Un NFT est un OJNI dissociant l’unicité d’un bien, lequel suppose une licence d’utilisation

Toute transaction de NFT confère un droit qui n’est pas un droit de propriété, contrairement à ce que laissent supposer les plateformes de commercialisation, mais seulement l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte, temporaire, donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Explications.

Par Fabrice Lorvo*, avocat associé, FTPA.

La révolution numérique nous a propulsé dans l’univers de la dématérialisation. Sa première vague, par l’intermédiaire des plateformes, nous a initiés à la dissociation entre la propriété et son usage. Amazon est le plus grand magasin au monde sans posséder de magasins – même si à la marge sa stratégie brick-and-mortar point (1). De même, Airbnb semble être le plus grand hôtelier planétaire sans posséder un seul hôtel et Uber est sans doute la plus grande entreprise de transport sans posséder une seule voiture.

Non-fongible, unique et original
Avec le NFT (Non-Fungible Token, ou jeton non-fongible), nous découvrons la dissociation d’un bien avec son support. Un NFT est un actif numérique unique associé à un support électronique parfois extrêmement banal (un fichier au format jpeg, mp3 ou mp4, etc.). Un NFT peut représenter n’importe quoi. Il peut être une image, un son, une vidéo ou encore un écrit. Il peut être créé par n’importe qui, donc par chacun d’entre nous. L’unicité comme la traçabilité de cet actif unique sont certifiées par un dépôt dans la blockchain, à savoir une chaîne de blocs cryptée de bout-en-bout qui permet d’assurer la traçabilité et l’authenticité des transactions de façon décentralisée. Un tout récent rapport formule une définition : « Concrètement, l’acquisition d’un jeton non-fongible (“JNF” en français, “NFT” en anglais) correspond à l’acquisition d’un jeton inscrit sur la blockchain et associé à un “smart contract” (contrat intelligent, en français), qui renvoie à un fichier numérique (image, son, vidéo, …) » (2).
Ce nouvel outil numérique prometteur – mais aux allures d’OJNI (objet juridique non identifié) – n’est pas facilement appréhendable par le grand public du fait de sa totale dématérialisation, et cette difficulté est renforcée par la confusion entre l’objet (le NFT), le lieu d’échange (la plateforme de commercialisation) et les conditions de l’échange (l’environnement numérique). Bien que difficilement conceptualisable, le NFT connaît une très forte notoriété, probablement du fait du fantasme implicite d’une plus-value immédiate et importante. Quel est le concept ? Dans le domaine de l’art, par exemple, un NFT est une œuvre originale (c’est notre postulat mais gare aux contrefaçons), qui est soit directement créée de manière numérique, soit représentant numériquement une œuvre qui existe déjà sur un autre support matériel (comme une toile). Ce NFT peut représenter l’œuvre intégralement ou par morceau, comme une pièce de puzzle (ou «mass »). Cette « chose » (le jeton) est dite « non-fongible » car elle ne peut pas être échangée contre quelque chose de valeur égale. A l’inverse, une pièce de 1 euro est un bien fongible car elle peut être échangée avec une autre pièce de 1 euro qui aura la même valeur. Etant unique, le NFT est doublement non-fongible : un NFT n’a pas la même valeur qu’un autre NFT – le NFT « Merge » détient pour le moment le record avec une vente estimée autour de 91,8 millions de dollars (3). De plus, il peut exister plusieurs représentations d’un même NFT sur un même support (fichier au format jpeg par exemple) mais seul celle qui a été désignée comme unique par son auteur et authentifiée comme telle sur une blockchain a de la valeur. Si l’on fait abstraction de la plateforme et des conditions de commercialisation, au moins dans le domaine de l’art, le NFT n’est donc qu’une représentation virtuelle d’une œuvre dissociée de son support. Dans le monde matériel, l’unicité c’est à la fois le fait qu’il n’existe pas le même type d’œuvre sur le même type de support (approche objective) et qu’une seule personne puisse la détenir (approche subjective). En pratique, les deux se confondent. Lorsqu’on achète « une toile », on possède à la fois le support de la peinture et l’image de la peinture.
Dans le monde numérique, du fait de la dématérialisation, c’est l’image du NFT (c’est-à-dire sa représentation virtuelle) qui fait l‘objet de la transaction. Son support (c’est-à-dire le fichier numérique qui permet la représentation virtuelle) reste dans la blockchain.

