Le numérique en procédure accélérée au Parlement

En fait. Le 18 juin, est paru au Journal Officiel un décret convoquant le Parlement en session extraordinaire à partir du 1er juillet 2019. Plusieurs projets et propositions de loi vont (continuer à) être examinés : taxe GAFA, droit voisin
de la presse, sécurité de la 5G, lutte contre la cyberhaine, CNM (musique).

En clair. La session extraordinaire du Parlement, à partir du 1er juillet, s’annonce chargée. Sur les 32 textes législatifs listés dans le décret présidentiel signé le 17 juin par Emmanuel Macron, avec son Premier ministre Edouard Philippe, une demi-douzaine traite du numérique et chacun est en procédure accélérée (engagée par
le gouvernement). Du côté des « projets » de loi (donc déposés au nom du gouvernement), il y a la taxe GAFA. Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a promis qu’elle sera retirée dès que l’OCDE aura trouvé une solution. Ce projet de loi « portant création d’une taxe sur les services numériques (…) », soit 3% sur le chiffre d’affaires réalisé en France (1), a déjà été voté en première lecture par l’Assemblée nationale (le 9 avril) et le Sénat (le 21 mai).
Un autre projet de loi concerne, lui, l’extension au numérique de la loi « Bichet » de 1947 sur distribution de la presse. Il s’agit de « réguler les kiosques et les agrégateurs numériques, en soumettant les premiers à des obligations de diffusion et les seconds
à des obligations de transparence ». Ce texte, qui ouvre le marché de la distribution de la presse – actuellement sous duopole de Presstalis, mal en point, et des MLP – a été voté en première lecture par le Sénat (le 22 mai). Du côté des « propositions » de loi cette fois (donc déposées à l’initiative du Parlement), il y a la création du droit voisin que devront payer les moteurs de recherche et les agrégateurs d’actualité tels que Google News aux éditeurs de presse et aux agences de presse (2).
Cette redevance découle de la directive européenne « Droit d’auteur dans le marché unique numérique ». Autre proposition de loi : la création du Centre national du numérique (CNM), qui sera à la filière musicale ce qu’est le CNC au cinéma. Le texte
a été déposé à l’Assemblée nationale (le 27 mars). Ce futur établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), placé sous la tutelle du ministre de la Culture, devra notamment « promouvoir l’innovation (…) face aux révolutions du numérique et du streaming qui ouvrent les portes de l’international avec d’immenses opportunités » (3). Deux autres propositions de loi sont aussi à l’agenda du 1er juillet : l’une pour lutter contre la haine sur Internet (4) (*) (**), l’autre pour assurer la sécurité des réseaux mobile (5G en tête) et visant le chinois Huawei (5) (*) (**). @

Pionnière du droit d’auteur et du droit voisin, la France veut être la première à transposer la directive

La proposition de loi visant à « créer un droit voisin au profit des agences et des éditeurs de presse » entre dans sa dernière ligne droite au Parlement français, alors que la directive européenne sur « le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique » a tout juste été publiée en mai 2019.

Par Rémy Fekete, avocat associé, cabinet Jones Day

Dès 1777, Beaumarchais s’était fait l’ardent défenseur des auteurs dramatiques, pour obtenir des théâtres une juste rémunération de leurs œuvres : « On dit au foyer des théâtres, qu’il n’est pas noble aux auteurs de plaider pour le vil intérêt. On a raison. Mais on oublie que pour jouir seulement une année de la gloire, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq-fois »… Deux-cent quarante-deux ans après, l’argument est plus que jamais d’actualité – jusque dans la presse.

