Le produit d’appel « Canal+ » suffira-t-il à Orange pour accélérer « la migration de l’ADSL vers la fibre » ?

Orange prépare Noël dès cet été. Une « offre exclusive » concoctée avec Canal+ sera dévoilée en octobre prochain. Elle sera réservée aux seuls abonnés à la fibre optique de l’opérateur historique des télécoms. La chaîne cryptée du groupe Vivendi deviendra ainsi un produit d’appel pour « accélérer la migration de l’ADSL vers la fibre ».

« En 2020, on aura investi 6 milliards d’euros dans la fibre en France. Regardez ce que sera ce chiffre chez les autres (opérateurs télécoms)… C’est un pari considérable qui est fait par Orange, comme Telefónica en Espagne. Nous sommes deux opérateurs en Europe à avoir fait ce choix d’investir massivement dans la fibre. Pour que le décollage de la fibre soit le plus rapide possible, nous concentrons aussi nos investissements sur les contenus », a expliqué Stéphane Richard (photo), PDG d’Orange, lors de la présentation de sa stratégie dans les contenus, le 11 juillet. Le premier accord de partenariat annoncé fut celui conclu avec Canal+ pour lancer à l’automne prochain une offre exclusivement destinée aux abonnés FTTH (1) de l’opérateur télécoms. En réalité, Orange a un problème. Le premier opérateur télécoms de l’Hexagone est à l’origine de 70 % des 8,2 millions de prises de fibre optique raccordables en France (2), suivi de SFR à 11 %, de Free à seulement 4 %, les 15 % restants ayant été déployés par d’autres opérateurs (dont Bouygues Telecom). Or sur les 5,7 millions de prises « fibre » d’Orange, seulement 26,3 % d’entre elles ont trouvé preneur. Autrement dit, Orange ne compte que 1,5 million d’abonnés FTTH à fin 2016 et vise les 2 millions d’ici la fin de l’année. Résultat : à peine plus d’un quart des prises FTTH déployées par l’ex-France Télécom sont activées.

