Une énième chronologie des médias doit s’appliquer en février, mais avec des points expérimentaux

C’est reparti pour un tour. La chronologie des médias, qui régit la sortie des nouveaux films après les quatre mois exclusifs des salles de cinéma, doit faire l’objet d’un nouvel accord interprofessionnel qui doit entrer en vigueur en février. Le consommateur connecté reste le grand perdant.

Un an après la signature – le 24 janvier 2022 – de la chronologie des médias actuellement en vigueur en France (1), les professionnels du cinéma, de la télévision et des plateformes de vidéo à la demande doivent signer un nouvel accord intégrant des ajustements négociés depuis plus de six mois. Cette nouvelle mouture, élaborée sous l’égide du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), laisse un tout petit peu de place aux plateformes de VOD, d’une part, et de SVOD, d’autre part. Alors que la généralisation des usages numériques aurait justifié d’avoir des nouveaux films plus tôt après leur sortie dans les salles obscures.

VOD et SVOD : très peu d’avancées
Les deux grands gagnants de cette nouvelle chronologie des médias qui entrera en vigueur en février, sans grands changements par rapport à celle signée l’an dernier, sont les salles de cinéma et la chaîne cryptée Canal+. Les premières, quasiment toutes membres de l’influente Fédération nationale des cinémas français (FNCF) dont le président Richard Patry (photo de gauche) a été encore réélu le 26 janvier, gardent leur monopole sur les quatre premiers mois à compter de la date de sa sortie des films le mercredi. La VOD à l’acte et les DVD/Blu-Ray doivent attendre le cinquième mois après la sortie du film en salle pour pouvoir le proposer. A l’heure du numérique, ce délai est bien trop long et favoriserait le piratage de films sur Internet.
Il y a bien une dérogation possible à trois mois, mais elle est rarement demandée car la condition fixée par décret est très restrictive : actuellement, le film doit avoir réalisé 100.000 entrées au plus – en général moins – à l’issue de sa quatrième semaine d’exploitation en « salles de spectacles cinématographiques » (2). Le Syndicat des éditeurs de vidéo à la demande (Sévad) a proposé lors des dernières négociations d’étendre la dérogation des trois mois à tous les films qui le souhaitent – sous réserve de l’accord de l’éditeur-distributeur – pour être proposés plus tôt en VOD à l’acte. Mais cela se fera à titre « expérimental ». Les plateformes Orange VOD, Canal VOD, Filmo TV, UniversCiné ou encore Viva by Videofutur pourraient en profiter. Le nouvel accord devrait intégrer cette « fenêtre premium » à trois mois après la salle, moyennant un prix qui serait plus élevé pour le consommateur. C’est dommage pour ce dernier, à l’heure où son pouvoir d’achat est déjà grevé par l’inflation… Ce serait donc un petit pas en avant, mais à des « mois-lumière » de la sortie simultanée salles-VOD (day-and-date) qui reste un tabou en France. Quant à la SVOD, avec ses plateformes emblématiques que sont Netflix, Amazon Prime Video, Disney+ ou encore Paramount+ (pour ne citer que celles-ci), elle a déjà avancé il y a un an dans chronologie des médias : passant alors de 36 mois à 17 mois voire à 15 mois en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma. « C’est la raison pour laquelle nous l’avons signée. [Mais] ce n’est qu’un premier pas », avait prévenu Damien Bernet, directeur commercial et juridique de Netflix France, devant l’Association des journalistes médias (AJM) fin juin (3).
Restait notamment la question de la continuité d’exploitation d’un film en SVOD lorsque la fenêtre de la télévision en clair s’ouvre. Car jusqu’alors, la chronologie des médias imposait à la plateforme de SVOD de retirer le film lorsque celui-ci commence à être proposé au 22e mois après sa sortie en salle par une chaîne en clair qui l’a préfinancé ou acquis. Autrement dit, un film sur Netflix ou Disney+ devait être retiré du catalogue après cinq ou sept mois de mise en ligne au profit de la fenêtre de la télévision en claire (TF1, M6, France Télévisions) s’ouvrant en exclusivité durant quatorze mois ! Disney avait tapé du poing sur la table en juin 2022 en décidant de ne pas sortir dans les salles de cinéma françaises « Avalonia, l’étrange voyage » mais en exclusivité sur Disney+, provoquant le courroux de la FNCF. Ayant menacé de faire de même avec « Black Panther : Wakanda Forever », The Walt Disney Company avait donné un coup de pression aux négociations en France (4).

