les « Cnil » veilleront aussi à ce que l’application du droit à l’oubli – par ce cénacle privé et en dehors de toute décision du juge – ne s’apparente à de la censure,
à de la violation de la liberté d’expression ni encore à de l’atteinte à la liberté de la presse.

Pas de « taxe Google » mais plus de TVA
Le G29 entend aussi amener Google à s’engager sur un « pacte de conformité » sur la protection des données personnelles, de façon à mieux informer les internautes. Et ce, depuis que le moteur de recherche américain a fusionné en mars 2012 une soixantaine
de règles d’utilisation en une seule – regroupant ainsi les données collectées de ses services auparavant séparés (Google, Gmail, Google+, YouTube, Picasa, Google Docs, Google Maps, …). La Cnil en France, qui pilote l’action du G29 vis-à-vis de Google, a
déjà infligé à ce dernier – le 8 janvier – une amende de 150.000 euros pour sa nouvelle politique de confidentialité des données jugée non conforme à la loi Informatique et Libertés (internautes mal informés, non respect du consentement préalable des utilisateurs avant tout cookie, absence de durées de conservation des données, combinaison illégale des données collectées). Google a dû afficher un temps sur la page d’accueil de Google.fr un encart sur sa condamnation. Là aussi, une première mondiale. Google a néanmoins saisi le Conseil d’Etat sur le fond contre cette sanction de la Cnil.

Autre domaine, et non des moindres, où Google va devoir s’européaniser un peu plus :
la fiscalité du numérique. Le géant du Net aura à se mettre en conformité – d’ici le 1er janvier 2015 – avec la nouvelle règle communautaire dite du « pays de consommation » (qui va progressivement remplacer celle du pays d’établissement du siège social). La
TVA sera en effet prélevée à partir de l’an prochain par le pays où l’internaute utilise les services en ligne. En fait, le compromis trouvé fin 2007 à la demande du Luxembourg prévoit un échelonnement progressive de cette règle du lieu de consommation, de 2015
à 2019, à savoir : 30 % conservés par le pays d’établissement en 2015-2016, 15 % en 2017-2018 et enfin 0% à partir du 1er janvier 2019. Cette nouvelle règle, applicable dans un peu plus de six mois maintenant, éloigne le spectre d’une « taxe Google » en Europe.
« L’économie numérique ne nécessite pas un régime fiscal distinct », a d’ailleurs conclu un groupe d’experts dans leur rapport sur la fiscalité de l’économie numérique (4) commandité par la Commission européenne. Quoi qu’il en soit, déjà sous le coup d’une procédure de redressement fiscal en France depuis 2012 pour un montant qui serait de l’ordre de 1 milliard d’euros, Google ne pourra plus pratiquer l’évasion fiscale en profitant du « dumping fiscal » pratiqué par certains Etats de l’Union européenne. C’est ainsi qu’ont été popularisés deux montages financiers baptisés « double irlandais » et « sandwich hollandais » qui auraient permis à Google d’échapper en grande partie à l’impôt en Europe grâce à une filiale située dans le paradis fiscal des Bermudes (où est située sa filiale Google Ireland Holdings). Cette double pirouette fiscale, a priori légale, est décrite en détail dans le rapport français « Colin & Collin » de janvier 2013 sur la fiscalité de l’économie numérique. Pierre Collin est justement l’un des six experts du groupe de haut niveau qui vient de remettre son rapport. Google va devoir cesser cette optimisation fiscale. D’autant que l’Europe attend beaucoup du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting, comprenez « érosion de l’assiette et déplacement des profits ») de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), laquelle doit présenter un rapport lors de la réunion du G20 en septembre prochain.

Autre « affaire » dans laquelle Google doit s’adapter aux exigences de l’Union européenne : celle du respect de la concurrence sur son moteur de recherche. Le commissaire européen chargé de la Concurrence, Joaquín Almunia, a bien l’intention de conclure
« après l’été » son enquête ouverte en novembre 2010 – à la suite de plaintes d’une dizaine d’entreprises – contre Google pour « abus de position dominante ». Il est reproché au géant du Net de favoriser ses propres services, via son moteur de recherche, aux dépens de ceux de ses concurrents. Pour éviter une amende pouvant aller jusqu’à 5 milliards de dollars, Google a présenté en février dernier de nouvelles concessions que
la Commission européenne semble prête à accepter. Mais c’est sans compter de nouvelles plaintes de 400 entreprises françaises et allemandes qui, regroupées dans une organisation baptisée Open Internet Project (créée à l’initiative notamment de Lagardère, CCM Benchmark et Axel Springer), accusent Google d’atteinte à la neutralité d’Internet
et des résultats de recherche. « Le secteur digital européen demande aux gouvernements européens de garantir une compétition loyale face au monopole de Google, en séparant son moteur de recherche d’une part et ses services d’autre part », a déclaré l’OIP.
Par ailleurs, la firme de Mountain View de plus en plus eurocompatible est confrontée
– en France principalement – aux tenants de « l’exception culturelle » qui exigent sa contribution financière (5). Comme gage de sa bonne volonté, Google a ouvert dès
2011 à Paris son Institut culturel. Mais cela ne leur suffit pas.

