Lee Jae-yong (alias Jay Y. Lee), le discret héritier de Samsung, est attendu au tournant en 2017

L’année 2017 sera décisive pour le conglomérat familial Samsung créé il y a près de 80 ans. Discret, Lee Jae-yong – petit-fils du fondateur – est propulsé à la tête du groupe et de sa plus célèbre filiale : Samsung Electronics. Mais le n°1 mondial de la high-tech est au bord de la scission et mêlé à un scandale d’Etat.

(A l’heure où nous avons publié cet article dans EM@, nous apprenions qu’un mandat d’arrêt contre Jay Y. Lee était demandé. Le 19 janvier, la justice sud-coréenne refusait de délivrer ce mandat d’arrêt. Le 17 février, le « prince héritier » a été arrêté.)

Son père, Lee Kun-hee, vient de fêter – le 9 janvier – ses 75 ans et dirige le conglomérat – chaebol en coréen – depuis 30 ans maintenant. Mais lui, Lee Jae-yong (photo), fils unique et aîné de trois soeurs (1), a été propulsé à la tête du groupe Samsung. Cette montée en grade s’est accélérée depuis que le patriarche – lui-même troisième enfant de Lee Byung-chul, celui qui a fondé l’entreprise Samsung il y aura 80 ans l’an prochain – a été hospitalisé en mai 2014 à la suite d’une crise cardiaque et est depuis lors souffrant.
Le « prince héritier », comme certains le surnomment lorsqu’il n’est pas appelé familièrement « Jay Y », tient entre ses mains l’avenir de l’une des plus importantes multinationales connues au monde. Il en est officieusement le patron en l’absence de son père, lequel prépare sa succession depuis près de trois ans maintenant via la méconnue et opaque holding familiale du groupe appelée Cheil Industries (ex-Samsung Everland).

Samsung Electronics, porte-drapeau du chaebol
Le groupe « trois étoiles » – c’est la signification en coréen de Samsung – présentera le 24 janvier les résultats financiers 2016 de Samsung Electronics. Ils sont annoncés comme « supérieurs aux attentes », malgré les déboires du groupe l’an dernier avec le retrait du marché de la phablette (2) Galaxy Note 7 pour cause d’explosions ou d’embrasements (les résultats de l’enquête sur les causes seront publiés avant la fin du mois), et le rappel de millions de… machines à laver le linge défectueuses. Pour Lee Jae-yong, fin janvier s’annonce donc comme un baptême du feu…
La filiale high-tech – créée en 1969 et devenue numéro un mondial des smartphones ainsi que numéro un mondial des téléviseurs – est plus que jamais aujourd’hui le porte-drapeau planétaire du conglomérat sud-coréen, également présent dans le bâtiments, les chantiers navals, les parcs d’attraction ou encore dans l’assurance. En près de 50 ans, l’entreprise de fabrication de produits électroniques et électroménagers – Samsung Electronics – s’est développée à coup de diversifications technologiques : téléviseurs, écrans plats, magnétoscopes, lecteurs de vidéodisques, ordinateurs, téléphones mobiles, semi-conducteurs, puces mémoires, écrans pour smartphones, mais aussi laves linge, réfrigérateurs, fours à micro-ondes, climatiseurs, …

Holding opaque et scandale financier
A un an près, Lee Jae-yong (48 ans) a le même âge que Samsung Electronics, dont
il est vice-président depuis décembre 2012, après en avoir été directeur opérationnel durant trois ans. Et c’est lors d’une assemblée générale extraordinaire organisée le 27 octobre dernier que le quadra a fait son entrée au conseil d’administration de Samsung Electronics que préside Oh-Hyun Kwon (64 ans), auquel Lee Jae-yong pourrait succéder. Fort de ses deux pouvoirs, opérationnel et stratégique, le dauphin devient
le tycoon du groupe familial – coté en Bourse et valorisé 260 milliards de dollars. Multimilliardaire, la fortune personnelle de Lee Jaeyong est estimée par le magazine Forbes à 6 milliards de dollars en 2016, ce qui en fait la 201e personne la plus riche du monde – tandis que son père est en 112e position avec un patrimoine de 14,4 milliards de dollars. Bien qu’à la manoeuvre depuis l’éloignement de son père, l’intronisation de Lee Jae-yong au board l’amène officiellement à prendre part aux décisions stratégiques du groupe – quant aux investissements, à la réorganisation des activités ou encore à la « création d’une culture d’entreprise plus ouverte » (dixit Oh-Hyun Kwon).
Le groupe de Séoul avait fait savoir au printemps dernier qu’il souhaitait adopter une culture de start-up pour être plus réactif – dans un monde high-tech à la croissance ralentie – grâce à des processus de décisions simplifiés. De là à « pivoter », comme disent les dirigeants de jeunes pousses ? Difficile pour un poids lourd de la taille de Samsung. Des décisions majeures ont néanmoins déjà été prises sous l’égide de « Jay Y. Lee » telles que la vente en septembre de l’activité imprimantes à HP pour plus de 1milliard de dollars afin de se recentrer sur ses coeurs de métier, et l’introduction en Bourse en novembre de la filiale pharmaceutique Samsung Biologics permettant de lever 1,9 milliard de dollars. Mais c’est l’acquisition en décembre du groupe Harman International Industries, pour 8 milliards de dollars, qui est un coup de maître. En s’emparant du spécialiste des appareils audio, vidéo et systèmes automobiles connectés (Harman Kardon, JBL, Lexicon, Mark Levinson, AKG Acoustics, …), Samsung Electronics donne un coup d’accélérateur à sa diversification afin d’aller chercher dans la voiture connectée de nouveaux relais de croissance. A la grandmesse de l’high-tech grand public, le Consumer Electronic Show (CES) qui s’est tenu à Las Vegas début janvier, le groupe sud-coréen a annoncé le lancement du fonds Samsung Next doté de 150 millions de dollars qui ont commencé à être orientés vers des investissements dans des start-up de la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, et d’autres innovations technologiques (3). Mais Lee Jae-yong n’était pas présent aux Etats-Unis, car il était entendu à Séoul comme suspect dans le scandale politico-financier qui met en cause la présidente de la Corée du Sud, Park Geun-Hye, soupçonnée de trafic d’influence et menacée de destitution : elle aurait permis en 2015 une fusion – contestée par des actionnaires minoritaires, dont le fonds américain Elliott – de deux entités de Samsung, Cheil Industries et C&T, opération qui devait renforcer l’emprise de la famille Lee et faciliter la passation de pouvoir à la tête du géant sud-coréen de l’électronique sans trop payer de droits de succession. Le hedge fund Elliott (4) est le même qui pousse à une scission de Samsung Electronics évoquée depuis longtemps, avec les activités industrielles d’un côté et financières de l’autre. La direction s’est donnée au moins jusqu’à mai pour mener sa « revue stratégique ».