Une directive transposée aussitôt en France
A l’issue de trois ans de procédure législative, la directive européenne sur le droit d’auteur et le droit voisin « dans le marché unique numérique » (1) a finalement été adoptée par le Parlement européen le 26 mars 2019, validée le 15 avril par le Conseil de l’Union européenne, puis publiée au JOUE le 17 mai (2). Un des articles les plus controversés était l’article 11 – devenu article 15 – qui permet aux éditeurs de presse
et aux agences de presse de percevoir une rémunération versée par les plateformes
de diffusion dans le cas d’une réutilisation en ligne de leur production. Or, avant même que la directive « Droit d’auteur » n’ait été promulguée en vue d’être transposée dans les vingthuit pays de l’Union européenne « au plus tard le 7 juin 2021 », cette mesure
a commencé à être examinée dès 2018 par le Parlement français dans le cadre de la proposition de loi tendant à « créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ». Ce texte, qui a d’abord été adopté en première lecture au Sénat le 24 janvier 2019, a été modifié à la marge par l’Assemblée nationale qui l’a adopté le 9 mai (3) et déposé au Sénat (et renvoyé à sa commission de la culture,
de l’éducation et de la communication) en vue d’une seconde lecture (4).
• L’instauration d’un droit voisin dans le secteur de la presse, rempart de la démocratie à la française. La proposition de loi déposée par le sénateur David Assouline en septembre 2018 fut adoptée à l’unanimité par le Sénat le 24 janvier 2019. Il faut dire que la création du droit voisin du secteur de la presse en France a été présentée comme rien que moins qu’une exigence fondamentale pour la préservation de la démocratie et de l’Etat de droit. Dans un souci de protection du secteur des média en France, la liberté de la presse a été, il est vrai, consacrée au rang de principe constitutionnel fondamental sur le fondement de la libre communication des pensées
et des opinions (5). Mais pour que cette liberté puisse être effectivement exercée par les acteurs concernés, encore faut-t-il que leur modèle économique soit viable. Le Parlement européen a considéré que tel n’était plus le cas à l’ère numérique : la vente de journaux papier étant largement remplacée par la diffusion numérique et la publicité étant majoritairement captée par les plateformes de diffusion, les agences et éditeurs de presse ont vu fondre significativement leurs principales sources de revenus, sans qu’un modèle économique alternatif convaincant ne fasse jour pour l’instant. La France, dont la créativité et l’efficacité des mesures de protection des créations immatérielles (cinéma, musique) ont fait leurs preuves, a opté pour l’extension du droit voisin – tel qu’il existe pour les artistes, interprètes et producteurs musicaux (6) – aux agences et éditeurs de presse.
Cela passe par la régulation nationale des GAFA. La proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse s’inscrit en effet dans les diverses initiatives menées, notamment en Europe, visant à l’intégration des GAFA dans le cadre de l’Etat de droit. Une logique de responsabilisation des plateformes numériques a ainsi été introduite avec les lois portant création d’une taxe sur les services numériques (7) et contre la haine sur Internet (8) (*) (**), toutes deux en cours de procédure d’adoption.

Le respect du droit à rémunération
Ces initiatives législatives n’ont pas vocation à créer des obligations juridiques ex nihilo à la charge des plateformes numériques, mais davantage à mettre en application des obligations préexistantes en considération des droits et libertés des autres parties prenantes (internautes, entreprises). La proposition de loi créant un droit voisin vient ainsi obliger les « services de communication au public en ligne » – moteurs de recherches, réseaux sociaux, agrégateurs d’actualités – à respecter le droit à rémunération que détiennent les agences et éditeurs de presse en cas d’utilisation
de leurs productions, sans limiter le droit à l’information. L’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse de contenus ouvrant droit à rémunération (9) sera désormais requise avant toute reproduction, toute communication au public ou tout autre moyen de mise à disposition du public sur un site Internet (10). Les plateformes numériques seront également tenues d’assurer un haut niveau de transparence au profit des éditeurs et agences, qui devront disposer des éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse et des informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération (11).