Les abonnés ADSL restent attachés au cuivre
Et pour cause : le réseau de cuivre haut débit ADSL, qui est l’un des plus performants au monde, convient toujours à 21,5 millions d’abonnés (dont plus de 5,6 millions en VDSL2 offrant du très haut débit sur cuivre). L’écrasante majorité des foyers français
ne voient toujours pas l’intérêt de basculer vers de la fibre optique. Tout le défi que
doit relever Orange – et ses rivaux d’ailleurs – va être de convaincre les clients d’abandonner le cuivre pour la fibre. Pour cela, Stéphane Richard a appelé à la rescousse Canal+ en vue de lancer à l’automne – « en octobre prochain », a précisé Fabienne Dulac, directrice exécutive d’Orange France – une offre exclusive de la chaîne cryptée pour les abonnés fibre présents et futurs. « Orange s’est toujours considéré comme un partenaire naturel de Canal+ depuis l’origine, même s’il y a eu
par le passé des périodes de frictions qui sont maintenant loin derrière nous », a rappelé le PDG d’Orange.
Doubler le nombre de clients Orange-Canal+ Et de se féliciter : « Par notre capacité de distribution de contenus payants, notamment à l’occasion du déploiement de la fibre optique jusqu’à l’abonné et du décollage impressionnant de ce marché, nous avons donc trouvé un accord inédit par son ampleur, qui va permettre à Orange de distribuer
à des conditions tarifaires exceptionnelles les offres ‘Canal+ Essentiel’, l’offre-phare de Canal+, jusqu’en 2020 avec un modèle exclusif et inédit de commercialisation directe ». Canal+ devient ainsi un produit d’appel pour l’abonnement fibre d’Orange, même si les autres abonnés sur ADSL/VDSL2, pourront continuer à choisir dans les offres « Canal+ Essentiel », mais non-fibre. « Nous nous sommes fixés l’objectif de conquérir 1 million de clients nouveaux à Canal+ et à Orange d’ici à 2020, soit doubler la base de clients Canal+ que nous avons aujourd’hui chez Orange », a indiqué Stéphane Richard.
Actuellement, ce parc d’abonnés Orange-Canal+ est précisément de plus de 900.000 clients. Mais pourquoi lancer en octobre une nouvelle offre avec Canal+, attractive par ses contenus et ses tarifs, réservée aux seuls abonnés « fibre » – encore peu nombreux – et pas à l’ensemble des clients d’Orange – essentiellement sur le cuivre ? « Car cela s’inscrit dans une stratégie d’Orange de migration de l’ADSL vers la fibre.
La différence entre nous et tous les autres, c’est que nous sommes totalement engagés dans cette stratégie (du déploiement de la fibre). C’est Orange qui fait l’essentiel du déploiement de la fibre aujourd’hui en France », a-t-il justifié. Pour Orange, c’est un
pari majeur : à force d’investir plus de 1 milliard d’euros par an pour construire la fibre optique en France, il lui devient urgent que cette migration de l’ADSL vers la fibre se fasse le plus vite possible, bien au-delà des « zones fibrées » où la loi « Macron » du
6 août 2015 a prévu l’extinction du réseau cuivre. Encore faut-il que le produit « fibre » soit le plus attractif possible. C’est pour cela que l’opérateur télécoms historique concentre ses investissements dans les contenus sur le parc fibre. « Cette histoire
de l’ADSL (versus) fibre est une vision un tout petit peu passéiste. Aujourd’hui, nous sommes dans un marché où la dynamique principale est justement la fibre, et la migration de l’ADSL vers la fibre va s’accélérer très fortement dans les années qui viennent », a assuré Stéphane Richard. Après Canal+, d’autres offres dédiées aux abonnés à la fibre d’Orange devraient apparaître, comme l’a laissé entendre Fabienne Dulac : « L’enjeu est d’emmener nos clients vers la fibre. Notre objectif est d’offrir des partenariats exclusifs, des offres de contenus exclusifs, pour les emmener vers la fibre qui offre la meilleure capacité et les meilleures conditions pour bénéficier de la télévision, de l’ultra-HD, etc. Le Wifi et le multi-écrans tirent la fibre à la maison, mais aussi la télévision et les contenus ». Il n’y aura aucun engagement pour le client FTTH qui souscrira à la nouvelle offre Orange-Canal+ et la relation client sera simplifiée par Orange qui assurera la facturation unique « fibre optique-chaîne cryptée ». Et Stéphane Richard de poursuivre : « Nous avons souhaité disposer de cet atout supplémentaire avec ce modèle de distribution inédit et exclusif de Canal+ par Orange. Nous pensons qu’il y a un potentiel de croissance très important de la télévision payante, et de Canal+. Il y a en France un tiers des foyers qui sont abonnés à la télévision payante, alors que c’est le double en proportion aux Etats-Unis ».
Les conditions financières de l’accord d’Orange avec Canal+ n’ont pas été dévoilées. Stéphane Richard s’est contenté d’évoquer « un minimum garanti qui est engageant pour Orange et Canal+ » ; « le projet est ambitieux et le minimum garanti est à la hauteur ». Selon nos informations, ce contrat commercial n’a en tout cas aucune conséquence sur l’accord quinquennal de Canal+ signé avec les organisations du cinéma français en 2015 avec son minimum garanti (MG) par abonné et par mois qui est un plancher de leurs obligations (3). Or, depuis que la chaîne cryptée de Vivendi
a lancé ses nouvelles offres « Canal+ Essentiel » le 15 novembre 2016, la volonté de Maxime Saada, son patron, est de renégocier cet accord-là avec le cinéma français dans le cadre de la refonte de la chronologie des médias – dont les négociations ont échoué (4). Outre l’accord « fibre » avec Canal+, Orange a présenté deux autres accords pour cette fois tous les clients de l’opérateurs télécoms. L’un, avec la Fnac, porte sur la distribution par Orange de livres, et notamment de ebooks, et de bandes dessinées.
L’autre, avec UGC pour qu’Orange puisse diffuser « en première exclusivité » des films (5). Cet accord fait suite à un « output deal » similaire passé avec HBO de Time Warner (groupe racheté par AT&T), et celui signé il y a deux ans avec Sony Pictures.