Autre affaire que l’héritier suit de prêt : celle des brevets où Apple accuse depuis 2011 Samsung d’avoir copié l’iPhone. D’après une décision de la Cour suprême des Etats-Unis datée du 6 décembre dernier, le groupe sudcoréen pourrait ne plus avoir à payer que 149 millions de dollars de dommages et intérêts au lieu de 548 millions (jugement en 2015) ou de 930 millions (jugement de 2012). Lee Jae-yong a en outre eu à gérer
la crise historique de l’accident industriel du Galaxy Note 7, qui a finalement coûté à Samsung plus de 6 milliards de dollars (selon l’agence Bloomberg) et la perte de parts de marché au profit de fabricants chinois comme Huawei (pas d’Apple). Mais le numéro un mondial des smartphones a les reins solides et pourrait afficher un bénéficie record dès cette année 2017. C’est du moins ce que pense un analyste financier cité par l’agence Reuters, en tablant sur le succès des futurs Galaxy S8 dotés d’intelligence artificielle et attendus en avril.

Apple n’a qu’à bien se tenir
Et selon le site d’informations économiques Business Korea, le numéro un mondial
des smartphones compte aussi lancer au second semestre un Galaxy Note 8 ultra performant et doté d’un écran 4K pour entrer dans la réalité virtuelle et faire oublier le fiasco du prédécesseur. Le géant de Séoul devrait in fine se remettre rapidement de ses catastrophes industrielles. D’autant que les ventes de puces mémoire et d’écrans pour smartphones ont été bonnes. @

Charles de Laubier

 

Lagardère Active met le numérique et la data au coeur de sa stratégie afin de résister aux GAFA

Nommé il y a près de cinq ans (le 7 novembre 2011) à la présidence de Lagardère Active (regroupant la presse et l’audiovisuel du groupe d’Arnaud Lagardère), Denis Olivennes change de braquet cette année en faisant du numérique et du traitement des données sa priorité pour générer de nouveaux revenus.

C’est un signe : Valérie Salomon, jusqu’alors directrice des régies publicitaires d’Altice Media et de Libération, vient d’arriver chez Lagardère Active en tant que présidente de Lagardère Publicité et se voit rattachée à Corinne Denis, directrice du numérique et du développement des revenus. « C’est d’autant plus important que la data et le numérique sont au cœur de notre problématique de revenus. Il fallait donc que cela [la publicité et le numérique, ndlr] soit marié de manière très étroite », a souligné Denis Olivennes (photo), le patron de Lagardère Active, devant l’Association des journalistes médias (AJM) le 4 octobre dernier.
Sous son autorité, Corinne Denis – nommée à la tête de la nouvelle direction numérique de Lagardère Active en mai 2015 – a non seulement vu ses attributions étendues depuis janvier dernier au développement des revenus, mais voit maintenant passer sous sa coupe la régie publicitaire de Lagardère Active (1). « Lorsque je suis arrivé, j’ai décentralisé le groupe autour de ses marques [Elle, Paris Match, Le Journal du Dimanche, Europe 1, Gulli, …, ndlr], ainsi que les régies, a poursuivi Denis Olivennes. Mais il y a une couche transversale pour les outils, le marketing, la data, pour le numérique ou encore les grand comptes. C’est de tout cela dont Valérie Salomon a en charge. Et pour être sûr que le tournant du numérique est pris et le faire avancer, elle est sous l’autorité de Corinne Denis ».

Un trésor de guerre de 100 millions de contacts
Lagardère Active a donc décidé de mettre les bouchées doubles dans le digital et la data, devenus le nerf de la guerre des médias en pleine mutation face aux géants du Net, les fameux GAFA. « Nous devons arriver à générer de nouveaux revenus et de nouvelles activités. C’est le développement du numérique et, encore balbutiant, de la data dont on espère beaucoup ». Ce trésor de guerre est constitué par les quelque 100 millions de contacts que traite Lagardère Active en France et à l’international. Mais cela ne suffit pas à faire le poids face aux Google, Facebook, Twitter ou encore Snapchat, lesquels revendiquent chacun plusieurs centaines de millions d’utilisateurs dans le monde – lorsque cela ne relève pas du milliard pour certains.

