La francophonie numérique veut s’imposer face à un Internet colonisé par les pays anglophones

Ayant succédé au Sénégalais Abdou Diouf en tant que secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), lors du XVe Sommet de la francophonie de novembre 2014, la Canadienne Michaëlle Jean (photo) a présenté le 18 mars dernier à Paris le premier rapport sur la « francophonie numérique ».

Par Charles de Laubier

Michaëlle JeanIl y a aujourd’hui 274 millions de francophones dans le monde. Ils seront 700 millions en 2050, soit une personne sur treize. Au moment où est célébrée, ce 20 mars, la Journée internationale de la francophonie (1), le rapport sur la « francophonie numérique » dresse pour la première fois un état des lieux de la langue française et des francophones sur Internet.
« A première vue, on peut penser que les francophones sont bien servis dans l’univers du numérique. Bien qu’ils ne constituent que 3 % de l’ensemble des internautes, 4 % de l’ensemble des contenus qu’on trouve sur Internet sont en français », constate-t-il.
L’anglais, sureprésenté sur Internet
Mais à y regarder de plus près, l’anglais est la langue la plus surreprésentée sur Internet : « Il y est deux fois plus présent que ne paraît le justifier sa proportion du nombre d’internautes ». Les utilisateurs de langue anglaise représentent en effet 27 % de l’ensemble des internautes, alors que les contenus en anglais pèsent 56 % sur Internet – soit une offre deux fois plus importante que la demande.
Les francophones, eux, ne représentent que 3 % des internautes mais disposent de contenus en français en proportion avec leur nombre. Encore faut-il que les habitants des 57 pays membres de la francophonie – sur cinq continents – aient bel et bien accès à des contenus numériques de qualité, particulièrement pédagogiques. «Pour que la quantité de contenus numériques de qualité en français et en langues partenaires s’accroisse sur Internet et ailleurs, les acteurs francophones doivent continuer d’investir dans leur production et leur diffusion », recommande vivement ce rapport présenté le 18 mars par secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Michaëlle Jean (photo). Face aux Etats-Unis qui produisent le plus de contenus sur Internet, portés par les GAFA américains (3), l’OIF en appelle aux gouvernement des pays francophones pour que leurs populations aient accès à des contenus en langue française. Cela passe par la production de contenus, le développement de technologies en français, le soutien à la créativité artistique francophone, mais aussi la production dynamique de contenus en mode collaboratif, à l’image de ceux de l’encyclopédie Wikipédia ou du système de base mondiale de données géographiques OpenStreetMap. « Il faut publier des livres numériques en français. Il faut publier des vidéos en français sur YouTube. Il faut produire des logiciels en langue françaises, notamment dans le logiciel libre [voir tableau ci-contre, ndlr]», a insisté Réjean Roy, chargé de la rédaction du rapport de l’OIF et expert canadien en technologies de l’information.

Droit d’auteur et domaine public
La question du droit d’auteur à l’ère du numérique est également posée, dans la mesure où les internautes et mobinautes francophones peuvent créer de nouveaux contenus et services en se servant de ce qui existe. « En fait, il n’a jamais été aussi facile de combiner différents films pour en créer un nouveau, d’enrichir un jeu vidéo
de ses propres idées, de produire une nouvelle chanson en modifiant le rythme d’un classique, de modifier un livre existant pour le mettre au goût du jour et ainsi de suite.
Il existe cependant un grand obstacle à la créativité potentiellement sans fin des internautes et des utilisateurs des TIC : le manque de matériel qu’il leur est possible d’exploiter librement », relève le rapport de l’OIF, au moment où la Commission européenne s’apprête de son côté à réformer la directive « Droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information » (DADVSI) de 2001. Il y a bien le Réseau numérique francophone (RNF), créé à Paris en 2006 par les bibliothèques nationales de différents pays avec pour mission d’assurer la présence du patrimoine documentaire francophone sur le Web. Ce sont ainsi plus de 800 000 documents en français qui sont accessibles sur le site Rfnum.org : journaux, revues, livres, cartes et plans, documents audiovisuels. Il y a aussi le Calculateur du domaine public, dont la version bêta est en ligne : créé à l’initiative de la France en partenariat avec l’Open Knowledge Foundation, il s’agit d’un outil de valorisation des œuvres qui ne sont plus protégées par un droit de propriété littéraire et artistique. Cet outil s’appuie sur les métadonnées des établissements culturels pour identifier, explorer et valoriser les oeuvres du domaine public. Mais ces initiatives ont encore une portée limitée. « D’autres contenus ne peuvent être exploités de façon optimale par les utilisateurs des TIC, parce que le mode de protection intellectuelle sélectionné volontairement ou involontairement par les créateurs les empêche de le faire. Pour contourner ce problème, les francophones gagnent à recourir à de nouveaux instruments comme les licences Creative Commons», explique le rapport de l’OIF (4).
Par exemple, un cinéaste pourra choisir une licence Creative Commons pour laisser d’autres artistes intégrer des extraits de ses films dans leurs propres productions et vendent ces dernières. Ou un photographe pourra laisser les internautes reproduire et distribuer ses clichés librement, à condition que ces derniers ne soient pas modifiés, que l’on indique qu’ils sont de lui et qu’aucune utilisation commerciale n’en soit faite.
A noter que depuis janvier 2012, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et la Creative Commons Collective Societies Liaison ont un accord pour permettre aux artistes de mettre à disposition, notamment sur Internet, leurs œuvres pour une utilisation non commerciale.

