Le centre de gravité du New York Times bascule dans le numérique, le quotidien papier passant au second plan

Le New York Times accélère sa mutation numérique. Maintenant que le quotidien new-yorkais compte plus d’abonnés en ligne – 2 millions – qu’il n’en a jamais eus sur le papier, le groupe – bientôt dirigé par Arthur Gregg Sulzberger – va pour la première fois cette année réaliser la moitié de son chiffre d’affaires avec le digital.

Par Charles de Laubier

The New York Times, l’un des journaux américains les plus lus au monde, a dépassé en début d’année la barre des 3 millions d’abonnés. Les deux tiers d’entre eux le sont uniquement en ligne, leur nombre ayant fait un bond de près de 46 % l’an dernier. Ce seuil de 2 millions d’abonnés online est d’autant plus historique qu’il dépasse désormais le nombre d’abonnés papier le plus élevé que le quotidien new-yorkais n’ait jamais eus : c’était en 1993 avec 1,8 million d’abonnés au quotidien imprimé.
Et c’est au cours de l’année 2017 que le chiffre d’affaires publicitaire numérique pèsera pour la première fois la moitié des recettes publicitaires du groupe, contre 41,9 % au quatrième trimestre de l’an dernier. Malgré une baisse des recettes de la publicité display traditionnelle sur les sites web, le digital est plus que jamais pour le « Times » – comme les habitués l’appellent aussi – un relais de croissance à double chiffre, même si la progression du journal dématérialisé ne compense pas encore l’érosion du journal physique.

Cash disponible pour des acquisitions digitales ?
La baisse des recettes de la publicité imprimée s’accélère (- 15,8% l’an dernier), tandis que celles des supports numériques continue de progresser (+ 5,9 %) grâce à la publicité sur mobile, à la publicité programmatique et au brand content (1). « Cela ne fait que commencer et je pense qu’il y a un potentiel énorme de croissance en termes d’abonnements et de chiffre d’affaires », a prédit enthousiaste Mark Thompson (photo), le directeur général du groupe The New York Times Company et ancien dirigeant de la BBC, lors de la présentation de ses résultats annuels début février. Le New York Times a en outre cédé aux sirènes du e-commerce en faisant l’acquisition en octobre 2016 des sites Internet de recommandation de produits et gadgets Thewirecutter.com et Thesweethome.com, très éloignés du journalisme. D’autres acquisitions pourraient intervenir dans le monde digital, tant le groupe new-yorkais dispose d’une trésorerie confortable de 737,5 millions de dollars à fin décembre 2016 et d’un relativement faible endettement de 247 millions de dollars. Egalement éditeur d’autres journaux, dont l’International New York Times basé à Paris-La Défense (ex-International Herald Tribune) et le Boston Globe, la compagnie NYT a réalisé en 2016 un chiffre d’affaires de 1,5 milliard de dollars en baisse de 1,5 % sur un an, pour un bénéfice net de 23,8 millions de dollars en recul de 62 %. Coté à la Bourse de New York, le titre vient de passer sous la barre des 2,5 milliards de dollars de valorisation.

