Les satellites font de l’ombre à la fibre et à la 5G

En fait. Le 27 avril, le français Eutelsat a annoncé l’acquisition d’environ 24 % du capital de OneWeb, constellation de satellites conçus pour fournir l’Internet haut débit sur la planète. Le même jour, l’américain SpaceX a obtenu l’autorisation de la FCC pour positionner des satellites Internet sur une orbite plus basse.

En clair. La bataille de l’Internet des étoiles bat son plein pour fournir du haut débit voire du très haut débit satellitaire à toute la planète. Deux milliardaires américains, Elon Musk, patron fondateur de Tesla, et Jeff Bezos, son homologue d’Amazon, financent chacun leur constellation – respectivement Starlink de la société SpaceX et Kuiper de la société Blue Origin – sur des orbites basses, à 580 kilomètres pour le premier et à 590 km pour le second.
Le régulateur fédéral américain, la FCC (1), vient de régler un différend entre les deux opérateurs de satellites Internet : SpaceX demandant à placer Starlink sur une orbite plus basse que prévu, Blue Origin contestant ce changement de position spatiale susceptible de gêner Kuiper. Finalement, le 27 avril, la FCC a autorisé SpaceX à condition d’éviter toutes interférences. Elon Musk et Jeff Bezos, par ailleurs rivaux pour être le plus riche du monde, investissent chacun 10 milliards de dollars dans leur constellation. Alors que Kuiper n’a pas encore été lancé par Blue Origin, Starlink est bien plus avancé car SpaceX dispose déjà de 1.400 satellites en orbite. « Le service est actuellement en phase bêta auprès de certains utilisateurs qui obtiennent des débits de 50 Mbits/s à 150 Mbits/s, avec des temps de latence de 20 à 40 millisecondes (ms) », indique la société d’Elon Musk (2). Autant dire que l’Internet spatial n’a rien à envier à la fibre optique ni à la 5G. Cette concurrence tombée du ciel pourrait bénéficier aux internautes en termes de résorption des zones blanches et de tarifs compétitifs. Starlink est déjà autorisé aux Etats-Unis, au Canada et en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans une douzaine de pays.
En France, l’Arcep l’a autorisé le 18 février dernier mais, dans le Nord, le maire de Gravelines s’oppose à la pose d’antennes Starlink. Quant au français Eutelsat, qui rêvait il y a dix ans de passer de Ka-Sat à Mega-Sat (3), il a annoncé le 27 avril une prise de participation de 24 % dans OneWeb, qui, repris par l’Etat britannique et l’opérateur indien Bharti Global, a commencé à déployer sa constellation de 648 satellites (dont 182 déjà en orbite). La commercialisation des accès Internet débutera en fin d’année puis globalement en 2022. De son côté, le luxembourgeois SES opère la constellation O3b mPower en orbite moyenne (8.000 kms). Elle sera opérationnelle en 2022, avec Orange parmi ses utilisateurs. @

La « taxe GAFA » imposée par plusieurs pays, dont la France, pourrait coûter très cher aux annonceurs

Google va répercuter à partir du 1er mai en France des « coûts d’exploitation » de 2% pour compenser la taxe GAFA. En Espagne aussi. D’autres pays y ont déjà droit, jusqu’à 5%de hausse : Le Royaume-Uni, l’Autriche et la Turquie. L’OCDE espère un accord international d’ici mi-2021.

Google Ads commencera à facturer de nouveaux frais supplémentaires pour les annonces diffusées dans certains pays. « A compter du 1er mai 2021, des coûts d’exploitation liés à la réglementation de 2% seront ajoutés à votre facture ou relevé pour les annonces diffusées en France. Les coûts d’exploitation liés à la réglementation sont ajoutés pour couvrir une partie des coûts associés au respect de la réglementation concernant la taxe sur les services numériques en France », a prévenu Google début mars sur le support en ligne de Google Ads (1).