Financement de la culture européenne ?
L’« appel de Chaillot » du 4 avril demande à ce que « les diffuseurs contribuent au financement de la création ». Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, compte convaincre ses homologues européens d’adopter « une stratégie européenne pour la culture à l’ère numérique ». Une « feuille de route » sera proposée dans ce sens à la prochaine Commission européenne pour la période 2014-2019. @

Pierre Lescure est-il au-dessus de tout soupçon ?

En fait. Le 14 mai, soit un an presque jour pour jour après l’officialisation du rapport Lescure, le 67e Festival de Cannes a déroulé son tapis rouge jusqu’au
25 mai. Après quoi, à partir du 1er juillet, Pierre Lescure en prendra la présidence qu’occupe actuellement Gilles Jacob depuis 2001.

Pierre LescureEn clair. Pierre Lescure (photo), PDG de Canal+ de 1994 à 2002, a-t-il mené de façon objective sa mission « Acte II de l’exception culturelle » – voulue par le président de la République (1) – qui a abouti le 13 mai 2013 à la remise de son rapport « Contribution
aux politiques culturelles à l’ère numérique » ?
Reposer cette question, au moment où le Festival de Cannes achève sa 67e édition et avant même que Gilles Jacob ne passe les rênes de la présidence à Pierre Lescure, pourrait être perçue comme saugrenue. Loin du crime de lèse-majesté, cette interrogation est légitime.

Risques d’impartialité et de conflits d’intérêts
En effet, la proximité de l’homme d’affaires et ancien PDG de « la chaîne du cinéma » avec l’industrie du Septième Art français nous amène à nous redemander s’il n’a pas eu conflits d’intérêts et manque d’objectivité durant toute sa mission « Acte II de l’exception culturelle ». Ce soupçon fut soulevé a priori, dès qu’il fut missionné mi-2012.
Pierre Lescure fut notamment administrateur de Technicolor (ex-Thomson) de 2002 à 2010, et est toujours membre de la Fondation Technicolor pour le patrimoine du cinéma
en tant que producteur de cinéma (2). Désigné à l’unanimité prochain président du Festival de Cannes seulement sept mois après avoir rendu son rapport au gouvernement, ce soupçon perdure (3).
A l’époque, des organisations comme UFC-Que Choisir, La Quadrature du Net ou encore le Syndicat des artistes interprètes et enseignants de la musique et de la danse de Paris Ile de France (Samup) dénoncent les conflits d’intérêts de Pierre Lescure avec sa mission, dont ils boycotteront les travaux. Il est aussi administrateur du groupe suisse Kudelski (solutions de streaming, de VOD, de DRM, etc.). L’intéressé a contesté les accusations de conflits d’intérêts le 28 septembre 2012 sur Radio Télévision Suisse (RTS).
C’est justement en Suisse que Pierre Lescure détiendrait un compte bancaire où des sommes importantes ont été transférées en 2013, selon M6info.fr daté du 9 mai dernier, au point qu’une enquête judiciaire a été ouverte après les constatations de Tracfin,
la cellule de Bercy de lutte contre la fraude fiscale et financière. « Je sais qu’il n’y a rigoureusement rien de délictueux [et] je souris en voyant sortir cette ‘information’ à quelques jours de l’ouverture du Festival », avait-il déclaré à l’AFP. @

Jean-Noël Tronc (Sacem) veut que la Cisac devienne une force de combat face aux acteurs du Net

Le directeur général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) va engager dès 2014 au niveau mondial un « combat » face à Google, Amazon ou encore Apple pour défendre – avec toutes les industries
de la création – l’exception culturelle et la taxe pour copie privée.

Par Charles de Laubier

Jean-Noël Tronc-EM@A la tête de la Sacem depuis juin 2012, Jean-Noël Tronc (photo) part en croisade pour défendre au niveau mondial l’exception culturelle et la rémunération pour copie privée.
Pour cela, il va s’appuyer sur la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), laquelle représente 227 sociétés de gestion collective – dont la Sacem – réparties dans 120 pays et gère les droits de 3 millions d’artistes dans le monde pour un montant total annuel de perceptions de plus de 7,5 milliards d’euros (dont 4,5 milliards rien qu’en Europe).

