Google Analytics, outil de mesure d’audience le plus utilisé au monde : toujours illégal en Europe ?

Il y a un an, la Cnil mettait en demeure une première société française éditrice d’un site web utilisant Google Analytics, jugé incompatible avec le RGPD quant au transfert des données vers les Etats-Unis. Deux autres sociétés ont été aussi épinglées sur les 101 plaintes de l’association Noyb.

Il y a plus de trois mois, Russell Ketchum (photo de gauche), directeur de Google Analytics, confirmait qu’Universal Analytics sera remplacé 1er juillet 2023 par la version 4 de Google Analytics (GA4), tandis qu’« Universal Analytics 360 » sera, lui, finalement prolongé jusqu’au 1er juillet 2024 (1), soit au-delà du 1er octobre 2023 initialement prévu (2). Quésaco ? Universal Analytics est la version basique et gratuite de l’outil de mesure d’audience le plus utilisé au monde par des sites web et des applications mobiles.

Le transfert des données vers les USA
Google Analytics détient en effet 86,1 % de parts de marché au 7 février 2023 en étant utilisé par 56,5 % de tous les sites web, selon W3Techs, suivi par Facebook Pixel et de bien d’autres analyseurs de trafic (3). « Universal Analytics 360 » est, elle, la version premium payante de Google Analytics destinée principalement aux grandes entreprises. Edition Multimédi@ a demandé à Google si GA4 répondait aux préoccupations des Européens sur la protection de leur vie privée, conformément au règlement général sur la protection des données (RGPD), et notamment aux mises en demeure prononcées par la Cnil en décembre 2021 et en décembre 2022 ? « Nous avons en effet récemment introduit de nouvelles fonctionnalités pour Google Analytics 4 qui permettent par exemple aux sites web de ne pas enregistrer ni stocker les adresses IP via GA4, ou encore de minimiser les données collectées concernant l’utilisateur, ce qui peut ainsi aider à répondre aux préoccupations d’identification des utilisateurs. Cependant, le véritable problème au cœur de tout cela reste les transferts de données entre l’Union européenne et les Etats-Unis qui manquent d’un cadre juridique stable pour les entreprises européennes et américaines », nous a répondu le géant du Net. Et d’ajouter : « Nous considérons que l’Executive Order récent[d’octobre 2022, ndlr] de la Maison Blanche est une étape importante dans ce travail » (4). De quoi rassurer les éditeurs de sites web et d’applis mobiles utilisant Google Analytics et les « Cnil » en Europe qui les surveillent voire les sanctionnent ? Rien n’est moins sûr. Il y a un an en France, le 10 février 2022, la Cnil mettait en demeure la toute première société pour non-respect du RGPD pour l’utilisation de Google Analytics pour mesurer son audience web (5). La Cnil considère implicitement que Google Analytics est ni plus ni moins illégal au regard du RGPD pour deux motifs principaux : les mesures mises en place par Google ne sont pas suffisantes pour exclure la possibilité d’un accès aux données de résidents européens ; les données des internautes européens sont donc transférées illégalement vers les Etats-Unis par le biais de ce même outil. Cette première décision de la Cnil a été publiée il y a un an, mais de façon anonymisée, pour l’exemple (6). Mais il s’agit de l’une des trois sociétés françaises utilisant Google Analytics contre lesquelles l’organisation autrichienne Noyb dirigée par Max Schrems (photo de droite) avait déposé plaintes – parmi un total de 101 plaintes (7) déposées en août 2020 – auprès des « Cnil » européennes, dénonçant des transferts illégaux de données à caractère personnel vers les Etats-Unis.
La Cnil en France avait ainsi été destinataire de trois plaintes à l’encontre de respectivement Decathlon, Auchan et Sephora. Parallèlement, concernant cette fois l’outil Facebook Connect, la Cnil était aussi saisie de trois autres plaintes à l’encontre de Free Mobile, Leroy Merlin et Le Huffington Post. Après sa première décision concernant Google Analytics, la Cnil mettra également en demeure les deux autres sites web mis en cause (parmi Decathlon, Auchan et Sephora). Ce dont se félicitera à nouveau la Noyb le 5 avril 2022 dans un communiqué où sont mises en ligne les deux autres décisions de la Cnil, là aussi anonymisées (8). Ces trois sociétés disposaient d’un délai d’un mois – renouvelable à leur demande – pour se mettre en conformité et justifier cette conformité auprès de la Cnil.
Mais la Cnil n’a pas été la première à épingler les éditeurs de services en ligne qui utilisent Google Analytics. Son homologue autrichienne – la Datenschutzbehörde (DSB) – avait ouvert la voie deux semaines avant dans une décision inédite datée du 22 décembre 2021 et considérée comme « révolutionnaire » par la Noyb (9).

L’Italie, la Grèce mais pas l’Espagne
Ce fut la première fois en Europe que l’utilisation de Google Analytics est considérée comme une violation du RGPD. D’autres décisions ont été prises par d’autres autorités en Europe – la Grèce par décision de l’APD de janvier 2022 (10) et l’Italie par décision de la GPDP de juin 2022 (11) – à l’encontre de l’utilisation de « GA ». En revanche, la « Cnil » espagnole – l’AEDP – n’a pas suivi ni ses homologues européennes ni la CEPD en publiant le 15 décembre 2022 une décision rejetant la plainte de Noyb (12). Ces premières décisions sur les 101 plaintes déposées par Noyb faisaient suite à la décision de 2020 dite « Schrems II » de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) estiment que l’utilisation des services Internet américains violait le RGPD, car les lois de surveillance américaines exigent que les Google, Facebook et autres Twitter fournissent aux autorités américaines des détails personnels sur leurs utilisateurs, mêmes Européens.