Une plateforme data commune ?
Aussi, pour arriver à se battre à armes égales, le président du directoire de Lagardère Active (2) en appelle aux autres médias français pour se fédérer autour des données numériques selon un principe d’open innovation : « Je souhaite que nous nous réunifions. Car la taille des médias français est trop peu critique à l’échelle du monde pour que l’on soit divisé. Nous sommes en train de créer, avec le groupe Les Echos, une plateforme sur la data, qui doit être ouverte (à d’autres médias) comme pour La Place Média, ainsi qu’à des start-up. Nous serons ainsi beaucoup plus puissants nombreux contre eux (les GAFA) ». Lagardère Active a été l’initiateur de La Place Média, une plateforme de publicité programmatique lancée en 2012 avec, outre Lagardère Publicité, les régies Amaury Médias, FigaroMedias, TF1 Publicité et France Télévisions Publicité, rejointes depuis par 200 éditeurs partenaires.
Mais toutes les grandes régies n’ont pas fait cause commune, certaines préférant créer une plateforme concurrente. Ainsi est né Audience Square, initié par M6, Le Monde,
Le Nouvel Observateur, NextRadioTV, Le Point, Prisma, RTL, L’Express-Roularta, Libération et Les Echos. « Si l’on peut faire une seule plateforme sur le traitement des données, nous sommes pour. Si l’on ne veut pas reproduire ce qui s’est passé avec La Place Média et Audience Square, ce serait encore mieux. On s’y prend tôt. On a fait un appel ouvert. J’espère que l’on va réussir à ramener tout le monde », a confié Denis Olivennes. Pour préparer cette plateforme « Data Science », qui fut annoncée le 5 septembre dernier mais dont la structure reste à constituer, des expérimentations sont déjà menées depuis quelques semaines entre Lagardère Active et les deux médias du groupe LVMH (Les Echos et Le Parisien), avec des start-up spécialisées, sur le partage et l’analyse de données, ainsi que sur la modélisation de systèmes algorithmiques (3). L’union des médias français dans la data serait en tout cas une réponse aux GAFA qui bousculent à leur avantage le marché publicitaire. Le patron de Lagardère Active estime qu’il y a là transfert de valeur au détriment de la presse : « La publicité dans les médias en France est de l’ordre de 11 milliards d’euros par an. Entre 2004 et 2015, ce montant n’a pas vraiment changé. Sauf que 2 milliards de ce marché sont passés des médias traditionnels vers les nouveaux médias, dont 1,5 milliard partis de la presse imprimée (print). Et malheureusement, 80 % de cette manne publicitaire a été captée par les GAFA. Nous n’avons pas retrouvé dans les sites Internet des journaux l’argent que les journaux imprimés avaient perdu ». Il fallait donc réagir. Pour sa part, Lagardère Active a comme objectif d’atteindre 10 % de résultat d’exploitation. « Lorsque je suis arrivé, nous étions à 6,2 %. Aujourd’hui, nous sommes à 8,2 %, proche de la rentabilité de Lagardère Publishing [Hachette Livres, ndlr] », se félicite Denis Olivennes qui compte aussi pour y parvenir sur le hors-média tel que l’organisation physique de forums (comme le font déjà Elle et Le JDD) ou le développement du brand content (dont aura la charge Emilie Briand, ex-Webedia, recrutée en février).
Encore faut-il que le groupe Lagardère Active poursuive sa mue engagée par Denis Olivennes fin 2011 dans le cadre du projet « Réinventer Lagardère Active ». Cela s’est traduit pour l’instant par une réduction des effectifs de près de 1.000 personnes, une stabilisation du chiffre d’affaires pour la première fois depuis 2008 (à 963 millions d’euros en 2015, contre 958 millions l’année précédente), une progression du résultat opérationnel de 25 % ces trois dernières années, et un retour à la croissance de leurs revenus des sites Internet du groupe. « Pour autant, nous sommes à la moitié du chemin. On est loin d’avoir accompli cette mutation », a prévenu Denis Olivennes,
qui compte encore « réduire l’exposition » de Lagardère Active à la presse, tout en l’augmentant à l’audiovisuel et au digital. Après un plan de départs volontaires qui s’achèvera en février 2017 chez Télé 7 Jours, Ici Paris et France Dimanche, ces trois titres de presse dite « populaire » devraient être cédés s’ils trouvaient preneur(s) comme l’ont été auparavant une dizaine de titres (4).
Reste à savoir si Denis Olivennes a les moyens financiers de ses ambitions numériques, comparé à des groupes tels que Axel Springer et Webedia. « Une partie du cash des 80 millions d’euros opérationnel nous permet de restructurer notre activité. Et ce qui nous reste, nous le consacrons aux investissements dans notre développement. Ce donc des investissements plus limités que si nous avions choisi de nous endetter », a-t-il reconnu. Et de défendre la stratégie du groupe : « Nous n’avons pas, comme l’a fait Axel Springer, investi massivement dans un numérique, qui n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec le numérique des médias puisque ce sont principalement des annonces classées. C’est une autre stratégie. Nous, nous avons choisi de demeurer un groupe média et de se transformer comme tel ».

Ne plus décevoir Arnaud
Si la stratégie numérique avait pu décevoir Arnaud Lagardère (échec de l’agence digitale Nextidea, déboires du comparateur de prix LeGuide.com, tout juste revendu à Kelkoo, …), malgré les performances de Doctissimo.com, Boursier.com ou encore de Billetreduc.com, Denis Olivennes espère lui donner cette fois satisfaction. @

Charles de Laubier

En pleine crise de la quarantaine, Apple – la marque à la pomme – lutte contre le blettissement

Fondé en avril 1976 par Steve Jobs dans la maison familiale de Los Altos (Californie), Apple – qui devint une société en janvier 1977 – est en pleine crise
de la quarantaine. La marque à la pomme va devoir mûrir sans devenir… blette, en misant sur les services en ligne pour compenser la chute des ventes d’iPhone.

