Règles éco-énergétiques : les data centers doivent passer des salles blanches aux « salles vertes »

Les gestionnaires de centres informatiques (data centers), qui n’apprécient déjà pas le dispositif « Eco Energie Tertiaire » de 2019, sont maintenant vent debout contre le durcissement règlementaire du « verdissement » du numérique. Cela risque de « plomber » leur compétitivité face aux GAFAM.

Par Déborah Boussemart, avocate en droit de l’immobilier

Tandis que la mise en œuvre du dispositif « Eco Energie Tertiaire » – anciennement « décret Tertiaire » (1) de 2019 – par les gestionnaires de centres de données informatiques s’avère inadaptée et paralysée, de nouvelles mesures de « verdissement » des data centers entrent en vigueur : d’une part, avec l’introduction d’un principe de « promotion de centres de données et des réseaux moins énergivores » inscrit dans la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, loi dite « Reen » (2), et, d’autre part, l’attribution à l’Arcep d’un nouveau pouvoir de régulation environnementale dans le secteur numérique par la loi du 23 décembre 2021 visant à renforcer la régulation environnementale du numérique.

Une équation à deux inconnues
Si les grands axes du dispositif « Eco Energie Tertiaire » sont connus et le compte-à-rebours lancé, les gestionnaires de data centers sont encore dans l’expectative des arrêtés dits « Valeur absolue II et III » annoncés par le gouvernement. Dans cette attente, la mise en œuvre du dispositif est paralysée et pose un problème de prévisibilité du droit dans ce secteur immobilier qui a besoin d’une stabilité juridique dès lors qu’il mobilise d’importants capitaux et nécessite de longues durées de retour sur investissements.
Soumis au dispositif « Eco Energie Tertiaire » modifié et recodifié (3) par la loi « Climat résilience » (4), les gestionnaires (propriétaires et le cas échéant les locataires) de data centers sont appelés à plus de sobriété énergétique. Ils sont tenus, pour tout bâtiment (ou tout ensemble de bâtiments situés sur un même site ou unité foncière) hébergeant – exclusivement ou non – des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1.000 m2, d’atteindre pour chacune des années 2030, 2040 et 2050 les objectifs suivants :
• soit un niveau de consommation d’énergie finale réduit, respectivement, de 40 %, 50 % et 60 % par rapport à une consommation énergétique de référence qui ne peut être antérieure à 2010 ;
• soit un niveau de consommation d’énergie finale fixé en valeur absolue, en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de leur catégorie. Le gouvernement a rappelé son attachement à ces objectifs dans sa feuille de route « Numérique & Environnement » (5) de février 2021.
Pourtant, dans la mesure où les data centers fonctionnent en permanence, avec leurs « salles blanches » (aux particules et températures maîtrisées), nous verrons plus loin que les professionnels consultés dénoncent le caractère inadapté du dispositif de « verdissement ». Les actions destinées à atteindre ces objectifs portent notamment sur la performance énergétique des bâtiments, l’installation d’équipements performants et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements, les modalités d’exploitation des équipements, et l’adaptation des locaux à un usage économe en énergie et le comportement des occupants. Le comportement de l’utilisateur est pris en compte (6). Conscient que ces actions peuvent se révéler coûteuses et/ou se confronter à des obstacles techniques, le législateur a prévu des modulations – sous réserve d’établir un dossier technique et une étude énergétique – et des déductions.
A titre d’exemple, une modulation est possible lorsque les coûts des actions apparaissent manifestement disproportionnés par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d’énergie finale. Une autre modulation est également possible en cas de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales.

Plateforme Operat : saisir avant le 30 septembre
En outre, deux hypothèses de déduction sont acceptées afin de suivre au plus juste la consommation d’énergie réelle du bâtiment. D’une part, lorsque la chaleur fatale (7) est autoconsommée par le bâtiment tertiaire, cette chaleur peut être déduite de la consommation. D’autre part, en présence de véhicules électriques et hybrides rechargeables dans le bâtiment tertiaire, la consommation d’énergie liée à la recharge est déduite (8). Les données relatives à l’année 2020 doivent être saisies par les assujettis au plus tard le 30 septembre 2022 sur la plateforme « Operat » (9), laquelle est gérée par l’Agence de la transition écologique (Ademe). Puis, chaque année à partir de 2022 seront transmises, au plus tard le 30 septembre, les données relatives à l’année précédente (10). La première vérification par l’Ademe est fixée au 31 décembre 2031 (11). Les responsabilités sont partagées entre les propriétaires et les locataires, le législateur leur laissant le soin de s’organiser contractuellement. Dans la perspective de développer un immobilier plus vert, l’attestation annuelle générée par la plateforme Operat est annexée aux documents de vente et de location (12). Enfin, une notation « Eco Energie Tertiaire » annuelle est mise en place. Quant au préfet, il demande de justifier d’un plan d’actions. A défaut, il peut sévir en recourant au « Name & Shame » ou à des amendes administratives (13).