Vers un plan numérique de la francophonie ?
L’année 2015 marque en tout cas une prise de conscience des enjeux culturels de la francophonie numérique, au moment où c’est justement en octobre prochain que va être fêtée les dix ans de la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Signée le 20 octobre 2005 à Paris, où se situe aussi le siège de l’OIF, ce texte international doit faire l’objet de « directives opérationnelles » pour prendre en compte le monde digital (5). Le rapport de l’OIF montre bien que la francophone numérique dépend aussi à des infrastructures d’accès à Internet (6). Selon l’Internet Society, cité dans le rapport, « la faible connectivité entre les fournisseurs de services Internet (FAI) se traduit souvent par le routage du trafic local vers des liens internationaux coûteux, simplement pour atteindre ensuite des destinations dans le pays d’origine. Ces liens doivent être payés en devise étrangère. De fait, les FAI doivent payer les taux d’expédition internationale pour une livraison locale. Il y a une solution internationalement reconnue à cette inefficacité. Il s’agit d’un point d’interconnexion Internet ou IXP ». Or, sur plus de 400 IXP dans le monde, il sont seulement 60 à être situés dans des pays membres de l’OIF – surtout en Europe et au Canada.
Côté financements, afin de favoriser l’incubation dans l’investissement numérique, notamment auprès de projets et start-up francophones innovantes, le Fonds francophone des inforoutes (FFI) – créé en 1998 – vient d’être transformé en Fonds francophone de l’innovation numérique (FFIN), dont les capacités financières seront renforcées. « Un appel à projets va être lancé prochainement », a indiqué Eric Adja, directeur de la francophonie numérique à l’OIF. Le Réseau francophone de l’innovation (Finnov (7)), créé en juillet 2013, recense pour l’instant 64 incubateurs dans les pays francophones. De là à imaginer un « plan numérique de la francophonie » (dixit Louis Houle, président du chapitre québécois de l’Internet Society), il n’y a qu’un pas… Peut-être d’ici le prochain Sommet de la francophonie prévu à Madagascar en 2016. @

Charles de Laubier

David Kessler devra aider le groupe Orange à clarifier sa stratégie dans les médias et les contenus

C’est l’ancien conseiller pour la culture et la communication du président de la République : David Kessler prend le 1er décembre ses fonctions à la fois de DG d’Orange Studio et surtout de « conseiller de la direction générale sur la stratégie médias et contenus » du groupe Orange. Vers un nouveau revirement stratégique ?

Par Charles de Laubier

David KesslerLa stratégie de partenariats dans les contenus, adoptée par Stéphane Richard il y a quatre ans avec son plan « Conquêtes 2015 », était-elle la bonne ? C’est la question à laquelle devra répondre David Kessler (photo), le nouveau « Monsieur médias et contenus » du groupe Orange, également nommé directeur général de la filiale de coproduction de films Orange Studio – laquelle est présidée par Christine Albanel, qui fut elle aussi conseiller à l’Elysée, pour la Culture et l’Education.
Face aux offensives des géants du Net – les « GAFAN », si l’on y ajoute Netflix – dans les contenus, l’ex-France Télécom s’interroge au moment où les revenus de ses réseaux fixe et mobile décroissent.