Orange Content, ou « Orange Contents » ?
Pour simplifier et rendre plus visible Orange dans les contenus, Stéphane Richard a aussi annoncé la création d’une « entité » (pas une filiale) baptisée Orange Content,
qui lui est directement rattachée et qui, sous la houlette de David Kessler, fera office de « guichet unique » pour tous les partenaires dans les contenus (6). Y compris pour les chaînes de télévision, au moment où TF1 veut faire payer Orange pour continuer à être diffusée sur les « box » et les mobiles de l’opérateur. Si officiellement le nom d’Orange Content ne prend pas de « s », Stéphane Richard l’a prononcé avec un « s » comme il l’avait fait en mai en évoquant sa création… @

Charles de Laubier

Pour Eutelsat, l’obstination de la France en faveur du quasi tout-fibre relève de « l’obscurantisme »

En fait. Le 5 octobre dernier, Rodolphe Belmer, DG d’Eutelsat, l’opérateur satellite français, était auditionné par la commission des Affaires économiques du Sénat. L’ancien DG de Canal+ (passé après par France Télévisions) n’a pas mâché ses mots pour critiquer la politique très haut débit du gouvernement.

rodolphe-belmerEn clair. « Les autorités françaises ne jurent que par la fibre, pour des raisons qui me paraissent parfois toucher à l’obscurantisme », a lancé Rodolphe Belmer (photo), directeur général d’Eutelsat depuis sept mois. « Aucun analyste sérieux ne considère que les opérateurs terrestres couvriront 100% de la population. Cela n’empêche pas certains de faire des promesses démagogiques… », a-t-il déploré au Sénat.
Et à quel prix : « Si le coût moyen de connexion à la fibre en France est de 2.000 euros par foyer, il varie entre 400 euros dans le centre des agglomérations et plus de 10.000 euros dans les zones peu denses. Tandis qu’apporter le très haut débit par satellite à un foyer coûte entre 600 et 700 euros en investissement, à capacité et à prix final équivalents ». La fibre optique est donc en moyenne trois fois plus chère que le satellite.

Le satellite voit ses revenus baisser face à l’audiovisuel en ligne
Le patron du deuxième opérateur de satellite en Europe et troisième au niveau mondial (derrière Intelsat et SES) déplore que la France ne joue pas la complémentarité satellitaire avec les infrastructures terrestres, comme cela se fait en Australie et bientôt en Italie. « Selon les estimations, entre 5 % et 10 % des zones blanches (1) ne seront pas couvertes », a rappelé Rodolphe Belmer concernant l’Hexagone.
Il regrette en outre qu’Eutelsat reste « méconnu » en France. Cette obstination de l’Etat français dans le quasi-tout FTTH (2) est d’autant plus « obscure » à ses yeux qu’Eutelsat est détenu par Bpifrance – la banque publique d’investissement (contrôlée par l’Etat et la CDC) – à hauteur de 25 % de son capital (le reste en Bourse). « Eutelsat est le seul opérateur au monde à n’être pas soutenu par son pays ». De plus, son siège social est à Paris. « Intelsat et SES sont tous deux immatriculés au Luxembourg, pour des raisons que vous imaginez facilement… La différence Continuer la lecture

Rejet du projet d’accord Canal+/BeIn Sportspar l’Autorité de la concurrence : rendez-vous dans… cinq ans

L’Autorité de la concurrence a rejeté la demande du groupe Canal Plus de lever l’injonction imposée en 2012 qui l’empêche de distribuer en exclusivité des chaînes sportives premium. Imposer des mesures sur cinq ans à l’heure d’une économie numérique à l’évolution fulgurante est-elle pertinente ?

Rémy Fekete (photo), associé Jones Day, avec la collaboration de Christophe Chadaillac

Première devinette : quel groupe a présenté cinq films au dernier festival de Cannes ? (1) Deuxième devinette : quel groupe a passé la barre des 3 millions d’abonnés à l’occasion de la retransmission des matches de l’Euro 2016 ? (2) Et pour finir, question piège : le secteur de l’audiovisuel a-t-il considérablement évolué selon l’Autorité de la concurrence ?
(3) Quatre ans après avoir obtenu l’accord de l’Autorité de
la concurrence pour le rachat de TPS et CanalSatellite (4)
et les chaînes groupe Direct, le groupe Canal Plus est en perte de vitesse.

