Plateformes musicales et Sacem : accord clean claim

En fait. Depuis le 1er janvier 2020, est entré en vigueur un accord de bonne pratique appelé « clean claim » et signé entre trois plateformes musicales – Spotify, YouTube/Google, Apple Music – et les sociétés européennes de gestion collective des droits d’auteur telles que la Sacem. Fini la rétroactivité des droits.

En clair. Désormais, depuis le 1er janvier 2020, il n’est plus possible pour les musiciens et auteurs interprètes de toucher leurs droits d’auteur de manière rétroactive pour les diffusions de leurs musiques en ligne. C’est le résultat d’un accord signé l’an dernier entre la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et ses homologues européennes (l’anglaise PRS, l’allemande GEMA, l’italienne SIAE, l’espagnole SGAE, …), d’une part, et les trois principales plateformes de streaming musical que sont Spotify, YouTube/Google, Apple Music, d’autre part. « Ce nouvel accord de bonne pratique est appelé “clean claim”. Son principe est clair : si l’œuvre n’a pas été déposée à la Sacem dans l’année de sa première diffusion, nous ne pourrons plus la revendiquer auprès des plateformes comme Spotify, jusqu’au dépôt formel. Nous ne pourrons donc pas facturer au titre de ses exploitations en ligne, sur la période préalable au dépôt », a prévenu Julien Dumon, directeur des droits phonographiques et numériques à la Sacem, dans le magazine des sociétaires de la Sacem (au nombre de 169.400 à ce jour) diffusé cet hiver. Auparavant, la Sacem pouvait revendiquer les œuvres qu’elle supposait signées de ses membres en attendant que les membres déposent vraiment l’œuvre (1). Désormais, cela ne lui est plus possible, afin d’éviter les « conflits de revendication » éventuels avec d’autres sociétés de gestion collective européennes. Par exemple, si la PRS en Grande-Bretagne revendique une œuvre et la Sacem fait de même, cette situation provoque le blocage du paiement des royalties par la plateforme musicale. « Aujourd’hui, nous devons prouver que cette œuvre est bien déjà déposée. Certes, un délai de rattrapage est quand même prévu, mais il est court. Au plus tard, l’œuvre doit être déposée dans les douze mois suivant sa première exploitation », indique Julien Dumon.
La Sacem indique en outre qu’« 1 million de vues sur YouTube génèrent environ 350 euros en moyenne, quand 1 million d’écoutes sur Spotify apportent environ 1.100 euros de droits d’auteur » (2). Et de comparer : une musique en ligne recevra 0,001 euro par stream (Spotify Premium) ; chaque titre d’un album de douze titres vendu sur CD percevra en moyenne 0,06 euro. C’est déjà mieux qu’une chanson écoutée sur NRJ qui rapporterait seulement 0,000004 euro par auditeur ! @

La licence légale ne discrimine plus les webradios

En fait. Le 4 février, Xavier Filliol a précisé à EM@ que le contrat-type de licence légale pour les webradios commerciales sur lequel se sont mis d’accord la Sacem et le Geste, où il est co-président de la commission « Audio Digital », s’applique « à l’ensemble de la filière ». Quinze ans de négociations !