Arrêtés « Valeur absolue » en vue
S’agissant des valeurs à retenir pour les data centers, le dispositif est incomplet (14). Le 17 juin 2021, le gouvernement a indiqué travailler sur deux arrêtés :
• un arrêté « Valeur absolue II » devant présenter la totalité de la segmentation des activités tertiaires et préciser les objectifs en valeur absolue pour un grand nombre d’activités en métropole (15) ;
• un arrêté « Valeur absolue III », dont la publication est prévue en mai 2022, devant préciser les objectifs exprimés en valeur absolue pour les dernières activités pour lesquels les travaux sont en cours et intégrer les valeurs spécifiques pour les départements d’outremer (16).

Des voix se sont élevées pour dénoncer le caractère inadapté et imprévisible de ce cadre réglementaire. Une association professionnelle rassemblant les principaux acteurs de cette filière, France Data Center, a rappelé l’importance pour la France de conserver en permanence la maîtrise opérationnelle du numérique. Afin de gagner en compétitivité, son président Olivier Micheli (17) a souligné qu’il est essentiel de réfléchir à la création de champions du numérique européens pour faire face aux champions américains (GAFAM) et asiatiques (BATX).
Enfin, il a ajouté que « le décret “Tertiaire” n’est pas du tout adapté aux data centers puisqu’il vise à réduire le nombre de kilowattheures consommés dans les data centers, ce qui est impossible. Il n’est pas possible de supprimer des serveurs du jour au lendemain pour atteindre un objectif en valeur absolue défini par décret » (18). Dans le même sens, le Groupement des industries de l’équipement électrique (Gimelec), syndicat des entreprises de la filière électro-numérique française, a souligné que la régulation de la performance énergétique des data centers pourrait « plomber » la compétitivité des acteurs et les « mettre en irrégularité » sans garantie de gain énergétique (19). Espérons que les arrêtés à paraître prendront acte de ces critiques et fixeront un cadre adapté au secteur. Il est toutefois permis d’en douter car, dans cette attente, le législateur entend désormais faire converger transition numérique et écologie, et a adopté en urgence de nouvelles mesures tendant à promouvoir des data centers plus vertueux. Sans nous livrer à une exégèse exhaustive de ses dispositions, soulignerons que la loi « Reen », qui vise à réduire l’impact du numérique sur l’environnement, se fait le relai de la Convention citoyenne pour le climat de 2020 (20).
Longtemps qualifié d’angle mort des politiques environnementales, le numérique – dont son parc immobilier matérialisé par les data centers – est aujourd’hui dans le viseur du législateur qui ambitionne de « faire du numérique un accélérateur de la transition écologique à l’empreinte environnementale soutenable » (21). Une étude réalisée à la demande du Sénat en juin 2020 (22) a confirmé ce qui était déjà pressenti depuis longtemps. Le numérique est susceptible de représenter près de 7 % de l’empreinte carbone des Français en 2040, tandis que les data centers consommeraient déjà à eux seuls 10 % de l’électricité mondiale (23).

Dans ce contexte, la loi « Reen » entend désormais « promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores ». Le texte renforce les conditionnalités environnementales qui s’appliqueront, dès 2022, au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE) applicable aux data centers. Les opérateurs de communications électroniques devront, quant à eux, publier des indicateurs clés récapitulant leurs engagements en faveur de la transition écologique (24). L’Arcep, elle, désormais régulateur environnemental de tout l’écosystème numérique, a désormais le pouvoir de collecter des données en vue de dresser le bilan de l’empreinte environnementale.

Verdissement aux forceps et à risques
Pour conclure, rappelons que derrière les échanges, les partages et les stockages dématérialisés des services de cloud, il existe un univers bien matériel fait de câbles, de serveurs, de bâtiments climatisés énergivores que le législateur entend verdir en urgence, eu égard aux enjeux climatiques et au calendrier législatif. Gageons que le verdissement aux forceps des data centers ne se fasse pas au détriment de la compétitivité et de la souveraineté numérique. @

Mis à part Google et YouTube, le groupe Alphabet va-t-il gagner de l’argent avec ses « autres paris » ?

« Other bets » : ce sont les investissements d’Alphabet dans d’autres domaines d’innovation que les services de Google (YouTube compris). Si leur revenus sont embryonnaires, ils s’acheminent petit à petit vers le milliard de dollars de chiffre d’affaires. Mais leur déficit est encore abyssal.

« Alphabet est un ensemble d’entreprises – dont la plus grande est Google – que nous déclarons sous deux segments : Google Services et Google Cloud. Nous déclarons toutes les entreprises non- Google collectivement en tant qu’”autres paris”. Ces other bets comprennent des technologies à un stade plus précoce, qui sont plus éloignées de notre cœur de métier Google. Nous adoptons une vision à long terme et gérons le portefeuille des “autres paris” avec la discipline et la rigueur nécessaires pour générer des rendements à long terme », assure la maison mère de Google, dirigée par Sundar Pichai (photo) depuis décembre 2019.