Dissociation image-support : problèmes
Cette dissociation de l’image et de son support pose cependant des problèmes pratiques.
• Le premier problème est qu’il est difficile de commercialiser une image virtuelle. Le caractère dématérialisé de l’image est difficilement appréhendable par le juriste dès lors qu’en matière de chose, nos lois régissent essentiellement la possession et donc la détention matérielle : « En fait de meubles, la possession vaut titre » (4). Comment peut-on posséder une chose qui n’est qu’une image virtuelle ? La loi va devoir s’adapter à ce nouvel outil et elle commence à le faire. Jusqu’à récemment, la loi limitait la vente volontaire de meubles aux enchères publiques aux seuls biens mobiliers corporels (5), ce qui excluait en France notamment la vente aux enchères des NFT. Or, de telles ventes étaient possibles hors de France. Rappelons que Christie’s à New York avait vendu en mars 2021 le NFT « Everydays: the First 5.000 Days » pour plus de 69,3 millions de dollars (6). Depuis mars 2022, l’interdiction a été levée en France. L’article L320-1 du code du commerce a été modifié par la loi « Moderniser la régulation du marché de l’art » du 28 février 2022 (7). La preuve du dépôt dans la blockchain • Le second problème est de savoir comment accorder de la valeur à une image virtuelle et, ce faisant, comment s’approprier une image virtuelle. Pour être commercialisé, un NFT doit être exposé, et donc être visible de tous. A priori sa valeur ne résulte pas de son exposition. Même s’il est une représentation virtuelle, le NFT, pour être commercialisé, ne peut s’affranchir de tout support. Cette dissociation n’est donc pas totale dès lors que l’image virtuelle est en fait associée à un support unique. L’unicité du support – et donc sa valeur – résultera du fait qu’il sera désigné comme tel par l’auteur du NFT. Et ce, par un dépôt dans la blockchain. Même s’il peut exister plusieurs représentations d’un NFT sur un même type de support, seul sera unique le support du NFT qui aura été désigné comme tel par le créateur dudit NFT. Par exemple, un NFT peut être représenté sur un support extrêmement banal (une vidéo au format mp4 par exemple), copiable par milliers et, en même temps, être unique, parce que son créateur l’aura rendu unique en le déposant dans la blockchain. Cette unicité ne pourra pas être, en droit, remise en cause par l’acquéreur du NFT. En effet, en déposant dans la blockchain une autre copie en mp4 du NFT vidéo unique (notre exemple), ledit acquéreur n’en ferait qu’une contrefaçon
Tout le monde peut voir un NFT s’il est mis en ligne sur une plateforme dédiée, mais une seule personne peut se prétendre détentrice de la preuve du dépôt d’un support unique dans la blockchain. Le NFT permet donc de dissocier l’unicité de la détention du support de celle de la propriété matérielle. Il permet donc d’ajouter une nouvelle modalité à l‘unicité en déclarant le NFT comme tel par son dépôt dans la blockchain. Outre la difficulté du concept, le NFT s’échange en utilisant d’autres outils nouveaux. La commercialisation des NFT suppose d’utiliser un environnement numérique, lui-même source de complexité. En effet, qui veut comprendre le fonctionnement des NFT doit aussi s’initier à la création et l’usage du portefeuille électronique, ou wallet, qui permet en effet de stocker et gérer ses crypto-actifs de la même manière qu’un compte en banque. Mais aussi il doit savoir recourir aux smart contracts (8). L’utilisateur doit aussi de familiariser avec l’utilisation de la cryptomonnaie (monnaie numérique émise de pair-à-pair sur un réseau décentralisé et sans nécessiter de banque centrale), le tout déposé dans la blockchain (là encore sans intermédiaire centralisé).
Enfin, l’échange de NFT suppose le recours à des places de marché. Le NFT est actuellement commercialisé par le biais de plateformes dédiées (OpenSea, Binance, Sorare, …), lesquelles ont imposé leurs pratiques de commercialisation. La difficulté est que l’acheteur du NFT ne sait pas toujours ce qu’il achète, ni comment il l’achète. Les plateformes sont assez « pudiques » sur le sujet, n’offrant qu’un espace de commercialisation (9) et renvoyant aux deux parties le soin de définir la nature et les conditions de « l’échange ». C’est une place de marché qui, assez étrangement, ne fixe pas les conditions juridiques du marché.
Du fait de la nature même du NFT (une représentation virtuelle), toute transaction confère un droit qui n’est pas un droit de propriété contrairement à ce que laisse supposer le vocabulaire utilisé par les plateformes (« acheteur », « vendeur », etc.). Toute commercialisation n’est, en réalité, que l’octroi d’une licence d’utilisation restreinte temporaire donnée par le créateur du NFT à un souscripteur. Cette licence se transmet sur le marché primaire (cession initiale) ou sur le marché secondaire (cessions ultérieures).
S’agissant du marché primaire, la commercialisation suppose la réunion de trois conditions :
Le NFT doit être créé par un artiste ; il s’agit essentiellement d’une œuvre de l’esprit unique qui ne doit pas porter atteinte aux droits des tiers. Le support électronique utilisé pour reproduire ou représenter ce NFT peut être commun (comme un jpeg) ; Le NFT doit être déposé dans la blockchain, et faire l’objet d’un certificat de dépôt pour singulariser et authentifier le NFT. Le support de la représentation devient ainsi unique ; L’artiste doit transférer le NFT au client primaire contre une rémunération dans le cadre d’une licence d’utilisation du NFT, cette licence définissant les conditions dans lesquelles le titulaire peut utiliser le NFT.
S’agissant du marché secondaire, la commercialisation suppose la réunion de deux conditions :
Le client primaire cède son NFT à un client secondaire qui paye le prix net au client primaire et la rémunération directement de l’artiste (généralement 10 %) et le cas échéant, la rémunération technique à la plateforme ; L’artiste confère au client secondaire une nouvelle licence d’utilisation (celle du client primaire devenant caduque du fait de la nouvelle « cession »).

