Majorité numérique à 15 ans harmonisée en Europe ?

En fait. Le 28 juin, la proposition de loi « visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne » a été définitivement adoptée en commission mixte paritaire par députés et sénateurs. L’âge de 15 ans pour les réseaux sociaux va-t-il être harmonisé au niveau des Vingt-sept ?

En clair. Maintenant que la loi française « Majorité numérique » a été adoptée le 28 juin, obligeant les réseaux sociaux et plateformes numériques à vérifier non seulement que leurs jeunes utilisateurs ont bien l’âge de 15 ans pour les utiliser, mais aussi à obtenir une autorisation parentale en dessous de cet âge-là, la Commission européenne devra donner son avis. Le gouvernement français lui a en effet notifié la proposition de loi telle qu’adoptée, afin d’avoir le feu de Bruxelles qui doit vérifier que cette législation est bien conforme au droit de l’Union européenne.
Une fois le blanc-seing de la Commission européenne obtenu, le gouvernement fixera par décret une date d’entrée en vigueur de la loi, « [date] qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le gouvernement de la réponse de la Commission européenne ». L’harmonisation de la majorité numérique en Europe ne semble pas prévue, le règlement général sur la protection des données (RGPD) laissant le loisir aux Etats membres de fixer cette majorité numérique entre 13 et 16 ans (1). Cette vérification de l’âge viendra donc s’ajouter à l’obtention du consentement de l’enfant « e-majeur » ou d’un parent pour le traitement des données à caractère personnel – cette obligation concernant la protection de la vie privée étant déjà en vigueur. Pour l’accès aux réseaux sociaux, ce n’est qu’à compter de la date de promulgation de la loi « Majorité numérique » que les plateformes numériques (YouTube, Instragram, WhatsApp, TikTok, Facebook, Google Actualités, …), ainsi que les sites pornographiques premiers visés (2), disposeront de deux ans pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs. C’est le président de l’Arcom qui est chargé de veiller à ce que les plateformes numériques mettent en œuvre une « solution technique certifiée pour vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de moins de quinze ans ».
Au préalable, l’Arcom devra établir un « référentiel » validé par la Cnil (3), auquel les « solutions techniques » devront être conformes. Or la Cnil, qui a préconise depuis juin 2021 le mécanisme de « double anonymat » (4) préféré à la carte d’identité, n’a toujours pas rendu public le bilan du test mené par un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) de Bercy. @

Le « Big 19 » en Europe se voit contraint de renforcer sa régulation de l’Internet

Alibaba/AliExpress, Amazon Store, Apple/AppStore, Booking, Facebook, Google Play, Google Maps, Google Shopping, Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter, Wikipedia, YouTube, Zalando, Bing et Google Search : ce sont les « très grands régulateurs » du Net en Europe.

Le règlement européen sur les services numériques (1) a prévu de les identifier ; la Commission européenne les a listés. Ce sont les « très grandes plateformes en ligne », au nombre de dix-sept, et les « très grands moteurs de recherche en ligne », au nombre de deux. Ce « Big 19 », du moins à ce stade puisque la liste sera actualisée tous les six mois, devra se conformer dans un délai de quatre mois – à savoir d’ici fin août 2023 – à l’ensemble des nouvelles obligations cumulatives découlant du Digital Services Act (DSA).