Dilemme : être partenaire ou producteur de contenus ?
Les services OTT – Over-The-Top – des nouveaux entrants de l’Internet captent de plus en plus de valeur dans le numérique, au détriment des infrastructures elles mêmes.
Le groupe Orange doit-il monter dans la chaîne de valeur, quitte à être OTT lui-même ? A l’approche de l’échéance, l’an prochain, du plan « Conquêtes 2015″, un revirement stratégique d’Orange n’est donc pas à exclure dans les contenus et les médias.
C’est le 5 juillet 2010 que Stéphane Richard, alors directeur général depuis quatre mois de l’opérateur encore appelé France Télécom, présente sa nouvelle stratégie : fin de la diversification du groupe dans la production de contenus et recentrage sur son métier d’ »éditeur de réseaux » et d’« agrégateur intelligent » de contenus (1). Orange ne sera plus lui-même producteur de contenu et s’en tiendra à des partenariats avec de possibles « prises de participation minoritaire ». Le haut fonctionnaire venu du ministère de l’Economie (2) prend ainsi le contre-pied de celui qui était encore le PDG de France Télécom, Didier Lombard, lequel avait au contraire investit massivement dans les contenus, le cinéma et le sport. Après avoir injecté 203 millions d’euros rien que dans les droits 2008-2012 de la Ligue 1 de football et 80 millions d’euros sur trois ans dans
le préachat de films, tout en lançant ses propres chaînes payantes (Orange Cinéma Séries et Orange Sport), France Télécom opère alors un revirement stratégique.

L’affaire « Dailymotion » a laissé des traces
Dailymotion, qui n’est pas encore à ce moment-là contrôlé à 100 % (ce sera le cas
en janvier 2013), est présenté comme l’illustration de cette nouvelle stratégie de partenariats. L’opérateur télécoms historique, qui investissait à l’époque environ 400 millions d’euros par an dans des contenus, tire un trait sur sa politique d’exclusivités
– d’ailleurs très critiquée par la Justice, l’Autorité de la concurrence et le rapport Hagelsteen (3). Stéphane Richard se met en quête de partenaires. En juin 2010,
il se dit « intéressé » par un partenariat numérique avec « Le Monde Interactif »,
puis présente avec le patron du Nouvel Obs, Claude Perdriel, et l’espagnol Prisa une offre conjointe pour acquérir Le Monde (mais c’est l’offre Pigasse-Niel-Berger qui l’emportera). En juillet 2010, Deezer, le site de streaming musical, annonce qu’il va accueillir dans son capital France Télécom (à hauteur de 11 %). Devenu PDG du groupe en mars 2011, Stéphane Richard continue de poser ses jalons dans les contenus. En novembre 2011, le groupe prend 34,15 % du capital des activités web
de Skyrock.
Mais l’empilement des partenariats ne fait pas forcément une stratégie des contenus cohérente. France Télécom s’interroge sur les synergies possibles, quitte à envisager en 2012 de regrouper sur un seul site géographique – dans un nouveau département qui aurait été baptisé « Orange Digital » – les activités contenus et audiences liés à Internet, jusqu’alors identifiées sous le sigle NAC (Nouvelles activités de croissance) (4). On y aurait retrouvé le portail Orange, Orange Advertising, la TV d’Orange, Orange Cinéma Séries (OCS), OPTV (Orange prestations TV), Dailymotion (détenu à 49 % à l’époque), Deezer (11 %), Skyblog (49 %), Cityvox (100 %) ou encore l’ex- Orange Sports. Seule Studio 37 – la filiale de coproduction de films devenue Orange Studio – serait restée à l’écart. Mais le projet « Orange Digital », qui ne devait pas être une filiale comme Telefonica Digital en raison de l’hostilité des salariés de France Télécom, ne fera pas long feu à la suite de rivalités managériales sur les contenus au sein du groupe (5). Orange s’intéresse aussi au livre numérique, au-delà de son kiosque Read & Go, tout en poussant le projet MO3T de distribution en ligne d’ebooks. Ainsi va la stratégie contenus et médias d’Orange : tous-azimuts. Un événement ajoutera de la confusion : l’affaire « Dailymotion ». Au printemps 2013, Bercy – alias le ministre du Redressement productif – émet son veto à une vente de 75 % du capital de Dailymotion à Yahoo qui s’était porté acquéreur. La stratégie de Stéphane Richard dans les contenus, qui aurait pu s’étendre jusqu’aux Etats-Unis grâce à ce géant américain du Net, est mise à mal au plus haut sommet de l’Etat – lequel reste son actionnaire de référence (6). Plus d’un an et demi après cette affaire et 30 millions d’euros investis depuis par Orange dans la plateforme vidéo, le concurrent français de YouTube en est au même point dans sa recherche d’un partenaire outre-Atlantique. Microsoft est prêt depuis le début de l’année à investir dans la plateforme vidéo, à condition qu’il y ait un troisième partenaire. Le 26 novembre dernier, Stéphane Richard a rencontré le hongkongais Hutchinson. Et selon nos informations (lire p. 3), Dailymotion ne laisse pas indifférent RTL Group. Cela aurait pu être Canal+, mais la filiale de télévision de Vivendi souhaitait en prendre le contrôle.