Lenteur d’un consentement éclairé
Par la conclusion d’un contrat de licence à chaque « cession », chacun saurait la réalité de ce qu’il achète et les transactions n’auraient pas à se faire obligatoirement en cryptomonnaie – ce qui supprimerait les risques consécutifs à ce type de moyens de paiement. Cependant, un tel processus est beaucoup plus lourd que les facilités offertes par les plateformes. Il faut donc choisir entre la lenteur d’un consentement éclairé ou la rapidité dans l’ignorance de la nature des droits acquis. @

Le streaming mondial accroît la valorisation des catalogues musicaux qui attisent les convoitises

C’est la course mondiale aux catalogues de titres musicaux que le streaming revalorise, attirant moult candidats à leur rachat (fonds d’investissement, majors, éditeur/publishing, …). Certains se vendent plusieurs millions de dollars, surtout quand les artistes sont devenus mythiques.

La montée en charge du streaming musical donne un coup de fouet à l’industrie de la musique. Au-delà des plateformes numériques telles que Spotify, Deezer, Apple Music ou Qobuz qui font les affaires des majors de la musique enregistrée et des producteurs indépendants, les catalogues des artistes prennent encore plus de valeur. Et lorsque les musiciens et/ou le groupe ont une notoriété internationale, voire mythique, la valorisation de leurs catalogues peut atteindre des sommes records : le catalogue des Pink Floyd pourrait être cédé au moins 500 millions de dollars, a révélé l’agence Bloomberg le 23 juin dernier (1).

« Money », chantaient les Pink Floyd…
Les Pink Floyd veulent ainsi céder leur catalogue au plus offrant et ce ne sont pas les candidats au rachat qui manquent : près de 50 ans après leur titre emblématique « Money », le groupe de rock britannique espère en obtenir plus d’un demi-milliard de dollars. Parmi les acquéreurs potentiels, il y a Sony Music, Warner Music ou encore BMG Rights Management (BMG) avec le soutien du fonds d’investissement newyorkais KKR. Le groupe de « The Wall » ou de « Wish You Were Here », cofondé en 1965 (2), a vendu au total plus de 250 millions de disques dans le monde tous titres confondus, dont 75 millions rien qu’aux Etats-Unis. Cette formation mythique de l’underground londonien, et considérée comme l’un des premiers groupes de musique psychédélique du Royaume- Uni, dispose d’un catalogue qui vaut aujourd’hui une montagne d’or. Le streaming lui redonne même un coup de jeune, surtout si le catalogue mis en vente comprend non seulement les droits d’enregistrement pour leur diffusion en streaming, sur CD ou vinyles, mais aussi les droits d’auteur, de composition ou de synchronisation (3). Les fonds de catalogue ont réémergé avec le streaming, à la faveur de la mode du « vintage » – notamment au profit des années 70 et 80.
Les Pink Floyd pourraient faire mieux que le chanteur-guitariste américain Bruce Springsteen qui a réussi en décembre 2021 à vendre à Sony Music ses droits musicaux pour 500 millions de dollars. Son catalogue ainsi cédé comprend les enregistrements (les «masters ») et les droits d’édition musicale (les « publishing rights »). A 72 ans, le rocker aux plus de 150 millions de disques vendus dans le monde retrouve une seconde jeunesse grâce aux streams de sa musique en ligne qui lui permettent de toucher une nouvelle génération avec ses anciens succès tels que « Born to Run » ou « Born in the USA ». La cession de son catalogue, dont plus de 300 chansons d’une vingtaine d’albums, reste un record pour un musicien seul. Le chanteur-composition américain Bob Dylan (alias Robert Zimmerman, 81 ans), autre icône mondiale immortalisée avec « Blowin’ in the Wind » ou « Mr. Tambourine Man », a lui aussi monnayé son catalogue un demi-milliard de dollars, en cédant d’abord en décembre 2020 à Universal Music ses droits d’auteur portant sur 600 chansons pour 300 millions de dollars, puis en janvier 2022 ses droits d’enregistrement à Sony Music pour 200 millions de dollars. Même les plus réticents à commercialiser leur musique, tels que Neil Young (76 ans), ont cédé aux sirènes de la monétisation de leur catalogue. L’Américano-Canadien, rendu célèbre par ses albums « After the Gold Rush » ou « Harvest » et par le groupe Crosby, Stills, Nash & Young, a finalement vendu la moitié de ses droits d’édition musicale au fonds d’investissement britannique Hipgnosis pour une somme estimée jusqu’à 150 millions de dollars pour plus d’un millier de titres de sa composition.
Hipgnosis Songs Fund (HSM) fut cofondé en 2018 par Merck Mercuriadis (photo de gauche), l’ancien manager d’Elton John ou de Beyoncé entre autres. Elle se présente comme « première société d’investissement britannique offrant aux investisseurs une exposition pure-play aux chansons et aux droits de propriété intellectuelle musicale associés », dont l’objectif est de « construire un portefeuille diversifié, d’acquérir des catalogues qui sont construits autour de succès avérés de chansons d’importance culturelle par certains des plus talentueux et importants auteurs-compositeurs dans le monde », peut-on lire sur son site web (4).