Droit voisin sur deux ans, et non cinq
L’assiette du droit voisin portera sur les recettes directes et indirectes des sites Internet afin d’inclure l’ensemble des revenus, notamment publicitaires ou résultant de la vente de données de connexion (12). Les journalistes percevront une partie « appropriée et équitable » des droits voisins perçus par les éditeurs et agences. Les éditeurs et agences auront à leur fournir chaque année une information sur les modalités de calcul de la part leur revenant (13). Ainsi, si la proposition de loi française valide l’existence de droits voisins, elle n’en fixe ni les modalités ni le montant, qui devront être déterminés par les parties prenantes.
A l’instar des sociétés de perception de droits voisins en matière musicale (Adami, Spedidam, SCPP, SPPF, Procirep, SACD, Sacem, Scam, etc.), les éditeurs et agences de presse sont encouragés à se regrouper au sein d’organismes de gestion collective afin de négocier directement avec les plateformes numériques. La gestion collective n’est envisagée qu’au profit des éditeurs et agences de presse, de sorte que la part réservée aux journalistes serait renvoyée à des accords d’entreprise ou collectifs – ce que regrettent les journalistes qui souhaitent que soit établie dès maintenant une clé de répartition « à parts égales » (14). Cependant, en cas de divergence sur la part attribuée aux journalistes, la loi française a instauré une commission de « compromis » présidée par un représentant de l’Etat et composée pour moitié de représentants des organisations professionnelles d’entreprises de presse et d’agences de presse représentatives et pour moitié de représentants des organisations représentatives des journalistes (15).
• L’instauration d’un droit voisin dans le secteur de la presse, pilier d’une Europe numérique et de son marché unique. L’harmonisation des Etats membres sur les droits voisins a vocation à contribuer à la constitution d’une Europe numérique, en assurant un niveau élevé de protection aux titulaires de droits, tout en permettant l’exploitation des contenus et productions. C’est d’ailleurs tout l’enjeu du marché intérieur : stimuler l’innovation, la créativité, l’investissement et la production de nouveaux contenus, y compris dans l’environnement numérique. Aussi, la loi française qui crée un droit voisin de la presse, en cours d’adoption, vient mettre en oeuvre la directive « Droit d’auteur » qui fut promulguée en mai 2019. En particulier, le champ d’application de la loi a été quelque peu remodelé afin de se conformer au droit européen : une définition de l’éditeur et de l’agence de presse a été précisée afin
de redessiner le champ des bénéficiaires potentiels (16). Le champ temporel – qui proposait une durée initiale de cinq ans pour faire valoir son droit à indemnisation suivant la publication – a été réduit à deux ans en coordination avec la directive sur
le droit d’auteur (17).
Le champ matériel a été revu : outre l’exclusion des revues à des fins scientifiques ou universitaires, le Parlement français a rejoint le Parlement européen sur l’exclusion
des hyperliens, mots isolés et l’utilisation d’extraits courts (18). Cette exception a été assortie d’un garde-fou par le législateur français : si un site web peut utiliser des courts extraits d’un article de presse sans avoir à payer de droits voisins, tel ne sera plus le cas lorsque l’efficacité de ces droits s’en trouvera affectée, en particulier lorsque l’extrait remplace la publication de presse pour le lecteur (19).
Sur le principe, il convient certainement de relever à la fois le mérite d’une rémunération équitable au profit des éditeurs et agences de presse ainsi qu’aux journalistes, et le renvoi à une forme de conservatisme pour la fixation de cette rémunération. Pour autant, deux siècles de contentieux permanents en matière de droit d’auteur et des droits voisins – dans lesquels les plus talentueux se sont illustrés comme Maître Poincaré (20), avocat de la SACD en 1905 – font craindre que ce nouveau mécanisme, en tous points semblables à ceux déjà existants en matière de droits voisins, conduisent aux mêmes débats et aux mêmes combats judiciaires.

