La Commission européenne est décidée à favoriser, tout en l’encadrant, l’économie de la data

Dans une communication publiée le 10 janvier 2017, la Commission européenne prévoit de favoriser – tout en l’encadrant – le commerce des données numériques. Cette régulation de la data suppose notamment de réviser dès
cette année la directive de 1996 sur la protection des bases de données.

L’année 2017 sera placée sous le signe de la data. La Commission européenne veut encadrer l’exploitation des données dans une économie de plus en plus numérique.
La communication qu’elle a publiée le 10 janvier, sous le titre
« Construire une économie européenne de la donnée » (1), devait être rendue publique en novembre. Finalement, elle
l’a été avec deux mois de retard et fait l’objet d’une vaste consultation publique – jusqu’au 26 avril prochain.

Une loi européenne d’ici juin 2017 ?
Ces nouvelles règles sur la data utilisée à des fins commerciales doivent mieux encadrer la manière dont les entreprises s’échangent des données numériques entre elles pour développer leur chiffre d’affaires et générer des pro f i t s . I l s’agit d’év i ter que les consommateurs – internautes et mobinautes – soient pris au piège d’accords d’utilisation qu’ils ne pourraient pas refuser, donnant ainsi implicitement à d’autres entreprises que leur fournisseur numérique l’accès à leurs données personnelles. Toutes les entreprises sont potentiellement concernées. Si la communication n’a pas de caractère contraignant, la Commission européenne se réserve la possibilité de légiférer si les entreprises n’appliquaient pas ses suggestions sur le partage de données. Andrus Ansip (photo), viceprésident de la Commissaire européen en charge du Marché unique numérique et – depuis le 1er janvier 2017 – de l’Economie et de la Société numériques (2), a déjà laissé entendre qu’un texte législatif sur la propriété des données et l’accès à ces données pourrait être proposé d’ici juin 2017.
Tous les secteurs de l’économie – industries, services, e-commerce, … – sont en ligne de mire. Déplorant l’absence d’étude d’impact, un cabinet d’avocats (Osborne Clarke)
a recommandé à la Commission européenne de ne pas se précipiter à édicter une nouvelle loi. De nombreux secteurs économiques craignent cette régulation de la data et la perçoivent comme un frein à leur développement. Par exemple, dans l’industrie automobile, l’Association européenne des constructeurs d’automobiles (3) a fait savoir lors d’une conférence à Bruxelles le 1er décembre dernier sur le thème de
« Smart cars: Driven by data » que les données des conducteurs appartenaient aux constructeurs, lesquels pouvaient les vendre à d’autres entreprises. Au moment où la voiture connectée et/ou autonome démarre sur les chapeaux de roue, les industriels
de l’automobile entendent garder la maîtrise des données collectées et leur exploitation comme bon leur semble. Or la Commission européenne souhaite au contraire ne pas laisser faire sans un minimum de règles communes et en appelle à des expérimentations comme dans le cadre du programme CAD (Connected and Autonomous Driving). Les autres secteurs ne sont pas en reste. Cela concerne aussi
le marché de l’énergie (comme les compteurs intelligents), le domaine de la maison connectée, la santé ou encore les technologies financières. En outre, le potentiel de l’Internet des objets (des thermostats aux lunettes connectées), des usines du futur ainsi que de la robotique connectée est sans limite et le flux de données en croissance exponentielle.
Alors que la data constitue plus que jamais le pétrole du XXIe siècle, tant en termes d’économie de marché, de création d’emplois et de progrès social, elle est devenue centrale. L’économie de la donnée est créatrice de valeur pour l’Europe, avec 272 milliards d’euros de chiffre d’affaires généré en 2015 – soit 1,87 % du PIB européen.
Ce montant pourrait, selon les chiffres fournis par la Commission européenne, pourrait atteindre 643 millions d’euros d’ici 2020, soit 3,17 % du PIB européen (4).