Hipgnosis Songs Fund (HSM) a la cote
Hipgnosis, qui détient aussi les catalogues de George Benson, Mariah Carey, Fleetwood Mac ou encore Justin Bieber, revendique à ce jour 146 catalogues, 65.413 chansons, 14.381 « Top 10 » des chansons dans les charts mondiaux, 3.854 « numéro un » des chansons dans les charts mondiaux, 156 chansons gagnantes des Grammy, ainsi que 56 des 233 chansons du « Billions Club » de Spotify, la première plateforme mondiale de streaming musical. Riche d’un actif de plus de 2,2 milliards de dollars, l’entreprise HSM à fort potentiel – enregistrée sur l’île anglo-normande Guernesey (Manche) mais fiscalement établie au Royaume-Uni depuis avril 2021 en tant que « investment trust » (fonds de placement) – est cotée à la Bourse de Londres depuis juillet 2018 et fait partie depuis mars 2020 de l’indice FTSE 250. Le chanteur américain Justin Timberlake, aux 88 millions de disques vendus, a quant à lui cédé en mai 2022 pour quelque 100 millions de dollars son catalogue de 200 chansons à Hipgnosis Song Capital, société commune créée en octobre 2021 par la société Hipgnosis Song Management, ex-The Family Music (conseil en investissement de Hipgnosis Songs Fund) et le fonds d’investissement américain Blackstone. Les catalogues attirent le private equity Justin Timberlake, chanteur à succès âgé de 41 ans et connu pour «Cry Me a River», «SexyBack» ou «What Goes Around… Comes Around », n’a cependant pas cédé dans ce deal les droits d’auteurs de ses prochaines musiques. Valorisé 350 millions de dollars, Timberlake est considéré comme l’un des solistes les « bankable » de sa génération. HSM ne s’y est pas trompé et vise d’autres catalogues en or. Dans Hipgnosis Song Capital, Blackstone a injecté une « somme initiale » d’environ 1milliard de dollars pour acquérir des droits musicaux et gérer des catalogues.
Lors de l’annonce du partenariat Hipgnosis-Blackstone, Merck Mercuriadis le patron de HSM a indiqué ses ambitions : « Hipgnosis Song Management a clairement établi les chansons comme étant une catégorie d’actifs. Ce nouveau partenariat avec Blackstone nous apportera la solidité financière nécessaire pour investir dans des chansons à grand succès, ainsi que pour développer notre équipe de gestion de chansons et apporter davantage de sophistication à HSM ». Blackstone, qui se présente comme « le plus grand gestionnaire d’actifs alternatifs au monde » (5), a acquis une participation dans HSM et soutient l’expansion de ses infrastructures et de ses fonctions commerciales, afin d’accroître encore la valeur des droits qu’elle acquiert, en collaborant étroitement avec les auteurscompositeurs, les artistes et les producteurs.
Autre géant du « private equity » à l’affût de catalogues musicaux : l’américain Apollo Global Management (6), qui, en octobre 2021, a annoncé la mise en place d’une société d’investissement dotée d’un fonds d’environ 1 milliard de dollars et baptisée HarbourView Equity Partners, cofondée avec l’ancienne banquière de Morgan Stanley, Sherrese Clarke Soares (photo de droite). Après vingt ans dans la finance, celle-ci a fondé en 2019 la société d’investissement Tempo Music Investments soutenue par Providence Equity Partners et la major Warner Music, afin de disposer d’un fonds de plus de 1 milliard de dollars, pour « investir dans des catalogues de chansons » et « crée[r] du contenu exclusif de premier ordre » (7). Parmi ses premières acquisitions de droits d’auteur : les primés aux Grammy, Jeff Bhasker et Shane McAnally, et Ben Rector. Ce fonds basé à Newark, dans le New Jersey (avec des bureaux à New York et à Los Angeles), entend saisir les opportunités d’investissement dans les secteurs du divertissement et des médias, notamment pour « optimiser et améliorer l’héritage de la propriété intellectuelle haut de gamme ». En clair : « Acquérir des droits d’auteur musicaux liés à la musique enregistrée et à l’édition musicale » (8). Le 14 juin dernier, HarbourView a annoncé avoir acquis le catalogue du duo de RnB et hiphop américain Andre Harris et Vidal Davis, connu sous leur nom de scène et d’enregistrement Dre & Vidal. En janvier, c’était le chanteur portoricain de pop-latino, Luis Fonsi (mondialement célèbre grâce à son « Despacito » en duo avec Daddy Yankee, sorti chez Universal Music et repris par Justin Bieber), qui a vendu son catalogue à HarbourView. L’investisseur newyorkais KKR, déjà cité plus haut avec BMG pour s’emparer de la « discographie » Pink Floyd, a finalisé en début d’année l’acquisition du catalogue du label indépendant Kobalt Music Group pour 1,1 milliard de dollars, comprenant les droits du chanteur canadien The Weeknd (9) et de la chanteuse pop néo-zélandaise Lorde, et une prise de participation dans l’entreprise. Cette opération a pu se faire via le consortium Chord Music emmené par KKR justement et le partenaire Stephen Hendel’s family office (du nom d’un ancien de Goldman Sachs). Kobalt avait par ailleurs cédé à Hipgnosis en 2020 ses catalogues de George Benson, Justin Bieber, Mariah Carey ou encore The B-52’s pour 320 millions de dollars.
Preuve, une nouvelle fois, que le capital-investissement croit au potentiel des catalogues de musique. A noter que l’homme d’affaires américain Todd Boehly, cofondateur et PDG de la société d’investissement Eldridge Industries (10), est aussi sur les rangs pour acquérir des catalogues de chansons. Il s’était lui aussi intéressé à Kobalt. Les Big-Three du « disque » – que sont les majors Universal Music (dont le dernier catalogue acquis fin juin est celui du guitariste Frank Zappa), Sony Music et Warner Music – restent pour l’instant les champions des catalogues, mais ils sont de plus en plus concurrencés dans l’acquisition des actifs de propriété intellectuelle.

