Relations entre Cannes et Canal : vers la fin de l’exception culturelle du cinéma français

Comme pour compenser la baisse du préfinancement de films, Canal+ met
tout son numérique à disposition du 69e Festival de Cannes du 11 au 22 mai.
La chaîne cryptée du cinéma y sera pour la 24e année. Mais ses relations consanguines avec le Septième Art français s’appauvrissent.

Le principal bailleur de fonds du cinéma français, passé sous
la coupe de Vincent Bolloré en 2015, promet à l’Association française du festival international du film (AFFIF) – présidée par Pierre Lescure et organisatrice du Festival de Cannes (1) – que son groupe Vivendi va mettre les bouchées doubles pour faire rayonner la 69e édition de la grand-messe du Septième Art.
Pour la 24e fois sur la Croisette, Canal+ va faire la promotion du cinéma dans le cadre d’un partenariat qui vient d’être renouvelé pour cinq ans avec notamment la production et la diffusion en exclusivité des cérémonies d’ouverture et de clôture du Festival de Cannes. Mais le budget consacré par la chaîne cryptée du cinéma à l’événement est en baisse par rapport aux 6 millions d’euros estimés de l’an dernier.

Dailymotion « vitrine numérique » de Vivendi
Comme pour tenter de montrer que sont engagement est intacte malgré ces économies, le groupe Canal – dirigé par Maxime Saada (photo) depuis septembre 2015 – va faire appel « à toutes les forces vives du groupe » : non seulement les chaînes Canal+, D8 et iTélé seront mises à contribution, mais aussi les sites web, à commencer par Canalplus.fr et surtout Dailymotion. « On a mis le turbo sur le numérique », a assuré Maxime Saada le 14 avril. « TV Festival de Cannes », la chaîne dédiée et coproduite par Canal+, Orange et le Festival de Cannes pour couvrir les montées des marches, les conférences de presse, les photo-calls, les interviews et les événements officiels, sera disponible sur Dailymotion – mais aussi sur YouTube (2). La plateforme vidéo Dailymotion, acquise par Vivendi à Orange en juin 2015 et présidée depuis janvier 2016 par Maxime Saada (3), revendique quelque 300 millions de visiteurs par mois pour près de 3,5 milliards de vidéos visionnées mensuellement. « Dailymotion a vocation à devenir la vitrine numérique des contenus musicaux et audiovisuels du groupe », indique d’ailleurs le groupe Vivendi. Canal+ a en outre réussi à convaincre le président du Festival de Cannes Pierre Lescure et le délégué général Thierry Frémaux de porter sur eux un micro, afin de proposer chaque soir un montage des meilleurs moments du jour. Dailymotion, qui suit aussi Thierry Frémaux dans ses déplacements dans le monde pour préparer la fête du cinéma, se veut ainsi le point de rendez-vous de l’événement festif. « Je pense que cela a beaucoup compté dans le choix du président du Festival Pierre Lescure [cofondateur de Canal+, ndlr] et de Thierry Frémaux dans le renouvellement de notre partenariat », avait indiqué Maxime Saada
le 15 février au Parisien après l’annonce du nouvellement pour cinq ans du partenariat avec l’AFFIF, mais avec une réduction de la voilure : « Le Grand Journal » sur la Croisette sera animé depuis Paris ; « Les Guignols » cryptés par Vincent Bolloré seront privés de Festival ; le producteur Renaud Le Van Kim a été évincé au cours de l’été 2015 (4).
Mais au-delà d’une vitrine moins reluisante sur la Croisette, le cinéma français craint plus un désengagement progressif du financement de films de la part de Canal+ – jusque-là principal argentier du cinéma français. Bien que la chaîne cryptée soit tenue d’investir 12,5 % de son chiffre d’affaires dans l’acquisition de films européens, dont 9,5 % dans des films en français (soit pour 175 millions d’euros en 2015 pour 129 titres), elle pourrait payer beaucoup moins si son offre devait être scindée en deux. A savoir : d’un côté le cinéma avec Canal+, de l’autre le sport avec BeIn Sports. Si l’Autorité de
la concurrence, dont la décision sur le rapprochement entre Canal+ et BeIn Sports est attendue d’ici fin mai, donnait son feu vert, la chaîne cryptée pourrait en effet séparer ses deux offres thématiques. Auquel cas, le calcul de son obligatoire de financement de films français ne se ferait plus que sur les revenus du seul cinéma, mais non pas sur l’ensemble du chiffre d’affaires de Canal+ comme aujourd’hui.

Le cinéma français craint le clap de fin
La ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay, s’est voulue rassurante auprès des organisations du cinéma inquiètes de cette perspective (5).
« Dès ma prise de fonction, j’ai rencontré Vincent Bolloré, qui a pris l’engagement devant moi de maintenir le niveau de contribution du groupe Canal+ au financement
du cinéma. Et ce, même si le rapprochement de Canal+ et beIN Sports conduisait le groupe à proposer de nouvelles offres fondées uniquement sur le sport », avait-elle assuré le 6 avril dans Le Figaro. Mais il est des chiffres qui ne trompent pas : Canal+ en France accuse une perte opérationnelle de 264 millions d’euros en 2015 (400 millions attendus cette année), et fait face à une forte érosion de sa base d’abonnés depuis quatre ans – dont 405.000 résiliations en 2015. @

Charles de Laubier