Encadrer sans freiner l’innovation
La communication « Construire une économie européenne de la donnée » veut donner une impulsion à l’utilisation des données à des fins lucratives, tout en l’encadrant, sans attendre l’entrée en vigueur à partir du 25 mai 2018 de la nouvelle réglementation européenne sur la protection des données (5). Mais la Commission européenne ne veut pas non plus freiner les Vingt-huit dans le développement de l’économie de la donnée et creuser un peu plus l’écart avec les Etats- Unis. Aussi, voit-elle dans la régulation de la data une manière de contribuer au développement du marché unique numérique en donnant un accès le plus large aux bases de données – au Big Data – et en empêchant les barrières à l’entrée au détriment des nouveaux entrants et de l’innovation. Objectif : favoriser la libre circulation des données au sein de l’Union européenne, ainsi que la libre localisation de ces données dans des data centers, sans que ces échanges et ces stockages se fassent au détriment des consommateurs et de leur libre arbitre. Il s’agit aussi d’éviter la fragmentation du marché unique numérique par des réglementations nationales différentes selon les pays européens. La data se retrouve au cœur du marché unique numérique, que cela soit en termes de flux libres, d’accès, de transfert, de responsabilité, de sécurité, de portabilité, d’interopérabilité et de standardisation.

Pour la libre circulation des données
Dans sa communication « Construire une économie européenne de la donnée », dont un draft était disponible en ligne depuis décembre dernier, Bruxelles réaffirme la libre circulation des données (free flow of data) au sein de l’Union européenne et s’oppose aux barrières réglementaires numériques telles que l’obligation de localiser les données dans le pays concerné (6). Dans le prolongement de sa communication, la Commission européenne discutera avec les Etats membres sur les justifications et la proportionnalité des mesures réglementaires de localisation des données, ainsi que de leurs impacts sur notamment les petites entreprises et les start-up. Bruxelles est prêt à durcir le ton en cas de localisation abusive des données.
Partant du principe que les données peuvent être personnelles ou non personnelles, il est rappelé que la réglementation de 2016 sur la protection des données personnelle (en vigueur à partir de fin mai 2018), s’applique aux premières. Et quand un appareil connecté génère de la donnée qui permet d’identifier une personne, cette donnée est considérée comme étant à caractère personnel jusqu’à ce qu’elle soit anonymisée.
Or, constate la Commission européenne, l’accès aux données au sein des Vingt-huit est limité. La plupart des entreprises utilisant une grande quantité de données le font en interne. La réutilisation des données par des tiers ne se fait pas souvent, les entreprises préférant les garder pour elles-mêmes. De plus, beaucoup d’entreprises n’utilisent pas les possibilités des API (Application Programming Interfaces) qui permettent à différents services d’interagir avec d’autres en utilisant les données extérieures ou en partageant les siennes. Peu d’entreprises sont en outre équipées d’outils ou dotées de compétences pour quantifier la valeur économique de leurs données.
Quant au cadre réglementaire, au niveau européen ou à l’échelon national, il ne les incite pas à valoriser leur capital data. S’il y a bien le nouveau règlement sur la protection des données personnelle, les données brutes impersonnelles produites
par les machines échappent à l’actuel droit sur la propriété intellectuelle faute d’être
« intelligentes ». Tandis que la directive européenne du 11 mars 1996 sur la protection juridique des bases de données permet, elle, aux auteurs de bases de données le droit d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation de tout ou partie de leurs bases de donnés. Sans parler de la nouvelle directive européenne sur le secret des affaires, à transposer par les Etats membres d’ici juin 2018, qui limite l’accès à certaines informations capitales pour l’entreprise. Difficile de s’y retrouver dans ce dédale de textes législatifs. Un cadre réglementaire plus lisible et compréhensible est donc nécessaire, aux yeux de la Commission européenne, pour les données générées par les machines et les objets connectés, sur leur exploitation et leur traçabilité. Faute de quoi, l’économie de la data continuera de relever le plus souvent de relations contractuelles. Or, Bruxelles estime que cela ne suffit pas et qu’il faut un cadre adapté pour les nouveaux entrants et éviter les marchés verrouillés. Ceux que la Commission européenne appelle les propriétaires de facto de données que leurs écosystème génère ont un avantage compétitif sur leur marché, surtout en l’absence de réglementation ou de cadre juridique appropriés.

