Conflit avec TF1 sur la diffusion des chaînes gratuites : ni Orange, ni Free, ni Canal+ n’ont saisi le CSA

Le tribunal de commerce de Paris est-il en train de devenir le nouveau régulateur de l’audiovisuel français ? C’est à se le demander après que Orange et Canal+ aient préféré le saisir – plutôt que le CSA – pour porter plainte contre le groupe TF1 qui veut les faire payer pour la diffusion de ses chaînes.

« Le CSA n’a reçu aucune saisine d’Orange, Free ou Canal+ », a indiqué Nicolas Curien (photo), président du CSA depuis le 26 février (1), à Edition Multimédi@. Mais cela ne l’a pas empêché d’appeler dès le 6 mars au téléphone les groupes Canal+ et TF1 après que le premier ait interrompu, à partir de la nuit du 1er au 2 mars, la diffusion des chaînes du second dans ses offres Canal ADSL ou fibre, et son application MyCanal, mais aussi sur TNT Sat (1,5 million de foyers). Ce « dialogue » initié par
le régulateur de l’audiovisuel, lequel a aussi auditionné le 7 mars les deux parties en conflit, a payé : Canal+ a aussitôt rétabli le jour même, dans la soirée, le signal de TF1 – dont l’audience avait fléchi depuis cinq jours.

Tribunal de commerce Paris ou CSA ?
« Nous n’avons pas le pouvoir de nous autosaisir (2), mais nous pouvons être un facilitateur dès lors que l’on nous saisisse », nous a dit Nicolas Curien. Mais toujours aucune plainte devant le CSA ! Et ce n’est pas faute d’avoir faire un appel du pied à toutes les parties impliquées dans ce conflit : Orange, Free et Canal+ s’opposent au groupe TF1, lequel leur demande de payer pour la diffusion de ses chaînes disponibles en clair (TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI) – alors qu’elles étaient diffusées gratuitement jusqu’à présent. Or les contrats sont arrivés à échéances et TF1 saisit l’occasion pour une offre globale « TF1 Premium » payante.
Au moment où les relations s’étaient envenimées entre, cette fois, TF1 et Orange
– l’opérateur télécoms ayant reçu le 1er février une assignation en justice de la part de la filiale audiovisuelle de Bouygues –, le régulateur avait bien proposé le 7 février ses services : « Le CSA a souhaité exprimer sa préoccupation et manifester sa disponibilité pour accompagner et faciliter ces discussions, en prenant en compte de l’intérêt des téléspectateurs et de la situation économique des opérateurs concernés », avait-il fait valoir. Mais ni TF1 ni Orange ne sont s’en remis au CSA, nous a confirmé Nicolas Curien, les deux parties préférant aller ferrailler devant le tribunal de commerce de Paris – avant d’annoncer le 8 mars « un accord de distribution globale ». L’opérateur télécoms historique avait porté plainte en juillet 2017 contre la chaîne pour abus de position dominante dans la télévision (3). Il en est allé de même pour Canal+ qui a confirmé le 27 février les informations de BFM Business révélant que la filiale du groupe Vivendi avait porté plainte contre TF1 devant ce même tribunal – décidément très sollicité – sur le différend commercial qui les oppose sur la diffusion des chaînes de
TF1 dans CanalSat ou sur MyCanal. « Nous saisissons le tribunal de commerce plutôt que le CSA car c’est une question de principe, étant donné que ces chaînes sont déjà disponibles gratuitement partout », nous a répondu une porte-parole de Canal+.
Et comme jamais deux sans trois, il ne resterait plus qu’à Iliad/Free de porter plainte
à son tour devant le tribunal de commerce. C’est à se demander d’ailleurs si cette juridiction-là ne prend pas des allures de nouveau régulateur de l’audiovisuel français ! Pourtant, le CSA a les compétences pour régler ce genre de différend depuis la loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance audiovisuelle qui l’a doté de pouvoirs économiques (4). Son article 5 prévoit bien qu’« en cas de litige, le CSA assure une mission de conciliation (…) ». Cependant, la loi ne parle pas explicitement de conflits avec les FAI (5) ou les diffuseurs TV. SFR (Altice) avait tout de même saisi en mai 2017 le CSA, plutôt que d’aller traîner TF1 devant la justice.
TF1 avait annoncé le 29 juillet 2017 « la fin des accords de distribution de [ses] chaînes en clair et de MyTF1 avec Numericable-SFR ». Mais, après avoir été saisi, le CSA a été « dessaisi » après que SFR et TF1 aient finalement enterré la hache de guerre en annonçant le 6 novembre dernier «un accord global de distribution ». Le régulateur n’a donc eu à se prononcer sur ce litige-là. Le problème était pourtant le même que pour Orange, Canal+ et Free : refus de payer le nouveau service « TF1 Premium » incluant chaînes en clair, télévision de rattrapage MyTF1, et nouvelles fonctions telles que le
« retour au début » (start-over) ou la « catch-up enrichie » (replay au-delà de 7 jours
et HD). Pour cette nouvelle offre «à valeur ajoutée», le groupe TF1 dirigé par Gilles Pélisson – fort d’un accord avec SFR, d’une part, et avec sa propre filiale Bouygues Télécom, d’autre part – réclame à chacun des FAI et à Canal+ « moins de 20 millions d’euros par an ».