Apple est en passe d’être déchu du titre de première capitalisation boursière mondiale. Alphabet, alias Google,
a déjà réussi par deux fois depuis le début de l’année de relégué la marque à la pomme en seconde position. Le 26 mai dernier, la valorisation boursière d’Apple était de 550 milliards de dollars (à 100 dollars l’action), contre 505 milliards de dollars (à 736 dollars) pour la maison mère de Google. Le fabricant d’iPhone a quand même perdu pas loin d’un tiers de sa valeur par rapport aux 130 dollars atteints durant l’été 2015 (1). Cette « spirale baissière », comme disent les analystes financiers, risque de se poursuivre.

La pomme croquée par la concurrence
Au premier trimestre de l’année, troisième de son année fiscale, la firme de Cupertino affiche la première baisse des ventes de l’iPhone depuis son lancement en 2007 et accuse aussi le premier recul de son chiffre d’affaires global depuis treize ans. Résultat : sur les six premiers mois de son exercice en cours, le chiffre d’affaires de 126,4 milliards de dollars est inférieur de 4,6 % par rapport à la même période il y a un an. Tandis que les ventes du smartphone sont tombées à 125.972.000 unités, toujours d’octobre 2015 à mars 2016, soit une baisse de 7,1 % par rapport à la même période il y a un an. Pire : le recul des ventes se constate aussi pour les tablettes iPad, en chute de 22,5 % à 26.373.000 unités sur les six mois, et pour les ordinateurs Mac, en baisse de 7,8 à 9.346.000 unités sur la même période.
S’agit-il d’une « pause », comme aimerait le croire Tim Cook (photo), le directeur général d’Apple, ou bien est-ce le début de la fin de l’heure de gloire de la marque à la pomme ?
A force de voir ses parts de marché grignotées, Apple n’aura jamais aussi bien porté son logo qui représente une pomme sérieusement entamée, croquée… Et c’est comme si le groupe dirigé par Tim Cook depuis bientôt cinq ans subissait aujourd’hui le véritable contrecoup de la mort de Steve Jobs intervenue en octobre 2011. L’esprit d’innovation semble s’être éloigné de l’entreprise. A moins que Tim Cook ne réussisse à prouver le contraire à la conférence mondiale des développeurs d’Apple, qui se tiendra du 13 au 17 juin. Lancée il y a un an, en avril 2015, la montre connectée Apple Watch ne semble pas rencontrer le succès escompté (2). Aucun chiffre de ventes n’a – pour l’heure… – été donné par le groupe. Selon la cabinet IDC, Apple a reculé à la troisième place mondiale pour les ventes de « wearable » dont font partie les montres connectées – derrière l’américain Fitbit et le chinois Xiaomi.
Si l’iPhone reste le produit-phare d’Apple, il pourrait fêter ses dix ans d’existence l’an prochain dans une ambiance morose. Et il n’y a pas grand chose à attendre du prochain iPhone 7, attendu en septembre, pour lequel les « Applemaniques » reportent leurs achats au détriment des iPhone 6 et SE.
Tout le défi de la marque à la pomme va être de mûrir sans devenir blette. Certes, la situation de l’entreprise n’a rien d’inquiétant pour l’instant. L’activité fait encore bonne figure, malgré un net ralentissement ces derniers mois : 233,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires générés lors de la dernière année fiscale (close fin septembre 2015), pour un bénéfice net de 53,3 milliards de dollars.
Après les « révolutions technologiques » de l’ordinateur Mac dans les années 1980
et de l’iPhone des années 2000, la marque à la pomme est en quête d’une troisième innovation de grand ampleur. Il est peut probable qu’elle se trouve dans la télévision ou l’automobile, deux produits de grande consommation déjà largement utilisés depuis des décennies.

Déstabilisation par la Chine
En attendant de trouver le nouveau Graal technologique, Apple investit dans les innovations des autres. C’est le cas dans la société chinoise Didi Chuxing (ex-Didi Kuaidi), qui édite une application de réservation de véhicules de transport avec chauffer (VTC) de type Uber et de covoiturage. En y injectant 1 milliard de dollars (3), la firme de Cupertino mise sur un possible relais de croissance futur provenant de la Chine où elle rencontre des difficultés en raison de restrictions réglementaires : selon le New York Times, ses services en ligne de livres iBooks et de films iTunes Movies ont récemment dû être fermés sur décision des autorités chinoises. Pourquoi tant d’intérêt pour l’Empire du Milieu ? Parce qu’il s’agit là du second plus grand marché d’Apple, après les Etats-Unis – en attendant de conquérir l’Inde où Tim Cook vient de se rendre mais peine à se lancer. Mais les fabricants chinois de smartphones tels que Huawei et Xiaomi lui donnent du fil à retordre. Investir dans Didi est aussi un moyen pour Tim Cook de mieux connaître les géants chinois du Net (4) comme Tencent et Alibaba qui soutiennent aussi Didi (5), lequel compte 300 millions d’utilisateurs. Le service de paiement mobile Apple Pay, lancé en février en Chine, pourrait profiter de cet investissement. Les ambitions de la marque à la pomme dans la voiture autonome
– dans le prolongement de sa voiture connectée CarPlay – pourrait aussi tirer partie
de cette alliance chinoise.