Un « protectionnisme-mendiant » (Google)
Et Google de préciser : « Les frais supplémentaires seront ajoutés à vos frais Google Ads à la fin de chaque mois, et le montant correspondant sera prélevé à la date de facturation suivante ». Cette répercussion de la « taxe GAFA » sur les acteurs de la publicité est aussi mise en place en Espagne, à la même date et avec le même taux d’augmentation tarifaire. Au Royaume-Uni, même punition : depuis le 1er novembre 2020, une taxe de 2 % sur les services numériques est facturée pour les annonces diffusées dans ce pays.
En Autriche, la facture est encore plus salée puisque, depuis le 1er novembre 2020, il s’agit d’une taxe de 5 % sur les services numériques ajoutée aux factures ou relevés pour les annonces diffusées en Autriche. La Turquie y a même droit : depuis le 1er novembre 2020, 5% sont ajoutés. « Ces frais supplémentaires découlent de la nouvelle taxe sur les services numériques dans ce pays », justifie à chaque fois Google. La TVA sera facturée en plus de ces nouveaux frais supplémentaires.
Pour l’Union des marques (ex-Union des annonceurs), dirigée par Jean-Luc Chetrit, qui regroupe en France 142 membres (2), la décision de Google est regrettable. L’organisation professionnelle des annonceurs a aussitôt organisé le 17 mars dernier « une session de “questions/réponses” avec les représentants de Google ». Et ce, « compte-tenu de l’importance de cette décision et de ses conséquences potentielles pour la communication des marques ». En France, la « taxe GAFA » a été instaurée pour la première fois en Europe par une loi promulguée en juillet 2019. Cette « taxe sur les services numériques » (3) vise les géants du Net dont le chiffre d’affaires mondial dépasse les 750 millions d’euros, le prélèvement est de 3% du chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone s’il dépasse les 25 millions d’euros « au titre des services fournis en France ». Sur l’année 2019, cette taxe GAFA chère au ministre français de l’Economie et des finances, a rapporté 400 millions d’euros environ et sans doute davantage sur 2020 malgré les menaces de représailles de l’ancienne administration Trump (4).
Emboîtant le pas de son voisin, l’Espagne a adopté en octobre 2020 une même taxe de 3 %. Google plaide pour une « taxe internationale » qui soit négociée au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Karan Bhatia (photo), vice-président en charge des affaires gouvernementales et publiques de Google, avait encore plaidé dans ce sens le 25 février dernier sur un blog officiel du géant du Net : « Certains des pays qui imposent ces taxes ciblées affirment qu’elles contribuent à donner un élan à une réforme fiscale internationale plus vaste. Mais ces taxes sur les services numériques compliquent les efforts pour parvenir à un accord équilibré qui fonctionne pour tous les pays – elles ne font que revendiquer des revenus qui seraient autrement imposés aux Etats-Unis. Nous encourageons ces gouvernements à réduire ce qui est essentiellement des tarifs ou, au minimum, les suspendre pendant que les négociations se poursuivent », avait-t-il tenté de raisonner les pays instaurant une taxe GAFA (5). En vain.
Et Karan Bhatia d’enfoncer le clou : « Laissée sur la trajectoire actuelle, la discorde fiscale pourrait rapidement donner lieu à un protectionnisme “mendiant-ton-voisin” [beggar-thy-neighbor] qui affaiblirait la coopération sur de nombreuses questions ».

Les Etats-Unis renoncent au « safe harbour »
Autant l’administration Trump avait mis des battons dans les roues de l’OCDE dans le processus de réforme de la fiscalité des entreprises multinationales, provoquant à l’automne dernier l’échec des négociations, autant l’administration Biden semble disposée à trouver un accord d’ici le prochain « G20 Finance » réunissant du 9 et 10 juillet prochains les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales. La nouvelle secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, a assuré le 26 février dernier, lors d’un G20 Finance en visioconférence, que les Etats-Unis étaient prêts à négocier des droits d’imposition entre pays de production et pays de consommation (premier pilier) et un taux minimum au niveau mondial (deuxième pilier). Elle a annoncé que Washington renonçait au principe de « safe harbour » qui, s’il avait été maintenu, aurait permis aux géants du numérique d’accepter ou pas le nouveau régime fiscal. Ce verrou est levé.