2 « VLOP » européens : Booking et Zalendo
La première liste de ces « Very large Online Platforms (VLOP) en Europe, a été publiée le 25 avril dernier par la vice-présidente Margrethe Vestager (photo) et le commissaire Thierry Breton (2). Parmi ce « Big 19 », l’américain Google – la filiale du géant Alphabet – compte à lui seul cinq plateformes (Google Play, Google Search, YouTube, Google Maps et Google Shopping), tandis que son compatriote Meta en compte deux (Facebook et Instagram). Autre américain, Microsoft est présent aussi avec deux plateformes (Bing et LinkedIn). Les dix autres de la liste – avec cette fois une seule plateforme chacun – sont les américains Amazon Store, Apple/AppStore, Pinterest, Snapchat, TikTok, Twitter et Wikipedia, le chinois Alibaba avec AliExpress, ainsi que les européens Booking, et Zalando. Ces deux dernières plateformes – le néerlandais Booking, et l’allemand Zalando – sont à ce stade les deux seuls grands acteurs du Net émanant de l’Union européenne.
Les Etats-Unis, eux, sont surreprésentés avec pas moins de seize plateformes sur les dix-neuf. Tous ont en commun de cumuler « au moins 45 millions d’utilisateurs actifs par mois » dans les Vingt-sept, soit 10 % de la population européenne qui est de 446,7 millions au dernier recensement (3). Le « Big 19 » se retrouve ainsi avec le plus d’« obligations cumulatives », soit une vingtaine, par rapport aux autres acteurs du Net moins fréquentés que sont les « services intermédiaires », les « services d’hébergement » et les « plateformes en ligne » (voir page suivante). Les VLOP – dans lesquels nous incluons les deux « VLOSE » (4) que sont, dans le jargon de Bruxelles, les moteurs de recherche Google (Alphabet) et Bing (Microsoft) – sont tenus de :
redonner la main à leurs utilisateurs (consentir aux recommandations et au profilage, lesquels doivent pouvoir signaler des contenus illicites, exclure les données sensibles pour le ciblage publicitaire, être informé sur le caractère publicitaire des messages, avoir un résumer clair des conditions générales d’utilisation, etc.).
protéger les mineurs en ligne (protection de la vie privée, interdiction de faire du profilage publicitaire sur les enfants, fournir une évaluation des risques et des effets négatifs sur la santé mentale, revoir la conception de la plateforme pour limiter les risques, etc.).
modérer plus rapidement les contenus et limiter les fake news (éviter les contenus illicites et les effets négatifs sur la liberté d’expression et d’information, faire respecter plus rapidement les conditions générales d’utilisation, permettre aux utilisateurs de signaler les contenus illicites et y répondre rapidement, identifier les risques et les atténuer, etc.).
rendre des comptes (se soumettre à un audit externe et indépendant d’évaluation des risques et du respect des obligations européennes, permettre aux chercheurs d’accéder aux données publiques, rendre public le registre de toutes les publicités, publier des rapports de transparence sur les décisions de modération des contenus et la gestion des risques, etc.).
Alors que la Commission européenne a désormais le pouvoir de « surveiller les plateformes et les moteurs de recherche » considérés comme « très grands », avec la collaboration d’« autorités nationales » que chaque Etat membre devra désigner d’ici le 17 février 2024, le « Big 19 », lui, joue un rôle d’auto-régulation pour la part d’Internet les concernant. Cette régulation en cascade – publique-privée – instaurée par le DSA va accroître la pression réglementaire sur le Web en général et l’Internet mobile en particulier.

Effets et biais : algorithmes sous surveillance
Concernant la « gestion de risques » par les VLOP, la Commission européenne a annoncé le 17 avril le lancement du Centre européen pour la transparence des algorithmes (CETA) (5), afin de veiller à ce que les systèmes algorithmiques soient conformes aux obligations du règlement sur les services numériques (6). Objectifs : atténuer leurs effets et éviter les biais. @

Charles de Laubier

Carte d’identité numérique européenne : c’est parti

En fait. Le 16 mars, le Parlement européen a adopté la décision de la commission parlementaire d’engager des « négociations » (trilogues) sur l’identité numérique européenne qui consistera à créer un portefeuille électron

En clair. Le coup d’envoi des « négociations interinstitutionnelles » en vue d’instaurer une identité numérique européenne – désignée parfois par « eID » – pour chacun des citoyens des Vingt-sept a été donné par le Parlement européen réuni en séance plénière le 16 mars. Il s’agit pour cette phase de « trilogues » – dont la première réunion tripartite (1) s’est tenue le 21 mars – de trouver un accord politique sur un cadre réglementaire entourant un système de portefeuilles électroniques à puce. Ces e-wallets nationaux seront émis par chaque Etat membre mais interopérables à travers l’Union européenne (UE). Les Européens pourront ainsi avoir dans leur smartphone – a priori dès 2024 – toute leurs données personnelles, de l’état civil (nom, prénom, date de naissance, nationalité, …) au certificat de naissance en passant par son dossier de santé ou encore le permis de conduire. Ils se serviront de leur carte d’identité numérique pour : s’identifier en ligne ou hors ligne (prouver l’identité d’une personne sur Internet sans mot de passe), conserver et échanger des informations fournies par des administrations publiques ou des acteurs privés dignes de confiance, ou encore utiliser ces informations afin d’attester de leur droit de résider, de travailler ou d’étudier dans un Etat membre (authentification transfrontière). Les e-portefeuilles faciliteront par exemple aussi la demande d’un prêt auprès de banques (2). Pour l’UE, il s’agit d’un enjeu de souveraineté visà-vis des GAFAM qui, en tant que très grandes plateformes et conformément au règlement européen DSA (3), devront faire en sorte de reconnaître ces e-wallets européens. Ce sera particulièrement le cas pour Google, Amazon, Facebook ou encore Apple, dont les systèmes d’identification seront ainsi concurrencés. Rien n’empêcherait alors d’obliger les réseaux sociaux de vérifier l’âge des adolescents (de 13 ans) sur présentation de l’e-wallet européen.
Proposé en juin 2021 par la Commission européenne pour compléter le règlement dit « eIDAS » de 2014 sur « l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur » (4), ce nouveau cadre « eID » a déjà été adopté par le Conseil des ministres de l’UE en décembre dernier. Les négociations porteront notamment sur le niveau de sécurité qui sera plus élevé que, par exemple, système national France Connect (5). @

