Pourquoi le groupe Casino annonce « l’entrée de Cdiscount sur le marché des médias » avec Cstream

Cdiscount avait prévenu : « Cette offre vous surprendra ! ». En lançant le 4 octobre Ctream, une plateforme de contenus en ligne (films, musiques et livres numériques), le groupe Casino (Casino, Franprix, Leader Price, Monoprix et Cdiscount) débarque en effet là où Amazon et… Xandrie ne l’attendaient pas.

Avec une fréquentation e-commerce en France qui talonne celle d’Amazon, à savoir 10,8 millions de visiteurs en moyenne par mois contre 15 millions pour le numéro un mondial (selon Médiamétrie), il aurait été dommage pour Cdiscount de ne pas en profiter. Fondé en 1998 et aujourd’hui filiale de Cnova (filiale de e-commerce du groupe Casino basée au Pays-Bas), Cdiscount rivalise avec Amazon et distance les autres sites de vente à distance en France que sont La Fnac, eBay ou encore Vente-privée, La Redoute, Carrefour et PriceMinister.

Sur les traces d’Allbrary (Xandrie)
La société bordelaise – dont le PDG est Emmanuel Grenier (photo), entré dans le groupe Casino il y a maintenant vingt ans, et aussi DG de Cnova – a surpris tous ses concurrents (Amazon en tête) avec le lancement de cette « multiplateforme illimitée
à des catalogues de vidéo, musique, livres et magazines pour 9,99 euros par mois, sans engagement ». Selon Morald Chibout, DG adjoint de Cnova, « c’est une première mondiale car personne n’avait mis en place une offre triple play culturelle ».
A ceci près que Cdiscount a été devancé en France par Allbrary, une plateforme numérique multiculturelle lancée par la société Xandrie en 2013 et offrant six univers différents : ebooks, films et séries, jeux vidéos, logiciels, création digitale et partitions musicales (1) (*) (**). Allbrary, dont Hélène Dewelle vient d’être nommée directrice générale, se veut « la première bibliothèque digitale » et propose ses contenus seulement à l’acte et non pas sous la forme d’un abonnement illimité comme peut le faire Cstream (2). Denis Thébaud, PDG de Xandrie, indique à EM@ qu’Allbrary proposera un abonnement au deuxième trimestre 2017.
Cstream Video offre 300 films variés et 1.000 programmes pour enfants, renouvelés régulièrement, grâce à un partenariat avec la société parisienne VOD Factory qui édite déjà les services vidéo de SFR, de Tevolution de la Fnac, ou encore d’Allbray. Cdiscount brûler ainsi la politesse à Amazon dont le lancement de sa plateforme Prime Video est attendue d’ici la fin de l’année. Cstream Music propose des millions de titres organisés en smart radios personnalisées par les utilisateurs, le tout géré en back-office par la société française Snowite, rachetée en janvier par 7digital (3), une start-up londonienne de création de playlists musicales et de webradios pour des clients tels que La Fnac, E.Leclerc ou encore Musical.ly. Cstream Books met à disposition plus
de 50.000 livres (romans, BD, livres pour la jeunesse, livres pratiques) et une trentaine de magazines, avec l’aide de la société française de librairie en ligne Youboox. Fort de ce triptyque, Cdiscount affirme lancer « une offre média d’une largeur inégalée dans le marché, regroupant trois médias pour le même prix qu’un seul service spécialisé ».
Il s’agit en fait pour le numéro un français du e-commerce d’un « retour aux sources » car – créé il y a dix-huit ans par les frères Charle (sans « s ») Hervé, Christophe et Nicolas qui ont tout cédé en 2011 au groupe Casino (lequel avait initialement pris 50 % du capital de la société bordelaise en 2000) – Cdiscount avait commencé comme simple vendeur de CD d’occasion mais s’est rapidement étendu aux DVD, aux images et sons, à la vidéo, aux multimédia et aux livres. Aujourd’hui, le volume d’affaires de la plateforme de ecommerce en 2015 atteint 2,7 milliards d’euros qui génèrent pour la filiale e-commerce du groupe Casino un chiffre d’affaires de plus de 1,7 milliard d’euros. Cstream est présentée par Morald Chibout comme « une offre culturelle populaire qui correspond à toute la famille ». La multiplateforme vise 90 % de la population française qui, selon lui, ne serait pas client de sites web de streaming payants tels que Netflix, Spotify ou Amazon. C’est aussi pour le groupe Casino une manière aussi de se recentrer un peu plus sur l’activité e-commerce profitable en France, après les déboires commerciaux de Cnova au Brésil (4). Cet été, le géant français de la distribution a confirmé son projet de lancer une OPA (offre publique d’achat) sur les actions de sa filiale Cnova qu’il détenait directement à seulement 43,3 % et de se refaire une santé sur son site-phare français Cdiscount (MonShowRoom a par exemple été cédé à Monoprix).