Virer Tim Cook et faire des acquisitions ?
Cet investissement dans Didi semble en outre donner le coup d’envoi de la diversification stratégique du premier « A » de GAFA vers plus de services en ligne. Après iTunes, Apple Music (6) (*) (**) et Apple Pay, le groupe californien donne un coup d’accélérateur vers les plateformes numériques et l’économie du partage. A terme,
les ordinateurs, les smartphones et les tablettes qu’il fabrique pourraient devenir secondaires. D’autant que la concurrence fait rage entre les nombreux fabricants de terminaux mobiles, avec des baisses de tarifs et de marges significatives malgré des performances toujours accrues. Si l’iPhone a assuré en près d’une décennie la rentabilité du groupe de Cupertino, cela ne devrait plus être le cas à l’avenir. IBM n’a-t-il pas pris le virage des services informatiques dans les années 1990 pour retrouver des marges financières que Big Blue avait perdu en tant que fabricant d’ordinateurs de moins en moins coûteux ? Apple est en passe de subir le même sort, comme l’illustre la progression de 20 % de ses revenus trimestriels dans les services (Apple Store, Apple Music, iCloud, Apple Pay, …). Mais la concurrence est rude, face à Spotify, Google ou encore Microsoft.
La planche de salut de la multinationale californienne peut aussi se trouver du côté de la santé (7) : n’a-t-elle pas recrutée dans ce domaine Yoki Matsuoka, d’origine japonaise et spécialiste de la « neurobotique », qui fut une co-fondatrice du laboratoire futuriste de Google (X Lab) ? La réalité virtuelle pourrait aussi constituer un avenir pour Apple, voire l’intelligence artificielle.
Au 31 mars dernier, Apple détient une trésorerie colossale de 232,9 milliards de dollars ! Ce qui lui laisse une marge de manœuvre considérable pour faire des acquisitions, voire des méga-acquisitions. Car à défaut de pouvoir continuer à faire rêver en développement ses propres produits ou plateformes, il reste à racheter ceux des autres. En un an, Apple a acquis pas moins d’une quinzaine d’entreprises – la plupart des start-up.
A moins de trouver un nouveau Steve Jobs. Un analyste de Global Equities Reseach propose même de se « débarrasser » de Tim Cook, de son directeur financier Luca Maestri et de sa directrice des ventes Angela Ahrendts ! « Débarrassez-vous de ces trois personnes, et Apple reviendra à sa gloire passée », estime-t-il (8), tout en prônant le recrutement de Jon Rubinstein, exdirigeant de la division iPod, comme nouveau DG d’Apple, ainsi que de Fred Anderson comme nouveau directeur financier, ayant déjà occupé ce poste par le passé.

« Tim Cook a fait du bon boulot », avait pourtant assuré l’investisseur Carl Icahn qui
a annoncé fin avril avoir vendu toutes ses actions Apple en réalisant au passage une plus-value de 2 milliards de dollars… Ce ne serait pas l’équipe dirigeante d’Apple qui poserait problème, selon le milliardaire américain, mais plutôt la Chine dont le ralentissement économique et les décisions réglementaires ont un impact direct sur les ventes du fabricant californien. Ce qui n’effraie pas un autre milliardaire, Warren Buffet, qui a annoncé mi-mai son entrée – via sa holding Berkshire Hathaway – au capital d’Apple pour plus de 1 milliards de dollars…
Une chose est sûre : le marché chinois des smartphones est arrivé à saturation, ce
qui a un impact direct sur les ventes mondiales de ces terminaux mobiles multimédias. Selon le cabinet d’études Strategy Analytics, elles ont baissé de 3 % au premier trimestre de cette année. Si le fabricant corée Samsung reste le numéro un mondial du smartphone avec 79 millions d’unités vendues sur les trois premiers mois de l’année (en baisse de 4,5 %) pour une part de marché de 23,6 % (contre 24 % un an avant), Apple demeure en seconde position avec 51,2 millions d’unités (en chute de 16 %) pour une part de marché de 15,3 % (contre 17,7 % un an avant). Cette érosion des ventes de smartphone est également constatée par le cabinet IDC, pour se retrouver à un
peu plus de 334 millions d’unités au total sur ce même trimestre. Si le chinois Huawei conforte sa position de troisième fabricant mondial de smartphones, il est rejoint pour
la première fois pas deux autres de ses compatriotes que sont les chinois Oppo et Vivo en respectivement quatrième et cinquième places. Dans le « Top 5 » des smarphones, Apple fait ainsi figure d’intrus parmi tous ces asiatiques…

Les 10 ans de l’iPhone dans le nouveau QG ?
Quoi qu’il en soit, l’iPhone fêtera ses dix ans en 2017 et la firme de Cupertino intègrera son nouveau quartier général circulaire pharaonique sur 70 hectares et 260.000 m2 – dont le budget a explosé de 3 à 5 milliards de dollars en trois ans… @

Charles de Laubier

Où en est le serpent de mer de la TVA dans le marché unique numérique de l’Union européenne

Près d’un an après avoir présenté sa stratégie numérique, la Commission européenne propose une réforme de la TVA pour l’adapter à l’économie numérique. Censée appliquer le principe du « pays de consommation »,
l’Europe doit encore parvenir à l’harmonisation fiscale.

« Le système de TVA n’a pas été en mesure de s’adapter aux défis de l’économie mondialisée, numérique et mobile telle qu’elle se présente aujourd’hui. Le système de TVA en vigueur,
qui devait être un système transitoire, est fragmenté, complexe pour le nombre croissant d’entreprises exerçant des activités transfrontières et il laisse la porte ouverte à la fraude ». Tel est le constat accablant que fait aujourd’hui la Commission européenne, malgré ses appels incessants depuis des années à une réforme du système de TVA remis en question par Internet.