Pas de must carry ni de must offer
Les obligations de must carry ou de must offer pourraientils, eux, s’appliquer aux cas d’espèce : le CSA nous répond que « non, car elles ne s’appliquent pas aux chaînes privées, seulement à France Télévisions, Arte et France Médias Monde ». De son côté, le groupe M6 a réussi à signer – sans faire de vagues, lui – de nouveaux contrats de distribution avec Orange, SFR, Canal+ et Bouygues Telecom. @

Charles de Laubier

Amazon s’apprête à lancer en France « Prime Video » et « Video Direct » à l’assaut de Netflix et YouTube

Dernière ligne droite avant le lancement – probablement cet été en France et
dans d’autres pays – d’Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du
e-commerce. Objectif : détrôner Netflix. Quand à la plateforme de partage Amazon Video Direct, également attendue en 2016, elle vise YouTube.

Amazon Prime Video, le service de SVOD du géant du e-commerce, ne cesse de s’enrichir de séries et de films français. Ses deux dernières acquisitions ont été faites auprès de StudioCanal, la filiale de production et de distribution de films
du groupe Canal+. Il s’agit du thriller « Le Bureau des Légendes » (« The Bureau ») et de la comédie dramatique « Baron noir »,
deux séries actuellement diffusées en France par Canal+ qui
les a financées. Ce n’est pas la première fois que StudioCanal
et Amazon s’associent.

En France cet été, comme en Autralie ?
En novembre 2014, ils avait déjà prolongé un « accord pluriannuel » pour l’exploitation de films au Royaume-Uni et en Allemagne sur à l’époque « Amazon Instant Video », lequel service obtenait les droits exclusifs en première fenêtre de télévision payante
sur tous les films de StudioCanal dans ces deux pays (« Non Stop », « Paddington », « Hunger Games », …).
En décembre dernier, Amazon avait aussi signé un accord de distribution sur plusieurs années avec cette fois EuropaCorp, le studio de cinéma de Luc Besson. La film d’action « Le Transporteur-Héritage » (« The Transporter Refueled ») sera le premier titre disponible sur Amazon Prime Video, suivi du thriller « Shut In » et de la comédie « Nine Lives ». D’autres films d’EuropaCorp seront aussi disponible à terme sur la plateforme SVOD d’Amazon : « Blockbusters », « Taken » ou encore « Lucy ».
Amazon cofinance en outre « The Collection », une coproduction avec France Télévisions et BBC Worldwide, dont le tournage en France et au Pays de Galles – notamment par le studio indépendant français Fédération Entertainment – devait s’achever fin mai sur le thème de Paris dans l’après-Seconde Guerre mondiale. Cette série (8 x 52 mn) sera diffusée en France sur France 3 et sans doute pas la suite sur Amazon Prime Video.
La firme de Jeff Bezos (photo) accélère ainsi l’enrichissement de son catalogue de films et séries en multipliant les accords de diffusion en France, où la plateforme Amazon Prime Video devrait être lancée. Netflix a pris de l’avance sur l’Hexagone, depuis son lancement en septembre 2014, et compterait environ 1million d’abonnés. Pour l’heure, Amazon Prime Video n’est disponible qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche et au Japon.