A quand une harmonisation européenne ?
Ce n’est sans doute pas jouer au fédéraliste que de souligner qu’il paraît un peu
daté qu’en 2019 on ne puisse tenter d’aménager des modes de rémunération des journalistes et des éditeurs et agences de presse uniformes au travers du continent européen. Les GAFA n’ont quant à eux pas de frontières et il est dommage que le niveau d’intégration européen ne permette pas (encore) de les conduire à acquitter
le même montant dans chacun des Etats membres. @

Presse en ligne : les journalistes veulent 50 % des recettes du futur « droit voisin »

Google News, Facebook, MSN, Yahoo News et autres agrégateurs d’actualités vont devoir payer leur écot à la presse en ligne qu’ils utilisent. Mais, en Europe, les éditeurs seront titulaires de ce droit voisin – pas les journalistes qui recevront « une part appropriée » de ces revenus. La moitié ?

« Le principal syndicat des journalistes, le SNJ (1), d’abord hostile à l’instauration d’un droit voisin, y est aujourd’hui favorable », rappelle la députée (LREM) Fannette Charvier, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale, selon ses propos rapportés dans le rapport du député (Modem) Patrick Mignola (photo) du 30 avril sur la proposition de loi sur la création
d’« un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse ».

Une « part égale » comme « part appropriée »
C’est sans compter sur le fait que le SNJ et la Fédération européenne des journalistes (FEJ), dont il est membre, ne veulent pas que ce droit voisin soit versé entièrement aux éditeurs de presse, lesquels devront reverser leur quotepart à leurs journalistes dans le cadre d’accords d’entreprises. Les journalistes – ils sont 35.047 dotés d’une carte de presse en France – sont déçus par l’article 3 de la proposition de loi qui prévoit en effet un « droit à une part appropriée et équitable de la rémunération », mais dont « les modalités de sa répartition entre les auteurs concernés sont fixées dans des conditions déterminées par un accord d’entreprise ou, à défaut, par tout autre accord collectif ».
Le compte risque donc de ne pas y être.
Avec le SNJ-CGT et la CFDT-Journalistes, la FEJ – représentant pas moins de 320.000 journalistes en Europe et elle-même membre de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) – et le SNJ appellent à « aller plus loin, en prévoyant dans la loi un partage égal entre les éditeurs et les auteurs du revenu administré dans le cadre d’un système de gestion collective ». Les organisations de journalistes demandent que soient « concomitantes (…) la détermination des clés de répartition de la rémunération entre plateformes et éditeurs d’une part, et entre éditeurs et journalistes d’autre part » (2). De son côté, le député (LFI) Michel Larive met en garde le 9 mai : « L’article 3 ne pose aucune condition permettant aux journalistes de percevoir un seuil minimal de
20 %, 30 % ou encore 50 % de rémunération » (3). Sur la même longueur d’onde,
la Société civile des auteurs multimédias (Scam) a regretté le même jour que « le Parlement [soit] sur la mauvaise voie ». Elle « s’inquiète vivement du sort que ce texte s’apprête à réserver aux journalistes, photographes, dessinateur-rices de presse ». Cette société de gestion collective, qui rassemble 40.000 auteurs, dénonce le fait que ce futur droit voisin ne soit envisagé qu’au profit des éditeurs de presse. « La part réservée aux journalistes serait, quant à elle, renvoyée à des accords collectifs (ou accords d’entreprise). Ce choix fragilise la situation des journalistes alors que les organismes de gestion sont les plus à même de gérer la part de rémunération qui leur revient », regrette la Scam présidée par Hervé Rony. Qui garantira aux journalistes un paiement équitable et en toute transparence d’une juste rémunération ? D’autant que la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (4), publiée au JOUE du 17 mai 2019, prévoit que « les auteurs dont les œuvres sont intégrées dans une publication de presse devraient avoir droit à une part appropriée des revenus que les éditeurs de presse perçoivent des prestataires de services de la société de l’information pour l’utilisation de leurs publications de presse » (considérant 59).
Pour éviter que les journalistes ne soient les dindons de la farce, la député (LR) Constance Le Grip avait déposé le 26 avril un amendement pour éviter un « décalage » entre la proposition de loi française et la directive européenne. Elle a proposé que « la part des journalistes soit liée au niveau de la rémunération perçue par les entreprises de presse » et que « cette “part appropriée” [soit déterminée en prenant] en considération le montant des droits d’auteur perçus par les journalistes », et enfin
qu’« en l’absence d’accord, le pouvoir réglementaire pourrait fixer les niveaux de rémunération » (5). Mais lors de l’examen en commission des affaires culturelles et
de l’éducation de l’Assemblée nationale, le 30 avril, Patrick Mignola lui a demandé de retirer son amendement.