Recentrage de Cnova sur la France
A fin 2015, Cnova est présent en Colombie, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et en Belgique. Le chiffre d’affaires s’élève à plus de 3,3 milliards d’euros, soit 7 % du chiffre d’affaires du groupe Casino, mais les pertes sont dues aux baisses des ventes au Brésil.
Après restructuration, le société Cnova sera retirée de la Bourse où elle était cotée depuis novembre 2014 au Nasdaq (Global Select) et depuis janvier 2015 sur Euronext (Paris). C’est dans ce contexte de restructuration, après l’échec de Cnova, que le groupe Casino lance Cstream pour renforcer Cdiscount. @

Charles de Laubier

WPP, n°1 mondial de la publicité, accroît son emprise sur les contenus avec Matthieu Pigasse (LNEI)

Martin Sorrell, directeur général fondateur de WPP depuis 30 ans, est connu en Grande-Bretagne pour être le patron anglo-saxon le mieux payé – 84 millions d’euros en 2015 ! Le numéro un mondial de la publicité poursuit ses investissements dans les contenus, via maintenant la France avec Matthieu Pigasse.

Par Charles de Laubier

martin-sorrell« Je ne suis pas gêné par la croissance du groupe, parti de deux personnes dans une chambre à Lincoln’s Inn Fields [le plus grand square de Londres, ndlr] en 1985, à 190.000 personnes dans 112 pays, et ayant une position de leader dans notre industrie, ce qui est important », avait déclaré Martin Sorrell (photo), le directeur général de WPP, en avril dernier à la BBC pour justifier son très haut salaire controversé de… 72,4 millions de livres sterling (84 millions d’euros).
Pour trente ans de services au sein de l’entreprise dont il est le fondateur, après avoir acheté en 1985 la société Wires & Plastic Products (fabricant de paniers en fil de fer), il estime que ses actuels émoluments sont bien mérités. Ainsi, d’après le rapport annuel 2015 de WPP, le patron du numéro un mondial de la publicité a perçu l’an dernier : en salaire fixe de base près de 3,9 millions d’euros, en intéressement à court terme près de 5 millions d’euros, et surtout en intéressement à long terme près de 72,6 millions d’euros, ainsi qu’en bonus et retraite plus de 2,5 millions d’euros.

Poids de la publicité digitale chez WPP : plus de 5 milliards d’euros en 2015
Chaque année, l’augmentation de sa rémunération record fait polémique chez les actionnaires qui, lors de la dernière assemblée générale annuelle en juin, ont contesté l’écart de « 196 contre 1 » (1) entre sa paie et la moyenne des 190.000 employés (associés inclus) du groupe WPP.
Mais pour Martin Sorrell, cette rémunération mirifique – ce « salaire ahurissant », comme l’a écrit le correspondant à Londres du quotidien Le Monde (2), dont Matthieu Pigasse est l’un des trois actionnaires – n’est pas un problème. Le géant de la publicité affiche une santé insolente, avec un chiffre d’affaires mondial record, en croissance de 6,1 % sur un an à 12,2 milliards de livres sterling (environ 15 milliards d’euros) pour un bénéfice net en hausse de 7,3 % à plus de 1,6 milliard de livres (quelque 1,8 milliard d’euros). Et en cette année 2016, le groupe aux plus de 400 filiales – dont une soixantaine actives en France où WPP a réalisé plus de 650 millions d’euros l’an dernier – espérait faire aussi bien, voire mieux.