Janet Yellen d’accord avec Bruno Le Maire
Les représailles envisagées par l’administration Trump à l’encontre de produits français, en leur appliquant des droits de douane supplémentaires, avaient été suspendues juste avant la fin du mandat de Donald Trump. Avant même sa prise de fonction en janvier, Janet Yellen avait admis que « [cette taxe] permettrait de percevoir une juste part des entreprises, tout en maintenant la compétitivité de nos entreprises et en diminuant les incitations (…) aux activités offshore». Le ministre français de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, s’est félicité de « l’engagement de la secrétaire d’Etat [au Trésor américain, Janet Yellen] en faveur d’une participation active des équipes américaines aux discussions sur la fiscalité au sein de l’OCDE, en vue d’un accord international d’ici la fin du semestre ». L’optimisme est de retour.
Ironie du calendrier : un premier Etat américain, le Maryland, a adopté le 12 février dernier une taxe sur la publicité en ligne où dominent Google et Facebook. Ce qui devrait lui rapporter 250 millions de dollars par an. Mais des voix se sont élevées aux Etats-Unis pour pointer le risque que cette taxe numérique soit répercutée sur les petites et moyennes entreprises faisant de la publicité sur Internet. Une action en justice a même été lancée conjointement par la chambre de commerce américaine (US Chamber of Commerce), l’organisation professionnelle NetChoice, ainsi que la Computer & Communications Industry Association (CCIA) et l’Internet Association (IA) (6).
Les négociations fiscales au sein de l’OCDE – auxquelles participent 137 pays dans le cadre de l’initiative BEPS (voir encadré ci-contre) visant à mettre un terme aux pratiques d’évasion fiscale des entreprises (7) – portent sur tous les secteurs d’activité, mais tous les regards se tournent vers les GAFAM. « Le numérique est la priorité des priorités, c’est pourquoi tous nos efforts porteront sur le fait de s’assurer que nous trouvions un accord sur le pilier un et deux. Notre but est d’avoir un projet d’accord global à la toute fin de juin, voire la première semaine de juillet, et que cet accord soit ensuite validé par le G20 », a déclaré début mars Pascal de Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Si les grands argentiers des vingt nations les plus riches du monde réussissaient à se mettre d’accord d’ici fin juin 2021 (alors que le G7, lui, se sera réuni du 11 au 13 juin), cela serait l’aboutissement de discussions engagées à partir de 2015. Ce serait aussi une victoire pour la France qui a été aux avant-postes de cette taxe GAFA. Mais si les négociations de l’OCDE échouaient, il n’est pas exclu que l’Union européenne (UE) mettre en place sa propre taxe GAFA. La Commission européenne prépare le terrain : elle mène une consultation publique jusqu’au 12 avril prochain sur la taxation numérique. « L’UE a besoin d’un cadre réglementaire et fiscal moderne et stable pour répondre de manière appropriée aux évolutions et aux défis de l’économie numérique. Le Conseil européen a chargé la Commission (européenne) de présenter des propositions relatives à des ressources propres supplémentaires. La taxe numérique est l’une d’entre elles » explique-t-on à Bruxelles (8).
Cette consultation publique alimentera les travaux en cours sur la proposition de taxe numérique attendue pour «mi- 2021 ». Selon la Commission européenne, « la nouvelle initiative contribuera à résoudre la question de la fiscalité équitable liée à la numérisation de l’économie et, dans le même temps, vise à ne pas interférer avec les travaux en cours au niveau du G20 et de l’OCDE sur une réforme du cadre international de l’impôt sur les sociétés ». Le risque de télescopage est grand.

Digital Services Tax (DST) en vue en Europe
Malgré le projet de Digital Services Tax (DST) à l’échelle de l’UE, plusieurs pays européens – France, Autriche, Italie, République tchèque, Espagne et, avant le Brexit, le Royaume-Uni – ont instauré des taxes unilatérales, lesquelles ont provoqué un patchwork européen et des tensions commerciales avec les Etats-Unis sous l’administration Trump. En 2019, le représentant au Commerce des Etats-Unis (USTR) avait dénoncé une « fiscalité discriminatoire » à l’égard des entreprises américaines. Le gouvernement français avait suspendu un temps la perception de sa « taxe GAFA » avant de reprendre son recouvrement. @

Charles de Laubier

ZOOM

BEPS, quésaco ?
Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) ou base d’imposition et le transfert de bénéfices. Il s’agit d’un programme de l’OCDE visant à mettre fin aux pratiques d’évasion fiscale des entreprises, dans tous les secteurs d’activité, y compris dans l’économie numérique. Les pouvoirs publics perdent de précieuses recettes, qui, selon des estimations livrées par l’OCDE, sont comprises entre 100 et 240 milliards de dollars par an, soit 4 % à 10 % du total des recettes de l’impôt sur les sociétés au niveau mondial. Cela ne peut plus durer. @

Les discussions secrètes et le lobbying autour de l’article 17 controversé de la directive « Copyright »

La culture du secret qui caractérise les négociations et le lobbying autour de l’article 17 controversé de la directive « Copyright » n’est pas digne du fonctionnement démocratique de l’Europe. Alors que tous les internautes européens sont concernés par le filtrage et les risques de censures sur le Net.