Journalistes : quel « mécanisme de secours » ?
Le rapporteur de la proposition de loi « Droit voisin » lui a expliqué que Laurence Franceschini – ex-directrice de la DGMIC du ministère de la Culture, actuelle médiatrice du cinéma et l’auteure du rapport de février 2018 remis au CSPLA (6) sur l’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse – avait évoqué « la possibilité
que ce mécanisme de secours dans la négociation [entre les journalistes et leurs employeurs] s’insère dans le cadre de la Commission des droits d’auteur des journalistes (CDAJ) ». Le dialogue avec elle devrait donc se poursuivre. A suivre… @

Charles de Laubier

Directive européenne sur le droit d’auteur : vers un nouveau modèle économique du numérique

La directive sur « le droit d’auteur dans le marché unique numérique » est sur
le point d’être promulguée au Journal officiel de l’Union européenne, après sa validation du 15 avril par les Etats membres (19 pour, 6 contre et 3 abstentions). Mais sa transposition nationale d’ici mi-2021 va être délicate.

Par Véronique Dahan (photo), avocate, et Mahasti Razavi, associée gérante, August Debouzy

Après plus de deux ans de controverses, le Parlement européen a finalement adopté, le 26 mars 2019, la directive sur
le « droit d’auteur dans le marché unique numérique » que le Conseil de l’Union européenne a validée le 15 avril – bien
que six pays aient voté contre (l’Italie, la Finlande, la Suède, le Luxembourg, la Pologne et les Pays-Bas) et que trois pays se soient abstenus (la Belgique, l’Estonie et la Slovénie). Mais cette opposition n’a pas été suffisante pour bloquer le texte (1).

Licence, rémunération, gestion collective
Cette directive « Copyright » (2) a pour objectif principal d’accorder une meilleure protection aux créateurs de contenus en leur permettant de percevoir un revenu équitable pour l’utilisation de leurs œuvres par les acteurs principaux d’Internet,
à savoir les GAFAM. L’ambition affichée est de pousser les plateformes de partage
de contenus à mettre en place une politique globale, visant à rémunérer de façon
« appropriée et proportionnelle » tous ceux dont elles tirent un revenu. Afin d’appréhender l’impact que cette directive aura en pratique, il faudra attendre sa transposition au sein de chaque Etat membre. Il est en effet important de rappeler
que contrairement à un règlement, une directive ne produit pas d’effet direct sur les Etats Membres.
Cela signifie qu’elle devra être transposée par chaque pays européen dans sa législation nationale et dans le délai fixé par la directive pour pouvoir produire un quelconque effet. Ici, le délai fixé pour la transposition de la directive « Copyright »
est de vingt-quatre mois après son entrée en vigueur. Or elle va entrer en vigueur
« le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne » (JOUE) – ce qui ne devait pas tarder au moment où nous publions ces lignes. Cela nous amène donc a priori avant l’été 2021. D’ici là, les Etats membres devront obligatoirement transposer le texte.Quelles sont les mesures-phares-adoptées par la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique et susceptibles d’avoir un impact sur l’écosystème du numérique ?