Incertitudes liées au Brexit
Seulement voilà : les incertitudes liées au Brexit pèsent sur les revenus du britannique, malgré un marché publicitaire mondial qui a trouvé des relais de croissance avec Internet et les mobiles – la publicité digitale dépassant déjà en valeur l’ensemble des autres médias (3). Au cours du premier semestre, la rentabilité de WPP a chuté en raison notamment de la dépréciation de la société de mesure d’audience américaine ComScore (dont le britannique possède 18,6 % du capital après sa fusion avec Rentrak). Mais cela n’empêche pas le groupe que dirige Martin Sorrell de maintenir
ses objectifs de progression du chiffre d’affaires à plus de 3 %.
En plus de l’Euro-2016 de football, des Jeux Olympiques de Rio ou encore de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, l’envolée de la publicité en ligne devrait largement y contribuer. « Le revenu digital [comprenant non seulement la publicité en ligne, mais aussi le marketing direct, ndlr] compte maintenant pour plus de 38 % du chiffre d’affaires du groupe », a expliqué WPP le 24 août dernier lors de la présentation de
ses résultats semestriels. Et cette proportion ne cesse d’augmenter d’un point en un an. Le digital pèse déjà sur 2015 plus de 5 milliards d’euros. Pour accélérer la cadence,
le géant de la publicité s’implique dans les contenus éditoriaux et surfe sur la vague numérique du « brand content » (contenu de marque), du « native advertising » (publi-reportage ciblé), du « story-driven marketing » (récits marque-consommateur), ou encore du « content sponsoring » (financement de contenu), sur fond de « brand engagement » (implication de l’utilisateur). C’est dans ce contexte d’euphorie salariale, et de mutation publicitaire vers le numérique, que Martin Sorrell a décidé d’investir dans Les nouvelles éditions indépendantes (LNEI), la holding de médias du français Matthieu Pigasse (4). Vice-président de la banque Lazard en Europe (5), ce dernier est propriétaire du magazine Les Inrockuptibles, de Radio Nova, d’un tiers du groupe Le Monde Libre (Le Monde, L’Obs, Télérama), coactionnaire du site web français Le Huffington Post (avec Le Monde et HPMG News), actionnaire minoritaire du groupe américaino-canadien Vice Media présent dans la télévision et les médias numériques. Matthieu Pigasse est en outre coactionnaires – à part égale avec NJJ Presse (Xavier Niel) et Troisième OEil (Pierre-Antoine Capton) – de la société Mediawan, véhicule financier coté à la Bourse de Paris (réservé aux investisseurs professionnels) et
destiné à procéder à des acquisitions dans le domaines des médias et d’Internet (6). Concernant Vice Media, dans lequel WPP a déjà de son côté investi directement il y a plus de cinq ans 36 millions de dollars (valorisés aujourd’hui 300 millions de dollars), c’est Matthieu Pigasse qui va assurer cet automne le lancement en France sur CanalSat de « Viceland », une nouvelle chaîne de divertissement destinée aux jeunes de la génération Millenium. Après le Canada et les Etats- Unis en février, la version britannique a été lancée le 19 septembre dernier en Grande-Bretagne sur Sky et Now TV (7). Le cofondateur de Vice Media, Shane Smith, souhaite en effet lancer en Europe une douzaine de chaînes Viceland, avec productions originales, qui seront accessibles sur ordinateur, smartphone, tablette, console de jeux ou encore box Internet (8).

Avec Matthieu Pigasse, le géant WPP donne un coup d’accélérateur dans la conquête des contenus en Europe. « L’investissement dans LNEI illustre aussi l’implication grandissante du groupe dans les contenus », souligne le numéro un mondiale de la publicité. Potentiellement, grâce à des obligations convertibles en actions, WPP détient au moins 25 % du capital (9) de la holding du banquier français, lequel dispose ainsi de 200 millions d’euros pour faire des acquisitions.
Au-delà de Vice Media, WPP a déjà posé des jalons « content » dans une quinzaine d’autres entreprises de contenus via WPP Digital et son bras armé financier WPP Venture s b a s é d a n s l a S i l i con Va l ley. L e s « investissements stratégiques » dans les contenus se font en prenant une participation minoritaire dans le capital d’éditeurs online. En juin dernier, WPP a investi dans deux sociétés américaines : Woven Digital, qui produit et distribue des contenus « pop culture » destinés à la génération Millenium, et All Def Digital (ADD) qui produit et distribue de la musique
et des contenus visant la culture des jeunes urbains. En janvier 2016, WPP a misé
sur Mitú, un réseau sur Internet très prisé des jeunes Latinos aux Etats-Unis et en Amérique Latine. En avril 2015, ce fut Refinery29, un éditeur de contenus en ligne basé à New York spécialisé dans les contenus de mode et de lifestyle à destination des femmes de la génération Millenium également. En septembre 2014, Indigenous Media, producteur de courts et longs métrages multi-plateformes, bénéficia du soutien financier du géant de la publicité.