Le spectre de la loi américaine FISA
Par exemple, la loi américaine FISA – Foreign Intelligence Surveillance Act – autorise expressément la NSA – National Security Agency – à collecter les données personnelles des utilisateurs situés hors des Etats-Unis si ces data sont stockées sur des serveurs américains. Autre texte américain, présidentiel celui-ci : l’OE – Executive Order – numéro 12.333 qui renforce les services de renseignement aux Etats-Unis depuis Ronald Reagan et George W. Bush. C’est pour ces raisons que la CJUE avait annulé en 2020 l’accord de transfert « Privacy Shield » (décision « Schrems II » de 2020), après avoir annulé l’accord précédent « Safe Harbor » (décision « Schrems I » de 2015). Cela provoqua une onde de choc pour les GAFAM qui les secouent encore aujourd’hui (13). « Nous nous attendons à ce que des décisions similaires tombent progressivement dans la plupart des Etats membres de l’UE. Nous avons déposé 101 plaintes dans presque tous les Etats membres et les autorités [les « Cnil » européennes, ndlr] ont coordonné la réponse », s’était félicité Max Schrems. Il est prêt à attaquer à nouveau devant la CJUE la nouvelle décision sur le transfert des données « UE-USA » (14) publiée par la Commission européenne le 13 décembre dernier (15). Dans la foulée de la décision de la DSB en Autriche, le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) – regroupant les « Cnil » européennes – avait également rendue une semaine avant une décision commune similaire (16). S’il devait y avoir sanction, le RGPD prévoit qu’elle peut aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise du Net.
C’est justement parce que Google Analytics est largement utilisé par une écrasante majorité d’éditeurs de services en ligne que la Cnil avait décidé d’anonymiser ses trois décisions. « Il ne paraissait pas utile de citer le nom d’un éditeur de site en particulier, l’usage de cet outil étant très répandu. L’objectif est que l’ensemble des responsables de traitement utilisant cet outil se mette en conformité », justifiait ainsi le gendarme des données personnelles. Il avait d’ailleurs mis en garde tous les éditeurs concernés : « Tous les responsables de traitement utilisant Google Analytics d’une façon similaire à ces organismes doivent considérer dès à présent cette utilisation comme illégale au regard du RGPD. Ils doivent donc se tourner vers un prestataire proposant des garanties suffisantes de conformité ». D’après la Cnil, les trois sociétés mises en demeure avaient établi avec Google des clauses contractuelles types, proposées par défaut. Or ces dernières ne peuvent assurer seules un niveau de protection suffisant en cas de demande d’accès d’autorités étrangères, notamment si cet accès est prévu par des lois locales. En réponse au questionnaire envoyé par la Cnil, Google a indiqué que l’ensemble des données collectées par le biais de Google Analytics était hébergé aux Etats-Unis. Néanmoins, avait mentionné le gendarme français des données personnelles le 7 juin 2022, « Google avait indiqué avoir mis en place des mesures supplémentaires d’ordre juridique, organisationnel et technique, qui ont cependant été jugées insuffisantes pour assurer la protection effective des données personnelles transférées, en particulier contre des demandes d’accès aux données par des services de renseignement états-uniens » (17).
La Cnil avait en outre fait savoir que Google avait indiqué utiliser des mesures de pseudonymisation (18), mais non d’anonymisation (19). « Google propose bien une fonction d’anonymisation des adresses IP, a constaté la Cnil, mais celle-ci n’est pas applicable à tous les transferts. En outre, les éléments fournis par Google ne permettent pas de déterminer si cette anonymisation a lieu avant le transfert aux Etats-Unis ». Autre problème que pose Google Analytics : la réidentification de l’internaute. En effet, la seule utilisation d’identifiants uniques permettant de différencier les individus peut amener à rendre les données identifiables, en particulier lorsqu’elles sont associées à d’autres informations telles que les métadonnées relatives au navigateur et au système d’exploitation.

Data et navigation : le risque de suivi demeure
De plus, l’utilisation de Google Analytics avec d’autres services de Google, notamment marketing, peut amplifier le risque de suivi. « En effet, explique la Cnil, ces services, très utilisés en France, peuvent permettre un recoupement de l’adresse IP et ainsi de retracer l’historique de navigation de la majorité des internautes sur un grand nombre de sites ». Quant au chiffrement de données par Google, il s’est avéré insuffisant car Google procède lui-même au chiffrement des données et a l’obligation d’accorder l’accès ou de fournir les données importées qui sont en sa possession, y compris les clés de chiffrement nécessaires pour les décrypter. @

Charles de Laubier

Protection des données en Europe : pour le CEPD, le groupe Meta ne peut imposer sa loi

Facebook, Instagram et WhatsApp (réseaux sociaux du groupe Meta) ont été épinglés par la « Cnil » irlandaise, la DPC, pour ne pas avoir respecté le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Mais faute de consensus avec ses homologues des Vingt-sept, le CEPD a eu le dernier mot.

Par Jade Griffaton et Emma Hanoun, avocates, DJS Avocats

Après cinq ans de procédure, deux sanctions ont été annoncées respectivement les 4 et 19 janvier 2023 pour un total de 395,5 millions d’euros pour le non-respect des mesure imposées par le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD). Il s’agit de trois amendes infligées à Meta en Irlande par la DPC, la commission de protection des données, à savoir la « Cnil » irlandaise (1). Au coeur du débat : la publicité ciblée pour les utilisateurs des réseaux sociaux du groupe : Facebook (210 millions d’euros d’amende), Instagram (180 millions) et WhatsApp (5,5 millions). Des enquêtes avaient été entreprises après des plaintes de l’organisation autrichienne Noyb (2) pour la protection de la vie privée, fondée par Max Schrems.