Dix ans après TPS/CanalSatellite
Canal+ a en effet affiché une perte de 264 millions d’euros en 2015 due notamment à une baisse d’abonnés (5). Face à la concurrence des acteurs dits OTT (Over-The- Top) tels que Netflix – et maintenant Amazon – sur le cinéma et les séries, Canal+ souhaitait se renforcer dans les contenus sportifs avec la conclusion d’un accord avec BeIn Sports, son principal concurrent dans l’acquisition des droits, pour distribuer ses chaînes en exclusivité. C’est en 2006 que le groupe Canal Plus avait été autorisé à prendre le contrôle de TPS et CanalSatellite (6). Après avoir retiré cette autorisation
en 2011 pour inexécution de plusieurs engagements déterminants souscrits à cette occasion (7), l’Autorité de la concurrence a finalement autorisé l’opération en 2012 (8). Dans le même temps, le groupe Canal Plus a racheté les chaînes Direct 8 et Direct Star au groupe Bolloré (9).
La décision d’autorisation de l’Autorité de la concurrence a été annulée par le Conseil d’Etat, mais l’opération a été autorisée à nouveau en 2014 (10). A l’issue de ces opérations, le groupe Canal Plus regroupait au sein de Canal+ France les bouquets satellitaires CanalSatellite et TPS, les chaînes thématiques de Canal+ et les chaînes gratuites de la TNT renommées D8 et D17. Afin de contrebalancer le renforcement de la position dominante du groupe sur le marché de l’achat de droits de diffusion et celui de la distribution, l’Autorité de la concurrence a assorti ses autorisations de mesures censées rétablir une concurrence suffisante sur les marchés de la télévision gratuite et payante et permettre à des distributeurs alternatifs de concurrencer le groupe Canal Plus. L’injonction dont le groupe Canal Plus a sollicité la levée lui impose de reprendre dans l’offre CanalSat toutes les chaînes premium, de cinéma ou sportives, sur une base non-exclusive (11). Celle-ci n’est toutefois que l’une des très nombreuses mesures imposées au groupe, au-delà du sport, soit au titre des injonctions fixées
par la décision 12-DCC-100, soit au titre des engagements pris par lui et rendus contraignants par la décision 14-DCC-50 (voir encadré page suivante).

Les chaînes de BeIn Sports détiennent notamment des droits de diffusion majeurs dans le football en France et en Europe. Le projet de distribution exclusive des chaînes devait recouvrir toutes les plateformes (ADSL, satellite, OTT), en garantissant une rémunération à BeIn Sports, tandis que le groupe Canal Plus devait gérer l’ensemble des abonnements aux chaînes et en percevoir les recettes en deçà d’un certain revenu. Les chaînes de BeIn Sports devaient faire leur entrée dans les offres groupées de Canal+, lesquelles devaient elles-mêmes être modernisées, ainsi qu’à travers un abonnement autonome en télévision linéaire et un accès sur Internet.
Un tel accord ne pouvait toutefois être conclu que si l’Autorité de la concurrence acceptait de lever l’injonction « 4 (a) » mentionnée. Le groupe Canal Plus a donc demandé, comme le prévoyait la décision 12-DCC-100, que l’injonction soit modifiée pour ne plus concerner les chaînes sportives. En vertu du projet d’accord, l’offre de télévision payante du groupe Canal Plus aurait regroupé plus de 70 % des droits sportifs (12), détenus par Canal+ et BeIn Sports. Pour l’Autorité de la concurrence, cette concentration des droits aurait présenté, entre autres, le risque d’affaiblir considérablement les offres de télévision payante concurrentes qui n’auraient plus de contenus sportifs attractifs à proposer à leurs abonnés : aucun distributeur ne pourrait sérieusement rivaliser avec le groupe Canal Plus, ni un nouvel acteur émerger.

Diversifier l’offre pour le public
A cet égard, les acquisitions des droits de diffusion de la seule Premier League Anglaise par SFR ou des jeux olympiques par Discovery n’ont pas convaincu l’Autorité de la concurrence d’une évolution significative du marché – alors que les effets vertueux de ses injonctions commencent à peine, selon elle, à se faire ressentir. L’Autorité de la concurrence, tout comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), considère que cette injonction s’inscrit dans un dispositif dont l’objet est de favoriser la diversification de l’offre pour les consommateurs en permettant l’accès
des distributeurs concurrents à une offre de gros de chaînes suffisante, à la fois pour
le cinéma et le sport. Elle est ainsi associée aux injonctions relatives à la reprise de chaînes indépendantes dans l’offre CanalSat, aux dégroupages des chaînes cinéma
du bouquet CanalSat et à la limitation des exclusivités mentionnées.