La concurrence du music rights management
En janvier dernier, Warner Music s’est emparé – via Warner Chappell Music – des droits de la totalité du répertoire (25 albums) du Britannique David Bowie (décédé en 2016) pour 250 millions de dollars. En octobre 2021, BMG a annoncé, lui, avoir acquis – sans divulguer le montant – les droits musicaux de Tina Turner (82 ans), légendaire chanteuse américaine aux 100 millions de disques vendus (« The Best », « Private Dancer », « What’s Love Got To Do With It », …). Warner Music reste sa maison de production. D’autres nouveaux entrants sur ce marché des catalogues revitalisés par le streaming se bousculent tels que Round Hill Music, spécialiste du « music rights management », Concord Music ou Primary Wave Music, pour ne citer qu’eux. @

Charles de Laubier

La bulle « NFT » a-t-elle éclatée ? A moins que les jetons non-fongibles ne reprennent leur souffle

Selon les constatations de Edition Multimédi@ et d’après la plateforme NonFungible de tracking en temps réel du marché mondial des jetons non-fongibles, les fameux NFT, les ventes de ces actifs numérique certifiés par la blockchain ont retrouvé les niveaux d’il y a un an. Pour mieux rebondir ?

Les NFT ne sont pas morts ; ils bougent encore. Ces actifs numériques appelées « jetons non-fongibles » continuent plus que jamais à faire office de certificat d’authenticité inviolable pour propriétaire détenteur d’un bien numérique voire d’un bien physique associé. Cet « acte de propriété » est certifié sur une des nombreuses blockchains disponibles, ces chaînes de blocs cryptées de bout en bout qui permettent d’assurer la traçabilité des transactions dont fait l’objet le bien rare – et cher ? – possédé.