Vers la convergence pub-contenu
En juin 2013, WPP a participé au financement de Fullscreen, un réseau de chaînes sur YouTube (10) revendiquant 600 millions d’utilisateurs pour 5 milliards de vidéos vues par mois, grâce à l’implication de 70.000 créateurs. Il a également investi dans Imagina, MRC, Say Media, Bruin Sports Capital, Courtside Ventures, The Weinstein Company, Media Rights Capital, ou encore China Media Capital. La convergence pub-contenu est en marche. @

Charles de Laubier

Films, musiques, sports, … : vers la portabilité transfrontalière des contenus en ligne

Le règlement européen sur la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne vient d’être approuvé par les ministres de la Concurrence, pour que l’accès aux œuvres culturelles et aux événements sportifs puisse se faire dès 2017 sans frontières au sein du marché unique numérique.

Les ministres européens de la Concurrence ont approuvé le 26 mai, lors d’un Conseil de l’Union européenne à Bruxelles, le règlement qu’avait présenté la Commission européenne pour instaurer dès l’an prochain la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne. Les représentants permanents
des Etats membres l’avaient validé le 13 mai. Les négociations vont pouvoir commencer avec le Parlement européen, dont le vote devrait intervenir à l’automne prochain – a priori en octobre, selon nos informations.

Du roaming mobile au roaming audiovisuel
Il s’agit de lever les restrictions qui empêchent les Européens – lorsqu’ils se rendent dans un autre pays que le leur au sein du marché unique numérique – de se voir privés d’accès aux films, aux séries télé, à la musique, aux livres numériques, aux jeux vidéo ou encore aux retransmissions sportives, pour lesquels ils ont pourtant souscrit un service en ligne dans leur pays d’origine. Comme il s’agit d’un règlement, ses dispositions seront directement applicables par les Vingt-huit. La portabilité transfrontalière des contenus sera alors une réalité en 2017, soit la même année où
les frais d’itinérance mobile dits de roaming prendront fin dans l’Union européenne. Comme l’usage des smartphones et des tablettes 3G/4G est plébiscité (surtout par
la jeune génération) pour accéder à la vidéo à la demande (VOD), à la musique en ligne ou encore aux offres illimitées de livres numériques, le besoin de « roaming audiovisuel » sans surcoût se fait plus pressant.
De quoi accélérer la mise en oeuvre du marché unique numérique dont Jean-Claude Juncker (photo), président de la Commission européenne, a fait son cheval de bataille avec Andrus Ansip et Günther Oettinger (1). Leur objectif : élargir l’accès aux contenus culturels et sportifs dans toute l’Europe. Jusqu’alors, un abonné de Netflix en France qui se rend en Allemagne ne peut pas visionner les films proposés par Netflix aux abonnés allemands. De même, celui qui a l’habitude d’utiliser un service de VOD en France ne peut pas regarder les films désirés lorsqu’il est en voyage d’affaires au Royaume-Uni par exemple. Un abonnés français à Canal+ est lui aussi cantonné à l’Hexagone. Or, pour la Commission européenne et les ministres de la Concurrence, ces situations de géo-blocages pour des questions de propriété intellectuelle ne sont plus tenables. Les Européens doivent pouvoir bénéficier de la portabilité transfrontalière des contenus qu’ils paient, quels que soient les pays de l’Union où ils se rendent. Il s’agit en même temps de permettre une meilleure circulation des contenus, d’offrir un plus grand choix aux Européens et de renforcer la diversité culturelle. La Commission européenne entend en outre améliorer la distribution transfrontalière de programmes
de radio et de télévision en ligne, en réexaminant la directive « Câble et satellite » (2). Mais les industries culturelles et leurs ayants droit ont exigé que soit prévu dans le règlement « Portabilité transfrontalière » un critère temporel, c’est-à-dire que la présence de l’utilisateurs en dehors de son pays d’origine soit provisoire (passagère
et courte). Ce critère temporel vise à éviter une trop large interprétation qui risquerait, selon eux, d’être l’équivalent d’un accès permanent transfrontalier à leurs œuvres.
Ils y voit une violation du principe de territorialité, qui leur permettent par le jeu des exclusivités géographiques d’optimiser la monétisation de leurs contenus culturels.