Préparer la révision de 2017
Lever cette seule injonction à la demande du groupe Canal Plus reviendrait ainsi, pour l’Autorité de la concurrence, à rompre l’équilibre de ce dispositif qui perdrait de son effectivité. La direction des groupes Canal Plus et Vivendi n’a pas hésité à décrire une situation financière et économique de Canal+ catastrophique et des pertes qui seraient insurmontables sans la conclusion de cet accord. Jusqu’en assemblée générale, Vivendi n’a pas hésité à brandir le risque de disparition de la chaîne, en soulignant les risques de pertes d’emplois et de financement du PAF – les représentants du cinéma français ont d’ailleurs publiquement demandé à l’Autorité de la concurrence d’autoriser l’accord. Cette demande participe donc plus généralement d’une stratégie de moyen terme, qui prépare la révision de 2017 : les mesures correctrices imposées par les décisions 12-DCC-100 et 14-DCC-50 arrivent à échéance le 23 juillet 2017. A cette date, l’Autorité peut prolonger leur application pour cinq années supplémentaires à l’issue d’une nouvelle analyse « en considération de l’évolution des circonstances de droit ou de fait ». La demande s’inscrit également dans la politique de restructuration interne menée par Vivendi au sein de Canal+. Le refus de l’Autorité de la concurrence n’est pas une surprise pour de nombreux commentateurs, et la décision correctement fondée.

Reste l’essentiel : le mode de fonctionnement de l’Autorité de la concurrence, sa relative lenteur, l’idée même de décision susceptible de geler pendant une durée de cinq ans un secteur dont l’évolution est aussi véloce que celui du numérique, tout
cela ne mériterait il pas une profonde révision ? Ne peut-on espérer de l’Autorité de la concurrence un mode de travail plus adapté aux rythmes de l’évolution des marchés dont elles ont la charge ? Selon l’Autorité de la concurrence et le CSA, le marché des droits sportifs n’a pas évolué au point de justifier une anticipation d’un an sur le réexamen de la situation concurrentielle. On aurait préféré que, se saisissant de l’opportunité du dossier, elle procède au réexamen de la situation concurrentielle,
quitte à en conclure à une forme de statut quo pour l’année 2016 mais en donnant plus de visibilité au marché sur l’après 2017. L’Autorité de la concurrence vient d’annoncer qu’elle lance – le 20 juillet – une consultation publique « auprès des éditeurs de chaînes payantes et gratuites, et des nouveaux entrants comme Netflix voire Amazon en France, pour voir ce qui a changé ». Enfin… @

ZOOM

Mesures correctives imposées à Canal+ jusqu’en juillet 2017
Aux termes de ces décisions, le groupe Canal Plus doit ainsi, jusqu’en juillet 2017 :
• Limiter à trois ans la durée des accords-cadre (« output deals ») conclus avec les majors américaines pour l’achat de droits de diffusion de films en TV payante (1e et
2e fenêtre) ;
• S’abstenir de conclure avec plus d’une major des output deals portant à la fois sur l’acquisition, d’une part, de droits de diffusion de films en 1e et/ou 2e fenêtre de TV payante et, d’autre part, de droits de diffusion de films inédits et/ou de séries récentes en clair ;
• Négocier et conclure séparément ses output deals avec les majors portant sur les droits pour des films en TV payante en 1e fenêtre, ceux en 2e fenêtre et pour les séries récentes avec une valorisation individuelle et sans remise de couplage ;
• S’abstenir de conclure des output deals avec les détenteurs de droits français et opérer la même séparation dans la conclusion de contrats pour les achats de droits français pour la 1e et la 2e fenêtre en TV payante ;
• Acheter séparément auprès des majors les droits de diffusion pour la VOD et la SVOD , sur une base non exclusive et sans les coupler avec des achats de droits pour une diffusion linéaire de TV payante ;
• S’abstenir de demander à ce que sa plateforme VOD ou SVOD soit distribuée de manière exclusive sur les plateformes des FAI ;
• S’abstenir de préacheter les droits de diffusion en TV payante et en clair d’un même film français pour plus de 20 films par an, avec en sus des quotas en fonction du devis des films ;
• Négocier séparément les droits de diffusion de films français, de films et séries américains récents et d’évènements sportifs d’importance majeure pour la TV payante et gratuite, sans couplage, et opérer une séparation juridique et opérationnelle des activités d’acquisition de droits de diffusion en TV payante et en clair .
• Céder avec mise en concurrence les droits de diffusion en clair des évènements sportifs d’importance majeure non diffusés en clair sur Canal+ que D8 et D17 souhaiteraient diffuser ;
• Limiter les acquisitions de droits de diffusion par D8 et D17 auprès de StudioCanal en fonction du nombre d’acquisition annuelles total par celles-ci et de leur valeur ;
• Opérer une séparation juridique et comptable des activités d’édition et de distribution des chaînes du Groupe Canal Plus ;
• Reprendre dans l’offre CanalSat un quota de chaînes indépendantes dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires ;
• Découpler la distribution exclusive de chaînes sur CanalSatellite et sur les plateformes d’opérateurs tiers avec une valorisation distincte dans les contrats ;
• Dégrouper les chaînes cinéma du bouquet CanalSat éditées par le Groupe Canal Plus avec un maintien de leur qualité pour les mettre à la disposition de tout distributeur qui en fait la demande ; Pour l’ensemble de ces mesures, le Groupe Canal Plus a en outre été soumis à la surveillance de mandataires. @