La dernière réunion de négociation en date autour de l’article 17 controversé s’est tenue dans le plus grand secret – à huis clos – le 12 février dernier entre la DG Connect de la Commission européenne, des membres du Parlement européen et des représentants des Etats membres. Cette direction « Communications Networks, Content and Technology » (1), pilotée par Roberto Viola (photo) sous la houlette de Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission européenne, et de Thierry Breton, commissaire européen en charge du Marché intérieur, ne fait pas vraiment dans la clareté.

Futures lignes directrices, sujet sensible
Alors que jusqu’à il y a un an, la DG Connect faisait preuve d’un peu de transparence sur le « dialogue des parties prenantes sur l’application de l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique » (2), force est de constater que depuis février 2020, c’est le blackout quasi-total sur ce qui se dit et s’échange lors des réunions au tour de cet article 17 controversé. C’est d’autant plus regrettable que les futures lignes directrices sur son application porteront sur des dispositions concernant au premier chef les internautes européens eux-mêmes. Les lignes directrices qui découleront de ces tractations auront un impact sur le filtrage, le blocage et le risque de censure sur Internet.
Pour les ayants droit des industries culturelles, il s’agit de lutter contre le piratage en ligne en exigeant des plateformes numériques qu’elles prévoient des dispositifs techniques pour supprimer les contenus enfreignant le droit d’auteur. Pour éviter un filtrage automatique et généralisé des contenus sur Internet, la Commission européenne avait – dans son projet de lignes directrices (3) sur l’article 17 publié en septembre 2020 – instauré un distinguo entre contenus « vraisemblablement contrefaisants » et ceux « vraisemblablement légitimes ». C’est cette dernière notion – de « téléchargement susceptible d’être légitime » – que les discussions achoppent à Bruxelles. C’est aussi sur ce point (de blocage) que des eurodéputés, de tous bords – mais principalement des deux plus grands groupes politiques – le Parti populaire européen (PPE) de droite et les Socialistes et démocrates (S&D) de gauche – ont fait part dans une lettre (4), juste avant la réunion technique du 12 février, de leur insatisfaction sur l’interprétation de l’article 17 par la Commission européenne. « L’approche actuelle des lignes directrice ne reflète pas correctement l’accord obtenu après de longues négociations sur l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur », écrivent ces parlementaires, dont les Français Geoffroy Didier (PPE), Sylvie Guillaume (S&D) ou encore Laurence Farreng (Renew Europe). Et les eurodéputés de s’inquiéter : « La dernière réponse de la Commission européenne aux questions du Parlement européen sur cette question et les récentes déclarations publiques des membres des services de la DG Connect n’ont pas contribué à apaiser ces préoccupations ».
Roberto Viola, le patron de la DG Connect, et Giuseppe Abbamonte, directeur de la politique des médias à cette même DG Connect, ont tenté d’apaiser les craintes des parlementaires européens. En revanche, d’après Election Libre, le cabinet de Thierry Breton était convié à cette réunion tendue mais n’y a pas participé. L’eurodéputé Axel Voss (PPE), qui fut rapporteur de la directive « Copyright » (5) adoptée le 17 avril 2019 et publiée le 17 mai suivant, est bien sûr intervenu dans cette réunion électrique. « Aucune réunion de suite n’est prévue », a indiqué la Cnect (DG Connect) à Edition Multimédi@. Le temps presse car cette directive européenne « sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » doit être transposée par les Vingt-sept « au plus tard le 7 juin 2021 », dans trois mois maintenant.

Paris et Berlin, pas dans le même axe
La France, qui veut être aux avant-postes de la transposition justement de ce texte qu’elle a largement contribué à élaborer, fait partie des pays européens – avec l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Croatie, le Danemark, ou encore la Grèce – qui estiment que les orientations (notamment des lignes directrices ou guidance sur l’article 17) n’atteindraient pas les objectifs initialement fixés par la Commission européenne en matière de protection de la propriété intellectuelle des détenteurs de droits en Europe. Paris n’est d’ailleurs pas sur la même longueur d’onde que Berlin : le projet de transposition de la France donne un rôle prépondérant à l’intervention préventive pour bloquer des contenus, mais avec des risques de sur-blocages et d’atteintes à la liberté d’expression sur Internet, alors que l’Allemagne a une approche qui est celle de la Commission européenne où le contenu présumé licite ne peut pas être bloqué automatiquement (voir schéma ci-dessous).