• Vers une responsabilisation des « Big » plateformes.
Aujourd’hui, les plateformes numériques qui ont un rôle passif concernant les contenus qu’elles stockent – c’està- dire celles qui ne font aucun contrôle a priori – ont une responsabilité dite « limitée » dans le sens où leur responsabilité ne peut être engagée que si le titulaire de droits d’auteur leur signale de manière précise qu’un contenu est illicite et qu’elles n’effectuent pas leur retrait promptement. Autre élément : lesdites plateformes ne reversent pas ou très peu de redevances aux auteurs, alors que les revenus publicitaires découlant des contenus publiés par leurs utilisateurs sont extrêmement élevés. Le nouvel article 17 de la directive « Copyright » prévoit la mise en place d’une responsabilité accrue des plateformes désignées comme « fournisseurs de services de partages de contenus en ligne », pour toute diffusion de contenus sans autorisation de l’ayant droit. La directive définit les « fournisseurs de services de partages de contenus en ligne » comme les sites web qui ont pour objectif de « stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés [mis en ligne] par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives ». Concrètement cela vise les plateformes telles que Facebook, YouTube ou encore Dailymotion, mais ne sont pas concernées les plateformes encyclopédiques à but non lucratif telles que Wikipédia ou encore les places de marché (marketplace) comme Amazon, eBay ou LeBonCoin.

Exonération de responsabilité possible
L’article 17 impose aux plateformes visées – autrement dit les GAFAM et apparentés – d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits pour pouvoir mettre leurs créations à la disposition du public, en concluant notamment des contrats de licence. La conclusion de ces contrats passera par l’intermédiaire des société de gestion collective des droits d’auteur, par exemple en France la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) ou la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) dans le cinéma et l’audiovisuel. Et ce, afin de garantir une meilleure répartition des revenus. Ainsi, sans accord, les plateformes numériques seront responsables de la mise en ligne de tout contenu non-autorisé sans que le régime de responsabilité limité de l’hébergeur puisse s’appliquer – c’est-à-dire sans que le « GAFAM » puisse invoquer la directive
« Ecommerce » de 2000 qui leur conférait une responsabilité limitée quels que soient les contenus partagés en ligne (3).

Obligation de « fournir ses meilleures efforts »
Il existe cependant un régime d’exonération de responsabilité des plateformes, dès
lors qu’elles seront capables de démontrer avoir rempli les trois conditions cumulatives suivantes : avoir fourni « ses meilleurs efforts » pour obtenir une autorisation du titulaire des droits afin de communiquer l’oeuvre au public ; avoir fourni « ses meilleurs efforts », « conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle », permettant de garantir l’indisponibilité de l’oeuvre protégée dès lors que la communication non autorisée de celle-ci a été signalée par son titulaire de droits au moyen « d’informations pertinentes et nécessaires » ; avoir agi promptement pour retirer ou bloquer l’accès à l’oeuvre dès réception de la notification « suffisamment motivée » par les titulaires de droit. Le respect de chacune de ces obligations sera apprécié en fonction du type, de l’audience et de la taille de la plateforme ainsi que du type d’oeuvres mises en ligne. Une attention particulière sera également portée aux moyens disponibles qui doivent être adaptés et efficaces, ainsi qu’à leur coût pour les plateformes. En tout état de cause, la directive « Copyright » n’impose pas aux plateformes un contrôle a priori des contenus postés notamment – par exemple via
la mise en place de systèmes automatisés de type Content ID (YouTube) ou Rights Manager (Facebook).