1 – A savoir les groupes intégrés autour de NBC Universal, Sony
Pictures, 20th Century Fox, Walt Disney, Warner Bros. et
Paramount/CBS et leurs filiales, qui représentent 80 % de la
production de films et séries américaines.
• 2 – Injonction 1 (a).
• 3 – Engagement 2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 4 – Injonction 1 (b) de la décision 12-DCC-100.
• 5 – Injonction 1 (d).
• 6 – Injonction 7 (a).
• 7 – Vidéo à la demande à l’acte (VOD) et par abonnement(SVOD).
• 8 – Injonction 7 (c).
• 9 – Engagement 2.2.1 de la décision 14-DCC-50.
• 10 – Engagement 2.6.
• 11 – Engagement 2.4.
• 12 – Engagement 2.3.
• 13 – Injonction 9 (a) de la décision 12-DCC-100.
• 14 – Injonctions 3 (a) et (b).
• 15 – Injonction 5 (a).
• 16 – Injonction 6 (a).
• 17 – Injonction 10 de la décision 12-DCC-100 et engagement 4 de la décision 14-DCC-50.

Le spectre du cuivre continue de planer sur la fibre

En fait. Le 6 juillet se sont déroulées les 10es Assises du Très haut débit, organisées par l’agence Aromates, avec pour thème interrogatif cette année :
« Vers un marché unique du très haut débit ? ». Elles se sont tenues quelques jours après la 3e conférence annuelle du plan « France Très haut débit ».

En clair. Le réseau de cuivre a la vie dure, bien que l’on ne cesse de l’enterrer vivant pour mieux imposer la fibre optique. Et ce, avec l’objectif du chef de l’Etat François Hollande d’amener cette fibre jusqu’au domicile de tous les foyers français d’ici à 2022. Or, pour l’heure, la France a déployé 6 millions de prises raccordables en FTTH (Fiber-To-The-Home). Mais seulement 1,5 million d’entre elles ont fait l’objet d’un abonnement. La fibre optique n’a donc séduit que 26,5 % du total des foyers éligibles au tout-fibre. Autrement dit : 73,5 % sont donc… inutilisées, malgré des milliards investis ! Et encore, l’Arcep inclut dans les abonnés « FTTH » des abonnements FTTO (pour Office) de professionnels et/ou petites entreprises (1) (*) (**).
De plus, comme l’a relevé Patrick Chaize, président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), en ouverture des 10es Assises du Très haut débit, les zones dites moins denses ont du mal à attirer les opérateurs télécoms. Et l’Avicca de déplorer : « Les chiffres montrent clairement un décrochage de présence des grands opérateurs [Orange, SFR, Bouygues Telecom, Free, ndlr], puisque le taux de mutualisation (…) est moitié moindre sur les RIP [Réseaux d’initiative publique, ndlr] que sur les réseaux privés (30 % contre 56 %) ». Résultat, à ce jour, il y a seulement 611.000 prises « RIP FTTH » dans ces zones moins denses. La France est donc menacée de fracture numérique « très haut débit », malgré 100 départements déployant de la fibre pour un total en cours de 12 milliards d’euros – dont 2,5 milliards provenant de l’Etat (2). Loin des 20 à 25 milliards d’euros nécessaires pour fibrer tout l’Hexagone… d’ici six ans. Résultat : la France est lanterne rouge du très haut débit en Europe, selon l’Idate. Heureusement, il y a le cuivre ! La France compte 22 millions d’abonnés haut débit xDSL – en ADSL lorsqu’ils ne sont pas déjà en VDSL2 pour 5,4 millions d’entre eux.
Ce plébiscite du cuivre par les Français n’est pas du goût de l’Arcep qui, propose d’augmenter le prix le gros de la boucle locale de cuivre, afin de favoriser le FTTH. Quant au groupe TDF, par la voix d’Arnaud Lucaussy, il souhaite que l’Arcep mette en oeuvre le statut de « zones fibrées » préconisé en février 2015 par Paul Champsaur (ex-président de l’Arcep), dans le but d’organiser « l’extinction du réseau de cuivre ». Réaliste ? @