Afin que les réglementations nationales différentes ne s’imposent au détriment d’une harmonisation communautaire et des services de données transfrontaliers, une législation sur l’accès aux données pourrait voir le jour en Europe afin : d’encadrer le commerce de données générées par les appareils connectés, de faciliter et d’inciter
au partage de telles données, de protéger les investissements et les actifs, d’éviter la divulgation de données sensibles ou confidentielles, et de minimiser les effets de blocage (lockin) dans l’accès aux données.
La Commission européenne prévoit notamment : de réviser en 2017 la directive
« Bases de données » de 1996, de favoriser le développement les API pour faciliter
la création d’écosystèmes numériques, d’édicter des contrats-type portant sur l’exploitation de données, de contrôler les relations contractuelles B2B (7) et d’invalider des clauses abusives, de donner accès aux données d’intérêt général ou issues des services publics (8), d’instaurer un droit des producteurs de données à accorder des licences d’utilisation de ces données, et, enfin, de donner accès à la data contre rémunération.

Responsabilité et assurance
La responsabilité juridique liée à l’exploitation de toutes ces données devra aussi être clarifiée – quitte à envisager la révision de la directive européenne de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux (9) – pour prendre en compte les nouveaux écosystèmes tels que l’Internet des objets ou encore la voiture autonome, sans parler des implications au niveau des assurances. @

Charles de Laubier

Président de Google Europe, Matt Brittin est en première ligne dans l’attente du verdict de Bruxelles en juin

Président de Google pour la région EMEA depuis décembre 2014, Matt Brittin défend bec et ongles – voire avec arrogance – les intérêts du géant du Net. Lui et la directrice des affaires publiques internationales de la firme de Mountain View, Caroline Atkinson, ont été entendus en mai à Bruxelles. Verdict imminent.

Matt Brittin 2La Polonaise Elzbieta Bienkowska, commissaire européenne
en charge du Marché intérieur et de l’Industrie, a reçu le 3mai dernier à Bruxelles le Britannique Matt Brittin (photo), président de Google Europe. Quelques jours après cet entretien d’où rien n’a filtré, ce fut au tour de l’Américaine Caroline Atkinson, directrice de la politique internationale de Google depuis janvier (après avoir été conseillère économique de Barack Obama), d’être convoquée pour rencontrer le 19 mai l’Estonien Andrus Ansip, vice-président de la Commission européenne, chargé
du Marché numérique unique. Ces échanges au sommet annoncent un dénouement prochain de l’enquête au long cours menée depuis 2010 sur Google, accusé d’abus de position dominante en Europe avec son moteur de recherche. Il en va dans cette affaire de la crédibilité de l’exécutif européen qui a pris son temps pour l’instruire (1) (*) (**).

Bruxelles ? « De braves gens mal informés » (Matt Brittin)
Selon le Sunday Telegraph du 15 mai dernier, la firme de Mountain View (Californie) dont le siège européen est à Dublin (Irlande) pourrait écoper début juin d’une amende d’environ 3 milliards d’euros pour avoir manipulé les résultats de son moteur de recherche afin de favoriser ses propres services au détriment de ceux équivalents de la concurrence.
Si cette sanction financière se confirmait, ce serait un record – bien que la Commission européenne soit en droit de pouvoir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires global de Google, soit quelque 7,5 milliards de dollars !
Le dernier record qui pourrait être ainsi largement battu est détenu par le numéro un mondial des microprocesseurs Intel épinglé en 2013 à hauteur de 1,06 milliard d’euros pour entrave à la concurrence. L’exécutif européen n’est-il pourtant pas constitué que
« de braves gens qui essaient de s’informer sur le monde, et peut-être pourraient-ils être mieux informés qu’ils ne le sont », comme l’affirmait avec une pointe d’arrogance Matt Brittin dans une interview au Financial Times le 17 avril dernier ? « Il y a des endroits et des intérêts en Europe où le premier réflexe est de otéger le passé du futur. Il y a un travail de formation à faire ici. Nous et d’autres avons beaucoup à faire », avait-il même ajouté quelque peu méprisant.