Retour au niveau de juin 2021
D’après l’historique sur un an arrêté au jeudi 26 mai par Edition Multimédi@ à partir des données de la plateforme d’analyse de marché de la société canadienne NonFungible, le marché mondial des NFT a retrouvé les niveaux d’il y a un an. Le nombre de transaction n’est plus que de 15.514 ventes sur cette journée-là pour une valorisation totale de 17 millions de dollars (voir graphique ci-dessous). Autant dire qu’il y a eu une sorte d’éclatement de bulle « NFT » depuis les records atteints l’an dernier, à 224.768 ventes le 24 septembre 2021 pour un total de valorisation de 78,3 millions de dollars ce jour-là. Quant au nombre de vendeurs ou d’acquéreurs actifs de ces tokens de propriété, c’est-à-dire les utilisateurs détenteurs de portefeuilles actifs (active wallets), il n’est plus que de 12.000 à cette même date du jeudi 26 mai comparé aux quelque 120.000 de l’automne dernier. La société NonFungible, basée dans la Nouvelle-Ecosse au Canada et cofondée en 2018 par le Canadien Daniel Kelly alias Dan (avatar de gauche) et le Français Gauthier Zuppinger alias Zoup (avatar de droite), a débuté en suivant les transactions en temps réel de la place de marché Decentraland, pour ensuite étendre son tracking à l’ensemble de la blockchain Ethereum sur laquelle s’appuie aussi bien d’autres plateformes (The Sandbox, OpenSea, Polygon, Rarible, Sorare, Cryptokitties, Audius, Shiba Inu, …). Les données sont collectées directement par NunFungible via des « Blockchain Nodes » afin de suivre 100 % de l’activité des jetons à la norme ERC-721 (1) établie en janvier 2018. Le marché des NFT n’est pas le seul à avoir subi un « krach » puisque, dans un contexte d’inflation, de remontée des taux d’intérêt obligataires et de guerre, l’ensemble de places financières ont sérieusement accusé le coup ces dernières semaines – du Nasdaq (la Bourse newyorkaise de valeur technologique à forte croissance) au cryptomonnaies (le bitcoin en tête), comme l’explique bien l’économiste Marc Touati dans une vidéo démonstrative publiée sur YouTube le 17 mai (2). « L’année 2022 est bien celle de la fin des excès financiers et du retour à la réalité », explique-t-il.
Les NFT, dans le sillage de la chute des cryptomonnaies plus que jamais volatiles, n’échappent pas à ce brusque atterrissage. La société NonFungible a montré dans son « NFT Market Report » portant sur le premier trimestre 2022 que la fin de l’euphorie amorcée fin 2021 s’est confirmée sur les trois premiers mois de l’année. En un an, le nombre des ventes a baissé de presque moitié (47 %) à 7,4 millions et le nombre de d’acquéreurs de près d’un tiers (31 %) à un peu plus 1,1 million. Résultat sur un an : les ventes en valeur ont reculé au premier trimestre de 4,6 %, à 7,8 milliards de dollars (3).
C’est une douche froide par rapport à l’année 2021 qui a affiché (4) des performances record : le nombre des ventes avait bondi de… 1.836 % par rapport à l’année précédente, à plus 27,4 millions, et le nombre de d’acquéreurs de… 2.962 %, à plus de 2,3 millions. Résultat en 2021 : les ventes en valeur avaient explosé de… 21.350 %, à 17,7 milliards de dollars (5). Mais rien ne dit que l’année 2022 ne va pas rebondir et les NFT retrouver des sommets. @

Charles de Laubier

L’AG annuelle d’Orange dans un climat de malaise

En fait. Le 19 mai, se tiendra l’assemblée générale annuelle d’Orange. Elle entérinera la fin de l’ère de Stéphane Richard pour ouvrir celle de Christel Heydemann, le titre de président revenant à Jacques Aschenbroich. Entre grosses rémunérations des dirigeants et échecs des négociations salariales, « le climat social se tend ».