Ne pas sacrifier la liberté d’expression
A trois mois de la deadline pour la transposition de la directive « Copyright », cet article 17 continue de cristalliser les oppositions. Ce n’est pas faute, pour la Commission européenne, d’avoir mené une série de consultations depuis le second semestre 2019 et au début de l’année 2020, afin de clarifier la mise en œuvre de cet article controversé. Le projet de lignes directrices (guidance) issu de ces concertations et lobbying des parties en présence – plateformes numériques, d’un côté, industries culturelles, de l’autre – n’a pas permis de parvenir à un consensus, les ayants droit estimant que le compte n’y est pas (6).
En cause, selon eux, un nouveau principe dit de « téléchargement susceptible d’être légitime », prévoyant un modus operandi pour l’application de l’article 17 où les instructions des détenteurs de droits seraient simplement écartées dans le cadre des mesures préventives. La Commission européenne, elle, cherche à préserver un équilibre entre le respect des œuvres protégée par le droit de propriété intellectuelle et les exceptions au droit d’auteur. Objectif : ne pas sacrifier la liberté d’expression, de création et d’information, dont font partie la citation, la critique, la revue, la caricature, la parodie ou le pastiche (dixit l’article 17). En France, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) – dépendant du ministère de la Culture – avait regretté l’an dernier que la Commission européenne « esquiss[e] des lignes directrices qui réserveraient les blocages aux seuls cas de certitude de contrefaçon, et en donnant à la protection des exceptions […] une place centrale au détriment de l’effectivité des droits » (7).
L’article 17 incite en tout cas les plateformes de partage numériques (YouTube, Facebook, Twitter, …) à obtenir une autorisation – « par exemple en concluant un accord de licence » – qui « couvre également les actes accomplis par les utilisateurs (…) lorsqu’ils n’agissent pas à titre commerciale ou lorsque leur activité ne génère pas de revenus significatifs ». A défaut d’accord d’autorisation, ces plateformes – que la directive « Copyright » appelle « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » – sont alors responsables du piratage des œuvres protégées. A moins qu’ils ne montrent pattes blanches : « meilleurs efforts » pour obtenir une autorisation ou pour garantir l’indisponibilité les contenus signalés comme piratés ; « agi[r] promptement », dès réception d’une notification des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux contenus protégés. @

Charles de Laubier

La presse française est de plus en plus digitale et dépendante de Google, mais plus du tout solidaire

62,7 millions d’euros : c’est ce que s’est engagé à verser Google à 121 journaux français membres de l’Apig qui a cosigné cet accord-cadre, dont 86,8 % étalés sur trois ans et le solde pour « mettre fin à tout litige » sur cette période. Deux syndicats d’éditeurs – le Spiil et la FNPS – s’insurgent.

Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) a dénoncé le 8 février les accords « opaques, inéquitables et nuisibles », créant même « une dangereuse distorsion de concurrence » au sein de la presse français, signés par quelques journaux avec Google. Dès le 21 janvier, la Fédération nationale de la presse d’information spécialisée (FNPS) dénonçait, elle, l’accord-cadre annoncé ce jour-là entre le géant du Net et l’Alliance de la presse d’information générale (Apig) qui « acte de facto la position illégale de Google ».