Moteur, Android, Bermudes, …
Président de Google pour la région EMEA (2) depuis décembre 2014, cet ancien directeur de la stratégie et du numérique du groupe de presse britannique Trinity Mirror sera en première ligne lorsque le verdict de la Commission européenne va tomber. Il n’a d’ailleurs pas échappé à la Danoise Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la Concurrence, que Google a – en pleine enquête anti-trust – modifié ses algorithmes pour encore plus prospérer face à ses concurrents désavantagés. A cette tactique s’est ajouté un comportement jugé dilatoire par Bruxelles pour retarder l’issue de l’enquête. Sans parler d’une réorganisation de sa gouvernance en Europe effectuée il y a plus d’un an maintenant : c’est à ce moment-là que Matt Brittin, jusqu’alors vice-président du Nord et du centre de l’Europe, a vu ses responsabilités étendues à tout le Vieux Continent. Son alter ego chez Google pour le Sud et l’Est de l’Europe, Carlo d’Asaro Biondo, bien plus connu en France, est devenu, lui, président EMEA des relations avec les partenaires commerciaux.
Et encore, cette sanction financière record qui pend au nez du numéro un des moteur de recherche – avec 95 % de parts de marché des requêtes sur l’Internet européen – pourrait être suivie ultérieurement par une autre amende portant cette fois sur le système d’exploitation Android pour smartphones. Ce deuxième front a été ouvert en avril dernier par la Commission européenne (3). « On verra où tout cela mènera. Il est normal, vu l’importance d’Android dans le panorama européen que la Commission européenne fasse des contrôles », a estimé à Paris Carlo d’Asaro Biondo, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 22 avril. Et comme « Jamais deux sans trois », un troisième front est en outre ouvert à l’encontre de Google : la fiscalité. Matt Brittin, qui est basé à Londres, a été convoqué en février par Parlement britannique pour s’expliquer sur le peu d’arriérés d’impôts que Google s’est engagé à payer au Royaume-Uni sur dix ans (2005-2015) – seulement 167 millions d’euros (4). S’il a assuré aux députés que son groupe payait au fisc britannique 20 % d’impôt sur les sociétés, il n’a en revanche pas su dire quel salaire il touchait – provoquant l’ire de la présidente commission des comptes publics à la Chambre des communes. Google fait l’objet de redressements fiscaux dans d’autres pays européens tels qu’en France où il serait question de 1,6 milliard d’euros d’arriérés à payer – sur fond d’« enquête préliminaire pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée » (dixit le Parquet financier le 24 mai). Matt Brittin s’est fait connaître publiquement il y a quatre ans en défendant les pratiques d’« optimisation fiscale » de Google en Europe via une filiale aux Bermudes. Il n’a eu de cesse depuis d’expliquer que les employés britanniques de la firme de Mountain View ne s’occupent que de
« promotion », bien qu’il reconnaît le paiement à ces derniers de commissions sur les ventes conclues par la filiale irlandaise.

