Attribution des 700 Mhz fin 2015 et arrêt du Mpeg-2 à partir d’avril 2016 : la grande précipitation

C’est ce 5 octobre qu’est définitivement adoptée la loi sur le deuxième
« dividende numérique » et la modernisation de la TNT. La bande des 700 Mhz
va être attribuée aux opérateurs mobile dès la fin de l’année. La précipitation pourrait aboutir à un écran noir pour beaucoup de téléviseurs.

Le Sénat et l’Assemblée nationale adoptent, à l’issue d’une séance publique prévue
le 5 octobre, la loi sur le deuxième dividende numérique et la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT). Elle sera promulguée dans les prochains jours au Journal Officiel. C’est l’aboutissement de plusieurs années de débats autour du sort réservé à la bande des 700 Mhz, ces fréquences allant de 694 à 790 Mhz et étant considérées « en or » en termes de caractéristiques techniques et de qualité de propagation.

L’Etat brade-t-il ses fréquences ?
Leur longueur d’onde peu élevée permet d’intégrer des antennes de réception miniatures à l’intérieur des terminaux mobiles et offrent une meilleure portée, y compris à l’intérieur des bâtiments. A couverture égale, ces fréquences dites du « deuxième dividende numérique » (le premier correspondant aux fréquences libérées par l’extinction de la diffusion analogique de la télévision) exigent bien moins de relais,
donc moins d’investissement de la part des opérateurs télécoms qui en hériteront pour faire face à l’accroissement du trafic sur Internet (vidéo en tête). Mais l’Etat compte monnayer ces fréquences en or au prix fort et en obtenir au minimum 2,5 milliards d’euros (1), le prix dit « de réserve » (ou prix minimum de départ) a été fixé à 416 millions d’euros pour chacun des six blocs de fréquences mis aux enchères. Certains parlementaires ont fait remarqué, études économiques à l’appui, que le prix des fréquences de la bande des 700 Mhz devrait être plus élevé en 2020 lorsque les opérateurs en auront le plus besoin. Aussi, en les cédant dès cette année 2015,
le gouvernement français en tirera un prix moindre…
La procédure d’appel à candidatures – en vue de « l’attribution d’autorisations d’utilisation de fréquences dans la bande 700 Mhz en France métropolitaine pour
établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public » – a été lancée par arrêté du 6 juillet dernier – signé par Emmanuel Macron, ministre chargé des communications électroniques, et Axelle Lemaire (2), et publié au J.O. du 9 juillet –, les acteurs ayant été invités à déposer leur dossier de candidature avant le 29 septembre. L’Arcep, qui a indiqué à cette échéance la participation de Bouygues Télécom, Numericable-SFR, Free et Orange, communiquera vers le 13 octobre aux candidats la date (en novembre), l’heure et le lieu du début de l’enchère, puis la liste des candidats admis à participer aux enchères sera rendue publique vers le 27 octobre. Quant à la délivrance des autorisations aux candidats retenus, elle devrait intervenir vers le 1er décembre prochain (3). Le timing est très serré. Free, dernier arrivé sur le marché mobile, possède moins de fréquences que ses trois autres concurrents. L’opérateur créé par Xavier Niel serait en mesure d’acquérir jusqu’à la moitié des fréquences mises aux enchères (trois blocs de 5 Mhz au lieu de deux pour les autres), afin de rendre la concurrence entre les quatre opérateurs mobile plus loyale et d’accélérer le déploiement de son réseau 4G. A défaut d’avoir pu réserver des fréquences à la filiale du groupe Iliad, car « trop risqué » selon une analyse juridique révélée en mai dernier (4), l’Etat et le régulateur des télécoms pourraient très bien donner a fortiori un coup
de pouce à Free Mobile pour rattraper son retard sur les trois autres.

Un « 3e dividende numérique » en 2030
Mais, dans cette précipitation générale qui ne plait ni aux télécoms ni à l’audiovisuel (voir encadré page suivante), les éditeurs de télévision peuvent s’estimer heureux car ils échappent – du moins jusqu’à 2030 – à un troisième dividende numérique que sont les fréquences en dessous des 700 Mhz. C’est justement ce que préconisaient deux rapports successifs remis à la Commission européenne il y a un an maintenant, celui
de Pascal Lamy en septembre 2014 et celui du RSPG (5) en novembre 2014.
La loi française adoptée le 5 octobre dernier le prévoit : « Par dérogation (…), la bande de fréquences radioélectriques 470-694 mégahertz reste affectée, au moins jusqu’au 31 décembre 2030, au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour la diffusion de services de télévision par voie hertzienne terrestre ». Cela n’empêche qu’avec la libération de la bande 700 Mhz au profit des opérateurs mobile, la télévision va devoir
in fine réduire sa consommation de spectre de fréquences d’un tiers. Et cette cure d’amaigrissement spectral va démarrer dans six mois maintenant. « En Ile-de-France, la bande 700 Mhz sera utilisable par les opérateurs mobile dès le mois d’avril 2016, donc un peu plus de quatre mois après que les fréquences leur auront été attribuées par le régulateur. Les autres régions leur seront accessibles entre octobre 2017 et juin 2019 », nous a précisé le directeur général de l’Agence nationale des fréquences (ANFr), Gilles Brégant, dans une interview exclusive à Edition Multimédi@ (6).