Un contexte procédural complexe
La société Meta Ireland est au coeur des discussions depuis plusieurs années. Dès 2021, Facebook fait l’objet d’une fuite de données personnelles de plusieurs millions de ses utilisateurs menant à l’ouverture d’une enquête par l’autorité irlandaise de protection des données. A la suite de l’enquête, Meta a été condamnée le 25 novembre 2022 à une amende de 265 millions d’euros pour avoir violé ses obligations de sécurisation des données (3). En mars 2022, l’autorité irlandaise avait déjà infligé une amende de 17 millions d’euros à Meta (4), qui n’avait pas pu démontrer la mise en place « de mesures techniques et organisationnelles appropriées […] pour protéger les données des utilisateurs » de l’Union européenne (UE). En parallèle, en France, la Cnil a condamné en janvier 2022 l’entreprise Meta à une amende de 60 millions d’euros en raison de l’impossibilité pour les utilisateurs de refuser simplement les cookies (5). En plus de cette amende, la Cnil avait ordonné une injonction sous astreinte de mettre à disposition des internautes français, dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la décision, un moyen permettant de refuser les cookies aussi simplement que celui pour les accepter afin de respecter le consentement de chaque utilisateur. Et par deux décisions – respectivement en date du 31 décembre 2022 concernant Facebook et Instagram pour 390 millions d’amendes (6) et du 12 janvier 2023 concernant WhatsApp pour 5,5 millions d’amende (7) –, l’autorité irlandaise a infligé à Meta ces trois amendes totalisant près de 400 millions d’euros pour manquement à plusieurs principes imposés par le RGPD (8) dont le principe de transparence et le principe de licéité des traitements de données à caractère personnel. Ces dernières décisions font suite à de nombreux débats entre les différentes autorités de contrôle européennes que sont les différentes « Cnil » dans les Vingt-sept.
En effet, dans le cadre de la procédure de consultation des autorités de contrôle concernées par l’autorité de contrôle « chef de file » mise en place par l’article 60 du RGPD, en l’occurrence la DPC dans ces procédures « Meta », les projets de décisions préparés en 2021 par l’autorité irlandaise ont été soumis aux régulateurs homologues de l’UE qui ont soulevé un certain nombre d’objections. Face à l’absence de consensus, l’autorité irlandaise a alors saisi le Comité européen de la protection des données (CEPD) – ou, en anglais, EDPB (9) – pour consultation sur les points litigieux, en vertu de l’article 65 du RGPD. Ce dernier a alors rendu trois décisions contraignantes le 5 décembre 2022 relatives aux activités de traitement de données à caractère personnel par Facebook, Instagram et WhatsApp (10). L’autorité irlandaise a alors intégré ces conclusions dans ses trois décisions – celles datées du 31 décembre 2022 à l’encontre de Facebook (210 millions euros d’amende) et d’Instagram (180 millions euros), ainsi que dans celle du 12 janvier 2023 à l’encontre de WhatsApp (5,5 millions d’euros d’amende). Dans le cadre de ses projets de décisions d’octobre 2021, l’autorité irlandaise relevait, de la part des sociétés Facebook, Instagram et WhatsApp, un manquement à leur obligation de transparence édictée par le RGPD (11). En effet, l’autorité irlandaise considère que les utilisateurs des services Meta ne disposent pas d’une clarté suffisante quant aux opérations de traitement effectuées sur les données à caractère personnel, à quelle(s) finalité(s) et quelle(s) base(s) légale(s) parmi celles identifiées à l’article 6 du RGPD.

L’absence de consensus européen
Les décisions contraignantes rendues par le CEPD le 5 décembre 2022 confirme cette position en ce qui concerne la violation par Facebook, Instagram et WhatsApp de leur obligation de transparence, sous réserve de l’insertion d’une violation supplémentaire, celle du principe de loyauté édicté par le RGPD (12). Alors que la « Cnil » irlandaise considère, dans ses projets de décisions soumis au CEPD, que le recours de Meta Ireland au contrat constituait une base juridique pour certains traitements des données personnelles, ses homologues européens ont soulevé des objections sur ce point. En cause : le rejet par la DPC de la notion de « consentement forcé », s’appuyant sur le contrat entre les utilisateurs et Meta pour légitimer les traitements concernés. Dans les cas Facebook et Instagram, la question était de savoir si la diffusion de publicité personnalisée ou comportementale constituait, ou non, un des services personnalisés inclus dans les services plus largement fournis par Facebook et Instagram au titre du contrat conclu avec ses utilisateurs.