Quant à Caroline Atkinson, elle est directrice des affaires politiques internationales
de Google depuis le mois de mars. Basée à Washington après avoir été à la Maison Blanche, en tant que conseillère de Barack Obama pour les affaires économiques et
la sécurité nationale, cette diplomate américaine n’a sans doute pas été étrangère
aux propos lapidaires que le président des Etats-Unis avait tenus en février 2015 à l’adresse du Vieux Continent : « Nous avons possédé Internet. Nos entreprises l’ont créé, développé et amélioré de telle manière que l’Europe ne puisse pas lutter », avait-il lancé dans une interview au site web Re/code. Et à propos de l’enquête de Bruxelles sur Google : « La réponse européenne est parfois plus dictée par des intérêts commerciaux qu’autre chose ».
Pourtant, l’Europe n’est pas la seule à s’intéresser aux agissements de Google. L’autorité de la concurrence américaine, la Federal Trade Commission (FTC), se penche elle aussi sur les risques d’abus de position dominante du numéro un des moteurs de recherche. Selon le site web Politico du 11 mai, une enquête pourrait
être déclenchée à la suite d’une plainte d’une entreprise américaine. Ce n’est pas
la première fois que la FTC a des soupçons sur Google.com : en 2013, elle avait finalement renoncé à poursuivre le géant de Net faute de preuve. Le 26 avril dernier, le Wall Street Journal révélait que la FTC cherchait à savoir – à l’instar de la Commission européenne – si Google abusait de sa position dominante avec Android.

Après l’Europe, les Etats-Unis ?
« Google se livre aux mêmes pratiques anti-concurrentielles, injustes et abusives aux Etats-Unis. Nos autorités de la concurrence doivent aller de l’avant et faire leur travail, au lieu de laisser les Européens le faire pour eux », a déclaré en avril John Simpson, ancien journaliste devenu défenseur des consommateurs au sein de l’organisation américaine Consumer Watchdog. Cela n’empêche pas que l’offensive européenne contre la firme de Mountain View soit perçue aux Etats-Unis, notamment par l’influente CCIA (Computer & Communications Industry Association) dont est membre Google aux côtés de d’Amazon, eBay, Facebook, Microsoft, Yahoo ou encore Samsung, comme une attaque contre l’innovation. @

Charles de Laubier

Après les GAFA américains, les BATX chinois !

En fait. Du 17 au 19 novembre, se tenait à Montpellier la 37e édition du DigiWorld Summit de l’institut d’études Idate. Les opérateurs télécoms, souvent nationaux, assistent – inquiets – à la guerre engagée des plateformes numériques mondiales. Et ce n’est pas fini : après les Américains, les Chinois.

Rui WenEn clair. Vous avez aimez les GAFA ; vous adorerez les BATX ! Alors que les Google, Apple, Facebook et autres Amazon n’en finissent pas de donner du fil à retordre aux opérateurs télécoms européens qui se plaignent toujours de devoir investir dans leurs réseaux toujours plus rapides au profit des géants du Net, voici que commencent à arriver sur le Vieux Continent les Baidu, Alibaba et autres Tencent – ceux que les Chinois appellent
les « BAT », auxquels nous ajoutons X pour Xiaomi (numéro
un chinois des fabricants de smartphones et numéro trois mondial derrière Samsung
et Apple).
« Après les Etats- Unis et l’Australie où nous nous lançons actuellement, nous avons prévu d’investir en Europe à partir du premier trimestre de 2016. Cela pourrait démarrer en France, en Allemagne et en Grande- Bretagne, une fois que nous aurons les infrastructures de serveurs et de points de distribution », a indiqué Rui Wen (photo), directeur du développement du groupe chinois Youku Tudou, à Edition Multimédi@.