En clair. « Le climat social se tend. L’excès de sous-traitance, comme l’illustre l’affaire Scopelec (1), épuise les équipes en interne. Les résultats sont mauvais malgré les annonces aux marchés. Le moral n’est pas bon. Tout le monde attend la composition de la nouvelle équipe », confie à Edition Multimédi@ une source en interne chez Orange. En cause : les franches augmentations de dirigeants, dont celle de Christel Heydemann. En fonction depuis le 4 avril dernier (2), l’ex-dirigeante de Schneider Electric Europe pourra atteindre au maximum une rémunération double – 2,25 millions d’euros – de celle de Stéphane Richard, PDG jusqu’en janvier 2022 et actuel président jusqu’au 19 mai (en empochant 475.000 euros d’indemnité de départ). Les émoluments de la nouvelle DG comprennent son salaire fixe (900.000 euros) et la part variable (si tous ses objectifs sont atteints), auxquels il faut ajouter l’octroi d’actions gratuites dites de « performance » (814.000 euros au prix du cours au 09- 05-22). Sans parler de la « retraite chapeau » en cas de départ anticipé. La dissociation en début d’année entre directeur général et président va coûter plus cher à Orange car le futur président Jacques Aschenbroich – s’il devait être confirmé par l’allongement de son mandat au-delà de ses 70 ans (résolution 17 à voter à la majorité des deux tiers) – bénéficiera d’un salaire fixe de 450.000 euros. Cette rémunération est le plafond légal pour un président d’une entreprise publique (3), bien que l’Etat ne possède plus que 22,95 % d’Orange. « Le profil de Jacques Aschenbroich fait débat car il entend rester président de Valeo (jusqu’en mai 2023) et au conseil d’administration de BNP Paribas et Total, deux entreprises fournisseurs et concurrents d’Orange sur de nombreux marchés : France, Espagne, Pologne, Afrique. Son cumul passe assez mal auprès des investisseurs », prévient notre interlocuteur.
Quant aux directeurs généraux délégués Ramon Fernandez et Gervais Pellissier, ils seront eux-aussi grassement payés, si – comme pour la nouvelle DG – les actionnaires approuvent les résolutions les concernant lors de l’AG. « Tous perdants… sauf une », regrette le syndicat CFDT en faisant référence aux émoluments de Christel Heydemann. D’autant que cette dernière commence son mandat de DG sur un échec des négociations salariales, en limitant l’augmentation générale à 3% alors que l’inflation est de plus de 5% … @

Le FTTH et la 5G vont permettre aux opérateurs télécoms d’accroître leurs revenus fixe et mobile

La France est en train de tourner la page des télécoms par chères. Les opérateurs télécoms commencent à encaisser des revenus à la hausse, notamment sur les forfaits grâce aux abonnements à la fibre optique et à ceux de la 5G. Les consommateurs voient déjà leurs factures augmenter.

Cela fera vingt ans cette année que le concept de triple play débarquait en France (à l’initiative de Free avec le lancement de la « box » en novembre 2002) pour 29,99 euros par mois. Ce forfait – comprenant la téléphonie, l’accès à Internet et la réception de chaînes de télévision – a défié la concurrence qui s’est alignée sur cette offre avantageuse pour les abonnés. Six ans auparavant, c’était Bouygues Telecom qui inventait en France le premier forfait mobile dont le principe fut adopté par tous ses rivaux, avec parfois des offres agressives à 9,99 euros par mois voire à des prix bien en-dessous.

Fixe et mobile : factures en hausse
Cette période de deux décennies avec des forfaits fixe (à moins de 30 euros par mois) et mobile (à moins de 10 euros par mois) est en passe d’être révolue. Autrement dit, les télécoms commencent à peser plus lourd dans le budget des foyers français. Orange, SFR ou encore Bouygues Telecom font déjà des augmentations « par défaut » du prix de certains forfaits (mobile ou fixe), bien que cette pratique discrète soit controversée. La généralisation de la fibre et de la 5G vont contribuer à augmenter encore plus les factures mensuelles des consommateurs. C’est déjà le cas des 14,4 millions d’abonnés à un forfait de fibre optique de bout en bout dit FTTH (1), ainsi que des 3millions d’abonnés à une offre 5G (au 31 décembre 2021). Si la facture mensuelle moyenne par abonné avait tendance à être plus ou moins stable depuis plusieurs années, elle s’est installée au dernier trimestre 2021 dans la fourchette haute : à 33,5 euros par mois en moyenne pour les abonnements fixe et 14,9 euros par mois en moyenne pour les clients mobile (voir tableau ci-dessous). « Pour l’utilisation d’accès Internet à haut ou très haut débit et les services associés, un abonné dépense en moyenne 33,5 euros HT par mois, une facture qui augmente légèrement depuis le début de l’année 2020 (+ 30 centimes en un an ce trimestre) après deux années de recul continu », constate l’Arcep dans son observatoire du marché des télécoms publié le 7 avril. Et côté mobile : « La facture mensuelle moyenne par carte [SIM] augmente de 3,2 % en un an, et s’élève à 14,9 euros HT. Elle progresse de 50 centimes en un an, et atteint un niveau supérieur à celle observée avant la crise sanitaire ». Ces haussent des montants payés par les abonnés se traduisent par l’augmentation des revenus des opérateurs télécoms, lesquels souhaitent depuis des années une revalorisation de leurs forfaits fixe et mobile soumis depuis des années à une pression des prix (vers le bas) en raison de la bataille tarifaire – notamment entre les quatre principaux opérateurs fixe et mobile que sont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free. Les deux premiers appellent d’ailleurs depuis des mois à un passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France, « pour être plus forts » et « cesser la bataille tarifaire » (2).