Position dominante de Qualcomm: une amende de 1 milliard d’euros annulée peut en cacher une autre

Le Snapdragon Summit, grand-messe annuelle de l’américain Qualcomm, a eu lieu cette année les 15 et 16 novembre en livestream d’Hawaï, loin du tribunal de Luxembourg. Le numéro un mondial des puces pour smartphones reste dans le collimateur de la Commission européenne.

près le tribunal de l’Union européenne au Luxembourg, les cocotiers sous le soleil d’Hawaï pour son Snapdragon Summit… Qualcomm – numéro un mondial des micro-processeurs pour smartphones et tablettes – peut continuer à conforter sa position dominante sur ce marché colossal. La Commission européenne a décidé de ne pas faire appel de l’arrêt annulant le 15 juin 2022 l’amende de 997,4 millions d’euros qu’elle avait infligée en janvier 2018 au fabricant américain de puces pour abus de position dominante, en pratiquant avec Apple des « tarifs d’exclusivité » (1).

« Tarifs d’exclusivité », non tranchés au fond
« La Commission européenne a étudié attentivement l’arrêt du tribunal de l’Union européenne dans l’affaire Qualcomm et a décidé de ne pas saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) », a-t-elle indiqué à Edition Multimédi@, confirmant une information de Reuters datant de fin août (2). Pour autant, un autre recours de Qualcomm contre une deuxième décision de Bruxelles le condamnant à une amende dans l’affaire cette fois des « prix d’éviction » est actuellement instruite par le même tribunal de l’UE. Pour avoir facturé « des prix inférieurs aux coûts dans le but de forcer ses concurrents à quitter le marché », Qualcomm avait écopé le 18 juillet 2019 de 242 millions d’euros d’amende (3) mais le fabricant américain avait demandé en appel d’annuler cette décision. Ce verdict ne devrait pas tarder.
En attendant, l’arrêt de la première affaire – publié au Journal Officiel de l’UE le 15 juillet (4) est un revers majeur pour Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission européenne en charge du Numérique et, depuis novembre 2014, de la Concurrence. L’amende de près de 1 milliard d’euros infligée à Qualcomm en janvier 2018 sanctionnait un abus de position dominante sur le marché mondial des chipsets à la norme LTE (Long Term Evolution), le standard international des 3G et 4G. La sanction représentait 4.9 % du chiffre d’affaires de Qualcomm en 2017.
La firme de San Diego, qui fournit ses puces à Samsung (numéro un mondial des smartphones), Apple, Xiaomi, Huawei, HTC, LG ou ZTE, est toujours en tête de ce marché étendu à la 5G. Il était notamment reproché à Qualcomm d’avoir accordé à Apple des « paiement d’exclusivité » pour que le fabricant d’iPhone et d’iPad ne se fournisse que chez lui en puces, ce que Bruxelles avait considéré comme un « abus de position dominante » à « effets anticoncurrentiels ». La Commission européenne avait même révélé que « Qualcomm avait payé à Apple une somme comprise entre 2 et 3 milliards de dollars » pour obtenir cette exclusivité, de 2011 à 2015 (5). Ce qui aurait dissuadé Apple d’aller voir la concurrence, dont Intel. Ces accords avaient cependant pris fin à la suite du lancement par Apple, le 16 septembre 2016, des iPhone 7 intégrant des chipsets d’Intel.
Le tribunal de Luxembourg a annulé toute la décision de la Commission européenne en raison d’« irrégularités procédurales ayant affecté les droits de la défense de Qualcomm », d’une part, et, d’« illégalité » de l’analyse des effets anticoncurrentiels des « paiements incitatifs » dits d’exclusivité, d’autre part. Et n’aurait pas été pris en compte le fait qu’à l’époque « Apple n’avait pas d’alternative technique aux chipsets LTE de Qualcomm pour [ses] iPhone ». En outre, la Commission européenne n’avait pas fourni de notes et d’informations sur le contenu des réunions et des conférences téléphoniques qu’elle a eues avec les tiers comme Apple ou Nvidia. Ce qui ne respectait pas les droits de la défense de Qualcomm. La Commission européenne indique à Edition Multimédi@ qu’elle a « le devoir de protéger (…) l’identité des tiers qui ont présenté des demandes justifiées de garder l’anonymat en raison du risque de représailles ». Autre reproche : la Commission européenne se limitait à retenir un abus de position dominante sur le seul marché des chipsets LTE, alors que la communication des griefs portait aussi sur des puces UMTS (6).
S’est ainsi achevée cette première procédure antitrust et judicaire de plus de huit ans qui s’est ouverte en août 2014 par l’enquête de la Commission européenne. Et sans que la CJUE n’ait in fine eu son mot à dire en appel sur « tarifs d’exclusivité » aux « effets d’éviction » de la concurrence.