Le « YouTube » chinois, Youku Tudou (Alibaba), débarquera en France début 2016
C’est la première fois que l’une des plus importantes plateformes chinoises de vidéos en ligne, en phase d’être rachetée par le géant chinois du e-commerce Alibaba (déjà actionnaire minoritaire depuis 2014), esquisse un calendrier de son lancement en Europe. Sans attendre le « YouTube » chinois en France pour l’an prochain, Alibaba ouvre à Paris ces jours-ci son « ambassade » en France – conformément à ce que son patron milliardaire Jack Ma avait annoncé à François Hollande en mars dernier.
Alibaba a déjà un pied en Europe où il s’est d’abord implanté à Genève en 2007 puis
à Londres depuis 2009 (1). Un autre géant chinois ne cache pas ses ambitions européennes : le fabricant de smartphones Xiaomi (2), qui commence à vendre en ligne (Xi.com) en France, Allemagne et en Grande-Bretagne. Les BATX n’ont pas fini de
faire parler d’eux, dans la bataille des plateformes mondiales qui a commencé. Les opérateurs télécoms, eux, ne sont pas au bout de leurs peines – ayant déjà maille à partir avec les GAFA. « Les relations entre les “telcos” et les OTT, c’est un peu “Je t’aime, moi non plus” ! Il y a des rapports parfois aggressifs. Mais nous vivons dans
la même famille. La relation avec les opérateurs télécoms est plutôt compliquée mais elle tend à s’améliorer », a tenté d’apaiser Carlo d’Asaro Biondo, président des relations stratégiques de Google pour la région EMEA. Par ailleurs, toujours au DigiWorld Summit de Montpellier, Olivier Huart, DG de TDF (opérateur audiovisuel), a estimé quant à lui que TV et OTT étaient complémentaires. Mais les BATX sont déjà en embuscade… @

Pourquoi Deezer s’en remet à la Bourse de Paris pour faire le poids face à Spotify et Apple

Fondé en août 2007 par Daniel Marhely et Jonathan Benassaya, Deezer est devenu en huit ans une plateforme de streaming musical avec 6,3 millions d’abonnés, dont la moitié en France. La domination de Spotify et l’arrivée d’Apple Music poussent en Bourse l’entreprise française, non rentable mais cofinancée par le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik.

Leonard BlabatnikLe premier actionnaire de Deezer n’est autre que le milliardaire russo-britannique Leonard Blavatnik (photo), la plus grosse fortune de Grande-Bretagne avec un patrimoine estimé à 18 milliards d’euros.
Né à Odessa en Ukraine et ressortissant des États-Unis, il détient à ce jour – via sa holding personnelle Access Industries – 26,9 % du capital dilué (36,7 % avant dilution) de la société française Odyssey Music Group qui s’est rebaptisée Deezer le 4 septembre dernier pour prendre le nom de sa célèbre plateforme musicale éditée jusqu’alors par sa filiale Blogmusik.
C’est dans cette dernière que les majors mondiales de la musique détenaient chacune des bons de souscription d’action (BSA) ou warrants, qui leur donnaient accès à des actions de son capital. En faisant jouer leur option dans la perspective de l’introduction en Bourse prévue à la fin de cette année, Universal Music, EMI (racheté fin 2011 par la précédente), Sony Music, Warner Music et détiennent à elles quatre plus de 20 % du capital dilué de Deezer, avec pour l’instant respectivement (1) : 5,88 %, 1,89 %, 3,79 % et 3,79 %.