La télé joue à qui perd gagne !
Le gouvernement, qui presse le pas de tous acteurs, a d’ailleurs annoncé que la Commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle (CMDA) se réunira le 4 novembre prochain pour examiner les conditions d’avancement de l’arrêt du Mpeg-2 envisagé dans la nuit du 5 au 6 avril prochains : faudra-t-il se résoudre finalement à échelonner l’arrêt du Mpeg-2 en région parisienne entre avril et septembre 2016 ? Reste que cette réduction spectrale d’un tiers pour l’audiovisuel est censée être compensée par : d’une part, la généralisation du Mpeg-4, norme de haute définition introduite en France pour les chaînes payantes dès le lancement de la TNT il y a dix ans (en 2005) et consommant près de deux fois moins de spectre que la simple définition du Mpeg-2 à qualité équivalente ; d’autre part, la fin des doubles diffusions
de certaines chaînes (TF1, France 2, M6 et Arte) proposées aujourd’hui à la fois en Mpeg-2 et en Mpeg- 4 au profit d’une diffusion HD quasi généralisée. Quant au passage envisagé dans le futur en DVBT2/HEVC, il permettrait, sans toucher aux fréquences, de démultiplier la capacité disponible. « A qualité d’image équivalente,
le DVB-T2 procure 30 % de gain par rapport au DVB-T, et le HEVC est deux fois plus efficace que le Mpeg-4. La combinaison DVBT2/ HEVC permettrait, selon le choix des chaînes, de diffuser une partie du bouquet TNT en ultra-HD », nous a expliqué Gilles Brégant.
Le gouvernement a aussi fait part de son intention de rechercher « dans les semaines
à venir » une solution transactionnelle avec les sociétés concernées que sont les opérateurs techniques de diffusion tels que TDF, Towercast et Itas-Tim (à qui le gouvernement reconnaît l’existence d’un préjudice). « Le coût de ces conventions sera inscrit dans la loi de Finances 2016 », précise le Parlement à l’issue de la commission mixte paritaire (CMP) où députés et sénateurs s’étaient mis d’accord le 15 septembre dernier sur le texte final du projet de loi. Quoi qu’il en soit, cette loi prévoit que le principe de la couverture à 95 % du territoire par la TNT est préservé pour les chaînes diffusées en numérique. Le CSA pourra refuser son agrément au rachat d’une chaîne de la TNT qui n’aurait pas respecté ses obligations conventionnelles. Le gouvernement est en outre tenu de remettre « dans les trois mois » au Parlement un rapport sur l’éligibilité à l’aide financière à l’équipement des foyers qui reçoivent la TNT par voie satellitaire. @

Charles de Laubier

ZOOM

Dans six mois : fin du Mpeg-2 et risque d’écran noir
Que cela soit les opérateurs télécoms, les diffuseurs audiovisuels, les éditeurs de programmes ou encore
les fabricants de téléviseurs, les différents acteurs se demandent encore quelle mouche a piqué le gouvernement pour précipiter le transfert de la bande des 700 Mhz et la vente aux enchères de ces « fréquences en or » d’ici la fin de l’année. Pourquoi n’a-t-il pas reporté le basculement à 2017 comme le préconisaient certains ? D’autant qu’il n’y a pas de « date limite » imposée dans l’Union européenne : seule l’année 2020 a été recommandée par le RSPG (7).
Mais pour la France, pas question de moratoire : il s’agit seulement de boucler le financement de la loi de Programmation militaire, 2,5 milliards d’euros susceptibles
de provenir au minimum de ces enchères étant déjà inscrits dans le projet de loi de Finances 2015 au titre des crédits pour la Défense.
Des parlementaires, dont la rapporteure du projet de loi, la sénatrice (UDI) Catherine Morin-Desailly (photo), regrette que dans l’urgence le projet de loi – initié par le ministère de la Culture et de la Communication – n’ait pu faire l’objet d’un avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact pour y voir plus clair. Le risque de cette précipitation – y compris au regard de la compatibilité des téléviseurs avec la norme
HD Mpeg- 4 (un quart du parc en France ne serait pas au norme) – est que des millions de Français se retrouvent avec un écran noir lors des basculement programmés progressivement d’avril 2016 (en Ile-de- France) à juin 2019 (les autres régions).
Sans parler du risque de pénurie de décodeurs.
La campagne de communication prévue par le gouvernement à partir de novembre,
les « cadeaux » de Noël et les aides financières (25 euros pour un adaptateur aux exonérés de la redevance et 120 euros pour les foyers modeste) ne suffiront sans doute pas pour créer de la sérénité audiovisuelle dans les foyers… Coût pour l’Etat :
80 millions d’euros. @