Rémunérations inconnues et critères flous
L’agence Reuters a révélé le 12 février que l’accord-cadre « Google-Apig » portait sur un total de 62,7 millions d’euros (1). Le Spiil, présidé par Jean-Christophe Boulanger (photo de gauche) et représentant 150 éditeurs indépendants de 180 titres de presse, s’est « alarm[é] de la teneur des premiers accords signés entre Google et certains éditeurs de presse sur les droits voisins ». Ces accords de licence signés individuellement et uniquement par des journaux dits de « presse d’information générale » – le controversé statut IPG – avec Google (2) leur permettent de percevoir une rémunération pour les débuts d’articles et leurs liens exploités sur le moteur de recherche (Google Search et Google Actualités). Conformément au contrat-cadre (3) annoncé le 21 janvier par l’Apig, dont 285 titres – parmi lesquels les grands quotidiens nationaux – sont membres (4), chaque accord de licence individuel peut donner à l’éditeur un accès au «News Showcase » de Google, son nouveau programme de licence de publications de presse permettant aux lecteurs internautes d’accéder à un contenu éditorial enrichi ou qualifié de « premium ». Le problème est que la rémunération prévue dans les accords de licence entre chaque éditeur de presse et Google est à géométrie variable, dans le sens où elle est basée sur des « critères » tels que « la contribution à l’information politique et générale », « le volume quotidien de publications » ou encore « l’audience Internet mensuelle ». Pour le Spiil, c’est dommageable car ces accords ne permettent pas de s’assurer du traitement équitable de tous les éditeurs de presse dans la mesure où la formule de calcul des rémunérations n’est pas rendue publique : « La profession n’a pas su mettre ses désaccords de côté pour mener une négociation commune. Google a profité de nos divisions pour faire avancer ses intérêts. Un exemple en est le choix de l’audience comme un critère prépondérant du calcul de la rémunération. Ce choix est bien dans l’intérêt industriel de Google, mais il est une catastrophe pour notre secteur et notre démocratie. Il va favoriser la course au clic et au volume : une stratégie qui bénéficie plus aux plateformes qu’aux éditeurs et qui ne favorise pas la qualité ». Selon Jean- Christophe Boulanger, ces accords renforcent encore au sein de l’écosystème de la presse française le pouvoir d’intermédiaire de Google, lequel fait tout pour ne pas rémunérer les droits voisins et « noyer » son obligation à ce titre dans son initiative «News Showcase ». Autrement dit, bien qu’un éditeur de l’Apig puisse exiger une rémunération des droits voisins sans utiliser ce programme de licence « Google », son montant n’est cependant pas fixé dans l’accord-cadre « Apig », ce qui pousse ainsi les éditeurs à s’engager auprès de «News Showcase ». « Encourager une telle situation de dépendance [éditoriale et économique] vis-à-vis d’un tel acteur pour la conquête et la rétention d’abonnés nous semble une erreur stratégique majeure », déplore-t-il. Le Spiil alerte en outre sur un autre service qui existe depuis trois ans maintenant : le « Subscribe with Google » (5). Il s’agit d’un moyen simplifié de créer un compte sur un média en ligne et de s’y abonner. Le syndicat de la presse indépendante en ligne « appel[le] les régulateurs à examiner en détail les accords commerciaux conclus » pour l’utilisation de ce service d’abonnement en ligne pour s’assurer « qu’ils ne constituent pas un complément de rémunération au titre des droits voisins qui ne seraient offerts qu’à certains éditeurs ».

Le statut « IPG » : pas eurocompatible ?
Quant à Laurent Bérard-Quélin (photo de droite), président de la FNPS et par ailleurs directeur général de SGPresse (6), il représente 500 entreprises membres qui éditent 1.231 publications imprimées et 473 publications en ligne. Pour ce syndicat de la presse spécialisée, l’accord-cadre « Google- Apig » – décliné en accords individuels de licence avec le moteur du Net – « n’est pas conforme à l’esprit, si ce n’est à la lettre, de la loi [sur le droit voisin de la presse datée du 26 juillet 2019]». Car seulement quelques journaux, dits IPG, sont concernés. Or cette notion d’IPG porte sur « moins de 13 % des éditeurs de presse » (dixit le Spiil) et est « contraire à la législation européenne » (dixit la FNPS). @

Charles de Laubier

Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) : l’Europe vise une régulation équilibrée du Net

Présenté par la Commission européenne le 15 décembre 2020, le paquet législatif « DSA & DMA » – visant à réguler Internet en Europe, des réseaux sociaux aux places de marché – relève d’un exercice d’équilibriste entre régulation des écosystèmes et responsabilités. Son adoption est espérée d’ici début 2022.

Par Laura Ziegler, Sandra Tubert et Marion Moine, avocates, BCTG Avocats

La digitalisation croissante de la société et de son économie a fait naître de nouvelles problématiques sociétales et juridiques que l’arsenal législatif jusqu’alors disponible – en particulier la directive européenne « E-commerce » adoptée il y a plus de vingt ans (1) et transposée en 2004 pour ce qui concerne la France (2) – ne parvient plus à réguler efficacement. Les exemples d’actualité sont nombreux : des contenus illicites ou préjudiciables postés sur les réseaux sociaux, à l’opacité des algorithmes aux conséquences néfastes, … Bien qu’ayant pour ambition commune de réguler le monde digital, le DSA et le DMA poursuivent chacun un objectif distinct.