Accord pluriannuel avec Samsung
Après deux années sous tension (pandémie, pénurie de puces et tribunal), la firme de San Diego – dirigée depuis fin juin 2021 par Cristiano Amon (photo) – peut continuer à prospérer sur le marché des smartphones. Avec sa nouvelle puce « Snapdragon 8 Gen 2 », Qualcomm compte bien remporter à nouveau la mise avec Noël. Samsung (7) abandonne sa propre puce Exynos pour le nouveau chipset de Qualcomm pour ses prochains Galaxy (passant de 75 % des S22 à 100% des S23) grâce à un « accord pluriannuel » dont les termes restent bien sûr sous le secret des affaires. @

Charles de Laubier

Taxer les GAFAN : lobbying intense des opérateurs télécoms auprès de la Commission européenne

Les opérateurs télécoms européens prennent prétexte de l’arrivée des métavers pour demander à la Commission européenne de taxer les grandes plateformes numériques (Google/YouTube, Netflix, Meta/Facebook, …). Face à ce lobbying, Bruxelles prend le temps de la réflexion.

Les opérateurs télécoms européens – la plupart historiques (Orange, Deutsche Telekom, Telefonica, Telecom Italia/Tim, British Telecom/BT, …) et membres de l’organisation bruxelloise Etno (1), mais aussi des opérateurs concurrents – ont beau faire depuis des années un lobbying intense – relayé aussi par des eurodéputés (2) – auprès de la Commission européenne pour tenter d’obtenir leur taxe sur les GAFAN, ils devront encore patienter jusqu’en 2023. Le commissaire européen Thierry Breton (photo), ancien patron de l’ex- France Télécom (Orange), avait laissé entendre un peu vite qu’un texte législatif allait être présenté fin 2022.

Vidéo : 54 % du trafic Internet mondial
Alors que les deux règlements européens – Digital Markets Act (DMA) et Digital Services Act (DSA) – sont sur le point d’entrer en vigueur dans l’ensemble des Vingt-sept, les opérateurs télécoms n’ont pas réussi à y placer leur taxe applicable aux grandes plateformes numériques qui utilisent leurs infrastructures réseaux. Les Orange, Deutsche Telekom et autres Telefonica tablent maintenant sur un troisième texte législatif européen qui pourrait être proposé l’an prochain par la Commission européenne à l’issue d’une consultation public qu’elle prévoit de lancer d’ici la fin du premier trimestre 2023 pour une durée de cinq ou six mois. D’après les précisions apportées par le commissaire européen au Marché intérieur le 9 septembre dernier, cette vaste consultation ne se focalisera pas uniquement sur la sempiternelle question de savoir si les GAFAN – à savoir les grandes plateformes numériques américaines, notamment Netflix, Amazon Prime Video et YouTube (Google) – doivent payer leur tribut aux opérateurs télécoms lorsqu’ils empruntent leurs réseaux. Ainsi, audelà de cette taxation exigée par les « telcos », les interrogations porteront sur « la régulation des réseaux » à l’ère des métavers et du streaming de masse. Cette consultation qui s’annonce d’ampleur aura pour objectif de mieux apprécier comment est utilisée la bande passante des réseaux, notamment à l’heure où le très haut débit se généralise progressivement sur le fixe (la fibre) et sur le mobile (la 5G).
Selon l’Etno, dans un rapport publié en mai dernier (3), plus de la moitié du trafic mondial – soit 56 % sur réseaux fixes et mobiles – provient de six GAFAN : Google/ YouTube/ Search, Amazon/Amazon Prime Video/AWS, Meta/ Facebook/Instagram/WhatsApp, Apple/iTunes/iCloud/ AppStore/Apple TV+ et Microsoft/Office/MSN/Xbox (voir graphique ci-contre). Ces principaux OTT – Over-the-Top – utilisent, comme cette dénomination l’indique, les réseaux des opérateurs télécoms mais sans avoir à supporter directement les investissements dans ces infrastructures. Il ressort également de cette étude que près de 54 % du trafic global sur les réseaux fixes et mobiles sont dus aux flux vidéo. YouTube et Netflix sont parmi les premiers visés par les opérateurs télécoms. Et si l’on considère les plateformes vidéo, les réseaux sociaux et les jeux vidéo, ils représentent à eux trois 70 % du trafic Internet mondial (voir graphique page suivante).