En France, où le service Prime s’appelle « Premium », le catalogue vidéo de séries
et de films n’est pas encore accessible. Mais le lancement d’Amazon Prime Video en Australie, prévu a priori en août prochain (1), pourrait donner le coup d’envoi d’une nouvelle expansion internationale – dont ferait partie la France (2).
Amazon a préparé le terrain lors du 69e Festival international du film de Cannes (lire encadré page suivante), où quatre productions dont le géant du e-commerce a les droits de distribution faisaient partie de la sélection officielle : « Café Society » de Woody Allen (qui s’est engagé auprès d’Amazon de créer sa première série télé sur Amazon Prime Video (3)), « The Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, « The Handmaiden » de Park Chan-wook, « Paterson » de Jim Jarmusch.
Amazon va jusqu’à faire des pieds de nez à la chronologie des médias, même aux Etats-Unis, où le film « Chi-raq » de Spike Lee – premier film produit par Amazon Studios – a été diffusé lors de sa sortie fin 2015 simultanément dans quelques salles
et en streaming sur Amazon Prime Video – ce qui a fait frémir certains inconditionnels des fenêtres de diffusion. En France, lors de la présentation de la sélection officielle du Festival de Cannes, le délégué général du festival Thierry Frémaux – interrogé par un journaliste américain du Hollywood Reporter à propos d’Amazon au regard de la chronologie des médias – avait tenu à préciser que les films présentés à Cannes et distribués par Amazon sortiraient d’abord dans les salles de cinémas avant d’être proposés en streaming sur Internet… Amazon ne veut en tout cas pas laisser seul Netflix perturber la chronologie des médias (4).

Des exclusivités « Not on Netflix »
Quoi qu’il en soit, la firme de Jeff Bezos tente de se positionner comme une alternative à Netflix, quitte à mettre en avant les films et séries estampillés « Prime Member Exclusives: Not on Netflix » et ses propres productions telles que « Transparent »,
« Mozart in the Jungle », « Man in the High Castle » ou encore le futur long-métrage
« Untitled Woody Allen Project » (5). Certaines de ses productions originales ont été primées aux Golden Globes et plébiscitées par le public. A signaler qu’Amazon finance par ailleurs la comédie « Jean-Claude Van Johnson », où l’acteur belge Jean-Claude Van Damme aura le premier rôle. Amazon produit aussi des série télé telles que
« Alpha » ou « Beta », et a lancé en avril sa première série documentaire en partenariat avec le magazine The New Yorker. Les premiers épisodes de « The New Yorker Presents » (une demi-heure chaque) ont été montrés au MipDoc, en avril dernier à Cannes (6).

16 films par an, candidats aux Oscars
Jeff Bezos veut clairement décrocher un Oscar après avoir obtenu en 2015 cinq Emmys avec « Transparent ». Dans un entretien au quotidien allemand Die Welt en décembre dernier, il a indiqué que son groupe avant l’ambition de produire 16 films
par an.
Malgré cette montée en puissance dans la production audiovisuelle et cinématographique, Amazon Prime Video a du mal à se faire une place, coincé entre YouTube et Netflix. Aux Etats-Unis, selon un sondage de Morgan Stanley portant sur la satisfaction des consommateurs vis à vis des services de SVOD, Amazon ne recueille que 5 % d’avis positifs pendant que Netflix et HBO s’arrogent respectivement 29 % et 18 % d’opinions favorables. Et selon une étude de Parks Associates cette fois, Netflix pèse 52 % des abonnements des offres vidéo en OTT (Over-The-Top) avec 52 % des abonnements, quand Amazon représente seulement un peu plus de 20 % des abonnés.
La vidéo est plus que jamais au cœur de l’écosystème Prime d’Amazon. Faisant figure de bouquet de services en ligne, où sont proposés des livraisons gratuites de produits achetés sur les sites web du géant du e-commerce (dont la livraison dans l’heure Prime Now), ainsi que de plus en plus de contenus numériques tels que la vidéo, de la musique ou encore des livres numériques, Prime est largement développé aux Etats-Unis, avec quelque 50 millions d’abonnés (7), mais monte en puissance en Europe. Pour faciliter le recrutement de nouveaux abonnés, Prime est non seulement payable
à l’année (99 dollars ou, en Europe, 49 euros) mais aussi désormais par mois sans engagement et résiliable à tout moment. Objectif : attirer des utilisateurs périodiques ou tentés par Amazon mais hésitant à franchir le pas, tandis que ceux décidés à s’abonner pour un an auront un tarif annuel 25 % moins élevé que le paiement mensuel sur douze mois.
Cela ne l’empêche pas de proposer depuis avril dernier une offre d’Amazon Prime Vidéo distincte de son écosystème composite Prime, afin de séduire ceux qui seraient tenter d’aller s’abonner chez Netflix ou tout simplement de les inciter à essayer son service de SVOD en version HD voire ultra-HD pour seulement 8,99 dollars par mois sans engagement et en consommation illimitée. L’objectif de ce service de séries et de films en streaming, lancé il y a cinq ans, est clairement de marcher sur les plates-bandes de Netflix, dont l’abonnement commence à 7,99 par mois mais haute définition. Amazon propose aussi à ses utilisateurs de tablette Kindle Fire HD ou d’application Amazon de regarder des contenus en mode hors ligne, afin de se différencier de Netflix qui ne propose pas cette facilité d’usage. Reste à ce que le lecteur Prime Video soit bien supporté par les appareils de diffusion vidéo tels que l’Apple TV ou le Chromecast de Google, comme avec ses propres produits (Fire TV et Fire TV Stick). Or, ce n’était pas le cas. Du coup, depuis l’automne dernier, Jeff Bezos refuse de les vendre sur les sites marchands d’Amazon… @