Dumping et patchwork fiscaux
Et pour cause : les règles européenne sur la TVA ont été conçues il y a plus de vingt ans et selon le principe du « pays d’origine », à savoir que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) était perçue par l’Etat du pays où était implanté le siège de l’entreprise fournissant le bien ou le service. Ce qui a engendré les pratiques de dumping fiscal et de distorsion de concurrence – pour ne pas dire déloyales – au sein de l’Union européenne. Ce fut particulièrement vrai dans les télécoms, l’audiovisuel et le commerce électronique sur Internet. Certaines plateformes numériques telles que Amazon, iTunes d’Apple ou Netflix au Luxembourg, ainsi que Google ou encore Apple en Irlande, en ont profité pour tirer avantages du patchwork fiscal européen grâce à
une TVA moins élevée dans ces pays que pour les autres prestataires basés, eux,
dans des pays fiscalement moins avantageux comme la France.
Mais depuis, la TVA a évolué vers un système de plus en plus fondé sur le principe
du « pays de destination ». C’est ainsi que la directive européenne du 12 février 2008
a substitué à la règle du pays d’origine celle du pays du consommateur. Elle est applicable depuis 1er janvier 2015 mais comporte une période transitoire : « Certaines modifications concernant le lieu des prestations des services pourraient avoir un impact sur le budget des États membres. Afin d’assurer une bonne transition, ces modifications devraient s’étaler dans le temps », est-il en effet précisé discrètement dans cette directive (1). Résultat : sur le marché unique numérique naissant, l’Etat du prestataire conservera 30 % des recettes de TVA jusqu’au 31 décembre 2016 et 15 % jusqu’au 31 décembre 2018. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 2019 que l’Etat du consommateur percevra l’intégralité des recettes. Il aurait été souhaitable de raccourcir cet échelonnement progressif de l’application de cette règle du lieu de consommation dans le budget de chaque Etat. Mais ces délais avait été obtenus fin 2007 à la demande du… Luxembourg – par Jean-Claude Juncker lui-même (photo de gauche), qui était alors à la fois Premier ministre et ministre des Finances du Grand-Duché, avant de devenir… président de la Commission européenne en novembre 2014.
Quoi qu’il en soit, les règles en matière de taux de TVA n’ont jamais été modifiées et mises en adéquation avec cette logique du pays de consommation qui permet une
plus grande diversité des taux. « Contrairement à ce qui se passait dans le cadre du système fondé sur l’origine [le principe du pays d’origine où est implanté l’entreprise vendeuse, ndlr], les fournisseurs et prestataires établis dans un Etat membre à bas taux ne retirent pas d’avantages significatifs de cette situation, de sorte que les différences de taux de TVA sont moins susceptibles de perturber le fonctionnement du marché unique », souligne la Commission européenne dans son plan d’action sur la TVA publié le 7 avril dernier (2).

La directive « TVA » est obsolète
En conséquence, si – grâce au principe du pays de consommation – la diversité des taux en Europe ne pause plus de problème de distorsion de concurrence entre les vingt-huit pays européens, il est donc envisagé de redonner aux Etats membres le pouvoir de fixer eux-mêmes les TVA à taux réduits ou nuls – conformément au principe de subsidiarité. « Les règles actuelles font que les Etats membres se heurtent à un processus lent et difficile pour étendre l’application de taux réduits à de nouveaux domaines, étant donné que toutes les décisions doivent être prises à l’unanimité.
En conséquence, la directive TVA devient obsolète, par exemple en ce qui concerne
les produits bénéficiant d’avancées technologiques ». À ce jour, la Commission européenne a dû ouvrir plus d’une quarantaine de procédures d’infraction à l’encontre de plus des deux tiers des Etats membres.

Le livre et la presse en question
La France est en première ligne : elle a été condamnée il y a un an par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour avoir appliqué à tort depuis avril 2012 la TVA réduite (5,5 %) sur les livres numériques afin de l’aligner sur celle de l’édition papier (3). La France est également dans le collimateur de la justice européenne pour avoir, en février 2014, aligné le taux de TVA de la presse en ligne sur celui de la presse imprimée pour sortir de l’ambiguïté (4).
Ironie de l’histoire : cette loi française qui étend le super taux de TVA réduite à 2,10 %, dont bénéficie la presse papier, à la presse numérique a été cosignée (5) par le ministre de l’Economie et des Finances de l’époque, Pierre Moscovici (photo de droite). Celui-ci est depuis novembre 2014 commissaire européen en charge, entre autre (6), de la Fiscalité…
« Le système en vigueur a du mal à s’adapter aux modèles commerciaux innovants et aux progrès technologiques dans l’environnement numérique actuel. La différence de taux de TVA entre les biens et services physiques et numériques ne tient pas pleinement compte des réalités actuelles. (…) Les règles actuelles ne tiennent pas pleinement compte de l’évolution technologique et économique. C’est par exemple le cas pour les livres et les journaux électroniques, qui ne peuvent pas bénéficier des taux réduits applicables aux publications papiers », reconnaît tout de même la Commission de Jean-Claude Juncker.

C’est pour éviter l’accumulation de litiges contreproductifs et adapter le système de TVA à l’économie numérique, que la Commission européenne voudrait en finir avec ce centralisme sur la fixation des taux de TVA « à l’unanimité » – quitte à prendre le risque d’une érosion des recettes de TVA, dans la mesure où de nouveaux secteurs économiques revendiqueront à leur tour un traitement fiscal plus favorable, et de nouvelles distorsions de concurrence. La taxe sur la valeur ajoutée rapporte aux Vingt-huit un total cumulé de 1.000 milliards d’euros par an !
Pour l’heure, le taux normal de TVA varie de 15 % à 27 % dans l’Union européenne. Une liste des biens et services pouvant bénéficier de l’application d’un taux réduit est fixée au niveau communautaire. La proposition législative, que présentera formellement à la fin de l’année 2016 la Commission européenne, est de supprimer cette liste centralisée qui manque de souplesse, et de redonner la main aux Etats membres pour fixer leurs taux de TVA, tout en veillant néanmoins à ce qu’il n’y ait pas de concurrence fiscale déloyale et en garantissant la sécurité juridique. Le nombre total de taux réduits autorisés par chaque pays européen pourrait être limité.
Parallèlement, il s’agit de lever les obstacles liés à la TVA qui entravent le e-commerce au sein du marché unique européen. « Le système de TVA actuellement applicable au commerce électronique transfrontière est complexe et onéreux à la fois pour les Etats membres et les entreprises. Les coûts moyens annuels de la livraison de biens dans
un autre pays de l’Union sont estimés à 8.000 euros [pour une entreprise] », indique la Commission européenne sur la base d’une étude en cours sur les obstacles liés à la TVA entravant le commerce électronique transfrontalier. « Le commerce électronique, l’économie collaborative et les autres nouvelles formes d’activités économiques constituent à la fois un défi et une occasion en matière de perception de la taxe », ajoute-t-elle.
L’exécutif européen présentera « au plus tard à la fin de 2016 » une proposition législative pour moderniser et simplifier la TVA pour le commerce électronique transfrontière : extension du guichet unique aux ventes en ligne de biens matériels, mesure de simplification pour aider les petites start-up de e-commerce, autorisation
des contrôles dans le pays d’origine, y compris des entreprises transfrontières, …