Impact important sur les plateformes
En effet, dans l’affirmative, ce service pourrait être considéré comme licite au sens de l’article 6 du RGPD, sans nécessité de solliciter le consentement des personnes concernées – systématiquement requis pour les traitements ayant pour finalité la publicité – en se fondant sur la base juridique de « l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ». Selon l’autorité irlandaise, ce service personnalisé fait partie intégrante du contrat conclu entre le fournisseur de services et ses utilisateurs, et a été accepté par ces derniers au moment où ils acceptent les conditions d’utilisation des services. Ainsi, le consentement de l’utilisateur au traitement serait implicitement déduit de l’acceptation d’utiliser le service Meta. Cette réalité est au coeur du modèle économique de la firme de Mark Zuckerberg, dont la rentabilité se fonde sur les revenus publicitaires nécessitant la collecte massive et la réutilisation gratuite des données personnelles de ses utilisateurs à des fins de publicité comportementale. Andrea Jelinek, présidente du CEPD, a d’ailleurs déclaré que les décisions du comité pouvaient « avoir un impact important sur d’autres plateformes qui ont des publicités comportementales au centre de leur modèle d’affaires » (13).
Dans le cas WhatsApp, l’enjeu consistait à déterminer si le fait de subordonner l’accès des services WhatsApp à l’acceptation par les utilisateurs des conditions générales mises à jour (les services ne seraient alors pas accessibles si les utilisateurs refusaient de le faire), revenait ou non à « forcer » les utilisateurs à consentir au traitement de leurs données personnelles à des fins d’amélioration et de sécurité du service. Selon le point de vue de la « Cnil » irlandaise, le service fourni par WhatsApp comprend l’amélioration du service et la sécurité, nécessaire à l’exécution du contrat conclu avec les utilisateurs, de sorte que de telles opérations de traitement étaient licites au regard de l’article 6 du RGPD. Les autres « Cnil » européennes concernées par ces traitements ont soulevé – tant pour les cas Facebook et Instagram que pour le cas WhatsApp – des objections et ont estimé que les finalités de publicité personnalisée et d’amélioration du service et de sécurité ne sont pas considérées comme nécessaires pour exécuter les éléments essentiels du contrat conclu avec les utilisateurs. Face à l’absence de consensus sur ces points, le CEPD a par conséquent été consulté par l’autorité irlandaise, dans le cadre de la procédure issue de l’article 65 du RGPD, afin qu’il tranche sur les questions litigieuses.
Dans ses décisions rendues le 5 décembre 2022, le CEPD adopte, sur le fondement de l’article 6 du RGPD, la position selon laquelle Meta Ireland ne peut par principe invoquer le contrat comme constituant une base juridique pour traiter les données à caractère personnel à des fins de publicité comportementale (cas Facebook et Instagram) et d’amélioration et de sécurité. Le CEPD se distingue alors des autorités européennes qui soulevaient qu’un tel traitement ne satisfait pas à la condition de nécessité (en d’autres termes, la publicité personnalisée n’est pas nécessaire à l’exécution d’un contrat avec les utilisateurs de Facebook et Instagram), et rend des décisions de principe par application stricto sensu du RGPD.
Reflet du pouvoir contraignant du CEPD, l’autorité irlandaise a donc intégré cette solution dans les deux décisions rendues le 31 décembre 2022 à l’encontre de Facebook et Instagram. Il est exigé une mise en conformité avec le RGPD dans un délai de trois mois à compter de la décision – autrement dit d’ici au 31 mars prochain. De même, le 12 janvier 2023, l’autorité irlandaise a accueilli cette solution dans sa décision à l’encontre de WhatsApp, en lui ordonnant de se mettre en conformité dans un délai de six mois – soit d’ici le 12 juillet prochain.
A l’heure où il est indéniable que la donnée est le nouvel « or noir » du XXIe siècle, les entreprises doivent adopter des méthodes et techniques, et ce dès la conception de leur modèle économique, afin de protéger convenablement les données personnelles, comme l’exige le RGPD. Il apparaît désormais vital pour les entreprises d’anticiper les implications de leur conformité dès la conception de leurs projets impliquant des traitements de données personnelles (« Privacy by Design »).

Les internautes reprennent la main
On constate aujourd’hui que les internautes, surtout ceux résidant dans l’UE, cherchent, dans le cadre d’une approche « Privacy First », à utiliser des services respectueux de leur vie privée et prennent en compte la question de la protection des données personnelles les concernant comme condition à l’utilisation de tels services. Les entreprises traitant massivement les données personnelles, et notamment les GAFAM, se trouvent alors confrontées à cette problématique qui tend à modifier considérablement leur modèle économique. Il est aujourd’hui indispensable de se demander de quelle manière et à quel moment il est opportun d’appréhender la question de la protection de la donnée. @

Pour pallier la disparition des cookies, la publicité contextuelle cherche à s’imposer dans le monde

La fin prochaine des cookies, et autres traceurs publicitaire intrusifs sur les terminaux des internautes pris pour cibles, a ouvert la voie à la publicité contextuelle. C’est aussi une alternative à l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Des adtech comme Seedtag relèvent le défi.

« La publicité contextuelle est une technique publicitaire qui vise à diffuser sur un support (web, télévision) des publicités choisies en fonction du contexte dans lequel le contenu publicitaire est inséré », définit la Cnil sur son site web (1). Avantage : le ciblage contextuel ne nécessite pas d’avoir des informations sur la personne regardant la publicité, ni de collecter des données personnelles la concernant. Bref, c’est l’arme anti-cookie et anti-data par excellence. Des adtech comme l’espagnole Seedtag s’en sont fait une spécialité, devançant notamment le champion français des cookies, Criteo (2), qui tente de pivoter dans le contextuel.