Pour contourner les restrictions liées aux droits d’auteur, certains utilisateurs ont recours à des VPN (3) qui leur permettent de simuler une connexion provenant de France et d’accéder ainsi aux catalogues français depuis l’étranger. Ce contournement du filtrage géographique déplait non seulement aux ayants droits, mais aussi à… Netflix, qui doit se soumettre au géo-blocage exigé par ces premiers. La plateforme mondiale de SVOD est parti en guerre contre ces réseaux privés virtuels ou les serveurs dits proxy ou unblockers en bloquant les adresses IP associées. Par exemple, le prestataire technique NordVPN permet d’accéder en Europe à Netflix aux Etats-Unis.

Netflix contre les VPN anti-blocages
« Nous faisons des progrès dans l’obtention de licences d’envergure mondiale pour
les contenus et nous offrons maintenant notre service dans 190 pays, mais nous avons encore du chemin à faire avant que nous puissions offrir aux gens les mêmes films et séries TV partout dans le monde. (…) En attendant, nous continuerons à respecter et faire respecter l’octroi de licence de contenu par zone géographique », avait prévenu
en début d’année Netflix (4). Est-ce la fin du jeu du chat et de la souris ?
Le règlement « Portabilité transfrontalière » pourrait donner un coup de frein en Europe aux VPN, lesquels seront cependant toujours prisés. @

Charles de Laubier

Deux ans après son recentrage sur les médias et les contenus, la stratégie de Vivendi reste floue

Devenir « un groupe mondial, champion français des médias et des contenus ».
Tel est le leitmotiv de Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi. Après avoir cédé en 2014 ses actifs télécoms, le groupe désendetté dispose d’une trésorerie de 15 milliards d’euros. Après Dailymotion, quelles autres acquisitions ?

(Depuis la parution de cet article dans EM@ le lundi 20 avril, des rumeurs circulent sur l’intérêt supposé de Vivendi pour EuropaCorp en France et Mediaset en Italie)

Vincent Bolloré

Au moment où nous bouclons ces pages, Vivendi tient son assemblée générale qui devait être moins houleuse que prévue. Des actionnaires minoritaires, emmenés par le fonds américain Psam (1), exigeaient « une meilleure rémunération ». Un accord
a finalement été conclu le 8 avril avec ce dernier pour que les versements aux actionnaires de dividendes supplémentaires
liés aux cessions d’actifs soient « accélér[és] en dépit des complications susceptibles d’en résulter pour le redéploiement
de Vivendi dans les médias et les contenus ». Vivendi espère ainsi mettre un terme
au conflit avec ce fonds spéculatif détenant à peine 1% de son capital et avant cette assemblée générale annuelle du 17 avril. Psam estime que le « trésor de guerre » accumulé par le groupe français, après avoir cédé en 2014 ses actifs télécoms (Maroc Telecom, SFR et GVT) et en 2013 l’essentiel de ses parts dans Activision Blizzard (jeux vidéo), doit revenir plus largement aux actionnaires. Il serait question d’une trésorerie de quelque 15 milliards d’euros ! Après plusieurs mois de querelles, Psam a finalement eu gain de cause. Vivendi s’est engagé à distribuer de façon exceptionnelle 2 euros
par action, « dont 1 euro au quatrième trimestre 2015 et 1 euro au premier trimestre 2016 », soit une fois que les ventes de respectivement l’opérateur télécoms brésilien
et des 20 % restant dans le capital de SFR-Numericable seront terminées. Et ce, en plus du dividende ordinaire de 1 euro par action prévu au cours des exercices de 2016 et de 2017.

La cagnotte de Vivendi, entre actionnaires et acquisitions
Au total, Vivendi s’engage formellement à distribuer ainsi à ses actionnaires 6,75 milliards d’euros (5 euros par action). C’est moins que les 9 milliards d’euros de dividendes que réclamait le fonds américain pour les actionnaires. Mais Vincent
Bolloré (photo), président du conseil de surveillance, et Arnaud de Puyfontaine, président du directoire du groupe, ont promis qu’« à l’issue d’un délai de deux ans, Vivendi étudiera la possibilité de proposer des distributions complémentaires si sa stratégie d’acquisition devait nécessiter moins de trésorerie qu’anticipé ». Ils sont convenus avec Psam de dresser le bilan de ces engagements à l’horizon de 2017.du groupe, ont promis qu’« à l’issue d’un délai de deux ans, Vivendi étudiera la possibilité de proposer des distributions complémentaires si sa stratégie d’acquisition devait nécessiter moins de trésorerie qu’anticipé ». Ils sont convenus avec Psam de dresser
le bilan de ces engagements à l’horizon de 2017.