En clair. « Ce nouveau contrat-type a bien vocation à remplacer le précédent pour l’ensemble de la filière », nous précise Xavier Filliol, co-président de la commission
« Audio Digital » du Groupement des éditeurs de contenus et de services en ligne (Geste) qui a négocié durant quinze ans avec la Société des auteurs, compositeurs
et éditeurs de musique (Sacem). Ce contrat-type dit « d’autorisation pour une diffusion en flux continu d’œuvres sur Internet » pour les webradios commerciales est plus intéressant pour elles par rapport à la licence légale antérieure. En effet, au lieu de devoir payer à la Sacem pour le compte de sa SDRM (1) 12 % sur ses recettes annuelles assortie d’une redevance minimale de 200 euros HT par an et par canal de diffusion, la webradio bénéficie de meilleures conditions tarifaires. Le Geste a réussi à négocier une assiette portant uniquement sur les recettes intégrées au flux lorsque la webradio commerciale diffuse en streaming (flux continu) de la musique soumise au droit d’auteur. Ainsi, selon l’article 7 du contrat-type que nous nous sommes procuré (2), la « rémunération » que devra reverser la webradio correspondra à un « un pourcentage du montant total de ses recettes (…), au prorata de la durée des œuvres du répertoire sur la durée totale des programmes mis à disposition par le contractant
au sein des canaux de diffusion proposés sur son service ». Concrètement : si la quote-part de la durée des œuvres du répertoire sur la totalité de la durée du flux continu
d’un canal de diffusion – comprenez un flux distinct, une webradio pouvant en avoir plusieurs sur un même service – ne dépasse pas 15 %, la redevance à payer sera
de seulement 3%; si elle est de 15 % à 30 %, la redevance passera à 6%; si c’est de
30 % à 70 %, la redevance sera de 9%; au-delà jusqu’à 100 %, la redevance passera
à 12 %.
Cette progressivité de la licence légale appliquée aux webradios met fin à la discrimination (3) dont elles faisaient l’objet avec l’ancien taux unique de 12 % – alors que les radios de la FM bénéficient, elles, d’un taux moitié moins élevé (7 %). Le minimum garanti (MG) annuel est lui aussi modulé en fonction du nombre de canaux de diffusion. La SCPP et la SPPF – qui furent opposées à l’extension de la licence légale aux webradios – devraient a priori adopter les mêmes conditions « Sacem » applicables à l’ensemble de la filière (4) via la Spré (5). @

Contrefaçon : comment la Sacem et l’Alpa sont venues à bout du site web de piratage T411

Considéré comme le premier site web de BitTorrent en France, T411 aurait causé un préjudice total de plus de 1 milliard d’euro si l’on en croit les ayants droit de
la musique et de l’audiovisuel. Après avoir contourné à l’étranger les blocages ordonnés en 2015 en France, T411 semble cette fois KO.

Torrent 411 – alias T411 – avait fait l’objet d’une plainte de la part de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) en 2014, à laquelle l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa) a apporté son soutien. La juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS)
de Rennes, à laquelle a été confiée l’enquête, avait alors ouvert « une information judiciaire des chefs de contrefaçon, association de malfaiteurs et blanchiment, visant le site Internet T411 en ce qu’il mettait à disposition de sa communauté près de 700.000 liens “torrent” vers des copies illégales de films, séries et albums audio » (avec un catalogue de 257 millions de films, séries, documentaires et émissions).

Préjudice : des millions à 1 milliard d’euros
Le 2 avril 2015, à la demande de la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le tribunal de grande instance (TGI) de Paris avait rendu un jugement en ordonnant à quatre fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français – Orange, Bouygues Telecom, Free et SFR – de bloquer l’accès à ce site web de liens BitTorrent accusé de piratage. Le blocage de T411 intervenait quatre mois après un autre blocage ordonné le 5 décembre 2014 par le même TGI de Paris auprès des mêmes FAI, à l’encontre cette fois de The Pirate Bay. Mais ce qui devait arriver arriva : le site web T411 incriminé a aussitôt changé de nom de domaine pour orienter les internautes du « t411.me » – visé par cette première décision judiciaire – vers un « t411.io », lui aussi bloqué par la suite (des clones prenant après le relais), tout en expliquant à sa communauté d’utilisateurs comment contourner le blocage des FAI avec force détails sur sept solutions de contournement proposées alors par site web ZeroBin (1). T411, qui d’après des chiffres de Médiamétrie a pu afficher une audience allant jusqu’à 2millions de visiteurs uniques par mois (pour 6 millions de membres), prend alors une dimension internationale et décentralisée pour échapper au blocage national finalement inefficace (2). « Lundi 26 juin 2017, six personnes ont été interpellées en France et en Suède, dont deux à Stockholm soupçonnés d’être les administrateurs du site. (…) Depuis l’ouverture du site, cette activité de mise à disposition illégale d’œuvres protégées par des droits d’auteurs a généré au bénéfice de ses administrateurs plusieurs millions d’euros de revenus [entre 6 et 7 millions d’euros par an, d’après Numerama, ndlr], notamment issus de recettes publicitaires », a précisé dans un communiqué le procureur de la République de Rennes, Nicolas Jacquet (photo), lequel supervise l’enquête (3). Le chef du Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) de la gendarmerie (voir encadré ci-dessous), Nicolas Duvinage, a indiqué à l’AFP que sur les six personnes interpellées, soupçonnées d’être administrateurs de T411, quatre l’ont été en France
(à Angers, Lyon, Montpellier et Strasbourg), et deux autres en Suède (notamment à Stockholm où se situaient des serveurs de T411). Ces deux derniers, « ressortissants ukrainiens », pourraient être extradés en France où se déroule l’enquête. Le 28 juin,
un mandat européen a été lancé contre un administrateur de T411 interpellé en Suède. Les membres de l’Alpa, notamment les organisations de la musique, ont été précurseurs en 2013 sur ce type d’action avec l’affaire Allostreaming (4), tout juste bouclée par la Cour de cassation, suivie par d’autres condamnations pour contrefaçon telles que celles des sites Wawa-mania, GKS, Wawa-torrent, eMule Paradise ou encore Zone Téléchargement (ZT). Avec 6 à 7 millions d’euros par an, T411 serait la plus grosse affaire de piraterie devant celle de ZT (1,5 million d’euros). Lors de sa plainte il y a trois ans, la Sacem avait estimé son manque à gagner à environ 3 millions d’euros. Quant à l’Alpa, dont le délégué général Frédéric Delacroix est cité par Next Inpact, elle a comptabilisé 257 millions de téléchargements : « Nous n’avons pas encore reconnu l’ensemble de nos oeuvres, mais le préjudice global peut excéder le milliard d’euros ». L’Alpa, qui n’entend pas en rester là, dit « vouloir s’intéresser de près aux plus gros uploaders ». @

Charles de Laubier

ZOOM

Le C3N : quèsaco ?
Le C3N est le Centre de lutte contre les criminalités numériques, au sein du Service central du renseignement criminel (SCRC) de la gendarmerie nationale. Ce centre dépend du pôle judiciaire de la gendarmerie nationale (PJGN) et regroupe l’ensemble des unités de ce dernier qui traitent directement de questions en rapport avec la criminalité (formation, veille et recherche, investigation, expertise) et les analyses numériques (département informatique-électronique de l’IRCGN (5)). Le C3N, basé à Cergy Pontoise (cyber[at]gendarmerie.interieur.gouv.fr) et dirigé par le colonel Nicolas Duvinage, assure également l’animation et la coordination au niveau national de l’ensemble des enquêtes menées par le réseau gendarmerie des enquêteurs numériques. @

Licence légale applicable aux webradios : tensions avec la SCPP et la SPPF, discussions avec la Sacem

Les webradios veulent bénéficier au plus vite de la licence légale, plus avantageuse. Mais les producteurs de musique (SCPP et SPPF) refusent
ce mode de rémunération pourtant prévu par la loi « Création ». La commission
« rémunération équitable » doit fixer le barème.

Selon nos informations, les groupes NRJ (NRJ/Chérie FM/Rire & Chansons/Nostalgie) et Lagardère Active (Europe1/Europe 2/ RFM/Virgin Radio) ainsi que La Grosse Radio sont parmi les radios qui ont refusé de
signer avec la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) et la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF) un accord de droit pour leurs webradios. Et pour cause : depuis la promulgation de la loi « Création » le 8 juillet 2016 (1), ces radios sur Internet bénéficient désormais de la licence légale jusqu’alors réservée aux radios de la FM.

Barème de rémunération à fixer
Cette licence légale, créée il y a une trentaine d’années par la loi « Lang » du 3 juillet 1985 sur les droits d’auteur, dite loi « Lang », permet depuis aux radios hertziennes (de la bande FM notamment) de payer une redevance annuelle de 4 % à 7 % de leur chiffre d’affaires – versée à la Spré (2) – pour avoir le droit de diffuser, gratuitement pour les auditeurs, de la musique. Avec la loi « Création », les webradios peuvent à leur tour bénéficier de cette licence légale au lieu d’avoir à négocier un accord avec chaque société de gestion collective des droits d’auteurs (non seulement la SCPP et la SPPF, mais aussi l’Adami (3) et la Spedidam (4)). L’article 13 de la loi « Création » modifie
le fameux article L. 214 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dans lequel il est désormais ajouté que « lorsqu’un [morceau de musique]a été publié à des fins de commerce, l’artiste-interprète et le producteur ne peuvent s’opposer public… à sa communication au public par un service de radio » – et non plus seulement en radiodiffusion (hertzien) et par câble.
Mais cette extension n’est pas du goût de la SCPP ni de la SPPF qui contestent
cette disposition et affirment que leurs contrats avec les éditeurs de webradios sont
à renouveler, d’où des relations quelque peu tendues. La SCPP – le bras armé du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep) représentant les majors de la musique (Universal Music, Sony Music et Warner Music) – menace même d’utiliser
la voie judiciaire de la « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC) pour obtenir du Conseil Constitutionnel la censure de l’article qu’elle conteste plus que jamais (5). Maintenant que des éditeurs de webradios tels que NRJ, Lagardère Active ou La Grosse Radio ont refusé de signer un contrat, le conflit est maintenant ouvert. D’autant que le barème de rémunération des ayants droits au titre de la licence légale applicable au webcasting n’est pas encore établi. « Dans l’attente de cette entrée en vigueur, le régime juridique des droits exclusifs continue de s’appliquer », estime par exemple la SCPP qui entend dans les prochains mois continuer à autoriser et percevoir auprès
des webradios les redevances – aux conditions qu’elle accordait jusqu’à présent dans le cadre de ses contrats de droits exclusifs. Or ce barème de rémunération et les modalités de versement de cette rémunération sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’Etat. Cette commission dite de « rémunération équitable » (6), qui est présidée depuis le 13 février dernier par Célia Vérot (photo), conseillère d’Etat (7), s’est récemment dotée d’une « formation spécialisée des services de radio sur Internet » (8) où sont représenté les « bénéficiaires du droit à rémunération » (SCPP, SPPF, Spedidam, Adami) et les « représentants des utilisateurs de phonogrammes » (Geste, Sirti, SNRL, SRN).
Une première réunion s’est tenue au mois de mars pour entamer les discussions ou débuter les hostilités, c’est selon. « Il s’agit d’éviter d’avoir des tarifs qui explosent et
de mettre en place l’ensemble des dispositifs de remise qui existent en FM pour les calquer sur les différentes activités, sachant que de plus en plus de webradios proposent des contenus qui ne sont pas seulement musicaux », a expliqué Xavier
Filliol devant des membres du Groupement des éditeurs de contenus et de services
en ligne (Geste), où il est co-président de la commission « audio digital ». Au sein de
la commission « rémunération équitable », il est cette fois suppléant de Cécile Durand (Lagardère Active) pour le Geste.

Contrat-type avec la Sacem
Par ailleurs, les éditeurs de webradios négocient avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) un contrat-type pour les webradios commerciales. Ces dernières tentent d’obtenir des taux de rémunération du droit d’auteur inférieurs à ceux pratiqués – actuellement 12 % du chiffre d’affaires pour les webradios, alors que c’est moitié moins pour les radios FM. Cette différence de traitement entre radios sur la FM et radios sur Internet apparaît injustifiée. Les discussions se poursuivent. @

Charles de Laubier

Piratage sur Internet : le filtrage obligatoire des contenus devant les eurodéputés

Le Parlement européen va bientôt se prononcer sur le projet de directive « Droit d’auteur dans le marché unique numérique », actuellement examiné par ses différentes commissions. C’est l’occasion de se pencher sur l’article 13 qui fait polémique en matière de lutte contre le piratage. Il pourrait être supprimé.

« L’article 13 prévoit l’obligation, pour les prestataires de services de la société de l’information qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et autres objets protégés, chargés par leurs utilisateurs, de prendre des mesures appropriées et proportionnées pour assurer le bon fonctionnement des accords conclus avec les titulaires de droits et pour empêcher la mise à disposition, par leurs services, de contenus identifiés par les titulaires de droits en coopération avec ces prestataires », avait expliqué la Commission européenne dans ses motifs lors de la présentation il y a six mois de son projet de réforme du droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Atteintes aux droits fondamentaux ?
C’est cet article 13 sur l’utilisation de contenus protégés par le droit d’auteur qui fait l’objet d’un intense lobbying de dernière ligne droite au Parlement européen entre les ayants droits et les acteurs du Net. L’article 13 stipule en effet que « les prestataires
de services de la société de l’information (…) prennent des mesures [de lutte contre
le piratage sur Internet, ndlr]. Ces mesures, telles que le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus, doivent être appropriées et proportion-
nées ». L’eurodéputée Therese Comodini Cachia, au sein de la commission des Affaires juridiques du Parlement européen, a préconisé de supprimer cette disposition. La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés numériques, a pris aussi position contre cette mesure, en annonçant le 7 mars dernier avoir envoyé aux eurodéputés ses arguments pour faire avancer le débat sur la réforme du droit d’auteur. Selon elle, la détection automatique de contenus illicites est d’abord une lourde atteinte aux principes du droit. « Nous préconisons de refuser la systématisation de ce procédé de détection d’œuvres protégées sur les plateformes de contenu, sous peine d’alourdir considérablement le régime juridique de la publication sur Internet et de mettre en place une inflation des atteintes aux droits fondamentaux », a dit aux eurodéputés l’association des internautes présidée par Philippe Aigrain (photo). La raison en est que l’article 13 inverse la charge de la preuve.« Au lieu d’exiger de l’ayant droit qu’il prouve qu’il y a eu utilisation illicite de son oeuvre, il impose à l’internaute qui a mis en ligne un contenu de prouver, après suppression automatique, que son contenu ne violait pas les droits d’autrui. Ce mécanisme risque de porter gravement atteinte à la liberté d’expression et de création », déplore l’association. Pour La Quadrature du Net, le caractère automatique de la sanction décourage de tout recours et prive du droit au procès équitable qui soustend les principes du droit. L’article 13 prévoit bien que les acteurs du Net mettent en place des dispositifs de plainte et de recours à l’intention des utilisateurs pour les litiges suite à l’application des mesures prises pour lutter contre le piratage telles que le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus, mais l’association relève que « rien n’est indiqué dans la directive pour obliger les plateformes à tenir compte des réclamations faites ou mettre en place des procédures d’appel (mise à part une vague obligation “d’adéquation et de proportionnalité” et la mention d’un dispositif de plainte sans garantie) ». L’association dénonce en outre deux ruptures d’égalité devant la justice dans le sens où, d’une part,« les éditeurs dont les contenus ont été abusivement supprimés doivent, eux, supporter la charge d’une action judiciaire pour faire valoir leurs droits a posteriori », et, d’autre part, « si cette automatisation du retrait de contenu illicite devient la norme, alors seuls ceux capables de supporter le coût de cette automatisation pourront faire valoir leurs droits ». Quant aux outils de contrôle de détection de contenus illicites, ils seront laissés dans les mains des seuls acteurs du Net. Ce qui amène La Quadrature du Net à se poser des questions sur ces robots de filtrage. Qui les contrôlera et vérifiera leurs paramétrages ? (1) « Au vu du fonctionnement de ce type de robots pour des plateformes de vidéo (YouTube), il est d’ores et déjà prouvé que ces robots font de nombreuses erreurs. Parmi ces erreurs, il a par exemple déjà été constaté que les ayants droit qui posent des empreintes sur des œuvres peuvent se réapproprier eux-mêmes les œuvres d’autres auteurs, et priver ceux-ci du libre choix de publication de leur création », prévient l’association.

Une menace pour la création
Ensuite, La Quadrature du Net estime que cet article 13 sera contre-productif pour la création et les créateurs, voire une menace pour la création car il instaure une censure incapable de repérer les exceptions légitimes au droit d’auteur. « Les outils de censure automatique sont, par nature, incapables de discerner lors de la réutilisation d’une oeuvre, s’il s’agit d’une simple copie sans ajout, ou bien d’une parodie, d’une critique ou d’un remix (entre autres possibilités de reprise légitimes et légales d’un extrait d’oeuvre protégée). Toute la culture qui repose sur l’utilisation d’autres œuvres pour alimenter la création est donc niée et fortement mise en danger par ce type de mesure », met en garde l’association des internautes. Et d’ajouter : « Or, la culture transformative est extrêmement présente dans les nouveaux usages et services. Y porter atteinte de façon indifférenciée, c’est donc mettre en péril une part très importante de la création audio et vidéo actuelle ».

Directive e-commerce et statut d’hébergeur
L’association rappelle par exemple le rôle de vulgarisation scientifique et de partage
de culture générale exercé par de nombreux créateurs de vidéos, participant ainsi à la vitalité de la création culturelle et éducative – notamment auprès d’un public jeune qui s’informe et se cultive plus volontiers sur YouTube que via des relais traditionnels. La Quadrature du Net s’attend par ailleurs à des conflits entre titulaires de droits : « Cette disposition pourrait avoir des répercussions négatives pour les œuvres qui sont diffusées sous licence libre, ou qui sont entrées dans le domaine public. L’expérience du robot de détection d’œuvres protégées sur YouTube a fait apparaître de nombreux conflits entre titulaires de droits, qui promet un contentieux important, et par ricochet une modification des conditions de création, les créateurs ne pouvant être assurés de contrôler comme ils le souhaitent la diffusion de leurs œuvres » (2).
L’association des internautes dénonce dans la foulée « une négation flagrante du statut du créateur amateur, qui ne peut être reconnu et protégé que s’il est inscrit à une société de gestion collective de droits, en charge de fournir les empreintes d’œuvres à “protéger” sur les plateformes de partage ». Pour elle, le projet de directive crée une insécurité juridique permanente pour les créateurs et les utilisateurs. Cette disposition risque aussi de pousser à « la création d’une culture hors-la-loi ». Or les commissions Imco (3) et Cult (4) du Parlement européen ont proposé respectivement une exception de citation élargie aux œuvres audiovisuelles et une exception permettant les usages transformatifs. Pour La Quadrature du Net, « ce serait une avancée significative dans l’adaptation du droit d’auteur aux usages actuels ».
Enfin, toujours selon La Quadrature du Net, l’article 13 entre en conflit avec le statut de l’hébergeur. « En demandant aux plateformes de mettre en place des outils de détection automatique de contenus illicites, cet article (…) pose de nombreux problèmes de compatibilité avec la directive de 2000 sur le commerce électronique (5) qui régit la plus grande part des responsabilités respectives des acteurs de l’Internet », lesquels ne sont soumis à aucune obligation de surveillance préalable des contenus. Et ce, depuis plus de quinze ans maintenant. Le 19 septembre dernier, l’Association des services Internet communautaires (Asic) avait également dénoncé cet article 13 en ces termes : « Le diable étant dans les détails, le texte ne s’arrête pas à ce qui aujourd’hui a été mis en place volontairement depuis près de dix ans par les hébergeurs (…) comme Dailymotion et YouTube – à travers les contrats conclus en France avec la SACD (6),
la Sacem (7), la Scam (8) et l’Adagp (9)… et l’adoption de systèmes de reconnaissance de contenus type (Audible Magic, Signature ou Content ID…) – mais va plus loin et prévoit une obligation de “prévenir la disponibilité des contenus” sur ces plateformes. L’article 13 veut ainsi instaurer une obligation de monitoring et de filtrage pour ces plateformes en contradiction totale avec les principes de la directive ecommerce » (10). La Quadrature du Net, elle, poursuit en affirmant que le dispositif envisagé ne résout pas le problème de transfert de valeur (value gap), lequel est mis en avant par les industries culturelles (musique, cinéma, audiovisuel, …) qui s’en disent victimes au profit des GAFA et des plateformes de contenus en ligne. « En supprimant les contenus, la problématique du transfert de valeur n’est pas résolue puisque cela n’entraîne aucune rémunération du créateur. Pire, les créateurs sont privés de la visibilité qu’apporte l’exposition, y compris illégale, de leurs œuvres sur Internet », regrette l’association. Et d’ajouter : « La question du différentiel de revenus entre plateformes et créateurs ne peut être réglée qu’en traitant des problématiques de répartition, avec une vraie acceptation des nouvelles pratiques de partage par les sociétés de gestion collective de droits ». La Quadrature du Net fait en outre remarquer aux eurodéputés que l’obligation générale de mise en place d’outils de détection automatique de contenus illicites – outils réputés pour être coûteux à acquérir et à mettre en place – devrait générer une forte inégalité entre plateformes numériques.

Risque de favoriser les GAFA
Résultat : « Paradoxalement, cette mesure risque de favoriser le monopole des GAFA et de tuer l’émergence d’acteurs européens, en faisant monter de façon disproportionnée le coût d’accès au marché ou les risques financiers imprévisibles en cas de création d’un service de partage de contenu ». Reste à savoir si les eurodéputés seront sensibles à ces arguments en supprimant l’article 13 controversé. A suivre. @

Charles de Laubier