Seedtag, « n°1 mondial » du contextuel
La start-up Seedtag, fondée en 2014 par deux anciens de chez Google, Jorge Poyatos (photo de gauche) et Albert Nieto (photo de droite), a créé une intelligence artificielle contextuelle – baptisée Liz – qui permet aux annonceurs de « toucher les consommateurs en fonction de leurs intérêts sans utiliser aucune donnée personnelle ». Ayant son siège social à Madrid, cette licorne en puissance se déploie à l’international, tant en Europe qu’aux Etats-Unis et en Amérique du Sud. Fin juillet, elle a annoncé avoir levé 250 millions d’euros auprès du fonds américain Advent International. Celui-ci rejoint d’autres investisseurs institutionnels déjà présents dans Seedtag, à savoir Oakley Capital, Adara Ventures et All Iron Ventures. Objectif : « Faire évoluer le secteur de la publicité digitale à plus grande échelle », notamment outre-Atlantique.
Seedtag se revendique déjà comme étant « le numéro un en Europe et en Amérique Latine dans la publicité contextuelle ». S’étant d’abord développé dans la publicité intégrée au sein des images illustrant des articles (in-image advertising), Seedtag a ensuite élargi son offre à la vidéo (outstream) et aux bannières (display). Pour se hisser à la première place de ce marché dynamique, la start-up madrilène rachète certains de ses concurrents : la société italienne AtomikAd est tombée dans son escarcelle en novembre 2020, suivie de l’allemand Recognified en février 2021, puis du français KMTX en juillet 2022. En plus de son IA contextuelle, Liz, Seedtag ajoute ainsi des cordes à son arc pour mieux cibler les internautes sans recourir aux cookies ni exploiter leurs données, ni les suivre à la trace dans leurs navigations sur le Web. Ses outils alternatifs vont du placement in-content jusqu’à l’automatisation des performances marketing (apprentissage automatique). « En diffusant des publicités dans le contenu, nous tirons pleinement parti de l’attention des utilisateurs : selon l’eye-tracking [oculométrie en français, à savoir le suivi des mouvements des yeux sur un écran, ndlr] les publicités intégrées au contenu captent l’attention plus rapidement et la retiennent plus longtemps ».
Cette optimisation du ciblage publicitaire cookie-free est obtenue par la « lecture » approfondie des contenus des pages pour obtenir le meilleur résultat pour l’annonceur. De grandes marques telles que Microsoft, LG, Heineken, Nestlé, Renault, Unilever, Levi’s, Forbes, Marie-Claire, Vanity Fair ou encore Sky Sport font partie du portefeuille de clients de Seedtag. Par exemple, la filiale française dirigée par Clarisse Madern a renouvelé en début d’année des partenariats avec des éditeurs tels que CMI (Elle, Marianne, Télé 7 jours, …), Prisma Media (Capital, Gala, Geo, …), Lagardère Publicité News et Reworld Media.
En mai dernier, avec l’appui d’une étude de l’institut marketing Nielsen réalité auprès de 1.800 consommateurs au Royaume-Uni, Seedtag a démontré que le ciblage contextuel était bien plus accepté que le ciblage utilisant leurs données personnelles : « Les consommateurs étaient 2,5 fois plus intéressés par la publicité contextuelle que lorsqu’il la publicité n’est pas ciblée. De plus, les résultats ont montré que les personnes qui ont vu des publicités contextuelles étaient 32 % plus susceptibles de passer l’action après avoir vu la publicité. Les consommateurs ciblés en fonction du contexte se sont sentis 40 % plus enthousiastes à l’égard de la catégorie [du message publicitaire] que ceux ciblés sur le plan démographique et 28 % plus enthousiastes que ceux ciblés uniquement en raison de leur intérêt dans la catégorie » (3).

Les navigateurs deviennent cookieless
En début d’année, dans le cadre de ses tests pour sa solution alternative « Privacy Sandbox », Google avait annoncé la fin des cookies tiers sur son navigateur Chrome d’ici à fin 2023 (4), au lieu de 2022 initialement prévu. Alors qu’Apple avec Safari et Mozilla avec Firefox sont déjà cookieless (5), la filiale d’Alphabet a dû prolonger les tests : « Nous avons maintenant l’intention de commencer à éliminer progressivement les cookies tiers dans Chrome dans la seconde moitié de l’année 2024 », a-t-elle indiqué le 27 juillet dernier (6). @

Charles de Laubier

Collecte de données de géolocalisation mobile : la Cnil mène l’enquête au regard du RGPD

Le 13 juin 2022, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a annoncé avoir confié à son laboratoire Linc une étude sur les données de géolocalisation collectées par des applications mobiles, la revente de données et les data brokers. Elle vérifiera la conformité avec le RGPD.

« Si cette étude n’est pas liée à une procédure de contrôle ou de sanction, elle s’inscrit néanmoins dans l’une des thématiques prioritaires de contrôles puisqu’en 2022 la Cnil vérifiera la conformité au RGPD des professionnels du secteur [en l’occurrence de la prospection commercial, dont la publicité en ligne, ndlr], en particulier de ceux qui procèdent à la revente de données, y compris, des nombreux intermédiaires de cet écosystème (aussi appelés data brokers) », précise le gendarme français des données et des fichiers informatiques.