Canal+, justement, est un partenaire privilégié d’Orange. Depuis fin 2011, les deux groupes ont créé une coentreprise, OCS, détenu à 66,66 % par Orange (via Orange TV participations) et à 33,33 % par Canal + (via Multithématiques). Mais en vertu d’une des injonctions prononcées le 23 juillet 2012 par l’Autorité de la concurrence, Canal+ devait céder sa participation dans OCS (7) ou – comme Orange s’est opposé à la cession par Canal+ conformément à leur pacte d’actionnaire – ne plus avoir d’administrateurs dans cette co-entreprise (ce fut fait en février 2013). Avec un partenaire « neutralisé » au sein d’OCS, Orange se retrouve seul maître à bord. Un nouvel accord avec la chaîne américaine HBO a même été signé en septembre 2013 pour diffuser sur une chaîne OCS « Home of HBO » des séries dès le lendemain de leur diffusion aux Etats-Unis – ce qui avait provoqué, selon nos informations, le courroux de Canal+ non tenu informé de cette nouvelle exclusivité !

179 millions d’euros dans le cinéma
En revanche, ses obligations de financement du cinéma français et européens – renégociées il y a un an avec les organisations du cinéma français (Blic, Bloc dont l’APC, l’ARP et l’UPF) et signées avec le CSA le 20 décembre 2013 – ne sont pas, elles, « neutralisées » malgré des menaces de « gel » de la part d’Orange : pas moins de 179 millions d’euros seront investis sur cinq ans (2014- 2018), dont 81 % pour les seuls films français. C’est Orange Studio qui co-produit et acquiert des films français et européens. Pour cette année, cela représente 33 millions d’euros dans le cinéma, dont 27 millions dans des films français.
David Kessler est le troisième dirigeant d’Orange Studio en moins d’un an, après Frédérique Dumas (productrice de cinéma) et Pascal Delarue (ex-TF1). Un casting pour le moins hésitant… @

Livres numériques : la justice américaine met Apple sous surveillance

En fait. Le 27 août, le tribunal de New York a souhaité que les mesures qui seront prises contre Apple se limitent aux livres numériques (entente sur les prix). Alors que la Justice américaine (DoJ) a demandé le 2 août à ce que le verdict soit étendu au contraire à tous les contenus en ligne.

(Depuis la publication de cet article dans EM@85, le tribunal de New York n’a effectivement pas suivi le département de la Justice américaine dans son injonction datée du 5 septembre 2013)

En clair. Le DoJ (Department of Justice) et trente-trois procureurs généraux veulent élargir à tous les contenus numériques en ligne – et pas seulement aux ebooks – les mesures de surveillance des pratiques commerciales et tarifaires à la marque à la pomme : « Il sera interdit à Apple de passer des accords avec des fournisseurs de livres numériques, de musique, de films, de programmes télévisés ou d’autres contenus s’ils sont susceptibles d’augmenter les prix auxquels les distributeurs concurrents d’Apple pourraient vendre ces contenus ».

Soupçons d’abus d’Apple sur tous les contenus
C’est la première fois que la justice américaine souhaite que des mesures soient prises à l’encontre d’Apple quels que soient les contenus numériques concernés. C’est ainsi tout l’écosystème App Store et iTunes qui se retrouvent dans le collimateur. Mais la juge de New York, Denise Cote, est opposé à cet élargissement.
En revanche, elle est d’accord sur la proposition du DoJ de nommer un expert indépendant (mais pour deux ans et non dix comme le demandait le DoJ) pour s’assurer que les obligations antitrust imposées à Apple soient suffisantes pour détecter les pratiques anti-concurrentielles avant qu’elles ne pénalisent les consommateurs.