Cette étude, réalisée par la société d’investissement et de consulting espagnole Axon Partners Group sur des données d’un rapport publié en janvier 2022 par la société canadienne Sandvine (4), livre des prévisions de croissance des données qui ne devrait pas cesser : « On s’attend à ce que l’utilisateur mobile moyen utilise 16,2 Go par mois en 2023, contre 8,5 Go par mois en 2021. Tandis qu’une ligne fixe haut débit [ou très haut débit, ndlr] devrait utiliser 454 Go par mois en 2023, contre 293 Go par mois en 2021. Plusieurs raisons expliquent cette tendance : contenu de plus en plus axé sur les données, comme la diffusion en streaming de vidéos de meilleure qualité et les jeux en ligne ; expansion des réseaux d’accès très haut débit, notamment la fibre optique à domicile (FTTH) et la 5G ; augmentation des abonnements mobiles pour des smartphones aux capacités améliorées ; numérisation de la société européenne, avec l’émergence de diverses nouvelles applications et services utilisant Internet, comme par exemple, la réalité virtuelle (VR), la réalité augmentée (AR), et les métavers ».

BitTorrent n°1 du upstream en Europe
Selon les données de trafic recueillis par Sandvine auprès des opérateurs télécoms, l’Europe (la région EMEA) fait état d’un trafic qui vient d’abord du divertissement, avec Netflix en tête pour 16 % du trafic total. Il devance ainsi désormais YouTube, qui est relégué au second rang (12,7 %). Xbox Live de Microsoft et PlayStation de Sony arrivent ensuite en troisième et quatrième positions sur la bande passante, suivis de Disney+ qui s’est hissé en cinquième position (5,3 %) du trafic global en Europe. Les médias sociaux sont également répandus, avec Instagram, Facebook et TikTok. « Fait intéressant, souligne Sandvine dans son rapport, les transferts BitTorrent sont n°1 dans le trafic montant (upstream), peut-être en raison de personnes accédant au contenu d’autres pays sur cette plateforme. Depuis que les droits d’auteur des contenus sont plus complexes en Europe, les films et la disponibilité des émissions de télévision venant souvent après les lancements aux Etats-Unis, le piratage de contenus pourrait être la raison de la position importante de BitTorrent dans le classement » (voir graphique ci-dessous). La consultation que prépare la Commission européenne pour le début de l’année 2023 portera ainsi sur tous les usages dévoreurs de bande passante, dont le piratage en ligne.

Thierry Breton, pro-telcos
Cette consultation devrait faire la part des choses entre le trafic OTT « subi » par les « telcos » et le trafic qui fait déjà l’objet d’accord de peering entre ces mêmes plateformes numériques et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), notamment dans le cadre de la diffusion IPTV sur les « box ». La difficulté de l’exercice sera de mettre tout le monde d’accord. « Il est temps désormais de réorganiser la juste rémunération des réseaux. Après les DSA et DMA, c’est désormais l’un des principaux chantiers de notre espace numérique », avait twitté le 4 mai (5) Thierry Breton en appui d’un entretien accordé la veille aux Echos, où le commissaire européen au Marché intérieur prend fait et cause pour les opérateurs télécoms en affirmant qu’une « juste part » (fair share) était un « principe acquis ». Quant à la commissaire européenne à la Concurrence et au Numérique, Margrethe Vestager, elle apparaît plus prudente sur cette question sensible. Les « telcos » plaident même – depuis un certain manifeste sur la 5G datant de juillet 2016 – pour la remise en cause de la neutralité de l’Internet (6), appelée « Internet ouvert ». Taxer les GAFAN ne reviendrait-il pas à ouvrir la boîte de Pandore et à remettre en cause le best effort ? @

Charles de Laubier