Pour l’heure, en 2021, les opérateurs télécoms enregistrent – malgré la crise sanitaire – une hausse de leur chiffre d’affaires total au rythme de 2% à 4% sur un an chaque trimestre, pour atteindre 9,4 milliards d’euros au quatrième trimestre 2021 et totaliser 36,1 milliards en 2021. Selon les calculs de Edition Multimédi@ sur l’année calendaire, cela correspond à une hausse annuelle de 2,5 % entre 2020 (35,238 millions d’euros) et 2021 (36,118 millions d’euros). « Cette progression, qui contraste après plusieurs années (de 2011 à 2020) de recul, est tirée par à la fois les revenus des services mobile et ceux des services fixe », relève l’Arcep. En y regardant de plus près, ce sont les abonnements et forfaits mobile (donc hors cartes prépayées) qui rapportent le plus aux opérateurs télécoms depuis plusieurs années : 3,5 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 13,5 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1% sur un an. Le deuxième poste de recettes le plus élevé pour les opérateurs télécoms réside dans les abonnements d’accès haut et très haut débit à Internet et à la téléphonie (hors autres services Internet comme publicité en ligne ou commerce en ligne) : 2,6 milliards d’euros au quatrième trimestre de 2021 pour un total de 10,2 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse de 5,1 % sur un an. Le fait que ces deux premières sources de revenus des opérateurs télécoms (forfaits et abonnements mobile et fixe) affichent le même taux de croissance l’an dernier (5,1 %) n’est que pure coïncidence, mais cette hausse significative prouve que les consommateurs paient plus cher leurs accès télécoms. Il faut s’attendre à ce que ces hausses tarifaires pour le client final se poursuivent voire s’amplifient avec la généralisation de la fibre et de la 5G aux forfaits plus coûteux.

Les terminaux mobiles rapportent
Quant à la troisième source de revenu des opérateurs télécoms, elle correspond à location ou à la vente de terminaux mobiles tels que les smartphones (n’étant pas comptabilisée ici la vente de terminaux de téléphonie et Internet fixes plus marginale et en déclin) pour un total de 1,1 milliard d’euros au quatrième trimestre de 2021 et un total de 3,3 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, soit une hausse là aussi non négligeable de 7,1 % sur un an. Non seulement ce poste a franchi l’an dernier la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires, mais aussi affiche une hausse supérieure à celles des accès fixe ou mobile. Pour la hausse des ventes d’accès fixe à Internet, par exemple, l’Arcep souligne que « cet accroissement s’explique en partie par l’accélération de la transition du cuivre vers la fibre optique ». D’autant que, pour la première fois, le nombre d’abonnements FTTH (14,4 millions au 31 décembre 2021) dépasse celui des abonnements ADSL/VDSL (12,4 millions). Et le terrain est favorable à la poursuite voire à l’accélération des hausses tarifaires fixes, puisque la fibre est orientée à la hausse et le cuivre à la baisse. « Au total, au 31 décembre 2021, 58 % du nombre total d’abonnements à Internet sont à très haut débit, dont près de 80 % en fibre optique de bout en bout. Parallèlement, le nombre de locaux raccordables au réseau FTTH progresse également fortement chaque année : 29,7millions de locaux le sont ce trimestre, soit + 5,5 millions en un an », détaille l’Arcep.

Baisse du cuivre, hausse des prix
Mais un peu plus de la moitié de ces prises « optiques » raccordables ne font pas encore l’objet d’un abonnement (voir tableau ci-dessus), alors que le raccordement technique lui-même peut poser de sérieux problèmes (3). L’opérateur télécoms historique Orange a d’ailleurs commencé à basculer vers la fibre, avec l’extinction du réseau de cuivre « à partir de 2023 » et sa disparition totale d’ici à 2030 (4). Avec l’explosion de la vidéo en (ultra) haute définition, de la musique en qualité hi-fi (5), des visioconférences ou encore des métavers qui déferlent (lire p. 8 et 9), les usages dévoreurs de bande passante ne manqueront pas de tirer vers le haut les forfaits et abonnements. C’est notamment sensible sur les mobiles.
Rien que sur la 4G encore largement dominante en France, la consommation de données a progressé l’an dernier de 22 % sur un an, à 2,2 exaoctet (Eo) sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 8,6 Eo sur l’année. Ce qui correspond à 12,3 gigaoctets (Go) et par abonné 4G sur le quatrième trimestre de 2021 – soit 47,3 Go sur l’ensemble de l’an dernier. La cinquième génération de mobiles, elle, promet de faire exploser ces volumes de données consommées. Il en coûtera plus cher aux consommateurs. @

Charles de Laubier