Assises de l’audiovisuel : la bataille des 700 Mhz

En fait. Le 5 juin se sont tenues les Assises de l’audiovisuel, afin de préparer l’entrée de la régulation de l’Internet dans le grand projet de loi audiovisuel prévu l’an prochain. Mais se sont invités dans le débat les 700 Mhz que le CSA souhaite
« répartis équitablement » entre télécoms et télévisions.

En clair. Les Assises de l’audiovisuel ont donné le coup d’envoi de la bataille des
700 Mhz ! Les télécoms et l’audiovisuel se disputent ces fréquences en or du second dividende numérique (1). « L’hertzien est le futur de la télévision. Où est la logique, quand certains veulent revendre les 700 Mhz aux télécoms ? Si l’hertzien est affaibli, ce serait une très mauvaise nouvelle pour les chaînes de la TNT. Cela les empêcherait de passer
à la HD. (…) Ralentir la TNT serait suicidaire », a prévenu Alain Weill, PDG du groupe NextRadioTV (2). Ce à quoi lui a répondu Maxime Lombardini, directeur général d’Iliad, maison mère de Free : « Les télécoms ont un ardent besoin des fréquences 700 Mhz. (…) C’est un enjeu au moins aussi important d’avoir desdiv smarphones avec du débit dans la durée pour un pays moderne que d’avoir la HD sur l’ensemble des chaînes ». Il a souligné que cette bande 700 Mhz va vers les télécoms dans presque tous les pays d’Europe et qu’elle y est déjà aux Etats-Unis : « Vous imaginez la France dans cinq ans ; on aurait une exception culturelle, mais on aurait des smartphones qui calent ! ».
Emmanuel Gabla, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), les a renvoyés dos à dos : «Chacun doit faire des efforts dans son secteur (…) pour faire en sorte que les fréquences soient utilisées de manière un peu plus efficace ». Et d’ajouter : « Il me semble important finalement de reproduire un peu ce qui avait été l’équilibre du premier dividende [fréquences libérées lors du passage en 2011 de la TV analogique à la TNT, ndlr]. Une partie est allée aux télécoms ; une partie est restée aux services télévisuels,
ce qui a permis le lancement de nombreuses chaînes. Donc, un dividende réparti équitablement. C’est la même chose pour cette bande 700 Mhz, afin de passer toutes
les chaînes en HD et de lancer de nouveaux services (données associées)». Reste à se mettre d’accord sur le calendrier de mise à disposition aux opérateurs télécoms : 2017 ou plutôt 2022 ? « Un calendrier trop rapproché, de trois à quatre ans, ne permettra pas de profiter des avancées technologiques [Mpeg4, DVB-T2, HEVC, 4G ; …, ndlr] et de laisser le temps aux Français de se rééquiper », a conclu Emmanuel Gabla, en annonçant une prochaine consultation publique @

Feuille de route : et le dividende numérique alors ?

En fait. Le 28 février, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a présidé le séminaire gouvernemental sur le numérique et y a présenté « la feuille de route numérique » : 20 milliards d’euros sont prévus pour couvrir 100 % de la France en très haut débit d’ici à 2022 et « très majoritairement en [FTTH] ».