Charles de Laubier

ZOOM

Amazon Video Direct, bientôt en France, à la conquête de YouTube
C’est en France, le 15 mai dernier sur la Croisette que le géant du e-commerce a annoncé le lancement prochain sur l’Hexagone de la plateforme d’hébergement et de monétisation vidéo Amazon Video Direct (8). Déjà disponible depuis le mois dernier
aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche, au Royaume-Uni et au Japon, Amazon Video Direct se veut un concurrent de YouTube (Google) et de Dailymotion (Vivendi).

Présent au Festival de Cannes, le directeur d’Amazon Studios, Jason Ropell, a expliqué que cette nouvelle plateforme selfservice était particulièrement destinée aux créateurs de vidéo souhaitant partager et monétiser leurs œuvres – par la publicité ou en mode payant à la demande. Selon l’accord de licence, il sera versé aux détenteurs des vidéos 50 % des revenus tirés de la location ou de la vente du titre, ou 55 % des recettes publicitaires générées dans la partie gratuite du site web. Il est en outre proposé d’inclure les vidéo produites dans le service Amazon Prime Video. Les créateurs pourront alors percevoir 0,15 dollar par heure de visionnage de leurs films aux Etats-Unis, ainsi que 0,06 dollar dans les autres pays. Amazon a fixé un plafond annuel à 500.000 heures par titre, limitant le versement à 75.000 dollars maximum par an et par vidéo mise en ligne. Un bonus de 1 million de dollars est par ailleurs mis en jeu chaque mois à destination des cent premiers titres à succès d’Amazon Video Direct au niveau mondial. Le premier versement sera effectué sur la base des performances enregistrées entre le 1er et le 30 juin.
Au moment du lancement d’« AVD » dans cinq premiers pays, il y a plus d’un mois maintenant, Amazon revendiquait plus d’une quinzaine de partenaires médias ou cinéma – parmi lesquels : Condé Nast Entertainment, The Guardian, Mashable,
Samuel Goldwyn Films, Mattel, Xive TV. @

Attribution des 700 Mhz fin 2015 et arrêt du Mpeg-2 à partir d’avril 2016 : la grande précipitation

C’est ce 5 octobre qu’est définitivement adoptée la loi sur le deuxième
« dividende numérique » et la modernisation de la TNT. La bande des 700 Mhz
va être attribuée aux opérateurs mobile dès la fin de l’année. La précipitation pourrait aboutir à un écran noir pour beaucoup de téléviseurs.

Le Sénat et l’Assemblée nationale adoptent, à l’issue d’une séance publique prévue
le 5 octobre, la loi sur le deuxième dividende numérique et la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT). Elle sera promulguée dans les prochains jours au Journal Officiel. C’est l’aboutissement de plusieurs années de débats autour du sort réservé à la bande des 700 Mhz, ces fréquences allant de 694 à 790 Mhz et étant considérées « en or » en termes de caractéristiques techniques et de qualité de propagation.