Amazon est le grand gagnant
Depuis que le tribunal de New York a accusé le 10 juillet dernier la firme de Cuppertino d’entente illicite sur les prix des livres numériques, le soupçon d’étend désormais à tous les contenus. Le DoJ demande l’annulation des contrats avec les éditeurs concernés par cette entente (1) et l’interdiction pendant cinq ans de signer de nouveaux contrats qui pénaliseraient la concurrence sur les prix.
« Apple doit aussi pendant deux ans permettre à d’autres distributeurs comme Amazon et Barnes & Noble de proposer des liens de leurs applications ebooks vers leurs propres boutiques en ligne de livres numérique, afin que les consommateurs puissent acheter et lire des ebooks sur leur iPad et iPhone en comparant facilement les prix d’Apple avec ceux des concurrents », préconise la justice américaine.

Procès pour dommages et intérêts en 2014
Apple a déjà indiqué qu’il ferait appel du verdict à venir. Si sa condamnation devait être confirmée, même sans sanction financière, la marque à la pomme va faire l’objet d’un autre procès en 2014 portant sur les dommages et intérêts à payer dans cette affaire.
En Europe, la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence en France s’interrogent sur les pratiques de l’App Store d’Apple. @

Jean-Paul Cottet, France Télécom : « Désormais, le digital est notre principal levier de création de valeur »

Directeur des nouvelles activités de croissance (NAC) d’Orange depuis un an,
Jean-Paul Cottet – directeur exécutif, marketing et innovation de France Télécom – explique en exclusivité à EM@ comment les activités de contenus, « réunies sous
le même management », participent à la croissance de l’opérateur de réseau.

Propos recueillis par Charles de Laubier

JPCEdition Multimédi@ : Cela fait un an (au 1er février) que vous avez pris en charge les Nouvelles activités de croissance (NAC) de France Télécom-Orange. Que recouvrent précisément ces activités et pour quelle croissance en 2012 ?
Jean-Paul Cottet :
Les Nouvelles activités de croissance rassemblent nos activités dans le domaine du divertissement et
de l’audience. Elles comprennent la télévision, la vidéo, la musique, les jeux, les portails Internet et les régies publicitaires. Nous ne communiquons pas de chiffre d’affaires sur ces activités. Elles sont en croissance,
et même forte pour certaines. Par exemple, notre nombre d’abonnés TV d’Orange en France et à l’international est passé de 4,8 millions en septembre 2011 à 5,7 millions en septembre 2012. Notre nombre d’abonnés à OCS [nouveau nom d’Orange Cinéma Séries depuis septembre, ndlr] a quant à lui plus que doublé, de 400.000 à plus de 800.000 entre fin 2011 et fin 2012.

« Le marché américain est bien sûr une grosse priorité pour Dailymotion, mais nous n’avons pas fixé de cadre
trop restreint à la recherche d’un partenaire. Il peut être américain, ou non. »

EM@ : Ces activités de contenus et d’audiences ont-elles vocation à être réunies
au sein d’une même entité que certains en interne désignent comme « Orange Digital » ?
J-P. C. :
Nous n’avons pas prévu de fusionner les différentes entités d’Orange qui ont
des activités digitales (technocentre, marketing du groupe, lignes de business, …).
Ces activités sont déjà réunies sous un même management, et travaillent étroitement ensemble, ce qui permet de partager les mêmes priorités. Désormais, le digital est présent partout. C’est notre principal levier de création de valeur, aussi bien pour les activités traditionnelles d’opérateur, que pour les nouvelles activités.