En clair. A force de privilégier le très haut débit fixe en général et la fibre optique jusqu’à l’abonné en particulier, autrement dit le FTTH (Fiber-To-The-Home) que le Premier ministre veut « très majoritaire d’ici à dix ans », le gouvernement a fait l’impasse sur le très haut débit mobile (4G) et sur les futures fréquences du nouveau dividende numérique. Un comble pour une « feuille de route numérique » censée « doter la France des infrastructures du XXIe siècle » au cours de la prochaine décennie !
Ce dividende numérique concerne en France la bande des 700 Mhz qui est libérée par la télévision passée au tout-numérique. C’est ce spectre qui permettrait de faire du très haut débit hertzien et qui suscite une rivalité entre les deux secteurs prétendants : l’audiovisuel et les télécoms. Le silence du gouvernement sur ces ressources spectrales est d’autant plus surprenant que les décisions internationales doivent être prises dès 2015 lors de
la prochaine Conférence mondiale des radiocommunications (CMR). Pour la France l’Agence nationale des fréquences (AFNR) organise à cet effet une conférence
« Spectre et Innovation » les 26 et 27 juin prochains.
Comme l’espéraient les députées Corinne Erhel (PS) et Laure de La Raudière (UMP),
« le séminaire gouvernemental sur le numérique [aurait dû] être certainement l’occasion pour le gouvernement de préciser sa position à ce sujet » (1). Il n’en fut rien. La feuille de route se contente de dire que « le développement des usages numériques sur les réseaux hertziens (mobile, TNT, etc.) soulève des enjeux industriels importants quant à la bonne utilisation de la ressource en fréquences, qui souffre aujourd’hui d’un trop grand cloisonnement entre les domaines d’utilisation du spectre ».
Il y a pourtant urgence si la France ne veut pas que le bras de fer entre l’audiovisuel et
les télécoms, voulant chacun profiter de ce nouveau dividende numérique, ne tourne à l’affrontement ! Les opérateurs mobile veulent les 700 Mhz que la précédente CMR de 2012 leur a accordés a priori pour faire face à l’explosion de l’Internet mobile et de la vidéo HD sur les réseaux 3G et 4G menacés de saturation. Les chaînes de télévision, elles, comptent bien sur la CMR de 2015 pour que la décision finale leur permette de garder cette bande pour généraliser la haute définition et l’introduction à l’ultra haute définition (UHDTV) ou 4K (2). @

Free Mobile va regretter les « fréquences en or »

En fait. Le 22 décembre, l’Arcep a publié sa décision datée du jour même attribuant les autorisations des « fréquences en or » du dividende numérique (bande 800 Mhz) à Bouygues Telecom (bloc A), SFR (bloc B+C) et Orange (bloc D), lesquels pourront offrir du haut débit mobile en 4G à partir de 60 Mbits/s.

En clair. Free Fréquences, filiale détenue à 95 % par la maison mère Iliad et à 5 % par
la Free Mobile, n’a pas été retenue par l’Arcep sur les trois critères notés : le montant financier proposé, l’engagement d’accueil de MVNO (1) et l’aménagement du territoire.
La décision de l’Arcep ne mentionne pas le prix offert par Free mais il serait bien inférieur au 1 milliard annoncé par SFR pour les deux blocs B et C, aux 683 millions d’euros mis sur la table par Bouygues Telecom pour le lot A, ainsi qu’aux 891 millions avancés par France Télécom (Orange France) pour le bloc D.
Edition Multimédi@ a demandé à Maxime Lombardini, DG d’Iliad – en marge de la conférence de lancement de l’offre 3G de Free Mobile le 10 janvier (2) – s’il ne regrettait pas les « fréquences en or » pour la 4G. « Non, pas du tout. Nous avons déjà obtenu 20 Mhz [dans la bande 2,6 Ghz qui est de moins bonne qualité que la bande 800 Mhz, ndlr]
et nous avons le droit d’utiliser les ressources d’un autre opérateur [SFR qui cumule deux blocs de fréquences en or, ndlr], en plus des accords que nous avons avec Orange, notre partenaire actuel. (…) Et puis il y a un deuxième dividende numérique [nouvelles fréquences en or libérées par la télévision, ndlr] à partir de 2020… », nous a-t-il répondu. Cependant, le 22 décembre, il avait déploré auprès de Reuters : « Ce deuxième appel d’offres était très défavorable à un nouvel entrant et l’argent a fait la différence ».
Dans sa candidature du 15 décembre, le nouvel entrant et quatrième opérateur UMTS français avait expliqué que la bande 800 Mhz « vise à compléter le portfolio de fréquences du groupe Iliad, afin de répondre à la demande de débit de ses futurs abonnés » et
« améliorera la couverture “deep indoor” [propagation des ondes à l’intérieur des bâtiments, ndlr] de Free Mobile et la bande passante disponible en zones périurbaines
et rurales ». Free prévoyait aussi la mutualisation 3G/4G sur son réseau. Faute d’une enchère suffisante, l’Arcep ne l’a pas retenu. Pour sa future 4G, Free Mobile sera donc
en partie dépendant de ses deux plus gros concurrents.
Car difficile de se passer des « fréquences en or » à meilleure propagation hertzienne et permettant un meilleur très haut débit mobile. Mais il ne pourra utiliser des fréquences en or de SFR que lorsque que son réseau 4G dans les 2,6 GHz couvrira au moins 25 % de la population métropolitaine. @