L’Etat brade-t-il ses fréquences ?
Leur longueur d’onde peu élevée permet d’intégrer des antennes de réception miniatures à l’intérieur des terminaux mobiles et offrent une meilleure portée, y compris à l’intérieur des bâtiments. A couverture égale, ces fréquences dites du « deuxième dividende numérique » (le premier correspondant aux fréquences libérées par l’extinction de la diffusion analogique de la télévision) exigent bien moins de relais,
donc moins d’investissement de la part des opérateurs télécoms qui en hériteront pour faire face à l’accroissement du trafic sur Internet (vidéo en tête). Mais l’Etat compte monnayer ces fréquences en or au prix fort et en obtenir au minimum 2,5 milliards d’euros (1), le prix dit « de réserve » (ou prix minimum de départ) a été fixé à 416 millions d’euros pour chacun des six blocs de fréquences mis aux enchères. Certains parlementaires ont fait remarqué, études économiques à l’appui, que le prix des fréquences de la bande des 700 Mhz devrait être plus élevé en 2020 lorsque les opérateurs en auront le plus besoin. Aussi, en les cédant dès cette année 2015,
le gouvernement français en tirera un prix moindre…
La procédure d’appel à candidatures – en vue de « l’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 700 Mhz en France métropolitaine pour
établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public » – a été lancée par arrêté du 6 juillet dernier – signé par Emmanuel Macron, ministre chargé des communications électroniques, et Axelle Lemaire (2), et publié au J.O. du 9 juillet –, les acteurs ayant été invités à déposer leur dossier de candidature avant le 29 septembre. L’Arcep, qui a indiqué à cette échéance la participation de Bouygues Télécom, Numericable-SFR, Free et Orange, communiquera vers le 13 octobre aux candidats la date (en novembre), l’heure et le lieu du début de l’enchère, puis la liste des candidats admis à participer aux enchères sera rendue publique vers le 27 octobre. Quant à la délivrance des autorisations aux candidats retenus, elle devrait intervenir vers le 1er décembre prochain (3). Le timing est très serré. Free, dernier arrivé sur le marché mobile, possède moins de fréquences que ses trois autres concurrents. L’opérateur créé par Xavier Niel serait en mesure d’acquérir jusqu’à la moitié des fréquences mises aux enchères (trois blocs de 5 Mhz au lieu de deux pour les autres), afin de rendre la concurrence entre les quatre opérateurs mobile plus loyale et d’accélérer le déploiement de son réseau 4G. A défaut d’avoir pu réserver des fréquences à la filiale du groupe Iliad, car « trop risqué » selon une analyse juridique révélée en mai dernier (4), l’Etat et le régulateur des télécoms pourraient très bien donner a fortiori un coup
de pouce à Free Mobile pour rattraper son retard sur les trois autres.

Un « 3e dividende numérique » en 2030
Mais, dans cette précipitation générale qui ne plait ni aux télécoms ni à l’audiovisuel (voir encadré page suivante), les éditeurs de télévision peuvent s’estimer heureux car ils échappent – du moins jusqu’à 2030 – à un troisième dividende numérique que sont les fréquences en dessous des 700 Mhz. C’est justement ce que préconisaient deux rapports successifs remis à la Commission européenne il y a un an maintenant, celui
de Pascal Lamy en septembre 2014 et celui du RSPG (5) en novembre 2014.
La loi française adoptée le 5 octobre dernier le prévoit : « Par dérogation (…), la bande de fréquences radioélectriques 470-694 mégahertz reste affectée, au moins jusqu’au 31 décembre 2030, au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour la diffusion de services de télévision par voie hertzienne terrestre ». Cela n’empêche qu’avec la libération de la bande 700 Mhz au profit des opérateurs mobile, la télévision va devoir
in fine réduire sa consommation de spectre de fréquences d’un tiers. Et cette cure d’amaigrissement spectral va démarrer dans six mois maintenant. « En Ile-de-France, la bande 700 Mhz sera utilisable par les opérateurs mobile dès le mois d’avril 2016, donc un peu plus de quatre mois après que les fréquences leur auront été attribuées par le régulateur. Les autres régions leur seront accessibles entre octobre 2017 et juin 2019 », nous a précisé le directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFr), Gilles Brégant, dans une interview exclusive à Edition Multimédi@ (6).