Majors et Orange : risques de conflits d’intérêt
Les quatre majors qui ne font plus que trois constituent donc ensemble le deuxième actionnaire de future entreprise cotée, derrière l’investisseur Leonard Blavatnik, mais devant Orange et ses 10,6 % (14,5 % avant dilution). Les trois labels mondiaux représentent environ 13 % du catalogue musical de Deezer qui compte plus de 35 millions de titres au total, « mais approximativement 67 % des contenus streamés sur sa plateforme ».
Son offre est donc largement dépendante des musiques fournies sous licence par les trois majors, qui ont en plus un intérêt capitalistique direct à ce que cela rapporte. D’autant que Deezer, comme les autres plateformes musicales, doit leur payer à l’avance des « minimums garantis » (MG), lesquels peuvent s’avérer plus élevés que les revenus de la plateforme.
A noter que la holding du milliardaire et philanthrope d’origine soviétique, Access Industries, détient Warner Music depuis 2011 après avoir acquis la major américaine pour plus de 3milliards de dollars. Pour prévenir tout conflit d’intérêt, Guillaume d’Hauteville – vice-président d’Access Industries et directeur chez Deezer depuis 2012 – s’est engagé à ne pas obtenir les détails des accords commerciaux avec les autres majors.
De même, Pierre Louette – directeur général adjoint d’Orange et directeur chez Deezer depuis 2015 – est tenu lui aussi de ne pas avoir connaissance des contrats passés avec d’autres opérateurs télécoms (2).
Parmi les actionnaires suivants, l’on retrouve notamment DC Music (9,5 %) des frères Rosenblum (fondateurs de Pixmania), Idinvest Partners (9,45 %) soutenu par les groupes Allianz et Lagardère, ou encore Xavier Niel (3,6 %). Malgré une levée de fonds de quelque 70 millions d’euros en 2012, Deezer n’a pas pu se lancer de façon indépendante à la nécessaire conquête des Etats-Unis où était déjà implanté son concurrent suédois Spotify. Plus généralement, la plateforme française n’a pas eu
les reins assez solides financièrement pour assurer son expansion internationale.
A la demande des majors actionnaires, Deezer a dû rapidement développer les abonnements – 6,3 millions à ce jour (3) – au détriment de la gratuité financée par la publicité qui ne rapportait pas assez. C’est en août 2010 que le partenariat est noué avec Orange pour proposer un bundle entre ses forfaits fixe ou mobile, accord qui a
été l’année suivante étendu au Royaume-Uni. D’autres partenariats avec d’autres opérateurs télécoms ont suivi, en Belgique, Autriche, Pays- Bas, Hongrie, Pologne, Serbie, Amérique du Sud, Afrique, Moyen-Orient et Asie. Sans parler des offres faites avec des fabricants d’appareils high-tech grand public tels que Sonos, Bose, Bang & Olufsen, Devialet, Philips, LG, Panasonic, Parrot, Sony, Samsung, Toshiba, voire avec des constructeurs automobiles comme BMW et Audi.

Moins dépendant d’Orange
En raison de ce déploiement en dehors de France, le chiffre d’affaires généré par Orange a décru en proportion : de 56 % du total des revenus en 2012 à moins de 25 % actuellement. Mais la France pèse encore plus de la moitié des revenus de Deezer (52,3 % des 141,9 millions d’euros de 2014), suivie par le reste de l’Europe (28,7 %), l’Amérique Latine (15,1 %) et de manière anecdotique les Etats-Unis (0,2 %). Et la plateforme musicale n’a jamais généré de bénéfices. Ses pertes nettes se succèdent
et se ressemblent d’une année sur l’autre : 27,1 millions d’euros en 2014, 22 millions
en 2013 ou encore 28,8 millions en 2012. Toutes proportions gardées, Spotify ne fait guerre mieux. @

Charles de Laubier

Le manque d’interopérabilité des écosystèmes de l’Internet mobile à nouveau pointé du doigt

L’Internet Society (Isoc), association qui est à l’origine de la plupart des standards ouverts du Net, dénonce le verrouillage des plateformes mobiles
telles que celles d’Apple, de Google ou de Microsoft. Ce qui limite les choix
des consommateurs et augmente les coûts de développement des applications.

Michael Kende« Aujourd’hui, nous associons l’Internet mobile à un appareil intelligent qui tourne sur une plateforme spécifique et qui permet d’accéder aux applications que nous utilisons. Bien que cela ait généré des avantages extraordinaires pour les utilisateurs et toute une économie des applications pour les développeurs, les utilisateurs sont prisonniers d’une plateforme et cela limite au final les choix d’une manière inédite pour l’Internet », déplore Michael Kende (photo), chef économiste de l’Internet Society (Isoc) et auteur du rapport « Global Internet Report 2015 » dévoilé le 7 juillet dernier.
Le problème est que la grande majorité des applications mobiles sont « natives », c’est-à-dire qu’elles sont développées pour une plateforme mobile telle que Android de Google, iOS d’Apple, Windows Phone de Microsoft ou encore Blackberry du fabricant éponyme (ex-RIM).