EM@ : Portail Orange.fr, Orange Advertising, TV d’Orange, OCS , OPTV, Dailymotion, Deezer, Skyblog, Cityvox ou encore l’ex-Orange Sport…
Les écosystèmes de France Télécom sont très éclatés, comparés à
l’univers d’Apple bien identifié avec iTunes : Orange est-il en mesure de
rivaliser avec Apple ou Google sur le marché en pleine croissance des OTT ?
J-P. C. :
Nous ne nous plaçons pas en concurrence avec Apple ou Google. Nous travaillons avec eux. Et nous nous complétons. Notre premier objectif est avant tout
de proposer à nos clients le meilleur accès au meilleur réseau. Et ceci signifie désormais le meilleur débit. Et ensuite, nous nous attachons à leur proposer des services où nous avons une légitimité et un savoir-faire fort.
Pour ce qui est des contenus, nous avons clairement affiché que nous souhaitions être les meilleurs agrégateurs et distributeurs. Et nous le faisons soit au travers d’accords commerciaux, soit au travers de prises de participations, essentiellement dans des plateformes comme Deezer ou Dailymotion. L’écosystème Orange est avant tout cela : quelques services où nous pensons pouvoir jouer un rôle, par exemple le cloud, des partenariats forts avec le monde des contenus, et une expérience multiécrans à la maison comme en mobilité.

EM@ : Qu’est-ce qu’apporte justement la nouvelle Livebox Play disponible depuis le 7 février ?
J-P. C. :
La nouvelle Livebox Play illustre notre stratégie. Orange Cloud, Deezer, Dailymotion, Cloud Gaming y sont parfaitement intégrés dans une expérience
beaucoup plus unifiée. Par exemple, vous pouvez prendre une photo sur votre smartphone, la stocker instantanément dans le cloud d’Orange et la regarder
sur une télé.

EM@ : France Télécom est monté à 100 % dans le capital de Dailymotion et
cherche « d’ici la fin du premier semestre 2013 » un actionnaire, quitte à y redevenir minoritaire : discutez-vous avec un ou plusieurs investisseurs ? Sera-t-il forcément américain ?
J-P. C. :
Nous sommes montés effectivement à 100 % du capital de Dailymotion en janvier 2013. Nous cherchons maintenant à accompagner le développement de Dailymotion au-delà du périmètre géographique d’Orange, et cela peut en effet passer par un partenariat, y compris capitalistique avec un acteur international. Le marché américain est bien sûr une grosse priorité pour Dailymotion, mais nous n’avons pas fixé de cadre trop restreint à la recherche d’un partenaire. Il peut être américain, ou non. Nous sommes ouverts sur la meilleure formule qui garantira l’avenir de Dailymotion.

EM@ : Netflix pourrait-il être ce partenaire, puisque Dailymotion se lance aussi dans la SVOD ?
J-P. C. :
Pourquoi pas Netflix. Mais c’est à Netflix qu’il faut poser la question.

EM@ : Quand OCS sera disponible sur Dailymotion ?
J-P. C. :
La distribution d’OCS est bien prévue sur Dailymotion et la négociation est actuellement menée avec les ayants droits comme pour toutes les autres nouvelles plateformes. Nous ne pouvons donc pas nous engager sur un planning précis.

EM@ : Comment Orange – actionnaire minoritaire de Deezer (lequel a levé
100 millions d’euros auprès d’Access Industries (30 % du capital) – perçoit l’idée d’une contribution des opérateurs Internet au financement de la musique comme pour le cinéma avec le Cosip du CNC ?
J-P. C. :
L’idée d’une contribution au financement de la musique visait davantage me semble-t-il les géants du Net. L’idée de taxer un acteur comme Orange relève d’un raisonnement biaisé selon lequel Orange profiterait d’une manne de revenus, sans contribuer ni investir dans le financement de la musique. La réalité est à l’exact opposé. En effet, nous investissons volontairement des sommes significatives dans la musique. En tant que distributeur d’un service innovant comme Deezer, aussi bien en France que dans d’autres pays où est présent Orange, mais également comme éditeur d’une offre
de SVOD musique. Nous soutenons aussi la production musicale avec France Ô dans l’émission musicale « The Ring ». Mais je pourrais parler également des concerts que nous organisons avec les labels, de l’opération Orange Rockcorps, ou encore de la retransmission en 3D de concerts. Opposer les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
et l’industrie musicale n’est pas la bonne méthode. Il faut plutôt inciter les FAI à être les meilleurs distributeurs des offres payantes de musique, comme cela se passe entre Deezer et Orange. En période de crise économique, surtaxer des acteurs qui investissent, innovent et contribuent déjà beaucoup à la création française serait
contre-productif.