La télé joue à qui perd gagne !
Le gouvernement, qui presse le pas de tous acteurs, a d’ailleurs annoncé que la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA) se réunira le 4 novembre prochain pour examiner les conditions d’avancement de l’arrêt du Mpeg-2 envisagé dans la nuit du 5 au 6 avril prochains : faudra-t-il se résoudre finalement à échelonner l’arrêt du Mpeg-2 en région parisienne entre avril et septembre 2016 ? Reste que cette réduction spectrale d’un tiers pour l’audiovisuel est censée être compensée par : d’une part, la généralisation du Mpeg-4, norme de haute définition introduite en France pour les chaînes payantes dès le lancement de la TNT il y a dix ans (en 2005) et consommant près de deux fois moins de spectre que la simple définition du Mpeg-2 à qualité équivalente ; d’autre part, la fin des doubles diffusions
de certaines chaînes (TF1, France 2, M6 et Arte) proposées aujourd’hui à la fois en Mpeg-2 et en Mpeg- 4 au profit d’une diffusion HD quasi généralisée. Quant au passage envisagé dans le futur en DVBT2/HEVC, il permettrait, sans toucher aux fréquences, de démultiplier la capacité disponible. « A qualité d’image équivalente,
le DVB-T2 procure 30 % de gain par rapport au DVB-T, et le HEVC est deux fois plus efficace que le Mpeg-4. La combinaison DVBT2/ HEVC permettrait, selon le choix des chaînes, de diffuser une partie du bouquet TNT en ultra-HD », nous a expliqué Gilles Brégant.
Le gouvernement a aussi fait part de son intention de rechercher « dans les semaines
à venir » une solution transactionnelle avec les sociétés concernées que sont les opérateurs techniques de diffusion tels que TDF, Towercast et Itas-Tim (à qui le gouvernement reconnaît l’existence d’un préjudice). « Le coût de ces conventions sera inscrit dans la loi de Finances 2016 », précise le Parlement à l’issue de la commission mixte paritaire (CMP) où députés et sénateurs s’étaient mis d’accord le 15 septembre dernier sur le texte final du projet de loi. Quoi qu’il en soit, cette loi prévoit que le principe de la couverture à 95 % du territoire par la TNT est préservé pour les chaînes diffusées en numérique. Le CSA pourra refuser son agrément au rachat d’une chaîne de la TNT qui n’aurait pas respecté ses obligations conventionnelles. Le gouvernement est en outre tenu de remettre « dans les trois mois » au Parlement un rapport sur l’éligibilité à l’aide financière à l’équipement des foyers qui reçoivent la TNT par voie satellitaire. @

Charles de Laubier

ZOOM

Dans six mois : fin du Mpeg-2 et risque d’écran noir
Que cela soit les opérateurs télécoms, les diffuseurs audiovisuels, les éditeurs de programmes ou encore
les fabricants de téléviseurs, les différents acteurs se demandent encore quelle mouche a piqué le gouvernement pour précipiter le transfert de la bande des 700 Mhz et la vente aux enchères de ces « fréquences en or » d’ici la fin de l’année. Pourquoi n’a-t-il pas reporté le basculement à 2017 comme le préconisaient certains ? D’autant qu’il n’y a pas de « date limite » imposée dans l’Union européenne : seule l’année 2020 a été recommandée par le RSPG (7).
Mais pour la France, pas question de moratoire : il s’agit seulement de boucler le financement de la loi de Programmation militaire, 2,5 milliards d’euros susceptibles
de provenir au minimum de ces enchères étant déjà inscrits dans le projet de loi de Finances 2015 au titre des crédits pour la Défense.
Des parlementaires, dont la rapporteure du projet de loi, la sénatrice (UDI) Catherine Morin-Desailly (photo), regrette que dans l’urgence le projet de loi – initié par le ministère de la Culture et de la Communication – n’ait pu faire l’objet d’un avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact pour y voir plus clair. Le risque de cette précipitation – y compris au regard de la compatibilité des téléviseurs avec la norme
HD Mpeg- 4 (un quart du parc en France ne serait pas au norme) – est que des millions de Français se retrouvent avec un écran noir lors des basculement programmés progressivement d’avril 2016 (en Ile-de- France) à juin 2019 (les autres régions).
Sans parler du risque de pénurie de décodeurs.
La campagne de communication prévue par le gouvernement à partir de novembre,
les « cadeaux » de Noël et les aides financières (25 euros pour un adaptateur aux exonérés de la redevance et 120 euros pour les foyers modeste) ne suffiront sans doute pas pour créer de la sérénité audiovisuelle dans les foyers… Coût pour l’Etat :
80 millions d’euros. @

Musique : face au streaming, le téléchargement mise sur la qualité sonore, mais avec des tarifs peu lisibles

L’année 2014 aura été celle du « délitement du téléchargement » dans la musique en ligne. Mais la meilleure qualité sonore des fichiers est devenu un nouvel enjeu pour les plateformes. Mais pour l’Observatoire de la musique, cela s’accompagne d’une stratégie commerciale et tarifaire « peu lisible ».