• Un modèle plus favorable aux plateformes européennes.
L’objectif étant de faire passer « payer » les GAFAM, la responsabilité des plateformes numériques est également variable selon leur taille : les structures qui ont moins de trois ans d’existence et qui génèrent un chiffre d’affaire annuel inférieur à 10 millions d’euros ont en effet des obligations allégées. Ces « start-up » devront à ce titre faire leurs meilleurs efforts pour obtenir l’autorisation auprès du titulaire des droits, et pour retirer promptement un contenu signalé comme contrevenant au droit d’auteur. En revanche, les plateformes qui comptent plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois devront démontrer avoir fait tous les efforts possibles pour empêcher de nouveaux téléchargements des œuvres déjà signalées par les titulaires de droit. Ces exemptions visent certainement à avantager les plateformes européennes qui n’ont pas la même force de frappe que leurs concurrents américains que sont les GAFAM. Quant à l’applicabilité de la directive « Copyright » aux plateformes situées en dehors de l’Union européenne, il semblerait logique que le critère de « l’accessibilité » soit celui retenu pour permettre d’établir si les dispositions de la présente directive seront ou non applicables à une plateforme située en dehors de l’Union européenne. Ainsi, dès
lors qu’une plateforme numérique sera accessible au sein d’un Etat membre ayant transposé la directive, cette dernière lui sera applicable, peu importe où est située géographiquement la plateforme.

• La création d’un droit voisin des éditeurs de presse.
Aujourd’hui, les éditeurs de presse sont le plus souvent désarmés en cas de reprise
de leurs contenus par des plateformes d’agrégation partageant des articles d’actualité, notamment au regard de la preuve de la titularité des droits d’auteur qu’ils doivent apporter à chaque fois. L’article 15 de la directive prévoit la création d’un droit voisin des éditeurs de presse. Concrètement, cela signifie que les éditeurs de presse seront considérés comme détenteurs des droits sur les articles écrits par les journalistes. Ce droit leur permettrait ainsi de négocier plus facilement des licences payantes avec les plateformes qui indexent automatiquement leurs articles, comme Google Actualités ou Yahoo News. Ainsi, toutes les « fournisseurs de services de la société de l’information » qui indexent des articles de presse dans leurs services d’actualité devront en principe rémunérer les entreprises de presse.
Le Parlement européen a toutefois apporté le 14 février 2019 une prévision dans un communiqué indiquant ceci : « Le partage d’extraits d’articles d’actualité ne déclenchera pas de droits pour l’organe de presse ayant produit l’article partagé. Toutefois, l’accord contient également des dispositions visant à éviter que les agrégateurs de nouvelles n’abusent de cette tolérance. L’extrait pourra donc continuer
à apparaître sur un fil d’actualités Google News, par exemple, or lorsqu’un article est partagé sur Facebook, à condition qu’il soit ‘‘très court’’ » (4).

Un droit voisin de la presse limité
Une négociation va donc maintenant s’engager entre les éditeurs de presse et les plateformes du Net, et des barèmes de redevances devront être établis. Pour autant,
ce droit voisin accordé aux éditeurs de presse ne s’appliquera pas : « aux utilisations,
à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, (…) aux actes liés aux hyperliens, [à] l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse » (article 15). De plus, ce droit voisin expire deux ans après que la publication de presse ait été publiée (durée calculée à partir du 1er janvier de l’année suivante) et ne s’applique pas aux publications de presse publiées pour la première fois avant la date d’entrée en vigueur de cette directive
« Copyright ». @

Droit d’auteur : pourquoi la SACD n’a pas cosigné le communiqué à charge contre Google et YouTube

Le communiqué du 4 décembre 2018, cosigné par une trentaine d’organisations et d’entreprises françaises, ne fait pas l’unanimité dans le monde des industries culturelles car il semble fait l’impasse sur la rémunération supplémentaire des auteurs d’œuvres mis en ligne. La SACD ne le cautionne pas.

Edition Multimédi@ a demandé à Pascal Rogard (photo), directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), laquelle compte plus 50.000 auteurs membres, pourquoi celle-ci n’avait pas été cosignataire le
4 décembre du communiqué commun de 33 organisations, syndicats et entreprises françaises accusant Google et sa filiale YouTube de «campagne de désinformation massive (…) en abusant de leur position dominante » dans le cadre du projet de directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.