EM@ : Le groupe France Télécom a-t-il l’intention en 2013 de procéder à des acquisitions ou d’autres prises de participation dans les NAC ?
J-P. C. :
Nous ne communiquons pas sur nos intentions éventuelles de prises de participations. Tout dépendra des opportunités qui pourraient se présenter. Mais nous avons déjà annoncé que notre politique d’investissement serait très précautionneuse.

EM@ : Le livre numérique est-il aussi pour vous une activité de croissance ?
J-P. C. :
Nous sommes déjà présents dans le livre numérique au travers de notre offre Read & Go, ainsi qu’avec le projet MO3T [Modèle Ouvert Trois Tiers, comprenez des mondes de l’édition, de la librairie et du numérique, ndlr]. Ce dernier, tout à fait dans l’esprit de notre politique de partenariats, réunit 18 partenaires pour la mise en oeuvre d’une plateforme ouverte de distribution en ligne de livres numériques. La première maquette
de MO3T est en cours de présentation/validation auprès des partenaires. Sa présentation publique devrait intervenir avant l’été. @

Yves Le Mouël, FFTélécoms : « Il faut rapidement étendre l’assiette fiscale à tous les acteurs d’Internet »

Le DG de la Fédération française des télécoms, qui réunit les opérateurs (sauf Free et Numericable), répond aux questions de Edition Multimédi@ sur ce qu’il attend du nouveau gouvernement. Même s’il y a des signaux positifs, la FFTélécoms reste vigilante– notamment en matière fiscale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Pensez-vous que la proposition de loi de fiscalité numérique – que dépose en juillet le sénateur Philippe Marini en vue d’imposer les acteurs du Web sur la base des déclarations de leur référent fiscal – sera suffisante pour retrouver une équité fiscale avant le passage de la TVA au pays de consommation entre 2015 et 2019 ?
Yves Le Mouël : Les opérateurs télécoms, qui subissent en tant qu’ « objets taxables bien identifiés » en France, une fiscalité spécifique de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an, sont également en butte à une situation de concurrence déséquilibrée de la part des OTT (1). Ces derniers bénéficient légalement des niches fiscales européennes (Irlande et Luxembourg) et offrent des services concurrents de ceux des opérateurs (téléphonie, messagerie, visio, accès aux contenus, …) en utilisant leurs réseaux. La concurrence en elle-même est positive. Encore faut-il qu’elle s’exerce dans des conditions de régulation et de fiscalité équitables. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui en France. Pour étendre l’assiette fiscale aux OTT, il est nécessaire de procéder rapidement, tant au niveau français qu’au niveau européen. C’est le sens de l’action menée par le sénateur Philippe Marini.
C’est aussi l’axe de travail annoncé par le président François Hollande et par son gouvernement. Le délai de l’harmonisation fiscale européenne, qui devrait être achevée en 2019, n’est en aucun cas adapté aux enjeux nationaux pour les acteurs européens. Cela handicape notre secteur mais également la transformation et la croissance de l’économie et de la société française. Nous faisons donc de la lutte pour la baisse de la pression fiscale et contre la dissymétrie fiscale et règlementaire un axe majeur de notre action. Ce sont les messages que nous portons à tous nos interlocuteurs, français et européens, et en particulier aux membres du nouveau gouvernement. Nous partageons en effet des intérêts convergents : sur le déploiement des réseaux très haut débit, sur le plan fiscal versus les acteurs internationaux, sur l’accès à la culture, sur l’attractivité des territoires, ou sur la confiance numérique.

EM@ : La proposition de loi « fiscalité numérique » prévoit en outre deux taxations : une taxe sur la publicité en ligne et sur le commerce électronique, et l’extension aux acteurs du Net de la taxe sur les services de télévision et de VOD. Cela participe-t-il aussi de l’équité fiscale ?
Y. L. M. :
l’objectif de la Fédération n’est pas de pousser à la création de nouvelles taxes, mais de faire partager aux pouvoirs publics l’idée qu’il est de l’intérêt général d’alléger la pression fiscale sur les opérateurs de communications électroniques. L’élargissement de l’assiette fiscale à tous les acteurs du numérique qui profitent aujourd’hui d’une situation nuisant à l’exercice d’une concurrence loyale va naturellement dans le bon sens.