Musique, cinéma, média, livre, jeu, …
« J’essaie de contribuer à ce que cette Cisac nous serve dans les trois à cinq années
qui viennent d’étendard mondial, en mobilisant les créateurs de tous les pays, pour des opérations comme la pétition ‘’Tous pour la musique’’. On peut organiser un combat front contre front », a lancé Jean-Noël Tronc, invité d’honneur le 19 décembre dernier
du Club audiovisuel de Paris.
Il s’agit pour toutes les industries culturelles – musique, cinéma, presse, livre, jeux vidéo, arts graphiques et plastiques, spectacle vivant, télévision et radio – d’instaurer un rapport de force avec les Google, Amazon, Apple et autres géants de l’Internet. « Il y a une prise de conscience mondiale sur ce que j’ai dénoncé publiquement comme étant ‘l’exception numérique’ « , s’est félicité le patron de la Sacem.
Il prévoit de faire des propositions avec la Cisac dès l’automne 2014, « prochain rendez-vous important pour les cinq prochaines années », après les élections en mai du nouveau Parlement européen et en septembre ou octobre du président de la Commission européen. Ce sera aussi l’occasion pour Jean-Noël Tronc, instigateur du 1er Panorama des industries culturelles et créatives en France commandité à EY (Ernst & Young) et publié en novembre dernier par le lobby culturel France Créative (1), d’en publier un autre portant cette fois sur l’Europe entière – en attendant de faire ensuite
« un panorama mondial ». Fort du succès de la pétition en faveur de « l’exception culturelle » signée au début de l’été dernier par 4.878 artistes et créateurs, essentiellement français (2), il a convaincu le conseil d’administration de la Cisac, réuni à Madrid les 11 et 12 décembre dernier, de lancer une nouvelle offensive de ce type en juin 2015 avec toutes les industries culturelles, « en engageant les artistes et les créatifs dans un combat au niveau mondial ». L’année 2015 correspondra en outre aux dix ans de la signature à Paris de la Convention sur la diversité culturelle que l’Unesco a entrepris d’adapter au numérique (3). La Cisac, créée en 1926 et basée en France
– à Neuilly-sur-Seine comme la Sacem – sera le fer de lance planétaire de ce combat.
Mais pour Jean-Noël Tron, il y a urgence car « au rythme où vont les choses, une bonne partie de ce qui fait les industries culturelles aura sauté dans trois à cinq ans au niveau européen » et « si on veut arrêter d’être dans une position défensive, il faut que l’on fasse des propositions ». Parmi les trois à cinq propositions – « pas plus » – qu’il compte porter au niveau européen et mondial figure en tête la copie privée. « La copie privée, c’est l’avenir du sujet du numérique pour tous les Européens. Cela rapporte
500 à 600 millions d’euros par an au niveau européen et cela devrait en rapporter 2 milliards ». A la Sacem, et au Groupement européen des sociétés d’auteurs et compositeurs (Gesac), dont il est vice-président, il a fait de la taxe pour copie privée à l’ère du numérique son cheval de bataille. « Lorsque je suis arrivé à la Sacem, il était à peu près claire que la [rémunération pour] copie privée était morte, alors que c’est le premier vrai système de financement de la culture à partir du numérique, le seul qui vaut la peine que l’on se batte : pas la peine d’inventer de nouveaux impôts, des taxes sur les terminaux connectés », a-t-il plaidé (4). Les industries culturelles, excepté la presse préférant la taxe sur les terminaux connectés préconisée en France par le rapport Lescure, souhaiteraient étendre la taxe copie privée
à Internet, cloud inclus.

Réforme de la directive « DADVSI »
« Le mal, c’est la directive ‘’Commerce électronique’’ ! Résultat, les acteurs d’Internet
sont pour une part intouchables. (…) Il faut que l’on bouge, en imaginant un dispositif
dans l’esprit peut-être de la copie privée. Car la copie, c’est le stockage qui traite de la question des intermédiaires techniques d’Internet », a avancé Jean-Noël Tronc. Mais dans l’immédiat, il faudra que la Sacem, la Gesac et la Cisac répondent d’ici le 5 février aux 80 questions sur la révision de la directive «DADVSI » (5), la Commission européenne envisageant plus d’exceptions aux droits d’auteur dans le monde
numérique et une réforme… de la copie privée. @

Charles de Laubier