Dépendance OS-App Store
Cela augmente les coûts pour les développeurs, lesquels doivent concevoir des applications pour chacune de ces plateformes, tandis que les consommateurs sont pieds et poings liés par ces écosystèmes verrouillés, dans l’impossibilité de passer d’une plateforme à une autre. Ce qui limite et le choix des mobinautes et la concurrence entre ces plateformes. Le rapport de l’Isoc constate ainsi une « dépendance croissante aux applications mobiles ».
Cette association internationale pionnière du Net, regroupant une communauté de concepteurs, d’opérateurs, de fournisseurs de réseau et de chercheurs (2), s’en prend ainsi à ces walled gardens. Alors que l’on compte aujourd’hui plus de 1,3 million d’applications mobiles dans le monde, l’inconvénient est qu’elles ont été pour la plupart d’entre elles développées pour des plateformes dites « propriétaires ». Le mobinaute se retrouve non seulement dépendant de l’OS (Operating System) sous-jacent mais aussi de l’App Store correspondant. Par exemple : l’iOS d’Apple est associé uniquement à iTunes et Android à Google Play. Comparée à l’accès au Web avec un navigateur Internet sur un ordinateur, l’expérience de l’internaute est largement plus ouverte que celle du mobinaute dans sa prison dorée (3). « Sur les terminaux intelligents utilisant des applis natives, c’est complètement différent. D’abord, les utilisateurs ne peuvent pas facilefacilement chercher parmi les applications, ou facilement se déplacer entre elles comme sur des sites web. De plus, ils ne peuvent pratiquement télécharger que ce qu’il y a dans l’App Store, et il ne leur est pas possible de changer de boutique. Finalement, s’ils changent de système d’exploitation, ils auront à ré-accéder à toutes leurs applis, pour peu qu’elles soient aussi disponibles sur la nouvelle plateforme », souligne le rapport de l’Isoc.

A cela s’ajoute le fait que bon nombre d’applis mobiles sont des outils standalone :
elles n’ont pas d’adresses web ni d’hyperliens dit « profonds » (ou deep link) permettant de pointer vers une autre appli ou vers une de ses ressources précises. Résultat : les informations trouvées sur une appli ne peuvent pas être facilement partagées et les utilisateurs ne peuvent pas passer d’une appli à l’autre. Il faut donc encourager les développeurs à adopter ces liens profonds, en assignant à chaque application une URI (Uniform Resource Identifier) sur le modèle des URL du Web. « Cependant, malgré des progrès, il y a toujours des pierres d’achoppement sur l’adoption du deep linking », regrette Michael Kende.
En plus de ce manque d’interopérabilité mobile, qui génère de la confusion chez les mobinautes, il y a le problème du contrôle exercé par les propriétaires des App Stores qui peuvent « limiter l’expression et le choix des consommateurs ». Les Apple, Google et autres Microsoft peuvent en tant que gatekeepers se transformer en censeurs de contenus, ayant le droit de vie ou de mort sur les applis qu’ils publient sur leur boutique en ligne. Leur pouvoir peut potentiellement restreindre l’innovation.

Problème identifié en Europe
Le manque d’interopérabilité des applis et de leur écosystème a aussi fustigé par la Commission européenne sur la base d’un rapport commandité à Gigaom et intitulé
« Sizing the EU App Economy ». Publié en février 2014, il assimile les non-interopérabilités à des « goulets d’étranglement technique » que Bruxelles voient comme une cause de « morcellement » du marché unique numérique (4). En France, le 10 décembre 2014, Tim Berners-Lee – l’inventeur du World Wide Web il y a 25 ans – a lui aussi dénoncé les environnements fermés et verrouillés des applis mobiles (5), tout en se posant en garant de l’ouverture et de l’interopérabilité du Net avec HTML5. @

Charles de Laubier