Canal+, donnant-donnant avec le cinéma
La nouvelle chronologie des médias devrait finalement prolonger d’au moins deux mois la fenêtre d’exploitation de la SVOD pour de tels films, s’ils sont produits en interne (« inhouse ») avec un budget de plus de 25 millions d’euros. Pour ces films-là, les chaînes gratuites bénéficieraient en échange d’une exclusivité de deux mois. Là aussi, cela se fera à titre « expérimental ». Canal+, la chaîne cryptée qui rachète OCS à Orange, est la grande gagnante avec son positionnement à six mois après la sortie en salle (au lieu de huit avant le 28 janvier 2022). Sur RTL le 11 janvier (5), son président Maxime Saada (photo de droite) – en lice pour « la personnalité de l’année 2022 » du Film Français (6) – s’est engagé à investir sur cinq ans plus de 1 milliard d’euros dans le cinéma français. @

Charles de Laubier

Warner Bros. Discovery veut lancer plus tôt que prévu sa méga-plateforme de streaming « HBO Discovery »

Le calendrier s’accélère pour le géant des médias Warner Bros. Discovery (WBD), né en avril. Sa plateforme de streaming vidéo, combinant HBO Max et Discovery+, sera lancée plus tôt : au printemps 2023 aux Etats-Unis, au lieu de l’été, puis en Europe en 2024 – dont la France où son partenaire OCS est en vente.

Avec bientôt 100 millions d’abonnés cumulés non seulement à la chaîne payante HBO (Cinemax compris) mais aussi aux deux plateformes de streaming HBO Max et Discovery+, contre 94,9 millions au 30 septembre dernier, Warner Bros. Discovery (WBD) se sent pousser des ailes. La croissance des abonnements se poursuit, le troisième trimestre ayant gagné 2,8 millions de clients supplémentaires.
Cela tombe bien pour le nouveau géant américain des médias et du divertissement car le temps presse : ses chaînes de télévision traditionnelles – HBO, CNN ou TBS du côté de l’ex-WarnerMedia, et Eurosport, Discovery Channel ou MotorTrend du côté de l’ex-Discovery – sont confrontées à la fois au phénomène du cord-cutting (bien connu aux Etats-Unis lorsque les abonnés aux chaînes câblées résilient leur contrat au profit de l’accès direct par Internet aux plateformes audiovisuelles) et à la baisse des recettes publicitaires sur ces mêmes networks (à savoir les télévisions par câble d’ampleur nationale) où elles ont été en recul de 11 % sur un an au troisième trimestre. Et ce, « principalement en raison de la baisse de l’auditoire de nos émissions de divertissement et d’actualité ». Pour le groupe dirigé par David Zaslav (photo), il y a donc urgence à lancer sa méga-plateforme de streaming combinant HBO Max et Discovery+, dont le nouveau nom reste encore à trouver : HBO Discovery ? Warner Discovery ? WBD+ ?

Hausse du cord-cutting et baisse de la pub
Il s’agit aussi de ne pas se faire trop distancer par les trois locomotives de la SVOD mondiale : Netflix, Amazon Prime Video et Disney+, avec leurs respectivement 223 millions, 200 millions et 164,2 millions d’abonnés. David Zaslav a confirmé il y a un moins devant des analyses, lors de la présentation des résultats de WBD au troisième trimestre, que la nouvelle plateforme de streaming « HBO Discovery », sera disponible aux Etats-Unis dès le printemps 2023, et non l’été suivant comme il l’avait initialement annoncé. Pour l’Europe, c’est plus compliqué avec les accords d’exclusivité de HBO en cours avec Sky (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, …) et avec OCS (France) : il faudra attendre 2024 pour la nouvelle plateforme – à moins qu’un coup d’accélérateur ne soit donné là aussi. La diffusion exclusive par OCS des contenus de HBO, dont « Game of Thrones », arrive à échéance en fin d’année.