Données anonymisées ou authentiques
Cela fait partie de ses priorités pour l’année en cours, dans le cadre sa mission de contrôle du respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), lequel fut adopté en 2016 par le Parlement européen (1) et en vigueur depuis mai 2018 dans les Vingt-sept. Cette enquête est confiée au Laboratoire d’innovation numérique (Linc), dirigé depuis plus d’un an par Vincent Toubiana (photo). Cette mission s’achèvera dans quinze mois – en septembre 2023 – et « ce projet donnera lieu à plusieurs publications sur le site web du Linc » (2). Si la Cnil n’envisage pas – pour l’instant ? – d’actions répressives à l’encontre des exploitants de données, anonymisées et/ou personnelles, qui enfreindraient le RGPD et la protection de la vie privée des internautes, elle prévoit de « sensibiliser le public et les professionnels sur les enjeux liés à la collecte de données de géolocalisation par les applications mobiles ».
Pour étudier les pratiques aux finalités publicitaires et marketing, le Linc est en train d’analyser « un échantillon de données correspondant à la France » que la Cnil s’est procuré auprès d’un data broker de la place en se faisant passer pour un client potentiel lambda. Elle a pu ainsi obtenir du courtier de données « un jeu de données de géolocalisation » concernant des personnes. La Cnil précise que le jeu de données concerné est un fichier comportant des données de géolocalisation horodatées avec des points de localisation associés à près de 5 millions d’identifiants publicitaires de smartphones (Android et iOS) sur une période d’environ une semaine en 2021. « Les données transmises, précise le régulateur des données personnelles, sont présentées comme anonymisées par le revendeur de données. Après une rapide analyse, la Cnil considère qu’au moins une partie de ces données est authentique. Elle vérifiera si, sur la base de ce jeu de données, elle est en capacité de réidentifier les personnes et, dans l’affirmative, elle informera individuellement celles-ci ».
Dans l’éventualité où des personnes seraient réidentifiées, assure donc l’autorité indépendante de la place de Fontenoy, le traitement de leurs données sera suspendu jusqu’à ce qu’elles soient individuellement informées. « Si vous souhaitez plus d’informations sur ce traitement ou si vous souhaitez exercer vos droits, vous pouvez contacter ip@cnil.fr ou adresser un courrier à la Cnil à l’attention du service Linc », indique-t-elle. Des mesures particulières ont même été prises pour assurer la confidentialité de ces données auxquelles ne pourront accéder que l’équipe du Linc. Dans le jeu de données fourni, apparaissent des identifiants publicitaires. Ce que l’on appelle « identifiant publicitaire » consiste en une chaîne de caractères associée à un unique smartphone et permettant à des annonceurs de le reconnaître pour lui adresser de la publicité. « Comme son nom l’indique, cette donnée est identifiante : il s’agit donc d’une donnée personnelle. Un acteur disposant de deux sources de données présentant le même identifiant publicitaire est en mesure de relier les informations et de construire un profil plus complet de la personne à laquelle l’identifiant est associé », souligne la Cnil.

Deux missions : information et veille techno
Un courtier de données est à même de pouvoir relier les données d’utilisations collectées à partir de différentes applications installées sur un même smartphone. « Plus cet identifiant est stable dans le temps, fait remarquer l’autorité, plus il permet d’accumuler des informations sur les habitudes des propriétaires de smartphones. Il est donc conseillé de renouveler régulièrement cet identifiant ». Dans l’étude du Linc, l’identifiant publicitaire ne sera utilisé que pour faire le lien entre les points de localisation correspondant à un même smartphone. Un acteur de la publicité, lui, cherchera à faire le lien utiliser la valeur de l’identifiant pour l’associer à d’autres données telles que des données d’utilisation d’applications mobiles. La course à la géolocalisation mobile à des fins de publicités ciblées en temps réel – le RTB (Real Time Bidding) – serait la plus grande atteinte à la vie privée, selon l’ONG irlandaise ICCL (3), qui a publié le 16 mai dernier une étude édifiante (4) : en Europe, l’industrie du RTB expose les données des gens 376 fois par jour en moyenne ; aux Etats-Unis, c’est 747 fois ! L’industrie américaine et européenne du RTB a généré plus de 117 milliards de dollars en 2021.

Des mesures législatives ou réglementaires ?
Cette étude sur les données de géolocalisation collectées par des applications mobiles s’inscrit dans le cadre de deux missions précises de la Cnil prévues par la loi « Informatique et Liberté » : d’une mission d’information telle que définie dans l’article 8.I.1 (« Elle informe toutes les personnes concernées et tous les responsables de traitements de leurs droits et obligations et peut, à cette fin, apporter une information adaptée aux collectivités territoriales, à leurs groupements et aux petites et moyennes entreprises ») ; d’une mission de suivi de l’évolution des technologies de l’information telle que définie dans l’article 8.I.4 (« Elle se tient informée de l’évolution des technologies de l’information et rend publique le cas échéant son appréciation des conséquences qui en résultent pour l’exercice des droits et libertés mentionnés à l’article 1er »).
Dans sa mission de suivi de l’évolution des technologies de l’information, la Cnil peut même proposer au gouvernement des mesures législatives ou réglementaires pour procéder à l’« adaptation de la protection des libertés à l’évolution des procédés et techniques informatiques et numériques ». Reste à savoir s’il faudra adapter les textes en vigueur aux données de géolocalisation collectées par des applications mobiles, à la revente de données et aux pratiques des data brokers. Quoi qu’il en soit, la Cnil est tenue de contrôler la conformité des acteurs du numérique en France au RGPD, et les données de géolocalisation des données mobile – à l’ère du smartphone utilisé comme premier écran – sont particulièrement sensibles à cet égard.
D’autant que la loi « Informatique et Libertés » de 1978 n’a jamais été autant réécrite depuis l’ordonnance « Protection des données personnelles » du 12 décembre 2018 qui a mis en conformité le droit national français (5) avec le RGPD entré en vigueur au niveau européen depuis le 25 mai 2018. Cette transposition a notamment eu un impact sur le 1er article de cette loi française historique sur l’informatique, les fichiers et les libertés, qui en réfère désormais au RGPD européen notamment. Ainsi : « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Les droits des personnes de décider et de contrôler les usages qui sont faits des données à caractère personnel les concernant et les obligations incombant aux personnes qui traitent ces données s’exercent dans le cadre du [RGPD], de la directive [dite « Police-Justice », ndlr (6)] et de la présente loi [« Informatique et Libertés »] ».
L’on comprend pourquoi la collecte des données de géolocalisation par les éditeurs d’applications mobiles soit mise sous surveillance et fasse l’objet d’une enquête de la part du régulateur des données personnelles. La question de l’anonymisation de ces data géolocalisées et de leur identification en tant que données personnelles est cruciale, voire épineuse pour tout l’écosystème numérique et publicitaire.
Surtout que la directive européenne dite « ePrivacy » – modifiée (7) et transposée à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » – interdit la collecte de données sans le consentement préalable de l’internaute (du mobinaute) concerné et sans qu’elle ait été rendues anonymes. Or cette directive « ePrivacy » prévoit en son article 5.3 que « les Etats membres garantissent que l’utilisation des réseaux de communications électroniques en vue de stocker des informations ou d’accéder à des informations stockées dans l’équipement terminal d’un abonné ou d’un utilisateur ne soit permise qu’à condition que l’abonné ou l’utilisateur, soit muni, (…) d’une information claire et complète, entre autres sur les finalités du traitement, et que l’abonné ou l’utilisateur ait le droit de refuser un tel traitement par le responsable du traitement des données. (…) ». Cette disposition, transposée dans des termes similaires en droit français dans la loi « Informatique et Libertés », concerne a priori aussi bien les cookies stockés sur tout terminal connecté que l’accès aux données de géolocalisation qui y sont stockées.