L’ombre de la directive « E-commerce »
Le projet de DSA. Ce règlement a vocation à remplacer les dispositions relatives à la responsabilité des prestataires de services intermédiaires contenues dans la directive « Ecommerce » (3), et à abandonner la distinction actuelle et quelque peu dépassée entre éditeur et hébergeur. Il vise à établir des règles harmonisées concernant la fourniture de « services intermédiaires », notion qui s’interprète toujours largement et englobe à la fois le transport (4) et la transmission (5) d’informations sur un réseau de communication, la fourniture d’un accès au réseau de communication, ainsi que l’hébergement de données.
En pratique, seront donc concernés : fournisseurs d’accès Internet, bureaux d’enregistrement de noms de domaine (registrars), hébergeurs « cloud » et web, marketplaces, boutiques d’applications (app stores), réseaux sociaux et autres plateformes agissant en qualité d’intermédiaires (plateforme d’économie collaborative, etc.). Plus particulièrement, le DSA aspire à établir un cadre de responsabilité pour les prestataires de services intermédiaires, et à leur imposer des diligences raisonnables qui diffèrent selon la catégorie dont ils relèvent (6) et qui sont au nombre de quatre : services intermédiaires offrant une infrastructure réseau, services d’hébergement, plateformes en ligne réunissant vendeurs et consommateurs et très grandes plateformes. Ces règles trouveront à s’appliquer aux prestataires qui fournissent des services à des destinataires (7) ayant leur lieu d’établissement ou leur résidence dans l’Union européenne (8). Le lieu d’établissement des prestataires est donc sans incidence, dès lors qu’ils présentent un « lien substantiel » avec le territoire européen (9). Evidemment, tous ces prestataires de services intermédiaires ne se verront pas appliquer les mêmes régimes.
S’agissant tout d’abord de leur responsabilité, aucun bouleversement annoncé. En effet, les projets d’articles 3 et 4 du DSA – concernant les services dits de « mere conduit » et de « caching » – reprennent quasiment à l’identique les dispositions des articles 12 et 13 de la directive « Ecommerce » de 2000 : ils ne sont pas responsables des informations qu’ils transportent et/ou transmettent dès lors qu’ils n’ont, en substance, pas une connaissance effective de l’activité ou du contenu illégal ou à défaut, dès lors qu’ils ont agi promptement pour retirer le contenu en cause.
Pas de grand changement non plus pour les hébergeurs qui bénéficieront toujours du régime de responsabilité atténuée. La seule nouveauté relative figure sous son article 5.3. : le régime de responsabilité atténuée ne sera pas applicable si un consommateur concluant un contrat à distance avec des professionnels via une plateforme en ligne est conduit à croire que l’information, le produit ou le service faisant l’objet de la transaction est fournie par cette dernière directement, ou par un destinataire du service agissant sur son autorité ou son contrôle. L’avenir nous dira si ces nouvelles dispositions conduiront les juridictions à adopter une approche plus stricte que celle de l’actuelle jurisprudence basée sur l’interprétation du « rôle actif » des intermédiaires. En revanche, le DSA n’envisage pas d’imposer aux prestataires de services intermédiaires (10) une obligation générale de surveillance (11). Ils y seront cependant encouragés puisque les enquêtes d’initiative volontaires « visant à détecter, identifier, supprimer ou désactiver l’accès à un contenu illégal, (…) » ne leur feront pas perdre le bénéfice de l’exemption de responsabilité (12).

Transparence accrue des intermédiaires
S’agissant ensuite des diligences et obligations qui seront mises à la charge de ces acteurs, certaines seront spécifiques à la catégorie à laquelle ils appartiennent, d’autres seront communes. On relèvera parmi ces dernières, la création d’un « point de contact » permettant une communication directe par voie électronique et l’intégration, dans leurs conditions générales, d’informations rédigées dans un langage clair et sans ambiguïté, sur les politiques, procédures, mesures et outils utilisés à des fins de modération du contenu, y compris sur les algorithmes utilisés pour prendre des décisions. Toujours dans un objectif de transparence accrue, les intermédiaires devront également publier des rapports annuels sur leur activité de modération de contenus. Cette exigence ne devrait pas s’appliquer aux petites et micros entreprises mais devrait être renforcée pour les plateformes en ligne et très grandes plateformes.