Droit d’auteur exclusif ou inaliénable ?
« Parce qu’il [le communiqué du 4 décembre, ndlr] ignore la position du gouvernement défendant globalement les articles 11, 13 et ‘-14’ de la directive pour ne se concentrer que sur l’article 13. Au surplus, nous n’avons pas de problèmes avec YouTube, même si leur campagne de presse ne nous a pas plue », nous a répondu celui qui dirige depuis 2004 l’influente SACD, société de gestion collective des droits très présente dans l’audiovisuel, le cinéma et le spectacle vivant. A y regarder de plus près, le contenu de ce communiqué – intitulé « L’Europe doit résister au chantage de Google
et YouTube » (1) – parle seulement de « rééquilibrer un partage de la valeur aujourd’hui inégalitaire entre les plateformes et les industries de la culture et des médias ».
Ce que prévoit bien pour la presse l’article 11 (rémunération juste et proportionnée des publications par les plateformes numérique en guise de « droit voisin ») et l’article 13 (contrats de licence justes et appropriés avec les ayants droits dans la musique, le cinéma, l’audiovisuel, etc.). En revanche, l’article « -14 » pour les auteurs (rémunération juste et proportionnée des auteurs, interprètes et exécutants) n’est pas évoqué dans le communiqué collectif du 4 décembre. Alors que, pourtant, la déclaration commune est signée par de nombreuses sociétés d’auteurs telles que la Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem), la Société civile des auteurs multimédias (Scam), l’Union nationale des auteurs et compositeurs (Unac), la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP), la Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (Saif), la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (Sofia), ou encore la Société des gens de lettres (SGDL). La SACD, qui a d’ailleurs conclu il y a huit ans avec YouTube et plus récemment avec Netflix des accords pour rémunérer les auteurs quand leurs œuvres sont diffusées en ligne, manque donc à l’appel du côté des auteurs (2). Mais ce n’est pas la seule société de gestion collective des droits d’auteur
à ne pas avoir signé le 4 décembre la charge contre Google et YouTube. N’y figurent pas non plus l’Adami (Administration des droits des artistes et musiciens interprètes), qui gère les droits de 73.000 membres, ainsi que la Spedidam (Société de gestion des droits des artistes interprètes), qui, elle, reverse à 110.000 sociétaires. L’Adami est membre de l’organisation européenne AEPO-Artis (3), laquelle regroupe 36 organismes de gestion collective. Et cette dernière est elle-même membre de la coalition des artistes-interprètes européens « Fair Internet for Performers », qui milite pour une juste rémunération des artistes pour l’exploitation en ligne de leurs prestations (4). Les producteurs et éditeurs (musique, films, livres, …) ne veulent pas, eux, entendre parler de rémunération proportionnelle, ni de gestion collective si elle n’est pas obligatoire, estimant avoir un droit exclusif de la propriété intellectuelle sur l’oeuvre dès lors qu’ils ont un contrat avec l’auteur (réalisateur, scénariste, musicien, créateur, …), lequel est
le plus souvent un forfait (buy out).
Des sociétés d’auteurs comme la SACD, l’Adami, la Spedidam, mais aussi la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac), leur opposent le « droit inaliénable » de l’auteur. Pas étonnant que le communiqué du 4 décembre tirant à boulets rouge sur la firme de Mountain View soit cosigné aussi par : (pour les producteurs de musiques) la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), le bras « droit d’auteur » du Snep, également cosignataire, la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), le pendant « droit d’auteur » de l’UPFI, cosignataire aussi ; (pour les producteurs audiovisuels et cinématographiques) la Procerep, l’UPC, le SPI, l’API, l’USPA et le SPFA : (pour les chaînes) France Télévisions, Canal+, M6 et TF1 ; pour les éditeurs) le Syndicat national de l’édition (SNE).

Le « droit voisin » médiatique
Concernant le projet de droit voisin pour la presse (article 11 de la directive), sont cosignataires l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), la Fédération nationale de la presse spécialisée (FNPS), le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), et le CFC (5), sans parler du Syndicat national des journalistes (SNJ). @

Charles de Laubier