Le groupe français OVH veut surfer en Bourse sur le marché ouvert du « cloud souverain » dans le monde

La souveraineté nationale et/ou européenne de l’informatique en nuage (cloud) est à géométrie variable, mais elle constitue un marché prometteur pour les fournisseurs comme le français OVHcloud qui va faire son entrée en Bourse. Mais les américains et les chinois veulent aussi leur part du gâteau.

« Souveraineté des données » (50 fois), « cloud souverain » (2 fois), mais aussi « cloud souverain européen », « souveraineté des données en Europe », « souveraineté numérique de l’Europe », « cloud de données sécurisées et souveraines », « souveraineté et de sécurité des données », « bases de données souveraines » : le document d’enregistrement boursier du groupe OVH (alias OVHcloud), approuvé le 17 septembre 2021 par l’Autorité des marchés financiers (AMF), montre que la « souveraineté » est devenue le leitmotiv dans le nuage.

Sébastien Soriano (IGN) veut tenir tête à Google Maps

En fait. Le 27 septembre, Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a présenté la « feuille de route » de l’Etat pour « l’ouverture, la circulation et la valorisation des données publiques ». Exemple : l’IGN prône la souveraineté des géodonnées face à Google Maps.

En clair. L’ancien président de l’Arcep, Sébastien Soriano, est depuis mi-décembre 2020 directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Celui qui voulait « barbariser la régulation pour réguler les barbares » (1), comprenez les GAFAM, a eu beau se mettre au vert, il se retrouve à nouveau face aux Google, Apple, Facebook ou encore Microsoft qui nourrissent l’ambition de cartographier le monde entier en 3D et d’y capter toutes les géodonnées. Google Maps, par exemple, raisonne « global » et « gratuit » alors que l’IGN a vocation à être « national » et «monopole » – la Commission européenne ayant tout de même demandé il y a dix ans à la France d’abroger le droit exclusif (2) dont il bénéficie depuis un décret du 22 novembre 2004.
Depuis, l’ère de l’open data des données publiques pousse l’Etat à rendre accessible gratuitement sa « mine d’or » d’informations et en particulier depuis le 1er janvier 2021 les géodonnées du « Plan IGN ». Les géoportails français (3) et européen (4) contribuent à cette démocratisation de la cartographie. Sinon, les géants du numérique en Europe, tous américains, imposeront leurs Google Maps, Facebook Live Maps (projet Aria compris), Apple Maps et autres Microsoft Maps (Azure Maps inclus) aux GPS grand public, à l’environnement ou encore à la voiture autonome. « Les géodonnées sont une véritable mine d’or ; les géants du numérique l’ont compris. […] Ces derniers ont développé leur propre système cartographique. Mais aussi pratique que soit Google Maps, là ne résident pas les clés d’une compréhension du monde utile au sursaut nécessaire de l’humanité face au péril écologique », prévient Sébastien Soriano dans un point de vue paru le 15 septembre dernier dans Ouest-France.
Et le directeur général de l’IGN d’ajouter : « C’est par l’intelligence collective en France et en Europe que nous pourrons construire des “communs” numériques en contrepoint des silos de données des GAFA. [Et] par l’accès libre et gratuit aux données » (5). Pour assurer à l’Etat une « souveraineté des géodonnées » et des « géocommuns », outre la création d’une « géoplateforme » hébergée chez OVHcloud (lire p. 5), l’IGN a entrepris de modéliser en 3D l’Hexagone, par télédétection au laser – ou Lidar (6) – et avec l’intelligence artificielle, moyennant un investissement de 60 millions d’euros sur trois ans. @

Souveraineté numérique européenne : Microsoft se dit compatible

En fait. Le 19 mai, se sont tenues les 5es Assises de la souveraineté numérique, organisées par l’agence Aromates sur le thème cette année de « Quelle stratégie pour une 3e voie européenne ? ». Parmi les intervenants extra-européens : l’américain Microsoft, qui, par la voix de Marc Mossé, se dit eurocompatible.

En clair. Le directeur des affaires publiques et juridique de Microsoft – fonction que Marc Mossé (photo) a exercée pour la filiale française entre février 2006 et mai 2016 avant de passer à l’échelon européen (1) tout en restant basé à Paris et non au siège de Microsoft Europe à Dublin en Irlande –, était attendu au tournant. Lors de ces 5es Assises de la souveraineté numérique, le « M » de GAFAM a voulu montrer pattes blanches et démontrer que l’on pouvait être une « entreprise étrangère américaine » et être compatible avec la « souveraineté numérique européenne ». Antinomique ? Non. Marc Mossé, lui, parle de « ligne de crête » en rappelant les propos tenus par quatre femmes au pouvoir en Europe, Angela Merkel (chancelière d’Allemagne), Mette Frederiksen (Première ministre du Danemark), Sanna Marin (Première ministre de Finlande) et Kaja Kallas (Première ministre d’Estonie), dans une lettre adressée le 1er mars dernier à une cinquième femme de pouvoir, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne).