Le statut juridique et le régime applicable aux câbles sous-marins gagnent à être assouplis

Véritable « pont entre les hommes », les réseaux de câbles sous-marins en fibre optique font partie des infrastructures internationales qui se singularisent par leur technicité, leur importance vitale pour l’économie et la sécurité nationale, et leur vulnérabilité. Leur régulation hétérogène s’assouplit.

Par Marta Lahuerta Escolano, avocate counsel, Jones Day

D’après l’Union internationale des télécommunications (UIT), le câble sous-marin de communication est « un câble posé dans le fond marin, ou ensouillé à faible profondeur, destiné à acheminer des communications » (1). Les câbles sous-marins utilisent la fibre optique pour transmettre les données à la vitesse de la lumière. Un peu plus de 420 câbles sont enfouis dans les profondeurs des océans à travers le monde (2) et assurent 99 % des communications mondiales via les échanges téléphoniques et l’accès à Internet.

Plusieurs problématiques demeurent
Malgré la pose du premier câble sous-marin avec succès durant le XIXe siècle, ces infrastructures restent peu connues et plusieurs problématiques demeurent quant à leur statut juridique et au régime régissant leur construction, pose et atterrissement. Un câble sous-marin a vocation à traverser de multiples milieux : terrestre ou maritime, d’une part, et espace cyber ou physique, d’autre part. Cette hétérogénéité d’environnements rencontrés par le réseau de câble sous-marin se matérialise par un encadrement juridique dispersé (3). Le caractère international des câbles sous-marins qui relient souvent plusieurs Etats – à titre illustratif, le câble sous-marin « 2Africa » s’étend sur 45.000 km et a pour but de relier 33 pays – créé des difficultés juridiques à maints niveaux. A la question des droits conférés et obligations imposées aux constructeurs, propriétaires et poseurs de câbles traversant plusieurs Etats, se rajoute celle de la protection de ces infrastructures critiques.
L’essentiel du droit international applicable à la pose des câbles sous-marins est issu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer – Convention de Montego Bay (CMB) du 10 décembre 1982. Elle reprend et complète les dispositions essentielles des conventions de Paris de 1884 sur la protection des câbles sous-marins et de Genève de 1958 sur le droit de la mer. La CMB fournit une division juridique de la mer en plusieurs espaces maritimes, le régime juridique international applicable étant différent dans chacun de ces espaces (4). La mer territoriale (5) fait partie intégrante du territoire souverain des Etats. En conséquence, l’Etat côtier a le droit de légiférer et règlementer la pose de câbles dans cette zone. La pose de câbles sous-marins dans la mer territoriale est souvent soumise à une autorisation administrative de l’autorité compétente pour l’utilisation du domaine public maritime. A tout le moins, les Etats côtiers exigent une demande formelle de pose de câble sous-marin émise par le poseur avec l’assistance du propriétaire du câble sous-marins. Cette autorisation peut également être assortie du paiement d’une taxe ou redevance. Ainsi, en France, la redevance applicable aux câbles sous-marins posés dans les eaux sous souveraineté française est établie par mètre linéaire de câble (6). Au-delà de la mer territoriale, la CMB pose un principe de liberté selon lequel tous les Etats ont le droit de poser des câbles sousmarins sur le plateau continental (7) – fonds marins et leur sous-sol au-delà de la mer territoriale de l’Etat côtier (8) – et dans la zone économique exclusive (ZEE) (9). Cependant, cette liberté reste soumise aux pouvoirs réservés à l’Etat côtier qui peut prendre des mesures raisonnables pour protéger ses îles artificielles, ouvrages et installations déployées dans ces zones ou pour garantir l’exercice de son droit d’exploration et d’exploitation du plateau continental (10).
En principe, l’Etat côtier ne devrait pas soumettre la pose de câbles sous-marins à une autorisation dans cette zone. Il peut en revanche demander à ce que le tracé des câbles sousmarins dans cette zone lui soit communiqué. Il pourra ainsi demander sa modification le cas échéant. En conséquence, dans cette zone, la pose de câble est libre en prenant en compte les droits et obligations de l’Etat côtier.
La liberté en matière de pose de câbles sous-marins n’est totale qu’en haute mer ou dans les eaux internationales – tout l’espace maritime qui s’étend au-delà de la ZEE et du plateau continental (11) – où tous les Etats, côtiers ou non, ont « la liberté de poser des câbles et des pipelines sous-marins » (12).

Droits régional, national et privé
Les sources internationales du droit applicable aux câbles sous-marins sont complétées par un ensemble de sources régionales, bilatérales et multilatérales.
Droit régional. Des organismes régionaux se sont intéressés à l’encadrement des câbles sous-marins en formulant des lignes et directives à l’attention de leurs Etats membres. Tel est le cas de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui à travers un règlement de 2012, a adopté un ensemble de règles fixant les conditions d’accès aux stations d’atterrissement des câbles sous-marins (13). Ainsi, en son article 4.1, le règlement impose aux Etats membres d’encourager l’octroi des licences aux nouvelles stations d’atterrissement des câbles sousmarins. Afin de favoriser un accès équitable à la bande passante, les Etats membres doivent veiller, lorsqu’ils attribuent des licences aux opérateurs, à y insérer des dispositions sur l’accès ouvert aux stations d’atterrissement de câbles et sur la mise à disposition de capacités internationales sur une base non discriminatoire (14).
Certaines conventions bilatérales et multilatérales organisent également les rapports des Etats en matière de pose de câbles sous-marins. On pourra citer, à titre d’exemple, l’accord conclu en 2009 entre l’Estonie, la Lettonie la Lituanie et la Suède prévoyant la construction d’un câble sous-marin à haute tension sous la mer Baltique.

La régulation nationale s’assouplie
Droit national.
Les réseaux de câbles sous-marins sont soumis au droit international, mais sont également encadrés par les législations nationales. Dans l’ordre interne, les Etats souverains soumettent la pose, l’atterrissement et l’exploitation des câbles sous-marins à divers régimes juridiques. Les câbles sous-marins sont ainsi régis par divers domaines de droit, en particulier, le droit des communications électroniques (s’agissant de réseaux de communications électroniques), le droit public et immobilier (notamment les règles du domaine public maritime), le droit environnementale (notamment des études l’impact sur l’environnement, le milieu marin ou autre), le droit de la propriété industrielle (droit d’inventeur), le droit de la cybersécurité, le droit de la défense et le droit pénal (dont les sanctions en cas de détérioration du réseau).
Ainsi, en France, la pose des câbles sous-marins s’apparente à l’utilisation du domaine public maritime. Or, il résulte de l’article L.2124-3 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) que de telles utilisations doivent se faire par le biais de concessions d’utilisation du domaine public (15). Il existe toutefois une procédure permettant d’obtenir de simples autorisations temporaires lorsque le projet de câble n’a pas vocation à être ouvert au public par exemple. En vertu du CGPPP, la demande doit être adressée au préfet maritime du département dans lequel la pose du câble doit s’opérer et, lorsque la demande concerne plusieurs départements, un seul préfet chargé de coordonner l’instruction de la demande sera nommé suivants les dispositions du décret de 2004 relatif aux pouvoirs des préfets (16).
Aujourd’hui, les législations nationales en matière de pose de câbles sous-marins s’assouplissent de plus en plus dans le but d’offrir le cadre juridique le plus attractif possible pour favoriser l’implantation de nouveaux câbles sous-marins. Cette tendance s’illustre en France par la circulaire du Secrétaire général de la mer du 13 novembre 2020 (17) qui a pour but de rationaliser les procédures administratives en matière de câbles sous-marins de communication. Cet effort de simplification est très bienvenu pour les porteurs de projets de câbles sous-marins internationaux. La complexité d’un dossier n’est pas seulement technique, les négociations peuvent être longues avec les gouvernements et toutes les parties prenantes. Toute initiative visant à faciliter le déploiement du câble sera prise en considération par les propriétaires de câbles pour définir les points d’atterrissage.
Droit privé. Le propriétaire privé d’un câble sous-marin est souvent une entreprise unique, comme c’est le cas du câble sous-marin Equiano de Google, ou bien un consortium d’entreprises, comme pour les câbles « 2Africa », « Africa-1 » ou « ACE ». Le projets de déploiement de câble sous-marin entraînent une architecture contractuelle assez complexe, à commencer par l’accord de confidentialité, suivi par : le protocole d’accord ou Memorandum of Understanding (MoU) ; le Joint Build Agreement (JBA) régissant les relations entre les différents entités faisant partie d’un consortium ; le contrat de construction et maintenance (C&MA) ; le Joint System Maintenance Document (JSMD) expliquant les aspects techniques et de sécurité du câble sous-marin ; le contrat de construction de la branche ; le contrat d’atterrissement (LPA/LSA) ; les accords de croisements d’autres câbles ou de pipelines préexistants.
Quant à la protection des câbles sous-marins, elle résulte d’un régime défini par la Convention internationale relative à la protection des câbles sous-marins signée à Paris en 1884. La CMB (Convention de Montego Bay) reprend certaines de ces dispositions et prévoit notamment l’obligation pour les Etats de sanctionner la détérioration ou la rupture d’un câble (18). Cependant, les mesures de protection prévues dans ces textes ne sont pas suffisantes face aux menaces et à l’importance critique de ces infrastructures. Les câbles sous-marins ont ainsi été des cibles en temps de guerre. La convention de Paris de 1884 laissait une liberté d’action aux belligérants en temps de guerre. Ceux-ci pouvaient alors sectionner des câbles sous-marins. La convention de Paris n’offrait de protection aux câbles sous-marins qu’en dehors des temps de guerre. Cette protection a été reprise par la CMB. Le Comité international de protection des câbles créé en 1958 poursuit cette oeuvre de protection en édictant des recommandations internationales pour l’installation, la protection et la maintenance des câbles.

Guerres : renforcer le cadre juridique
En août 2014, la Russie a sectionné des câbles sous-marins ukrainiens au cours de l’opération d’annexion de la Crimée. L’intensité du conflit en cours entre l’Ukraine et la Russie et la menace d’une occupation par la Russie d’Odessa, le plus grand port maritime d’Ukraine, fait ressurgir les craintes liées au risque de section des câbles sous-marins. Dans ce contexte, il est essentiel de renforcer le cadre juridique protégeant les câbles sous-marins. L’exercice ne sera pas facile, étant donnée la nature hybride de ces infrastructures qui peuvent être utilisées à des fins tant civiles que militaires. @

« Verticaux » : des entreprises sont demandeuses de fréquences pour leurs propres réseaux 5G privés

Il y a un peu plus de deux ans maintenant, la France – par la voix de la ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, en charge des télécoms – fermait la porte aux « verticaux » désireux d’acquérir des fréquences 5G pour leurs propres usages. La question pourrait se reposer.

Ouvrir le marché mobile 5G à d’autres acteurs que les seuls opérateurs télécoms est encouragé par la Commission européenne, au nom de la concurrence. En France, l’Arcep était favorable à l’idée de faire participer les industries sectorielles – surnommées les « verticaux » – aux enchères afin d’acquérir des fréquences 5G pour leurs propres usages dans le cadre d’un réseau 5G privé. Certains industriels, comme la SNCF, Engie, EDF ou Airbus, y voyant même un moyen de s’affranchir des « telcos » en maîtrisant eux-mêmes leur infrastructure mobile (1).

Fréquences 5G « privées » en 26 Ghz ?
Mais la France n’avait pas suivi l’Allemagne où des fréquences 5G ont été ouvertes aux « verticaux » intéressés tels que BASF, Siemens ou encore les constructeurs automobiles (Volkswagen, BMW, Daimler, …). Le régulateur des télécoms allemand (BNetzA) fut ainsi pionnier dans l’attribution de « fréquences privées » après avoir réservé dès fin 2018 un spectre de 100 Mhz dans la bande des 3,7 Ghz-3,8 Ghz. L’Allemagne n’entend pas en rester là puisqu’elle prévoit de libérer 100 autres Mhz dans les bandes des 26 Ghz et 28 Ghz – dites « bande pionnière » de la 5G –, toujours pour les marchés verticaux. Dans ce spectre-là, les fréquences sont très élevées, dites « ondes millimétriques » (mmWave) en référence à leur longueur d’onde courte dans des cellules de petites tailles mais avec des débits mobiles très importants (bien que sensibles aux obstacles).
La Commission européenne incite les Etats membres à libérer ces ondes millimétriques. Bien avant le Brexit, la Grande-Bretagne a organisé un partage de fréquences entre les opérateurs mobiles et les entreprises sur la bande des 3,8 Ghz-4,2 Ghz, lorsque l’Ofcom constate que les fréquences allouées aux premiers ne sont pas exploitées. Quant aux bandes 1,8 Ghz et 2,3 Ghz que l’Ofcom ne destine pas à des enchères pour les « telcos », elles sont à la disposition des entreprises. Pendant ce temps, sur l’Hexagone, seuls Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont pu participer aux enchères de l’automne dernier pour l’attribution des fréquences de la bande 3,4 à 3,8 Ghz, dite « bande cœur » de la 5G (2). La prochaine étape sera le déploiement – « d’ici deux ans à trois ans », selon les propos du secrétaire d’Etat au numérique Cédric O à l’automne dernier (3) – de la « vraie 5G » (4) sur la bande des 26 Ghz, où des industries pourraient obtenir des blocs de fréquences pour leur propre usage. L’Arcep, elle, parle de « nouveaux services 5G dédiés à l’industrie » (5). L’Internet des objets connectés ne sera pas en reste. Le régulateur des télécoms doit d’ailleurs remettre au gouvernement d’ici la fin de l’année des recommandations sur la prise en compte des enjeux environnementaux dans les critères d’attribution des fréquences millimétrique de la 5G dans la future bande des 26 Ghz.
Par ailleurs, mais cette fois dans la bande 2,6 Ghz dite TDD (6), l’Arcep a ouvert il y a deux ans un guichet d’attribution de fréquences pour les réseaux privés (Airbus, EDF, SNCF, Société du Grand Paris, …). « Aujourd’hui, cela concerne la 4G, mais à l’avenir la 5G aussi », confirme l’Arcep à Edition Multimédi@. Pour l’heure, dans le cadre du plan de relance, la ministre déléguée à l’Industrie Agnès Pannier-Runacher (photo) a multiplié les appels à projets de réseaux 5G dans l’industrie, la santé et « la vie quotidienne des Français ». Aux Etats-Unis, une initiative appelée Citizen Broadband Radio Spectrum (CBRS (7)) a été mise en place pour permettre aux entreprises d’avoir accès à du spectre partagé dans la bande des 3,5 Ghz en lourant des fréquences où elles peuvent aussi se lancer dans la 5G. Au Japon, le gouvernement rendu disponible dès 2017 pour les entreprises du spectre dans la bande 1,9 Ghz.
Quoi qu’il en soit, l’engouement pour des réseaux privés 5G – sans licence, partagé et sous licence locale – prend de l’ampleur. Et ce, même si les opérateurs mobiles ne voient pas d’un très bon oeil ces industriels et autres « verticaux » qui veulent couper le cordon. Selon le cabinet d’études newyorkais ABI Research, le marché mondial adressable des équipements de réseau privé 5G et 4G/LTE devrait atteindre d’ici 2030 quelque 32 milliards de dollars, contre à peine moins d’un demi-milliard de dollars en 2020.

Un marché mondial de 32 Mds $ en 2030
Ces prévisions établies à la fin de l’an dernier (8) se répartissent ainsi : pour l’industrie de fabrication, 15 milliards de dollars contre seulement 275 millions de dollars en 2020 ; pour le transport et la logistique (maritime compris) 9 milliards de dollars contre 45 millions de dollars en 2020 ; pour les secteurs miniers et énergétiques 8 milliards de dollars contre 116 millions de dollars en 2020. Par exemple, l’organisation internationale MulteFire Alliance promeut les réseaux privés 5G et leurs spécifications (9). @

Charles de Laubier

Œil pour œil, dent pour dent : Apple pourrait être la première victime collatérale du « Huawei bashing »

La marque à la pomme risque d’être la première grande firme américaine – un des GAFA qui plus est – à payer très cher l’ostracisme que les Etats-Unis font subir au géant chinois Huawei. Si la loi du talion est gravée dans la Bible, elle semble aussi être une règle non-écrite de la Constitution chinoise. Représailles en vue.

« Tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie », dit la Bible (1), qui n’est finalement pas si pacifique qu’on le dit. La Chine va faire sienne cette loi du talion en prenant des mesures de rétorsion à l’encontre d’entreprises américaines, au premier rang desquelles Apple.
D’après le Global Times, quotidien proche du Parti communiste chinois au pouvoir, Pékin est prêt à prendre « des contre-mesures » ciblant des entreprises américaines. Dans un article publié le 15 mai dernier, complété par deux autres, Apple est cité en premier, suivi de Qualcomm, Cisco et Boeing (2). « La Chine prendra des contremesures, comme inclure certaines entreprises américaines dans sa liste d’‘’entités non fiables’’, imposer des restrictions aux entreprises américaines comme Qualcomm, Cisco et Apple, ou mener des enquêtes à leur sujet, et suspendre les achats d’avions de Boeing ». Le ministère chinois du Commerce – le Mofcom (3) – a confirmé en mai la préparation de cette liste noire où Apple figurera en bonne place. L’Empire du Milieu est donc prêt à rendre coup sur coup, alors que son fleuron technologique Huawei – numéro deux mondial des smartphones en 2019 devant… Apple (4) – fait l’objet depuis près de dix ans maintenant d’une discrimination de la part de l’administration Trump, allant jusqu’à son bannissement des infrastructures 5G aux Etats-Unis il y a un an.

L’Executive Order « anti-Huawei » prolongé d’un an
Fondée en 1987 par Ren Zhengfei, suspect aux yeux des Etats-Unis pour avoir été un technicien de l’Armée chinoise de 1974 à 1982, la firme de Shenzhen est plus que jamais dans le collimateur de Washington. Xi Jinping (photo), président de la République populaire de Chine, semble donc déterminé à rétorquer à Donald Trump, président des Etats-Unis d’Amérique (lequel a prêté serment sur la Bible) dans la bataille économique qui les oppose. Leurs Big Tech respectives sont les premières à être prises en otage, sur fond de guerre commerciale et de protectionnisme économique. Hasard du calendrier, le 15 mai correspondait aussi aux un an du décret – un Executive Order (5) – pris par Donald Trump.

Des années d’accusations sans preuve
Ce fameux décret « 13873 » (6) interdit aux entreprises américaines de se fournir en équipements high-tech et télécoms auprès de fabricants soupçonnés de vouloir porter atteinte à la « sécurité nationale » et à la cyber sécurité des Etats-Unis – avec Huawei et son compatriote ZTE en ligne de mire, mais sans les nommer. Pour monter d’un cran les hostilités, le locataire de la Maison-Blanche a fait savoir le 13 mai qu’il prolongeait ce décret d’une année supplémentaire. « L’acquisition ou l’utilisation sans restriction aux Etats-Unis de technologies de l’information et des communications ou de services conçus, développés, fabriqués ou fournis par des entreprises détenues par, contrôlées par, ou soumises à des juridictions ou directions des adversaires étrangers, donne la capacité à ces derniers de créer et d’exploiter des vulnérabilités dans les services ou technologies de l’information et des communications, avec des effets potentiellement catastrophiques. Cela représente une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des Etats-Unis », justifie Donald Trump (7) pour « prolonger d’un an l’urgence nationale » décrétée par l’Executive Order du 15 mai 2019 – à savoir jusqu’au 15 mai 2021. Plus que jamais, Huawei est montré du doigt et présenté comme une soi-disant cyber menace que la firme de Shenzhen a toujours réfutée. Depuis la première enquête engagée en septembre 2011 par la commission du Renseignement de la Chambre des représentants des Etats-Unis, il y a donc près de dix ans, aucune preuve des allégations américaines de cyber espionnage ou de cyberattaques de la part de Huawei ou de ZTE n’a été apportée. Au pays de l’Oncle Sam, le fantasme technologique se le dispute à la théorie du complot ! Jusqu’à preuve du contraire. A l’autre bout de la planète, on fulmine : « La Chine doit être préparée au pire scénario de découplage complet avec les Etats-Unis dans le secteur de la haute technologie. Bien que la menace de découplage de l’administration Trump avec la Chine fasse partie de sa stratégie électorale [la prochaine élection présidentielle américaine aura lieu le 3 novembre 2020, ndlr], l’approche radicale de suppression de la Chine est devenue une tendance irréversible aux Etats-Unis », déclare le Global Times dans un édito du 15 mai (8). Apple devrait être la première victime collatérale de ce conflit sino-américain, lorsque Pékin mettra ses menaces à exécution en réponse à Washington. La goutte qui a fait déborder le vase chinois, c’est la décision annoncée le 15 mai par l’administration Trump – via son département américain au Commerce (DoC) – de « répond [re] aux efforts de Huawei pour saper la “Entity List” [la liste noire des entreprises bannies des Etats-Unis, ndlr] en restreignant sa possibilité d’utiliser des produits conçus et fabriqués avec des technologies américaines pour concevoir et fabriquer ses semi-conducteurs ». Hisilicon, la filiale de la firme de Shenzhen, fabrique des puces pour smartphones et stations de base 5G. Mais elle se fournit massivement auprès du taïwanais TSMC (9) pour la production. Or ce dernier – numéro un mondial des fabricants de semi-conducteurs (10) – produit aussi ses technologies de microprocesseurs sur le sol américain, et compte Huawei comme gros client à hauteur d’environ 10 % de son chiffre d’affaires. TSMC, qui selon le quotidien économique japonais Nikkei ne prend plus de commandes de Huawei, s’est soumis aux dictats étatsuniens au moment où il a annoncé la construction d’une nouvelle usine dans l’Arizona (11). Le taïwanais fournit aussi les américains Qualcomm et Nvidia. Huawei a dénoncé le 18 mai la décision « arbitraire et pernicieuse » du DoC. Depuis avril, cette fois, ce sont les opérateurs télécoms China Telecom et China Mobile et leurs filiales américaines respectives qui sont dans le collimateur de la justice américaine (DoJ) et le régulateur fédéral des communications (FCC) : leurs licences américaines pourraient être révoquées. Décidément, dans sa croisade « anti-Huawei », tous les coups sont permis de la part de l’administration Trump. Avant même que Pékin ne fasse jouer la loi du talion, Apple – sur le point d’être à son tour sur liste noire – voit déjà le fabricant chinois de ses iPhone – le taïwanais Foxconn, filiale du groupe Hon Hai – confronté à la crise économique déclenchée par la pandémie du covid-19. Hon Hai prévoit une chute de ses revenus d’au moins 15 % par rapport à l’année précédente.

La Chine, près de 15 % des revenus d’Apple
Apple – icône des GAFA – a tout à perdre de ce bras de fer entre Washington et Pékin, d’autant que la marque à la pomme a pris ses quartiers sur le vaste marché chinois : au premier trimestre 2020, la Chine représentait 14,8 % du chiffre d’affaires total d’Apple. Depuis le 11 mai, l’action de la firme de Cupertino au Nasdaq commence à montrer des signes de faiblesse : – 2,3 % (au 18-05-20). Les quatre iPhones compatibles 5G sortiront à l’automne prochain, mais avec plusieurs semaines de retard. Fin avril, lors des résultats de son second trimestre de l’année fiscale décalée, Apple n’a fourni aucune prévision. Et ce, pour la première fois en plus d’une décennie. @

Charles de Laubier

DAB+ versus Podcast : la bataille numérique du « temps d’oreilles disponibles » ne fait que commencer

La bataille digitale pour prendre contrôle des oreilles disponibles est engagée. Les forces en présence sont, d’un côté, la radio numérique hertzienne linéaire diffusée en DAB+ et, de l’autre, les podcasts disponibles à la demande. Entre podcast et radio, c’est à celui qui se fera le plus entendre.

L’année 2019 s’annonce comme celle de la revanche de l’audio sur la vidéo. Le numérique redonne de la voix à la diffusion sonore face à la production d’images devenues omniprésentes sur Internet et les réseaux sociaux. Avec la montée en puissance de la radio numérique hertzienne, d’un côté, et des podcasts à la demande, de l’autre, le son et l’audio sont en passe de reprendre le dessus par rapport à l’image et à la vidéo.

DAB+ national : prime aux réseaux privés
Mais comme pour le cerveau vis-à-vis de la publicité, le « temps d’oreilles disponibles » est limité. Le partage de l’audience est inéluctable. Sur le versant linéaire, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) vient de délivrer les autorisations à l’ensemble des éditeurs des 24 radios « à vocation nationale » qu’il avait retenues le 6 mars dernier,
en assemblée plénière, à la suite de son appel aux candidatures en vue de diffuser
en mode radio numérique terrestre (RNT) et en DAB+ sur l’ensemble du territoire métropolitain. Dans l’ordre alphabétique, les heureux élus sont : Air Zen, BFM Business, BFM Radio, Chérie, Europe 1, FIP, France Culture, France Info, France Inter, France Musique, Fun Radio, Latina, Mouv’, M Radio, Nostalgie, NRJ, Radio Classique, RFM, Rire et Chansons, RMC, RTL, RTL 2, Skyrock, Virgin Radio. Les radios disposent maintenant d’un délai de deux mois pour désigner les opérateurs techniques chargés de l’exploitation des deux multiplex sur lesquels elles seront réparties. « Une fois ces étapes accomplies, les émissions en DAB+ pourront démarrer au premier trimestre 2020 sur 70 % du territoire et seront progressivement étendues », indiqué le CSA, dont le groupe de travail « radios et audio numérique » est présidé par Nicolas Curien et vice-présidé par Hervé Godechot.
Après avoir tiré à boulets rouges sur la RNT qu’ils estimaient trop coûteuse et non rentable, les grands groupes de radios privées – Lagardère/Europe 1, M6/RTL, Altice-NextRadioTV/ RMCet NRJ – se sont finalement portés candidats aux DAB+ national. Les quatre en question ont chacun obtenu sans exception leur sésame pour diffuser numériquement toutes leurs radios au niveau national. Ainsi : Lagardère Active pour Europe 1, RFM et Virgin Radio ; le groupe M6 pour RTL, RTL2 et Fun Radio ; le groupe NextRadioTV/Altice pour RMC, BFM Business et BFM Radio ; le groupe NRJ pour NRJ, Chérie, Nostalgie et Rire & Chansons. Autrement dit, le CSA a fait la part belle aux réseaux radiophoniques nationaux privés – ceux-là même qui avaient voué aux gémonies cette innovation radiophonique, via notamment leur feu Le Bureau de la Radio qui les a longtemps représentés pour discréditer la RNT (1). En dehors des grandes radios privées et mis à part les six radios publiques de Radio France (2) pour lesquelles l’Etat a décidé de préempter des fréquences DAB+, seules quatre radios
« indépendantes » ont obtenu leur autorisation nationale : Latina (Groupe 1981), M Radio (Espace Group), Radio Classique (LVMH), Skyrock (Pierre Bellanger), tandis qu’un seul nouveau projet – Air Zen (groupe Mediameeting) – a été retenu. Ce dernier vise à lancer une radio sur le thème du développement personnel et du mieux-vivre (mieux-être, mieux-consommer et humanisme).
Mais plus d’une dizaine d’autres candidats indépendants n’ont pas eu la chance d’être retenus pour diversifier le paysage radiophonique français : Sud Radio du groupe Fiducial Médias (3), Melody du groupe Secom, Oüi FM (AWPG/Arthur), mais aussi Crooner Radio, Chante France, Jazz Radio, Générations, Radio Bonheur, France Maghreb 2, Virage, Radio Maria France, Radio Pitchoun, et Yin. Au total, une quarantaine de dossiers de candidatures avaient été jugés recevables par le CSA pour les 24 fréquences du DAB+ national. « Nous regrettons que d’autres formats de radios indépendantes n’aient pas été sélectionnés, mais nous comptons sur le CSA pour rétablir l’équilibre lors des appels régionaux où de nombreuses radios indépendantes sont candidates », a déclaré Alain Liberty (photo de gauche), président du Syndicat des radios indépendantes (Sirti). Dans les prochains mois, le CSA doit en effet sélectionner – parmi notamment 130 radios indépendantes – des radios pour émettre en DAB+ dans 17 grandes agglomérations françaises (4) : « La sélection sur les multiplex de 17 nouvelles zones (1 étendu + 1 local par zone), dont Bordeaux et Toulouse, sera effectuée dans environ six semaines, pour un démarrage prévu à la fin du premier trimestre 2020 », indique Nicolas Curien à Edition Multimédi@.

Une centaine de radios DAB+ déjà en région
Mais sans attendre 2020, la RNT (alias DAB+) couvre déjà 21,3 % de la population française avec 26 multiplex diffusant à Lille, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Strasbourg
et dans leurs environs – soit au total environ une centaine de radios diffusant déjà en DAB+ (71 radios indépendantes). Les régions parisienne, niçoise et marseillaise sont ainsi couvertes depuis 2014, les Hauts-de-France, le Grand Lyon et l’Alsace depuis 2018. « Les émissions en DAB+ à Nantes et à Rouen démarreront respectivement
à l’été et à l’automne prochains. Le lancement d’un nouvel appel multi-régional (15 étendus + 15 locaux) est prévu en juillet 2019 », précise Nicolas Curien (5). Le CSA publiera l’été prochain une carte interactive des radios diffusant en DAB+ (6). Or, selon la loi française, le franchissement du seuil de 20 % déclenche l’obligation d’intégrer la technologie DAB+ d’ici fin 2019 dans tous les postes de radio neufs et d’ici mi-2020 dans tous les autoradios neufs.

Audience des podcasts natifs prévue fin mars
Les avantages de la RNT par rapport à la FM résident dans un son de meilleure qualité sans interférence, une meilleure continuité d’écoute en mobilité, une offre enrichie en nouvelles stations de radio, et la possibilité d’un flux audio par des données numériques associées. Malgré le retard chronique qui a caractérisé la France et le lancement tardif en juin 2014 des premières émissions en RNT à Paris, Marseille et Nice (7) où on la promettait pour… fin 2009, l’année 2019 marquera enfin la consécration du DAB+ sur l’Hexagone. Mais cette montée en charge de la radio numérique linéarisée – diffusée selon une programmation d’émissions imposée aux auditeurs, à l’instar des grilles des programmes de télévision diffusés à l’antenne aux téléspectateurs – intervient au moment où les usages des auditeurs sont en train de changer radicalement.
Comme pour la télévision où le replay se substitue de plus en plus à l’antenne, la radio vit à son tour une tendance à la délinéarisation avec l’explosion de l’offre de podcasts. «A l’aube de la révolution de “l’Internet des oreilles” liée au développement des enceintes connectées et autres assistants personnels lancés et contrôlés par les GAFA, la radio doit revendiquer sa place légitime : “la voix” qui s’adresse aux français, c’est elle », assure Alain Liberty, du Sirti, par ailleurs directeur général exécutif du groupe 1981 depuis le début de l’année, après avoir été plus de dix ans directeur général de Radio Scoop (basée à Lyon). Si le DAB+ est présenté comme complémentaire à la FM, deux modes de diffusion hertzienne et linéaires, il en va tout autrement des podcasts qui pourraient soit cannibaliser soit sérieusement grignoter les audiences de la radio. D’autant que les récepteurs radio compatibles DAB+ sont encore peu nombreux. Selon l’institut d’études GfK, près de 116.000 récepteurs DAB+ (hormis les premières montes dans l’automobile) ont été vendus en France en 2018 (8). Selon le CSA, l’intégration de la technologie DAB+ dans les appareils devra se faire d’abord sur les postes de radio haut de gamme (à écran numérique), suivis par les autres postes d’ici à la fin de l’année, puis les autoradios d’ici le milieu de l’année prochaine. Bien que les jeunes aient une image positive de la radio, ils n’en soulignent pas les côtés négatifs : « Ils trouvent la radio parfois répétitive ou redondante notamment en ce qui concerne la programmation musicale, avec trop de publicités mal adressées et pas toujours à la hauteur en termes d’interactions digitales », souligne Médiamétrie dans un sondage paru en janvier. Quant à la mesure d’audience des podcasts, elle se fait attendre,
cet institut ne publiant plus depuis fin 2013 les résultats de la mesure des podcasts reprenant en replay certaines émissions diffusées préalablement à l’antenne. Une mesure d’audience des podcasts dits « natifs » – podcasts originaux produit pour être proposés uniquement à la demande – se fait également désirer (9). Pourtant, 4 millions de français écoutent des podcasts chaque mois, soit une croissance de 25 % selon Médiamétrie. Mais cette mesure date d’il y a près d’un an (10). « La mesure des podcasts natifs fait partie de notre nouveau dispositif “Global Audio”, dont les résultats sortiront d’ici fin mars », indique cependant à Edition Multimédi@ Médiamétrie, où Julie Terrade (photo de droite) est directrice du pôle « Radio » et en charge de la mesure
« Global Audio » (11).
C’est que l’offre s’étoffe comme jamais, non seulement proposée par les radios elles-mêmes mais surtout par des éditeurs indépendants sont de plus en plus nombreux. Ils ne diffusent pas par voie hertzienne mais sur les plateformes d’écoute – Apple, Google, Spotify, Deezer, YouTube, SoundCloud ou encore les françaises Tootak et Elson –,
soit directement, soit par l’intermédiaire d’agrégateurs-producteurs tels que la société française Binge Audio. La plateforme suédoise Acast, elle, a annoncé le 21 mars le lancement de sa filiale française dirigée par Yann Thébault (ex-directeur général de Spotify France). Autres initiatives sur l’Hexagone : la société Sybel, fondée par Virginie Maire (ex-M6 et ex- Finder Studios/Studio 71), va lancer une plateforme de podcasts par abonnement (4,99 euros par mois) ; la société Majelan, créée par Mathieu Gallet (ex-PDG de Radio France et ex-président de l’INA), va lancer sa plateforme dédiée au printemps (modèle freemium) ; la société RadioLike, présidée par Jean-Baptiste Penent d’Izarn, a inventé le réseau social de podcasts que l’on peut découvrir, partager, liker et commenter entre amis.

Les médias et le livre donnent de la voix
Tous les médias, ou presque, se mettent eux-aussi à produire des podcasts. Le groupe Les Echos-Le Parisien (groupe LVMH) a annoncé en décembre 2018 une prise de participation minoritaire dans le capital de Binge Audio (12). La Croix (groupe Bayard) a lancé en début d’année « L’envers du récit » sur les coulisses du métier de journaliste. Madame Figaro et Grazia donnent aussi de la voix, et bien d’autres journaux et magazines tels que Le Monde, L’Obs et le Huffington Post. Mediapart va également lancer un podcast. Le livre audio y voit aussi un débouché, à l’instar de Rakuten Kobo. Décidément, la parole n’est pas sur la même longueur d’onde que la radio. @

Charles de Laubier

Vers un droit fondamental de l’accès à l’Internet dans la Constitution de 1958 ?

Comme il existe une Charte de l’environnement adossée à la Constitution française depuis 2004, une « Charte du numérique » faisant de l’accès à Internet un droit-liberté serait historique après une décennie de débats. Le 11 juillet, le projet a été rejeté. Mais la réflexion continue.

Par Christiane Féral-Schuhl*, avocate associée, cabinet Féral-Schuhl/Sainte-Marie

Un groupe de parlementaires de tous horizons politiques a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 une « Charte du numérique », comme il y a une Charte de l’environnement adoptée, elle, en 2004 (1). Cette charte du numérique – qui comprend sept articles (2) – vise à consolider les grands principes du numérique en garantissant des droits et libertés numériques qui pourront alors faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.

Droit d’accès aux réseaux numériques
La Charte du numérique, telle que proposée le 21 juin dernier par le groupe de travail informel commun à l’Assemblée nationale et au Sénat en vue de
« réfléchir à l’inclusion des droits et libertés numériques dans la Constitution », prévoit notamment que « la loi garantit à toute personne un droit d’accès aux réseaux numériques libre, égal et sans discrimination »
et que les réseaux numériques « respectent le principe de neutralité qui implique un trafic libre et l’égalité de traitement ». Ces propositions font écho à la déclaration commune signée le 28 septembre 2015 (3) par le président de l’Assemblée nationale (Claude Bartolone) et la présidente de
la Chambre des députés italienne (Laura Boldrini). Ce texte franco-italien
« sur les droits et devoirs numériques du citoyen » (4) devait être adressé
au Parlement européen pour inviter les Etats de l’Union européenne à y adhérer. Si l’on peut regretter que la Charte du numérique ait été aussitôt rejetée par la commission des lois, le 27 juin 2018 à l’Assemblée nationale, lors de l’étude du projet de loi constitutionnelle au motif que ses conséquences et implications étaient trop hasardeuses, on note qu’elle pourrait être reprise sous forme d’amendements au projet de loi constitutionnelle (5). Le sujet est d’importance. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que l’accès à l’Internet n’est pas libre dans tous
les pays, certains Etats limitant l’accès au réseau des réseaux en utilisant diverses techniques : blocage d’adresses IP de noms de domaine, censure
de certains mots-clés sur les moteurs de recherche ou encore filtrage des sites web contenants ces mots-clés (6). Il suffit également de rappeler que
le Saoudien Raif Badawi a été cruellement sanctionné pour avoir voulu ouvrir un blog afin d’inviter à un débat sur l’influence religieuse dans le Royaume d’Arabie saoudite. Cette initiative a été sévèrement sanctionnée : une peine de prison de dix ans, 1.000 coups de fouet et une amende. Son avocat, Waleed Abu al-Khair a également été condamné, à quinze ans de prison, pour l’avoir défendu et avoir prôné la liberté d’expression. De même, le blogueur mauritanien Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir a été condamné à mort pour un billet jugé blasphématoire (7). Sa peine de mort avait été confirmée par la cour d’appel de Nouadhibou, tout en requalifiant les faits en « mécréance », mais annulée par la Cour suprême (8) avant de
se voir transformée en une condamnation à deux ans, toujours pour les mêmes faits (9). Il aura été incarcéré durant quatre ans. Quant au chinois Liu Xiaobo, il a également été déclaré coupable d’« avoir participé à la rédaction de la Charte 08, manifeste politique qui défendait une réforme démocratique pacifique et demandait un plus grand respect des droits humains fondamentaux en Chine, ainsi que la fin du système de parti unique ». Il avait été condamné à onze ans de prison pour ce manifeste signé par 303 intellectuels qui a circulé sous forme de pétition sur Internet. Récipiendaire du prix Nobel de la Paix en 2010, il est décédé en juillet 2017 alors qu’il venait de bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle à raison de son état de santé très dégradé. Certains, à l’instar de Vinton Cerf (10) – l’un des pères fondateurs de l’Internet – considère que l’Internet est une
« technologie (…) facilitateur de droits, pas un droit en lui-même ».