Yves Gassot, Idate : « Face aux acteurs du Net, les opérateurs télécoms ne vont pas disparaître »

Alors que l’Idate – institut d’études sur les télécoms, l’Internet et l’audiovisuel – publie le 14 juin son DigiWorld Yearbook 2016, son directeur général Yves Gassot répond aux questions de Edition Multimédi@ sur les défis que doivent plus que jamais relever les opérateurs télécoms face aux acteurs du numérique.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le marché mondial du numérique devrait, selon l’Idate, franchir les 4.000 milliards d’euros l’an prochain. Vos prévisions antérieures ne le prévoyaient-elles pas dès cette année ? En outre, pourquoi la valeur des TIC (1) a tendance à croître moins vite que le PIB ?
Yves Gassot :
En fait, nous révisons nos chiffres tous les ans avec deux types d’ajustement que sont la prise en compte des taux de change et la rectification des taux de croissance constatés au regard de nos anticipations. Par exemple, la chute de la croissance des revenus mobiles aux Etats-Unis a été plus prononcée qu’on ne l’avait anticipée. Par ailleurs, la croissance moins rapide en valeur des secteurs TIC au regard de celle du PIB est effectivement contre-intuitive. Pourtant la croissance de certains secteurs du numérique – les services Internet – est très rapide. Des économistes montrent que c’est dans les secteurs des TIC que les gains de productivité sont les
plus importants. Cela a pour conséquence de faire baisser les prix unitaires. En principe, cette baisse des prix s’accompagne d’un effet positif sur les volumes. Ce que l’on peut observer sur un marché comme celui des smartphones qui peut ainsi s’élargir aujourd’hui aux consommateurs des économies émergentes. Mais on peut aussi avoir des phénomènes de déflation liés à l’intensité de la concurrence, comme on l’observe en Europe dans les services télécoms. Enfin, il est probable que les cadres statistiques ont du mal à suivre la déformation des frontières des secteurs sous l’effet de la transformation numérique.
Reste une question fondamentale : pourquoi les gains de productivité dans nos économies, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, ont nettement décru depuis 2006, donc avant la crise des subprimes, comme si l’économie avait absorbé dans la décennie précédente les bénéfices de l’Internet ? Sans parler de la fin du cycle de transformation du numérique, il est possible qu’il y ait un palier en attendant que le puzzle de l’Internet des objets (IoT), du Big Data et de l’intelligence artificielle se mette en ordre.

EM@ : L’Idate prévoit que, d’ici 2025, les services Internet pourraient dépasser pour la première fois en valeur le marché des services télécoms : soit 51 % sur un total mondial de près de 3.000 milliards d’euros. Que va-t-il advenir des opérateurs télécoms « ubérisés » par les OTT (2)?
Y. G. :
Il y a plusieurs interprétations de l’expression « être “ubérisé” ». S’il s’agit de penser que les opérateurs télécoms vont disparaître, j’ai du mal à imaginer ce scénario. Les applications OTT nourrissent une demande croissante en terme d’accès très haut débit everywhere. Il faudra bien qu’il y ait des acteurs qui investissent dans les réseaux, exploitent les accès associés avec des perspectives crédibles de retour sur investissement. La question est donc plus de savoir comment sera organisée la chaîne de valeur. Est-ce que les opérateurs télécoms seront progressivement « désintermé-diés », c’est-à-dire repositionnés dans un statut d’opérateur de gros ? On ne peut pas totalement l’exclure, mais cela ne me parait pas devoir être la tendance principale. Il faut aussi s’interroger sur les capacités des opérateurs télécoms à élargir leurs revenus au-delà de ceux de l’accès (3). De mon point de vue, il est probable que les plus gros opérateurs auront l’ambition et les moyens de construire des offres d’accès qui intègrent des applications et des contenus en mode OTT ou plus directement managés à travers le réseau. Dans ce cas, une partie du chiffre d’affaires Internet sera réalisée par les opérateurs télécoms. Ce phénomène est donc assez directement dépendant de la propension de l’industrie des services télécoms à se consolider.