« Le second semestre 2014 confirme le changement de paradigme définitif de l’économie musicale. En effet, semestre après semestre, nous assistons à un délitement du téléchargement. Constaté dès septembre 2013, le recul du téléchargement s’est aggravé au cours de l’année 2014 qui n’a connu en termes de chiffre d’affaires aucune période mensuelle de croissance », constate le rapport semestriel (1) de l’Observatoire de la musique, réalisé avec la collaboration de Xavier Filliol (photo), expert indépendant et par ailleurs trésorier du Syndicat des éditeurs
de services de musique en ligne (ESML), lequel est membre du Geste dont il est coprésident de la commission Musique & Radio.

Nouveau paradigme musical
Après la fermeture en toute discrétion du service de téléchargement chez le suédois Spotify début 2013, ce fut au tour d’Orange d’y mettre un terme – entraînant dans la foulée la fin du téléchargement chez le français Deezer (2). D’autres services ont aussi arrêté le téléchargement de musiques : Rhapsody, Nokia, Rdio ou encore Mog. Lorsque ce ne fut pas la fermeture du service lui-même : We7, VirginMega ou encore Beatport.
« Face à ce délitement, on voit poindre une stratégie commerciale – de nouveau – peu lisible, où l’on joue la qualité sonore, vertu du confort d’écoute, comme la variable d’une politique tarifaire qui n’est pas sans poser problème. Ainsi, le focus prix met en évidence des écarts très significatifs sur un même album, ce qui n’est pas sans rappeler les abus mortifères pour l’économie du disque que nous avons connus il y a
15 ans dans le physique », déplore l’Observatoire de la musique, lui-même créé il y a maintenant 15 ans au sein de la Cité de la musique (3). Le second semestre de l’an dernier est marqué par l’amélioration de la qualité sonore, qui devient un nouvel enjeu pour les plateformes de téléchargement de musique. C’est ainsi que sont apparues de nouvelles offres telles que celles de l’allemand HighResAudio, dont les albums peuvent être téléchargés en très haute résolution sonore (24 bits à des taux d’échantillonnage de 88,2 Khz à 384 Khz), et du label britannique Warp Records et son service Bleep proposant des titres ou des albums au format MP3 encodé à 320 Kbit/s, des versions Flac (4) pour certains téléchargements, ainsi que des versions Wav non compressées.

Il y a aussi la plateforme du label allemand Deutsche Grammophon de musique classique qui intègre iTunes pour le téléchargement. Ils rejoignent ainsi le français Qobuz qui, créé en 2008, a abandonné le format MP3 dès 2012 pour miser exclusivement sur la qualité audio HD. Les hauts niveaux de qualité sonore permettent aux plateformes de téléchargement de proposer des tarifs plus élevés, limitant tant bien que mal la chute des revenus face à la montée en charge du streaming. Les prix pratiqués par Qobuz sont présentés selon le format de fichier proposé au téléchargement : si la qualité CD a remplacé le MP3, l’offre Studio Masters disparaît au bénéfice de l’offre dite Hi-Res (pour haute résolution) qui propose des fichiers encodés 24 bits/44.10 Khz et jusqu’à 192 Khz sans perte. Une autre plateforme, 7Digital, a aussi fait le choix depuis fin 2013 d’améliorer la qualité de ses fichiers audio et d’adopter une nouvelle politique tarifaire avec des prix différents au téléchargement en fonction de la qualité des fichiers (5).
Mais la tendance à la hausse des tarifs justifiés par une meilleure qualité sonore aboutit à « quelques errements » (dixit le rapport), notamment avec un écart maximal de plus de 42 euros sur un album jazz entre sa version normale sur Google Play (à 9,99 euros) et sa version en son HD sur 7Digital (à 52,64 euros). Mais le téléchargement n’a pas le monopole de la meilleure qualité sonore. Le streaming HD, aux tarifs plus lisibles (avec un abonnement de 9,99 euros par mois), se développe lui aussi. Après Spotify, Deezer vient à son tour de lancer la qualité CD au format Flac.