Guichet unique e-commerce
« Le guichet unique, qui existe déjà pour les services de télécommunication, les services de radiodiffusion et de télévision et les services électroniques, et qui doit être étendu à toutes les opérations de commerce électronique, sera déployé à une échelle encore plus large et réadapté afin d’exploiter pleinement les possibilités offertes par la technologie numérique pour simplifier, normaliser et moderniser les procédures », prévoit l’exécutif européen dans son plan d’action.
Les entreprises devront s’enregistrer, pour la TVA, uniquement dans les Etats membres où elles sont établies. Selon Ernst & Young, les entreprises européennes devraient ainsi épargner en moyenne environ 1 milliard d’euros par an au total. Et c’est en 2017 que sera présenté un « paquet TVA » en faveur des PME. @

Charles de Laubier

L’Arcep pivote et, ce faisant, cherche à étendre son champ d’intervention : à tort ou à raison ?

Avec sa « revue stratégique » de janvier 2016, l’Arcep veut élargir la régulation des « communications électroniques » aux « communications numériques ».
En Europe, deux visions s’opposent entre les partisans d’une régulation des acteurs du Net et ceux craignant une sur-régulation des « marchés émergents ».

Par Winston Maxwell (Hogan Lovells) et Stéphane Piot (Analysys Mason)

Le « virement » stratégique de l’Arcep (1), présenté en janvier 2016, est structuré autour de quatre piliers (investissement dans les infrastructures, territoires connectés, Internet ouvert, prisme pro innovation) et trois nouveaux modes d’interventions (bâtir une régulation par
la donnée, co-construire la régulation et jouer un rôle d’expert neutre dans le numérique et le postal). Une feuille de route détaillée comprenant 21 thèmes a été arrêtée et 12 chantiers prioritaires ont été définis pour 2016/2017.

Internet ouvert à une nouvelle régulation ?
Le périmètre d’intervention que s’octroie l’Arcep dans le cadre de ce pivot est large.
De nombreux chantiers et thèmes d’intervention apportent une continuité (rassurante) avec l’activité de l’Arcep (avant qu’elle ne pivote) : transition du haut vers le très haut débit, revue des marchés pertinents, analyse de la couverture mobile, etc. Toutefois, alors que le développement d’une concurrence effective sur les marchés fixe et mobile – à l’exception du marché entreprise ? – devrait conduire à un allègement de l’environnement réglementaire, le pivot de l’Arcep la conduit à se positionner sur
de nouveaux sujets. Certes, un élargissement de son périmètre d’intervention réglementaire n’est pas encore d’actualité. On parle principalement d’une mise en
place de groupes de travail, de renforcement de la capacité de suivi et de prospective, de coopération avec l’Organe des régulateurs européens des communications électroniques (Orece ou Berec (2)), mais également de contributions à la révision des directives européennes qui pourraient donner à l’Arcep et à l’ensemble des régulateurs télécoms des Vingt-huit de nouvelles prérogatives.
Parmi les nouvelles pistes de réflexion de l’Arcep, plusieurs éléments nous semblent mériter une attention particulière :
• La notion de « plateformes numériques et terminaux ouverts » pour garantir l’ouverture d’Internet. Grace à une terminologie assez astucieuse, la notion de terminaux ouverts permet à l’Arcep – par le biais du principe d’un Internet ouvert posé par le règlement européen du 25 novembre 2015 (3) – de s’immiscer par l’autre bout
de la chaîne dans la problématique de la neutralité des plateformes en ligne. Cette problématique est par ailleurs déjà abordée dans le projet de loi « République numérique » d’Axelle Lemaire, tandis qu’une consultation publique de la Commission européenne sur le sujet a également été réalisée en 2015. Le débat sur la régulation des terminaux et les plateformes numériques met en lumière deux visions opposées
de la régulation. La vision de l’Arcep repose sur le besoin d’anticiper des problèmes potentiels créés par ces terminaux et plateformes, afin d’adresser ces problèmes le plus en amont possible. L’autre vision consiste à attendre et à n’intervenir que si l’application du droit existant – tribunaux, DGCCRF (4), l’Autorité de la concurrence, Cnil (5) – s’avère inefficace.
Selon cette école, la création d’une régulation spécifique n’est jamais anodine, et doit être envisagée comme un remède de dernier ressort. Pour justifier sa vision, l’Arcep s’appuie sur le caractère « incontournable » des terminaux et plateformes. Cependant, avant d’aller plus loin dans une intervention réglementaire (non explicitement demandée par l’Arcep), il faudrait étudier le vrai niveau d’« incontournabilité » et les défaillances du marché engendrés par les plateformes numériques et l’écosystème actuel des terminaux. Dans une étude de 2014 l’Autorité de la concurrence française et de son homologue britannique (6) ont conclu que les écosystèmes numériques fermés n’étaient pas plus nuisibles pour le consommateur que les écosystèmes ouverts. Les deux systèmes peuvent conduire à des comportements anticoncurrentiels, sans pour autant que ce ne soit une fatalité. Ainsi, le caractère « incontournable » des terminaux et des plateformes, et les effets de verrouillage (au détriment des utilisateurs) qui en découlent, ne sont pas systématiques au point de mériter une régulation ciblée.