EM@ : Comment les opérateurs télécoms en Europe cherchent « à tout prix »
à augmenter leur ARPU (4) dans le fixe et le mobile. Que pensez-vous de la stratégie de convergence telle que celle engagée par SFR offrant des contenus (télé, vidéo, presse, …) pour augmenter son ARPU ?
Y. G. :
La chute continue des revenus des opérateurs télécoms depuis 2008 pèse sur leurs marges et leurs capacités d’investissement, malgré la baisse des prix des équipements et les efforts de cost-cutting. Les opérations de fusion mobile-mobile ou fixe-mobile peuvent favoriser une légère reprise de la croissance, comme au dernier trimestre pour Vodafone, en freinant les opérations de guerre de prix. Le challenge fondamental pour les opérateurs est de faire percevoir auprès du consommateur que l’innovation numérique ne réside pas seulement dans le smartphone ou la dernière version de Snapchat, qu’un accès 4G – bientôt 4G+ – n’est pas identique à un accès 3G, et que la fibre apporte de la qualité et du confort par rapport à un abonnement ADSL. Cela étant, les stratégies de différenciation et de segmentation peuvent être principalement focalisées sur le réseau ou s’élargir aux contenus. Mais attention :
avec du haut débit à peu près partout et la « Net neutralité », les atouts des opérateurs télécoms en matière de vidéo ne proviennent pas fondamentalement du fait qu’ils sont propriétaires des « pipes », mais plutôt qu’ils peuvent avoir plusieurs dizaine de millions d’abonnés et donc des capacités pour rivaliser dans les achats de droits exclusifs et pour un marketing très ciblé.

EM@ : Entre le « zero-rating » (5), les « services gérés », les « services spécifiques » ou encore les « niveaux de qualité », les opérateurs télécoms ne vontils pas maintenant – malgré la neutralité du Net – augmenter leurs tarifs ?
Y. G. :
Non, car au-delà des rivalités « verticales » dans la chaîne de valeur, les opérateurs restent soumis à la pression d’une concurrence « horizontale » très intense.

EM@ : Une récente étude intitulée « Comment attraper une licorne » (6) démontre que l’Europe a raté la 3e vague mobile – celle de l’Internet – face aux Etats-Unis et l’Asie. L’Europe s’est-elle trop focalisée sur le fixe et les techniques, peu sur
le mobile et les services ?
Y. G. :
Oui. Le GSM a été un grand succès ; on avait de quoi jouer une carte avec l’UMTS mais cela a été gâché dans la folie des enchères, les acquisitions déraisonnables de fréquences et l’immaturité de la technologie. La 4G (technologie LTE) a donc vu les Etats-Unis – avec Verizon puis AT&T, ainsi que les japonais et coréens – faire course en tête, même si la pénétration de la 4G se développe maintenant rapidement en Europe. Naturellement, le déploiement de la 4G a été aussi le moment d’un basculement très net de la téléphonie mobile vers l’Internet mobile (7). Ce phénomène a amplifié le poids de la Silicon Valley.
Mais l’Europe continue de disposer dans les mobiles d’atouts avec Ericsson, Nokia
et des opérateurs télécoms qui ont pris une certaine avance dans la convergence fixemobile, sans parler du tissu de start-up. L’Europe disposera, au moment du déploiement de la 5G, d’une infrastructure 4G+ de qualité qui restera un socle fortement imbriqué dans la nouvelle norme. Nous avons enfin été très tôt en Europe
à reconnaître la nouvelle frontière que représente l’Internet des objets. Or la 5G ne se réduit, comme les normes précédentes, à représenter un progrès en terme de vitesse, de bits/Hz, mais a pour objectif d’inclure très largement les nouvelles applications dans les verticaux, avec toutes les variations de latence et de sécurité ou de consommation envisageables. Il reste que les vitesses attendues et les capacités nécessaires à la 5G nécessitent de libérer des fréquences (8) et d’investir significativement dans les réseaux optiques pour desservir les micro-antennes. @