France : fini l’exclusivité d’OCS
De plus, OCS est mis en vente par son principal actionnaire Orange (66,33 % du capital) qui discute avec Canal+ (33,33 %) intéressé par le rachat de ce bouquet de chaînes payantes assorti de son studio de cinéma au catalogue de films et séries bien fourni (1). WBD a examiné le dossier, selon Le Film Français (2). Le groupe a aussi signé en France avec Amazon Prime Video, selon Variety (3). Le fait que la plateforme « HBO Discovery » ne pourra être lancée globalement, à cause de ces restrictions géographiques, constitue un handicap.
L’ex-filiale de contenus audiovisuels et cinématographiques de l’opérateur télécoms AT&T et son compatriote Discovery fondent leur plateforme de streaming en une seule dans le cadre de leur mégafusion aux multiples synergies technologiques, marketing et numériques. En attendant, les résultats du troisième trimestre ont été en dessous des attentes des analystes financiers : les pertes se sont creusées (- 2,3 milliards sur le troisième trimestre), dues à la fusion et aux restructurations. Et le plus difficile reste à venir : WBD a augmenté ses objectifs d’économies d’ici à 2024 de 3 à 3,5 milliards de dollars. Depuis le début de la fusion en avril 2022 (4) et jusqu’à la fin de cette année, 750 millions d’euros d’économies auront été réalisées. Et les plus grosses réductions de coûts sont prévues pour l’année prochain, à hauteur de plus de 2,7 milliards de dollars. « Il reste encore des décisions difficiles à prendre mais nécessaires », a prévenu David Zaslav. Selon le Wall Street Journal, il y a déjà eu en sept mois plus de 1.000 licenciements chez WBD, notamment dans les studios de cinéma et les chaînes de télévision. Et cette réduction de la masse salariale se poursuit. Globalement, la dette de WBD dépasse les 50 milliards de dollars au 30 septembre 2022 et le groupe dispose de 2,5milliards de dollars de trésorerie.
Les chaînes de télévision – les networks (plus de 50 % du chiffre d’affaires global de WBD) – enregistrent une baisse de leurs revenus, de 8 % au cours du troisième trimestre et même de 11% pour la publicité, «principalement en raison de la baisse de l’audience des émissions de divertissement et d’actualité ».
• Les studios de cinéma – à Hollywood et à Londres (plus de 30 % du chiffre d’affaires global de WBD) – voient leurs revenus diminuer, de 5 % au troisième trimestre, « principalement en raison de la baisse des dépenses de divertissement dans les foyers et de la diminution des sorties en salle (à cause du covid-19) ». Et les revenus tirés des licences de télévision ont aussi diminué, « principalement en raison de la diminution du nombre de nouvelles sorties en salle, ce qui a réduit la disponibilité de titres sur les fenêtres payantes des chaînes ».
L’activité Direct-to-Consumer – regroupant les abonnements à HBO, HBO Max (dont Cinemax) et à Discovery+ (soit 20 % du chiffre d’affaires global de WBD) – affiche une baisse de ses revenus, de 6 % au troisième trimestre. Et ce, malgré une augmentation du nombre total cumulé d’abonnés, à 94,9 millions (+ 2,8 millions d’abonnés en un trimestre), et un doublement des recettes publicitaires sur ce segment «Dto- C ». Mais les revenus de distribution ont, eux, diminué de 6 %, « principalement en raison de l’expiration d’Amazon Channels en septembre 2021 ». Autre signe de faiblesse : l’ARPU globale du « D-to-C » a légèrement reculé au troisième trimestre (7,52 dollars) par rapport au deuxième trimestre (7,66 dollars). Dans ce contexte de transition et d’incertitudes, David Zaslav fonde de grands espoirs sur la future plateforme « WDB+ » pour redynamiser le chiffre d’affaires du groupe. Le streaming devient aussi stratégique que la salle. Le catalogue de titres fait l’objet d’un toilettage de fond en comble, par le retrait sur HBO Max de dizaines d’émissions non stratégiques et par la mise en avant des franchises que détient Warner Bros. telles que « Superman », « Harry Potter » ou encore « Batman » issues de son emblématique filiale DC Comics. Le PDG de WBD a aussi confirmé que la nouvelle plateforme proposera deux offres d’abonnement : une sans publicités et une autre moins chère avec un peu de publicités. Mais les tarifs ne sont pas encore fixés. Cependant, le Français Jean-Briac Perrette (photo cicontre), dit JB, ancien directeur du streaming et de l’international chez Discovery et nouveau PDG « Global Streaming & Games » de WBD, a indiqué que l’abonnement de HBO Max – 14,99 dollars par mois – n’avait pas augmenté depuis son lancement en mai 2020. Netflix a ouvert la voie de l’AVOD (5) en lançant début novembre dans une douzaine de pays, dont la France, sa formule d’abonnement low cost (à partir de 5,99 euros par mois) avec publicités avant et pendant les programmes (6). Disney+ va suivre le mouvement dès le 8 décembre à partir de 7,99 dollars par mois (7).