Notion de « communications numériques »
• Elargir la notion de « services de communications électroniques » aux
« communications numériques ».
L’Arcep déclare vouloir s’engager au deuxième semestre 2016 sur une revue de la notion d’acteurs définis comme opérateurs de communications électroniques, au regard notamment des fournisseurs de services numériques (VPN (7), messagerie électroniques, …). Analysys Mason et Hogan Lovells ont d’ailleurs déjà travaillé en 2011 sur cette problématique pour l’Arcep en rédigeant une étude sur le périmètre de la notion d’opérateur de communications électroniques (8). De manière associée, l’Arcep participera à la révision du cadre réglementaire européen pour veiller à la prise en compte de services OTT (Over-The-Top). Dans sa contribution à la consultation publique de la Commission européenne sur la révision
du cadre européen des télécoms (9), l’Arcep introduit ainsi la notion de régulation de communications numériques.

Tous les pays ne sont pas d’accord
La France semble ainsi partisane d’une extension de la régulation existante vers les activités numériques, alors que d’autres pays tels que le Royaume Uni et les pays nordiques restent hostiles à une extension de la réglementation existante. Cet élargissement, est loin d’être anodin et pourrait avoir un impact structurant sur l’écosystème numérique dans la mesure où les services de messageries et vocaux OTT (Skype to Skype, Viber, WhatsApp, iMessages, …) échappent pour l’instant à toute régulation sectorielle. Lors de l’élaboration des directives européennes de 2002, la notion de « service de communication électronique » a été définie de manière étroite pour éviter un débordement de la régulation des télécommunications vers les applications numériques. Les services et applications Internet devaient notamment rester en dehors de la sphère de régulation des télécommunications, afin d’encourager l’innovation et la croissance, traduisant la crainte d’une sur-régulation des « marchés émergents ».
Avant d’étendre la sphère de la régulation, il faudrait préciser la nécessité de le faire. Une problématique-clé pour les services OTT pourrait concerner l’application des règles d’interceptions légales. Mais d’autres sujets – tels que l’interconnexion, l’accès aux ressources rares, le service universel, et la protection du consommateur – ne semblent pas jusqu’à présent justifier une extension de la régulation des services de communications électroniques vers les services OTT.
• Le recours à la collecte d’information par des outils de production participative (crowdsourcing). Un chantier « Crowdsourcing » a été identifié comme prioritaire pour l’Arcep. Ce chantier consiste à nouer des partenariats et, le cas échéant, créer en propre des outils de crowdsourcing pour enrichir les données concernant la qualité de service et la couverture des réseaux. Cette évolution est intéressante dans la mesure où elle permettra à l’Arcep de mesurer l’expérience-client réellement perçue par les utilisateurs, et ainsi de monter en pertinence. Toutefois, plusieurs acteurs se sont déjà positionnés sur la mesure de services télécoms en crowdsourcing tels que Speedtest ou RootMetrics. Dans ce contexte, l’intervention de l’Arcep pourrait impacter le modèle économique et les rapports de force entre acteurs.
• L’Arcep deviendra-t-elle l’agence de protection des consommateurs sur
Internet ?

A un moment où la régulation asymétrique des télécommunications a tendance à se réduire, l’Arcep doit-elle devenir une agence de protection du consommateur sur Internet ? D’autres institutions telles que la DGCCRF, la Cnil et le CSA (10) ont vocation à appliquer des règles de protection du consommateur. La vraie question donc est
de savoir si l’Arcep doit évoluer vers une autorité de protection du consommateur sur Internet et dans ce contexte, si elle peut ou doit, pour des raisons de cohérence et d’efficacité, partager cette responsabilité avec d’autres régulateurs. L’Arcep est connue pour la qualité de ses analyses économiques, techniques et juridiques. L’Arcep serait probablement très bien placée pour remplir le rôle d’agence de protection des consommateurs sur Internet. Mais ce n’est pas sa vocation d’origine. Il reste par ailleurs la question de fond : les différentes activités économiques qui se déploient sur Internet ne sont-elles pas déjà suffisamment régulées ? Le Conseil d’analyse économique (CAE), qui dépend des services du Premier ministre, recommande d’« éviter de créer un “secteur du numérique”, quels qu’en soient les contours, auquel s’appliqueraient des régimes particuliers » (11). Selon le CAE, il est « de toute façon vain de chercher à définir un secteur numérique ».
• Encourager l’expérimentation. L’Arcep préconise un « cadre législatif d’expérimentation », faisant écho des recommandations du CAE pour « un droit à l’expérimentation pour les entreprises innovantes ». Compte tenu de l’évolution rapide des marchés et technologies numériques, le régulateur ne peut pas anticiper tous les effets de son action sur l’écosystème numérique, et notamment sur l’innovation et la croissance.

Risque d’une régulation à deux vitesses D’où la théorie de la « régulation expérimentale » (12) ou « adaptative » (13) qui permettrait de laisser émerger de nouveaux modèles économiques à une échelle réduite avec un mode de régulation légère et adaptable. Cette idée est pertinente, mais difficile à appliquer en pratique sans tomber dans un système de régulation à deux vitesses, où les acteurs établis seraient soumis à un ensemble de règles assez contraignantes, alors que les start-up voulant les concurrencer en seraient exonérées. Une telle approche pourrait être qualifiée de discriminatoire, et aurait tendance à pénaliser la réussite des acteurs établis. @