EM@ : Il y a un an, la Commission européenne a donné suite à la plainte de la FFTélécoms en 2009 contre la taxe pour le financement de l’audiovisuel public. Cette taxe coûterait aux opérateurs quelque 300 millions d’euros par an…
Y. L. M. :
Les opérateurs remplissent scrupuleusement leurs obligations fiscales depuis
le vote de la loi en 2009, instaurant la taxe pour le financement de l’audiovisuel public. L’action en manquement d’Etat contre la France, engagée par la Commission européenne devant la Cour de justice européenne en septembre 2011, est en cours d’instruction. La décision de la CJUE devrait être rendue dans les douze mois qui viennent. Si l’Etat est condamné, il devrait rembourser un montant de l’ordre de 1 milliard d’euros aux opérateurs télécoms.

EM@ : La ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a affirmé le 26 juin que le CNM (2) n’était pas « budgété » et la taxation des FAI « pas sécurisée d’un point de vue juridique » : elle réunira la filière de la musique le 11 juillet. La FFTélécoms est-elle conviée ?
Y. L. M. :
Nous avons clairement exprimé notre position dès janvier sur le sujet. Les opérateurs télécoms contribuent déjà fortement au financement de la culture à travers leurs multiples partenariats, tant dans la musique que dans le cinéma (chaînes et plates-formes de VOD), mais également au travers des taxes et redevances dont ils s’acquittent. Leur contribution au Cosip (3) a notamment connu une augmentation de l’ordre de 60 % ces dernières années (4). Si nous sommes invités à la réunion du 11 juillet nous rappellerons notre position. Nous espérons bien trouver une compréhension réciproque sur la globalité des enjeux auprès de la ministre et du nouveau gouvernement.

EM@ : Le « cloud computing » devient un enjeu majeur des opérateurs télécoms. SFR s’est associé à Bull face à Orange avec Thalès comme partenaire. Les opérateurs doivent-ils aller au-delà de leur réseau pour ne pas être court-circuités par les GAFA (Google-Apple-Facebook- Amazon) qui déploient des nuages mondiaux ?
Y. L. M. :
Clairement, le cloud computing constitue un enjeu important, tant en termes d’offre de services (jeux, musique, vidéo, …), que de modèle économique (déplacement de la valeur vers les contenus, la protection, le stockage, le partage, l’envoi, …). L’émergence des services cloud souligne le caractère essentiel des réseaux des opérateurs. Ces réseaux, dont il faut souligner la qualité en France, sont un levier essentiel pour la croissance économique et l’emploi dans les années à venir et nécessitent, rappelons le, des investissements récurrents, lourds et nécessaires au déploiement, à l’entretien et à l’exploitation des infrastructures : plus de 6 milliards d’euros chaque année, plus que les autoroutes et le rail réunis. L’accès à ces réseaux haut et très haut débit performants est aussi déterminant pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité de nos territoires. Les opérateurs ont également un enjeu en matière de responsabilité vis-à-vis de leurs clients. C’est pourquoi, ils placent la confiance des utilisateurs dans les usages du numérique en priorité dans leurs plans d’actions : sécurité des données dans le cloud computing, mais aussi, de manière générale, protection des données personnelles, identification, authentification, lutte contre les spams, SMS et vocaux, ainsi que sécurité des paiements en ligne.

EM@ : Le CSPLA (5) réfléchit au statut juridique des cloud comme l’iCloud d’Apple ou les nuages des FAI (SFR, Orange, Free, …) au regard des droits d’auteur. Une taxation des cloud est envisagée lorsqu’ils sortent du cadre de
la copie privée. Quelle est la position de la FFTélécoms ?
Y. L. M. :
Nous participons aux travaux du CSPLA, mais la Fédération n’a pas encore de position sur la taxation du cloud. Elle reste toutefois très hostile à toute idée de taxation nouvelle qui entraînerait une augmentation de la pression fiscale sur les opérateurs. Concernant la redevance pour copie privée, nous souhaitons que ses modalités de calcul soient transparentes et uniquement fondées sur la compensation
de la copie privée et pas au-delà.

EM@ : N’est-ce pas un handicap pour la FFTélécoms de ne pas avoir les opérateurs majeurs Iliad/Free et Numericable/Completel parmi ses membres ?
Y. L. M. :
La Fédération a été créée il y a un peu plus de quatre ans maintenant
pour promouvoir une industrie responsable et innovante au regard de la société,
de l’environnement, des personnes et des entreprises et défendre les intérêts économiques du secteur dans un monde qui bouge très vite. Elle est plus que
jamais ouverte à tous les acteurs du secteur. @