130 millions d’abonnés en 2025 ?
David Zaslav a en outre indiqué qu’une offre gratuite financée par la publicité était aussi en cours de développement pour y diffuser aussi des contenus de Warner Bros. et de Discovery. La bataille du streaming ne fait que commencer et cela aura un coût important pour WBD, à l’heure où justement les autres plateformes de SVOD réduisent leurs dépenses. Le cabinet d’études Digital TV Research indique à Edition Multimédi@ qu’il prévoit 48 millions d’abonnés d’ici fin 2023 à la future plateforme « HBO Discovery » et 58 millions d’ici fin 2024. Pour son ensemble D-to-C, WBD vise 130 millions d’abonnés en 2025. @

Charles de Laubier

VOD & SVOD : UniversCiné pourrait devenir Sooner

En fait. Le 28 novembre, Denis Rostein, directeur général de LMC (Le Meilleur du Cinéma), maison mère d’UniversCiné France et coactionnaire d’UniversCiné Belgique, a indiqué à Edition Multimédi@ qu’« une réflexion est en cours » pour transformer UniversCiné en Sooner, une plateforme unique européenne.

En clair. UniversCiné a fêté ses 15 ans cette année. Cette plateforme vidéo – VOD dès le début et en plus SVOD depuis fin 2019 – a été lancée en avril 2007 par 34 producteurs et distributeurs de films indépendants français, aujourd’hui une cinquantaine, réunis au sein de la société Le Meilleur du Cinéma (LMC). La Caisse des Dépôts est présente à son capital.
Mais UniversCiné pourrait changer de nom en 2023 pour prendre celui de Sooner, marque qui a déjà été déployée en Belgique et en Allemagne par des plateformes partenaires d’UniversCiné. « C’est une réflexion que nous menons depuis quelques mois mais cela ne passera pas uniquement par un changement de nom », indique Denis Rostein, directeur général de LMC, à Edition Multimédi@. Une holding européenne pourrait être créée l’an prochain. « Ce n’est pas simple compte tenu de l’actionnariat et des discussions qui intègrent d’autres territoires et sociétés », nous explique-t-il.
Début 2010, une déclinaison de la plateforme UniversCiné a été lancée en Belgique – à l’initiative de producteurs et distributeurs de films belges, luxembourgeois et français (34 aujourd’hui). LMC détient une part du capital d’UniversCiné Belgium au côté de l’actionnaire majoritaire, la société française de production et de distribution de films Metropolitan Filmexport (des frères Hadida). Fin août 2020, les plateformes Universcine.be et Uncut.be ont été fondues en une seule : Sooner.be.
Metropolitan Filmexport avait en outre lancé au printemps 2020 en Allemagne Sooner.de (ex-Universcine.de et ex-Realeyz.de), en partenariat avec le distributeur de films allemand EYZ Media (1). Ces entités évoluent séparément, Sooner Allemagne et UniversCiné Belgium étant membres de la European VOD Coalition créée au printemps, aux côtés de Netflix, Warner Bros. Discovery, Sky ou encore Paramount (2). Est aussi membre Pickbox Now (dans l’ex-Yougoslavie), dont est partenaire UniversCiné dans le cadre du programme Media européen. En se fédérant autour de Sooner, les producteurs indépendants de films (d’auteurs) pourraient gagner en visibilité en Europe et en volume d’abonnés – face aux blockbusters des Netflix, Amazon Prime Video et autres Disney+. UniversCiné en France, nous indique qu’il compte à ce jour 31.809 abonnés. C’est le producteur Denis Carot (Elzévir Films) qui a succédé en juin 2019 à Alain Rocca (3) (*) (**) en tant que président de LMC. @

Chronologie des médias toujours contestée : Disney continue de faire pression sur la France

Après la réunion du 4 octobre organisée par le CNC sur la chronologie des médias, Disney a finalement décidé de sortir son nouveau film « Black Panther » dans les salles de cinéma en France. Comme Netflix, la major américaine veut une réforme des fenêtres de diffusion dès 2023.

(Depuis sa sortie dans les salles de cinéma en France le 9 novembre, le deuxième « Black Panther » de Disney domine toujours le box-office, comme aux Etats-Unis)

« Les pouvoirs publics [français] ont clairement reconnu la nécessité de moderniser la chronologie des médias et un calendrier précis a été arrêté pour en discuter, The Walt Disney Company a donc décidé de confirmer la sortie au cinéma de “Black Panther : Wakanda Forever”, le nouveau film de Marvel Studios, le 9 novembre prochain », a lancé le 17 octobre sur Twitter Hélène Etzi (photo), la présidente de Disney France. Et ce, au moment où les signataires de la chronologie des médias – dont la dernière mouture est datée du 24 janvier 2022 – ont commencé à se retrouver autour de la table des négociations et de ses bras de fer.