Cookies et data géolocalisées, même combat ?
D’ailleurs, comme elle l’a déjà fait pour les cookies déposés par Amazon et Google (8), la Cnil pourrait très bien recourir non pas au RGPD – lequel suppose à « l’autorité chef de file » de coordonner la prise de décision avec les autres autorités concernées par le traitement des données en question – mais à s’appuyer plutôt sur cette directive « ePrivacy ». Dans ce cas, le gendarme français des données personnelles peut se considérer comme territorialement compétente pour contrôler et sanctionner des acteurs – même étrangers – abusant de la géolocalisation de données mobiles via leurs activités en France. @

Charles de Laubier

Mineurs, réseaux sociaux et sites pornos : contrôle de l’âge et risques sur la vie privée

Alors qu’une procédure de l’Arcom s’éternisent devant la justice contre cinq sites web pornographiques (Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos), le contrôle de l’âge – pour interdire aux mineurs l’accès à ces contenus pour adultes ou l’inscription sur les réseaux sociaux – pose problème.

Cela fait un an que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a publié – le 9 juin 2021 – huit recommandations pour « renforcer la protection des mineurs en ligne » (1), dont une – la septième – s’intitule « Vérifier l’âge de l’enfant et l’accord des parents dans le respect de sa vie privée ». Car la question du contrôle de l’âge est complexe et difficile à mettre en œuvre au regard de la protection de la vie privée et du principe de l’anonymat. Or, 44 % des 11-18 ans déclarent avoir déjà menti sur leur âge pour utiliser les réseaux sociaux (2). Et quelle proportion des mineurs ont déclaré être majeurs sur les sites web à caractère pornographique ?

Vérifier l’âge : pas de procédé fiable (PEReN)
Vérifier l’âge de l’internaute reste encore à ce jour un problème car les solutions de contrôle sont soit facilement contournables (déclaration qui peut être mensongère, vérification par e-mail inefficace, …), soit portant atteinte à la protection des données et à la vie privée (reconnaissance faciale jugée disproportionnée, utilisation des données recueillies à des fins commerciales ou publicitaires, …). A ce jour, les réseaux sociaux – le plus souvent interdits aux moins de 13 ans (voire moins de 16 ans dans certains autres pays européens comme l’Allemagne), et les sites web pornographiques interdits aux moins de 18 ans – ne savent pas vraiment comment procéder pour être irréprochables dans le contrôle de l’âge de leurs utilisateurs.
A Bercy, le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) – rattaché à la Direction générale des entreprises (DGE) et placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de l’Economie, de la Culture et du Numérique (3) – a publié le 20 mai dernier une étude à ce sujet. « Détection des mineurs en ligne : peut-on concilier efficacité, commodité et anonymat ? », s’interroge cette entité interministérielle. Son constat : « Aujourd’hui, pratiquement aucun service en ligne n’utilise de procédé fiable permettant de vérifier l’âge. Malgré leur multiplicité, peu de méthodes sont à la fois faciles à mettre en œuvre, peu contraignantes et respectueuses de la vie privée des utilisateurs, performantes et robustes face à des tentatives de fraude ». Le PEReN, qui est dirigé par Nicolas Deffieux (photo), fait aussi office de task force au service notamment de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), au moment où celle-ci – du temps du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) – a mis en demeure le 13 décembre 2021 cinq sites web pornographiques et les a enjoints de se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions du code pénal. Faute d’avoir obtempéré dans les temps (ultimatum de quinze jours), les cinq plateformes incriminées – Pornhub, Ttukif, xHamster, Xnxx, et Xvideos – se retrouvent devant la justice, à l’initiative de l’Arcom, dans le cadre d’une procédure « accélérée » qui s’éternise (4).
Selon NextInpact, la présidente du tribunal judiciaire de Paris a considéré le 24 mai dernier comme « caduque » l’assignation adressée par l’Arcom aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) afin qu’ils bloquent les cinq sites pornos. Raison de cette annulation : l’Arcom n’a informé le tribunal de cette assignation que le jour même de l’audience, au lieu de la veille au plus tard (5). L’Arcom doit donc réassigner les FAI, ce qui reporte l’audience de quelques semaines. Toujours selon NextInpact, les avocats des sites pornos réclament le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel et d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Tandis que le Conseil d’Etat, lui, a été saisi de l’annulation du décret d’application du 7 octobre 2021 portant sur les «modalités de mise œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l’accès à des sites diffusant un contenu pornographique » (6). Ce décret menace les FAI contrevenants à des sanctions pénales de « trois ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende lorsque ce message [à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique] est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur » (7). Surtout que « les infractions (…) sont constituées y compris si l’accès d’un mineur aux messages (…) résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans » (8). Cette dernière disposition introduite dans le code pénal découle de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Vie privée : ne pas enfreindre le RGPD
Il y a donc péril judiciaire dans le porno. D’autant qu’une deuxième procédure, distincte de celle de l’Arcom, suit son cours en référé déposé devant le tribunal judiciaire par deux autres associations – La Voix de l’enfant et e-Enfance – sur la base de la loi « Confiance dans l’économie numérique » (loi LCEN de 2004). Son visés les mêmes sites pornos que dans la première affaire, mais avec MrSexe, IciPorno, YouPorn et RedTube (soit neuf au total). Or, à ce jour, l’absence de procédés fiables pour contrôler l’âge des internautes sans porter atteinte à la vie privée – et en respectant au niveau européen le règlement général sur la protection des données (RGPD) – rend la situation compliquée pour les réseaux sociaux et les sites pornos. « Les procédés techniques visant à vérifier la majorité d’âge ne sauraient conduire au traitement de données biométriques au sens de l’article 9 du RGPD, compte tenu de la nature particulière de ces données et du fait que le recueil du consentement de la personne concernée ne pourrait être considéré comme libre s’il conditionne l’accès au contenu demandé », avait mis en garde la Cnil dans son avis du 3 juin 2021 sur le projet de décret « Protéger les mineurs » (devenu le décret du 7 octobre 2021).

Double anonymat préconisé par la Cnil
Dans sa délibération parue au J.O. le 12 octobre de la même année (9), la Cnil écarte aussi le recours à la carte d’identité : « Serait considérée comme contraire aux règles relatives à la protection des données la collecte de justificatifs d’identité officiels, compte tenu des enjeux spécifiques attachés à ces documents et du risque d’usurpation d’identité lié à leur divulgation et détournement ».
Quoi qu’il en soit, l’article 8 du RGPD interdit l’utilisation de données personnelles des enfants âgés de moins de 13 à 16 ans, selon les Etats membres. La France, elle, a retenu l’âge de 15 ans. Ainsi, en-dessous de cet âge légal, la loi « Informatique et Libertés » impose – conformément au RGPD – le recueil du consentement conjoint de l’enfant et du titulaire de l’autorité parentale (10). Si la préoccupation première était de ne pas exposer les mineurs de 13 à 16 ans à de la publicité ciblée sur les réseaux sociaux, lesquels sont censés avoir mis en place des procédés de vérification de l’âge (11), cette obligation concerne désormais les sites web à caractère pornographique.
A noter que les jeux d’argent et de hasard en ligne (comme les paris sur Internet) sont également soumis au contrôle préalable de l’âge. Au niveau européen, la Commission européenne soutient l’initiative euConsent qui vise à mettre en place des systèmes de vérification de l’âge et de consentement parental qui soient interopérables, sécurisés et ouverts à l’échelle paneuropéenne – conformes à la certification eIDAS (12). Dans le consortium euConsent se côtoient Facebook, Google, les associations européennes respectivement des opérateurs télécoms historiques Etno et des fournisseurs d’accès à Internet EuroIspa, ou encore des organisations de protection de l’enfance. Le futur Digital Services Act (DSA), législation sur les services numériques, va introduire à son tour une interdiction de la publicité ciblée pour les mineurs.
Le contrôle de l’âge va se renforcer sur Internet, mais les méthodes de vérifications laissent à désirer. Le PEReN a classé dans son étude les solutions selon le mode de preuve employé (voir aussi tableau ci-dessous) :
• Le contrôle de l’âge, à l’aide d’un document portant l’identité et la date de naissance de la personne, à l’aide d’un document dont toutes les parties identifiantes auraient été supprimées avant tout traitement, ou enfin par les parents (contrôle parental) ;
• L’estimation algorithmique de l’âge sur la base du contenu publié ou utilisé par l’utilisateur sur le site ou bien à partir de données biométriques (voix, images, vidéos, …) ;
• Le déclaratif se basant uniquement sur les déclarations des internautes.
Le PEReN estime « primordial que la vérification de l’âge ne soit pas directement opérée par la plateforme ou le service en ligne afin de réduire le risque de croisement ou de réutilisation des données collectées lors de la vérification ». Il préconise alors « un mécanisme de tiers, voire de double tiers, [qui] peut être mis en place pour la transmission du résultat de la vérification précisément afin de minimiser ce risque ». Ainsi, ce mécanisme de doubletiers constitue une mise en œuvre possible du double anonymat recommandé par la Cnil, laquelle – en partenariat avec un laboratoire de l’Ecole polytechnique et le PEReN – a développé un prototype de ce mécanisme de vérification de l’âge par double anonymat pour en démontrer la faisabilité technique. D’après le PEReN « cette preuve de concept [devait] être rendue disponible fin mai ».
Contacté par Edition Multimédi@, son directeur général Nicolas Deffieux nous indique que la Cnil est maître des horloges. Le prototype est en effet entre les mains de Vincent Toubiana, qui y dirige le laboratoire d’innovation numérique (Linc). « Notre calendrier a été décalé et je n’ai actuellement aucune date de publication prévue », nous précise ce dernier. @

Charles de Laubier