Spotify, podcast, « bots », VR, …
Créé il y a 166 ans, le NYT tente aujourd’hui de défier la crise de la presse confrontée au numérique et à la baisse des recettes publicitaires. Pour s’adapter à la nouvelle économie des médias, le quotidien new-yorkais – détenu par la fondation familiale Ochs-Sulzberger et présidé par Arthur Ochs Sulzberger Jr (2) (65 ans) – multiplie les initiatives numériques pour accroître sa diversification en ligne. Le fils de ce dernier, Arthur Gregg Sulzberger (photo de droite), appartenant à la génération Y (36 ans) et auteur en 2014 d’un rapport remarqué sur l’innovation au New York Times, s’apprête
à lui succéder après avoir été nommé en octobre dernier directeur adjoint de la publication.
La conquête d’abonnés en ligne à travers le monde entier (3), plutôt que de vendre
les articles à l’unité ou gratuitement, est la priorité du plan stratégique baptisé « 2020 Group » et dévoilé en janvier afin d’enrayer l’érosion des revenus du papier. Pour mettre en musique sa stratégie de conquête d’abonnements online, le groupe de presse n’a pas hésité à annoncer début février un partenariat avec Spotify. Objectif : proposer aux nouveaux abonnés un accès à la première plateforme mondiale de musique en ligne, s’ils s’engagent pour un an, et moyennant 5 dollars par semaine
pour l’abonnement « All Access ».
L’avenir du journal passe plus que jamais par Internet avec, sur NYTimes.com et les applications mobiles, plus d’images et de vidéos dans les articles et plus de contributions des lecteurs, tout en faisant en sorte que l’organisation de la rédaction aux 1.300 journalistes ne soit plus uniquement centrée autour du papier – lequel n’est bien sûr pas abandonné pour autant mais subira cette année des suppressions de postes : leur nombre sera bientôt précisé (4). Un rapport interne, baptisé « 2020 Report » et publié en janvier (5), préconise aussi de rapides changements dans la newsroom, la salle de rédaction du Times devant être réduite et diversifiée. « Breaking News, World News & Multimedia ». Tel est le nouveau triptyque mis en avant. Depuis le 1er février,
le Times a lancé un bulletin d’information quotidien en podcast baptisé « The Daily ». Il ne dépasse pas les 20 minutes et quatre sujets traités. Le principe s’inspire du podcast « The Run-Up » que le journal avait lancé avec succès pour couvrir l’élection présidentielle américaine. Avec « The Daily », le NYT compte bien être se maintenir en tête des podcasts les plus téléchargés de la presse aux Etats-Unis – devant ceux du Washington Post ainsi que du Wall Street Journal – et propose en outre aux auditeurs-lecteurs de recevoir aussi sur leur smarphone des SMS d’actualité pour réagir s’ils le souhaitent.
Le New York Times n’hésite pas à explorer les nouvelles technologies pour accroître l’interaction avec son lectorat ou attirer de nouveaux lecteurs, voire conquérir de nouveaux abonnés. Début 2016, il s’est ainsi lancé dans les « bots » que sont ces programmes automatisés simulant une conversation avec une personne humaine afin de l’informer, le renseigner ou lui rendre un service. Le quotidien newyorkais utilise la messagerie instantanée Messenger de Facebook, laquelle propose depuis le printemps 2016 la fonctionnalité « bot ». Un journaliste en chair et en os envoie régulièrement des messages d’information aux utilisateurs, lesquels peuvent ensuite interagir avec le bot de ce même journaliste afin d’en savoir plus. Selon Andrew Phelps, directeur produit
du New York Times, ce conversational journalism – une sorte de « journaliste-robot » – a été pratiqué l’an dernier avec succès pour les Jeux olympiques de Rio et pour les élections présidentielles américaines auprès de plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs. A défaut de monétiser les bots, cette relation public-journaliste permet d’intéresser de nouveaux lecteurs au journal et en particulier la jeune génération
« Internet Native ».
Autre terrain numérique où le New York Times se veut à l’avant-garde : la réalité virtuelle. Depuis plus d’un an et demi, une rédactrice s’en charge, Jenna Pirog, qui
a déjà produit une vingtaine de films en VR (Virtual Reality). L’application NYT VR, disponible sur iOS ou Android (6), a été lancée en novembre 2015 pour regarder une vidéo en 360 degrés, à savoir un reportage sur les enfants réfugiés intitulée « The Displaced ».

Reportages et fictions VR à Biarritz
Au lancement, plus de 1,3 million de visionneuses en carton de type Google Cardboard avaient été distribuées pour regarder en réalité virtuelle – à partir d’un smartphone inséré dans ce casque de VR – la vie réelle des réfugiés (7). Jenna Pirog est même venue fin janvier en France, à Biarritz, au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa), pour y présenter sa dernière production « The fight for Fallujah ». Le Times s’aventure aussi dans la fiction en VR avec « L.A. Noir » en neuf épisodes. Peu importe le mode de narration, pourvu que le public ait accès à l’information. @