Statuts d’hébergeur et contenus illégaux
Concernant plus spécifiquement les services d’hébergement, ceux-ci devront mettre en place des mécanismes d’accès faciles et conviviaux permettant à toute personne de les informer de l’existence de contenus illégaux. Toute décision de suppression ou de désactivation d’un accès à des informations devra en outre faire l’objet d’une information motivée par l’intermédiaire à l’utilisateur concerné (13). Les plateformes en ligne devront en outre créer un système gratuit de traitement des réclamations par voie électronique au sujet des décisions qu’elles sont susceptibles de prendre (modération, suspension, suppression ou résiliation d’un service ou d’un compte utilisateur). Elles auront d’ailleurs, dans ce cadre, l’obligation de suspendre pendant un délai raisonnable, après avertissement, les comptes utilisateurs à partir desquels des abus seront commis (publication de contenus manifestement illicites, et notifications et/ou plaintes manifestement infondées).
Les plateformes mettant en relation commerçants et professionnels devront enfin, procéder à des vérifications élémentaires de l’identité et des coordonnées de ces derniers. Les très grandes plateformes en ligne (14) devront quant à elles procéder, au moins une fois par an, aux études et audits nécessaires pour leur permettre notamment d’identifier les risques systémiques significatifs résultant du fonctionnement et de l’utilisation de leurs services (15). Elles devront également désigner un ou plusieurs responsables de la conformité qui seront chargés de contrôler le respect du règlement DSA. A l’image des « Data Protection Officer » (DPO), ceux-ci devront notamment, faire l’objet d’une désignation officielle auprès des organismes compétents et pouvoir s’acquitter de leurs tâches de manière indépendante. Enfin, les très grandes plateformes pourront être contraintes de fournir un accès à leurs données, en particulier à des chercheurs agréés (16).
Le projet de DMA. Ce règlement-ci ne s’appliquera qu’aux « gatekeepers » ou « contrôleurs d’accès » qui fournissent à des utilisateurs, professionnels ou non, situés dans l’Union européenne (17), des services en ligne essentiels (18). Un prestataire de services essentiels sera présumé être un gatekeeper si celui-ci répond aux trois critères cumulatifs suivants : avoir un impact significatif sur le marché intérieur (en fonction de seuils de chiffre d’affaires et de la valorisation de l’entreprise) ; exploiter un service de « plateforme essentiel » qui sert de passerelle majeure pour les utilisateurs professionnels pour atteindre les consommateurs finaux ; bénéficier d’une position enracinée et durable ou être en voie de bénéficier d’une telle position dans un proche avenir. Le contrôle de l’atteinte de ces seuils quantitatifs incombera tout d’abord aux prestataires de services qui en informeront la Commission européenne. Les gatekeepers fraichement nommés disposeront d’un délai de six mois pour se conformer aux obligations du règlement. Ces désignations pourront bien sûr être reconsidérées, modifiées ou abrogées par la Commission à la lumière de l’évolution des éléments de contexte.
S’agissant de l’étendue de ses obligations, un gatekeeper ayant une position enracinée et durable se verra imposer davantage d’obligations que ceux en voie d’en bénéficier. Dans ce contexte, le règlement introduit plus de quinze obligations et interdictions, parmi lesquelles l’interdiction des pratiques visant à empêcher leurs utilisateurs professionnels de proposer leurs produits et services aux utilisateurs finaux par le biais de services concurrents tiers à des prix ou à des conditions différents (20), ou à traiter plus favorablement, dans le classement, les produits et services qui sont proposés par le contrôleur d’accès lui-même (21), ou encore l’obligation, dans certaines hypothèses, de permettre aux consommateurs de désinstaller les applications logicielles préinstallées ou de fournir aux entreprises qui font de la publicité sur leur plateforme les outils et les informations nécessaires pour effectuer leur propre vérification des annonces publicitaires hébergées par le contrôleur d’accès. Certaines dispositions concerneront par ailleurs, les traitements de données à caractère personnel en imposant des conditions supplémentaires à celles figurant dans le RGPD (22), ou en interdisant purement et simplement certaines pratiques (23). L’interopérabilité est également au coeur des préoccupations puisque le DMA imposera désormais aux contrôleurs d’accès de mettre en place de manière proactive certaines mesures, telles que des mesures ciblées permettant aux logiciels de fournisseurs tiers de fonctionner et d’interagir correctement avec leurs propres services (24). Dans cette même dynamique, les consommateurs devront pouvoir changer d’applications logicielles et de services sans restriction technique (25).

Des sanctions et des astreintes dissuasives
Pour s’assurer de l’effectivité de cette nouvelle régulation, la Commission européenne a mis en place un véritable arsenal puisque tout manquement aux obligations prévues par les DMA et DSA, pourra être sanctionné par une amende pouvant aller jusqu’à 10 % (DMA) et/ou 6% (DSA) du chiffre d’affaires total de l’intermédiaire concerné au cours de l’exercice précédent. Des astreintes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen à compter de sa décision pourront également être prononcées. @