Un nouveau droit-liberté fondamental
C’est en ce sens également que s’exprime Michaël Bardin, docteur en droit public, lequel considère que si « les juges, par cette décision [Hadopi de 2009, ndlr (11)], confirment bien qu’il est nécessaire de reconnaître l’importance contemporaine du droit d’accès à internet (…), pour autant,
le droit d’accès à internet n’est ni “un droit de l’homme” ni un “droit fondamental” en lui-même ». Et d’ajouter : « Il n’est et n’existe que comme moyen de concrétisation de la liberté d’expression et de communication.
En définitive, le droit d’accès à internet vient prendre sa juste place dans les moyens déjà connus et protégés que sont la presse, la radio ou encore la télévision » (12). Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui qualifie le droit d’accès à l’Internet de droit fondamental (13). En ce sens également, la professeure universitaire Laure Marino observe que le Conseil constitutionnel a élevé la liberté d’accès à Internet au rang de nouveau droit fondamental : « Pour ce faire, le Conseil constitutionnel utilise la méthode d’annexion qu’il affectionne. Il décide que la liberté de communication et d’expression “implique” désormais la liberté d’accès
à Internet. Comme dans un jeu de poupées russes, cela signifie qu’elle l’intègre et l’enveloppe ou, mieux encore, qu’elle l’annexe. On peut se réjouir de cette création d’un nouveau droit-liberté : le droit d’accès à Internet. L’accès à Internet devient ainsi, en lui-même, un droit-liberté, en empruntant par capillarité la nature de son tuteur, la liberté d’expression. Ainsi inventé par le Conseil, le droit d’être connecté à Internet est donc un droit constitutionnel dérivé de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 » (14).

La coupure de l’accès Internet
C’est également la position exprimée en 2015 par la commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique (ComNum) de l’Assemblée nationale dans son rapport (15). Elle observe que plusieurs décisions prises au plan européen militent en ce sens. Ainsi, à titre d’exemple, dès 2009, et en plein débat sur la loi « Hadopi » que devait adopter la France quelques semaines plus tard, le Parlement européen s’est symboliquement opposé, par une recommandation (16), à la riposte graduée et à l’hypothèse de la coupure de l’accès Internet. Dans le même esprit, la directive européenne 2009/140/CE du 25 novembre 2009, composante du troisième « Paquet télécom » (17), prévoit que « les mesures prises par les Etats membres concernant l’accès des utilisateurs finals aux services et applications, et leur utilisation, via les réseaux de communications électroniques respectent les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les principes généraux du droit communautaire ». Cette directive impose par conséquent le respect de la présomption d’innocence et la mise en place d’une procédure « préalable, équitable et impartiale » avant toute restriction de l’accès ; elle estime en conséquence que le droit d’accès à Internet comporte des enjeux qui dépassent largement ceux de l’accès à la presse, la radio ou la télévision (18). Plus encore, « l’accès à internet est indispensable non seulement à l’exercice du droit à la liberté d’expression, mais aussi à celui d’autres droits, dont le droit à l’éducation, le droit de s’associer librement avec d’autres et le droit de réunion, le droit de participer pleinement à la vie sociale, culturelle et politique et le droit au développement économique et social » (19). Comme l’indique le Conseil d’Etat dans son étude annuelle de 2014, la liberté d’entreprendre – qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – implique le droit pour les entreprises de développer des activités à caractère numérique. « La loi et la jurisprudence présentent aujourd’hui plusieurs garanties de ce que l’on pourrait qualifier de ‘’droit à une existence numérique’’ de l’entreprise, qui implique différents attributs : droit à un nom de domaine, droit à fournir des services sur Internet, droit d’utiliser certains instruments tels que la publicité, la cryptographie ou les contrats conclus par voie électronique ». Il va sans dire que la liberté d’entreprendre et le droit à une existence numérique impliquent également le droit d’accéder à Internet. On rappellera que la peine de suspension de l’accès à Internet n’a été prononcée qu’une seule fois par la justice française et jamais appliquée. Elle a été supprimée par le décret du 8 juillet 2013 (le rapport Robert de 2014 a émis une proposition de rétablissement de cette peine de suspension en la généralisant aux infractions qui mettent en péril un mineur).
Dans ce contexte, il convient d’acter que le droit fondamental d’accès à Internet doit être assuré dans ses fondements substantiels et pas seulement comme possibilité de connexion à la toile. L’accès comprend le libre choix des systèmes d’exploitation, des logiciels et des applications. La protection effective du droit d’accès exige des interventions publiques adéquates pour surmonter toute forme de fracture numérique – culturelle, infrastructurelle, économique – en ce qui concerne notamment l’accessibilité de la part des personnes handicapées.

A l’instar de la Charte de l’environnement
C’est donc dans cet objectif que le groupe parlementaire transpartisan a proposé d’adosser à la Constitution de 1958 la « Charte du numérique »,
à l’instar de la Charte de l’environnement adoptée en 2004. Les débats du
11 juillet 2018 à l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle
« pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » ont finalement abouti au rejet de cette charte.
Mais la réflexion, elle, va se poursuivre, d’autant que l’Internet Society (Isoc) soutient l’initiative française après avoir lancé une pétition « pour la consécration constitutionnelle des droits fondamentaux des utilisateurs du numérique ». @

* Ancien bâtonnier du Barreau de Paris,
et auteure de « Cyberdroit », dont la 7e édition
(2018-2019) est parue aux éditions Dalloz