Le retour de la hi-fi hd
Des partenariats se multiplient en outre autour des fabricants de ces appareils hi-fi numériques sans fil tels que l’américain Sonos qui intègre par exemple les plateformes Fnac Jukebox, Soundcloud, Tidal (récemment acquis par l’artiste américain Jay-Z) ou encore Spotify. « Si l’amélioration de la qualité sonore est le nouvel enjeu de bon nombre de plateformes, leur intégration au sein des systèmes audioconnectés n’en est pas moins essentielle, tant l’équipement ou le rééquipement du foyer (de l’écran 4K au système multi-room) est susceptible de constituer l’un des loisirs domestiques des plus prisés », souligne l’Observatoire de la musique. Et la TV connectée devrait accroître la visibilité de ces plateformes musicales dans les foyers. @

Charles de Laubier

Face au visionnage limité de la VOD, le téléchargement définitif (EST) devrait enfin décoller en 2015

Après Apple/iTunes et Orange/FilmoTV, c’est au tour de Numericable SFR de proposer en France le téléchargement définitif de films ou séries, appelé « EST » pour Electronic Sell Through. Malgré un prix d’achat encore élevé, cette pratique pourrait compenser la chute des DVD/Blu-ray.

Alors que la vidéo à la demande (VOD) à l’acte en France peine à progresser et que la VOD par abonnement (SVOD) est encore embryonnaire, la pratique du téléchargement définitif de films et séries – que l’on achète une fois pour le stocker numériquement chez soi – devrait prendre de l’ampleur en 2015. Selon le cabinet d’études audiovisuelles NPA Conseil, ce que les Anglo-saxons appellent EST (Electronic Sell Through) ne pesait en France que 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010.
L’an dernier, c’était dix fois plus – soit 50 millions d’euros, contre 40 millions en 2013.
Et en 2018, les prévisions font état de 80 millions d’euros (voir graphique ci-dessous).
20 millions de comptes UltraViolet
Bien qu’encore cher (entre 10 et 17 euros à l’achat pour un film récent sur iTunes par exemple), le téléchargement définitif devrait profiter en France d’une offre élargie avec Apple, principal fournisseur EST, Orange associé à Filmo TV (Wild Bunch) et maintenant Numericable SFR, nouvel entrant sur ce segment de marché depuis fin 2014. Quant à la solution hollywoodienne « UltraViolet », lancée discrètement en France fin 2013, elle pourrait contribuer à la démocratisation du téléchargement définitif dans l’Hexagone. Selon nos informations, UltraViolet a franchi le cap des 20 millions
de comptes ouverts dans le monde pour un chiffre d’affaires de plus de 500 millions
de dollars l’an dernier. Ce standard fut lancé en juillet 2010 par le consortium Derec (1) réunissant des industriels et les majors du cinéma NBC Universal, Paramount, Warner Bros et Sony Pictures. Cependant, Disney ne fait pas partie du consortium Derec et concurrence UltraViolet avec Digital Copy Plus (2).
UltraViolet permet aux utilisateurs d’acquérir une seule fois un film sur DVD ou Blu-ray puis de regarder aussi en VOD sur le terminal de leur choix (ordinateur, tablette, smartphone, console de jeu, téléviseur connecté, …). Il suffit de créer son compte sur
le site web UltraViolet (www.uvvu.com) ou d’un partenaire (Sony Pictures ou Flixster en France) pour se constituer un « panier de droits » interopérables. Contrairement à la VOD à l’acte ou la VOD en location, dont l’oeuvre est mis à disposition temporairement selon le principe d’une simple licence d’usage limitée dans le temps, le téléchargement définitif fait que vous détenez les droits d’utilisation de façon illimitée. « Votre Bibliothèque apparaît sous forme de liste des films et séries dont vous détenez les droits, accompagnée des informations sur les droits spécifiques impliqués tels que la qualité HD ou SD ou l’obtention d’une copie physique », explique le site uvvu.com.

Et de préciser cependant une limite dans le foyer : « Les bibliothèques UltraViolet sont gratuites, avec un accès illimité pour organiser vos films et séries TV, jusqu’à six identifiants ». Surtout, l’EST permet de visionner le contenu hors ligne : l’utilisateur peut emporter son films ou sa série en voyage, lors de ses déplacements, chez des proches ou amis, etc. Ce que ne permet pas de faire la VOD en streaming, qui plus est limitée dans son usage. Les Etats-Unis est le pays le plus consommateur d’EST, où le marché de l’achat définitif de vidéos (DVD, Blu-ray et EST) a été largement soutenu par « une évolution règlementaire de taille » pour reprendre l’expression du cabinet de conseil Kurt Salmon : une nouvelle fenêtre d’exclusivité de trois semaines pour l’EST, positionnée avant la fenêtre VOD, et cela couplé avec l’essor d’UltraViolet. Outre-Atlantique, selon NPD Group, les transactions en EST étaient en augmentation de 68 % au premier semestre 2014. @

Charles de Laubier