Dailymotion ne fait pas une stratégie
Pourquoi relater cet épisode financier ? Parce qu’il est révélateur de l’incertitude et la fébrilité qui entoure la nouvelle stratégie de Vivendi. Les actionnaires s’impatientent de voir les retombées sonnantes et trébuchantes du repositionnement de leur groupe dans les médias et les contenus entamé il y a plus de deux ans maintenant sous l’impulsion de Vincent Bolloré (2) (*) (**). Ce dernier a même jugé nécessaire de monter au capital de Vivendi, dont il est déjà l’actionnaire de référence, en passant en quelques mois de 5 % (qu’il détenait depuis 2012 suite à la vente ses chaînes D8 et D17 à Canal+) à 14,5 % (depuis le 9 avril dernier), afin de faire barrage à une éventuelle offensive de fonds d’actionnaires mécontents de la politique menée par le groupe. Il exige même des droits de vote doubles. Le bras de fer avec le fonds Psam, représentatif des petits actionnaires de Vivendi, a eu le mérite de donner à ces derniers une once de visibilité sur cette stratégie dont le succès dépend maintenant des acquisitions à venir.
« Vivendi doit avoir une situation de trésorerie nette de 11 à 12 milliards d’euros, qui devrait offrir l’espoir de nouveaux retours de liquidés significatifs », a estimé la banque d’investissement paneuropéenne Liberum, en relevant sa recommandation sur les actions de Vivendi à « acheter ». Pour de nombreux actionnaires, beaucoup d’incertitudes ont été levées. Mais ce n’est pas suffisant. Bien qu’Arnaud de Puyfontaine craigne une réduction de la flexibilité à faire de grosses et coûteuses acquisitions, Vivendi doit coûte que coûte parvenir à devenir rapidement une major
des médias et des contenus en Europe et dans le monde. Dans une interview au Financial Times, publiée le 9 avril, le président du directoire de Vivendi a démenti vouloir acquérir la télévision à péage Sky ou le groupe audiovisuel ITV, mettant un terme à ces deux rumeurs. Trop cher pour Vivendi, malgré l’intérêt européen évident que ces deux actifs auraient pu représenter pour sa filiale Canal+ (déjà présente en Pologne, en Afrique et au Viêtnam). Vivendi a aussi dû démentir le 11 avril dernier une information de L’Express affirmant qu’il aurait fait une offre de 3,3 milliards d’euros sur le groupe Lagardère (3).

Comme Vivendi l’a expliqué le 8 avril au fonds Psam, il s’agit cependant de « créer,
à partir d’Universal Music et de Canal+, un grand groupe de médias et de contenus ». Convaincu d’y trouver de la croissance et ainsi de « créer de la valeur » pour les actionnaires, le groupe aux 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014 procède cette année à une accélération de son développement par les acquisitions. Pour l’instant, il est constitué de seulement trois grandes entités : le groupe Canal+ dans
la télévision payante et la production-distribution de films et séries (Studio Canal), Universal Music dans la musique, et Vivendi Village rassemblant différentes sociétés (Vivendi Ticketing, Wengo, Watchever, L’Olympia).
L’acquisition de 80 % du capital de Dailymotion pour 217 millions d’euros, si les négociations exclusives engagées avec Orange aboutissent, donnerait un avant-goût de l’esprit de conquête numérique qui semble animer désormais le nouveau Vivendi. Mais le dilemme – pour le groupe issu historiquement de la Compagnie Générale des Eaux et devenu l’une des plus anciennes valeurs cotées du CAC 40 (entrée dans l’indice en 1987) – est de savoir s’il faut s’emparer d’anciens médias d’envergures déjà bien implantés (comme Sky ou ITV) ou bien miser sur de pure players du numérique
en plein développement tel que Dailymotion). D’après l’agence Reuters, la question ferait encore débat entre dirigeants au sein de Vivendi. Cela participe du brouillard
qui entoure sa stratégie que l’assemblée générale était censée dissiper.

Pour l’heure, Dailymotion et ses 64 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 – dont plus de 80 % réalisés à l’international – constitue une « petite » cible au regard du cash disponible de Vivendi. Mais la plateforme française concurrente de YouTube, filiale Google, est un bon parti pour celui qui veut être « un groupe industriel mondial, champion français des médias et des contenus ». Bien que Canal+ ait échoué en juin 2014 dans ses négociations avec Orange pour acquérir Dailymotion, voici que sa maison mère est décidée cette fois à l’emporter. L’histoire ne dit pas si le gouvernement français, intervenu dans la vente de Dailymotion pour exprimer sa préférence pour une solution européenne plutôt qu’à un rachat par le chinois PCCW (4), a fait un appel du pied à Vincent Bolloré pour aller dans ce sens…

Autour d’Universal Music et de Canal+
« L’acquisition de 80 % du capital de Dailymotion est une formidable opportunité pour
le groupe [Vivendi] de faire rayonner ses contenus musicaux et audiovisuels d’exception dans le monde entier. (…) C’est une première étape dans notre ambition
de créer un grand groupe mondial de médias et contenus », s’est en tout cas félicité l’industriel breton, dans le communiqué du 7 avril annonçant l’entrée en négociations exclusives avec Orange (5). Mais avec environ 120 millions de visiteurs uniques par mois, Dailymotion se situe loin derrière YouTube et son 1milliard de visiteurs uniques mensuel. des synergies seront mises en oeuvre avec Universal Music (6) et Canal+ (7). @

Charles de Laubier

Le Geste met en place une bourse de partage vidéos

En fait. Le 9 avril prochain, le groupe de travail « Médias et vidéo » nouvellement créé par le Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) va se réunir pour la seconde fois en vue d’aboutir à la mise en place d’une
« bourse commune de partage de vidéos » entre les médias intéressés.

En clair. Selon nos informations, cette réunion du 9 avril fait suite à une première qui s’était tenue en février, au cours de laquelle une dizaine d’éditeurs membres du Geste (1) ont décidé de mettre en place une « bourse commune de partage de vidéos ». Il s’agit pour cette seconde réunion de « définir la suite du plan d’action ». L’objectif de cette plateforme B2B est de mettre en contact et de permettre à tous les éditeurs de services en ligne qui le souhaitent de référencer et de mutualiser leurs contenus vidéo entre eux, selon la logique de l’offre et de la demande. Les éditeurs pourront ainsi diffuser plus largement leurs propres productions audiovisuelles – reportages, documentaires, tutoriels, interviews, fictions, animations, … – et, inversement, identifier de contenus tiers susceptibles d’intéresser leur audience en ligne. « Les médias ont
un besoin croissant en contenus vidéo et il devient crucial de se différencier et de personnaliser l’expérience vidéo », explique le Geste, qui compte à ce jour 119 membres – parmi lesquels TF1, France Télévisions, Google, Lagardère Active, Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, L’Express, La Tribune, Orange, Prisma Media, Mondadori, AFP, CCM Benchmark, etc. Le groupe de travail « Médias et vidéo » travaille sur des problématiques communes telles que le sourcing (recherche de fournisseurs), l’acquisition, la production, le budget, la monétisation, les techniques d’exploitation et de mise en ligne des vidéos ou encore la relation avec l’audience. Ce besoin de créer une plateforme de partage vidéo avait été identifié lors de la réunion
de la commission « TV/Vidéo » du Geste en décembre 2014, notamment par Claire Leproust, fondatrice de FabLabChannel (et ex-directrice des développements numériques chez Capa TV Presse).

Cette démarche interprofessionnelle intervient au moment où la vidéo est devenue l’un des formats numériques les plus proposés par les médias en ligne, y compris la presse sur Internet, tandis que la vidéo – en pre-roll sur les contenus vidéo – est l’un des segments publicitaires les plus demandés par les annonceurs. Selon Médiamétrie, qui vient de lancer sa nouvelle mesure « GRP vidéo » (lire EM@117, p. 9), 36,2 millions d’internautes – soit plus de trois internautes sur quatre (77 %) – ont regardé au moins une vidéo sur leur écran d’ordinateur durant le mois de janvier dernier. @