Disney appelle à une « co-exploitation »
« Comme nous l’avons déjà déclaré, la chronologie des médias actuelle n’est pas adaptée aux comportements et attentes des spectateurs ; elle est contre-productive et expose tous les producteurs et artistes à un risque accru de piratage », a-t-elle poursuivi, en déclarant vouloir « continuer de manière constructive aux réflexions et débats lors des prochaines réunions avec tous les acteurs de la filière, organisées sous l’égide du CNC (1), afin de définir dès février 2023 un nouveau cadre que nous souhaitons équitable, flexible et incitatif à la sortie des films en salles de cinéma » (2). Ce que la major presque centenaire du cinéma reproche à cette chronologie des médias à la française, c’est le fait que cette dernière lui impose de retirer un film de Disney+ en France au bout de cinq mois d’exploitation, laquelle intervient en tant que plateforme de SVOD du 17e au 22e mois après la sortie du film en salle de cinéma. Ce retrait intervient pour laisser la place aux chaînes de télévision en clair, dont la fenêtre s’ouvre du 22e au 36e mois après la sortie du film en salle de cinéma.
Pour la Walt Disney Company, cette interruption est inacceptable et demande au contraire qu’elle puisse continuer à exploiter le film en ligne simultanément avec les chaînes gratuites selon un mode de « co-exploitation ». Ce sujet a été au cœur des discussions de la réunion du 4 octobre organisée par le CNC dans le cadre de la renégociation de la chronologie des médias qui doit aboutir d’ici janvier 2023. Disney reproche donc à l’actuelle chronologie des médias de lui imposer le retrait d’un film de sa plateforme au profit des seules chaînes gratuites. C’est la raison pour laquelle la firme de Burbank – où se trouve son siège social, à dix minutes en voiture d’Hollywood – a fait savoir début juin qu’elle ne sortira finalement pas dans les salles de cinéma françaises son long métrage d’animation de Noël 2022, « Avalonia, l’étrange voyage », mais en exclusivité sur Disney+. Une situation unique au monde pour cette grosse production. Ce fut la douche froide pour les salles obscures françaises pour lesquelles un tel blockbuster hollywoodien, en plus déjà programmé par Disney (pour une sortie en France sur les écrans le 30 novembre 2022, maintenant annulée), représente un manque à gagner considérable de fin d’année. « Cette décision est la conséquence de la nouvelle chronologie des médias que The Walt Disney Company juge inéquitable, très contraignante et inadaptée aux attentes du public et à l’évolution des modes de consommation des films », avait justifié la firme américaine. Elle trouve « frustrante » la situation alors qu’elle estime soutenir le cinéma français avec ses sorties en salles, et investir de plus en plus dans la création originale française. La maison mère de Disney avait prévenu avant l’été qu’elle décidera « film par film (…) dans chaque pays ».
Cette déprogrammation d’« Avalonia » avait mis en colère la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) qui a accusé Disney de « porter atteinte gravement à l’économie des salles de cinéma [« instrumentalisées »] et du secteur tout entier » (3). Le film « Black Panther : Wakanda Forever » allait-il subir le même sort ? Depuis le 17 octobre, les exploitants de salles adeptes des Disney et des Marvel sont rassurés pour celui-ci. La FNCF n’a rien dit. La major américaine dispose en tout cas d’un fort moyen de pression dans les négociations en cours. Fin juin, devant l’Association des journalistes médias (AJM), Netflix avait aussi tiré à boulets rouges sur la chronologie française que la filiale française avait pourtant signée en janvier (4).

La ministre contre « un bloc de marbre figé »
La SACD (5), qui n’avait pas signé l’accord de janvier 2022 sur la chronologie des médias (6) en raison de sa durée de trois ans (jusqu’en février 2025) jugée trop longue au regard de l’évolution des usages numériques (7), a fustigé le 11 octobre les « effets paradoxaux et contre-productifs » de ces fenêtres de diffusion « premium » et « non-premium ». Pour la Scam (8), qui fait au contraire partie des signataires, il faut « déroger » plus souvent à la chronologie des médias. Quant à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, elle a fait savoir le 18 octobre que cette chronologie « ne peut pas être un bloc de marbre figé »… @

Charles de Laubier

Différence entre les blocages de TeamAlexandriz (2021) et de Z-Library (2022) : le rôle de l’Arcom

Prise le 25 août 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, la décision de blocage des adresses Internet de Z-Library – vaste bibliothèque en ligne – est applaudie par les maisons d’édition en France. Mais le piratage d’ebooks, avec ses sites miroirs désormais listés par l’Arcom, est sans frontières.

Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free sont obligés rendre inaccessible sur l’Hexagone la bibliothèque en ligne Z-Library, condamnée pour contrefaçon de livres numériques. Edition Multimédi@ a constaté que le blocage sur les « box » de ces fournisseurs d’accès à Internet (FAI) était effectif : « Désolé, impossible d’accéder à cette page », nous a confirmé le navigateur en voulant par exemple aller sur « fr.z-lib.org » ou sur « http://z-lib.org ». Le jugement du 25 août 2022, que nous nous sommes procurés (1), liste 209 noms de domaine de Z-Library à rendre inaccessibles « pendant une durée de 18 mois ». Sont ainsi neutralisés autant de sites dits « miroirs » permettant jusqu’alors d’entrer dans cette bibliothèque parallèle géante, qui est une des multiples déclinaisons de Library Genesis d’origine russe.

Listes noires des sites et des miroirs
Le Syndicat national de l’édition (SNE) et une douzaine de maisons d’édition (Actes Sud, Albin Michel, Cairn, Editis, Hachette Livre, Humensis, Lefebvre-Sarrut, LexisNexis, Madrigall, Maison des Langues, Odile Jacob, et les Presses de Science Po) avaient attaqué le 29 juin 2022 le site web Zlibrary devant le tribunal judiciaire de Paris, dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. Vingt-cinq jours après le rendu de la décision de blocage (le temps que la signification du jugement aux FAI soit faite aux interressés), le SNE s’est notamment félicité des « nouvelles prérogatives confiées à l’Arcom en matière d’extension du blocage à tout lien redirigeant vers une réplique de site bloqué ».
Et pour cause, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (née de la fusion entre le CSA et l’Hadopi) se retrouve aux avant-postes de la lutte contre le piratage en ligne. Et ce, depuis la promulgation il y a presqu’un an de la loi du 25 octobre 2021 « relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique » (2). C’est cette loi « Anti-piratage » qui a porté sur les fonts baptismaux législatifs l’Arcom – présidée par Roch-Olivier Maistre (photo) jusqu’en janvier 2025 – en lui attribuant de nouveaux pouvoirs de régulation, notamment en la chargeant de constituer « une liste » – surnommée, hors texte de loi, « liste noire » – des « services porta[n]t atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d’auteur ou aux droits voisins ». En outre, l’Arcom a le pouvoir supplémentaire de « lutte contre les sites miroirs ». Ainsi, la loi « anti-piratage » a rajouté une disposition « sites miroirs » dans le code de la propriété intellectuelle (CPI) qui permet à « un titulaire de droits partie à la décision judiciaire » – par exemple l’un des douze maisons d’édition dans l’affaire « ZLibrary » – de saisir l’Arcom pour lui demander de mettre à jour la décision de blocage avec les nouvelles adresses Internet des sites miroirs. En l’occurrence, le blocage à effectuer par les FAI devra suivre l’évolution de la liste noire qui dépassera sûrement les 209 noms de domaine initialement identifiées. Pour l’heure, dans l’affaire « Z-Library », la décision de justice a été rendue le 25 août 2022 : il ne reste plus qu’à un ayant droit concerné de saisir l’Arcom en s’appuyant sur l’article L. 331-27 du CPI. Que dit-il ? « Lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne en application de l’article L. 336-2 [du CPI, nous y reviendrons, ndlr], l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique [Arcom], saisie par un titulaire de droits partie à la décision judiciaire, peut demander à toute personne visée par cette décision (…) d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service mentionné par ladite décision ». Bref, toute nouvelle apparition d’un site miroir lié de près ou de loin à la plateforme pirate condamnée devra faire aussi l’objet d’un blocage de la part non seulement des quatre principaux opérateurs télécoms français mais aussi des moteurs de recherche ou des annuaires de référencement (si le juge le décide).
Pour ce faire, c’est l’Arcom qui communiquera « précisément » à tous ces acteurs « les données d’identification du service en cause » à bloquer et à déréférencer. La loi « anti-piratage » prévoit même que l’Arcom passe des accords avec« les ayants droit et toute personne susceptible de contribuer à remédier aux atteintes aux droits d’auteur et droits voisins en ligne » pour déterminer notamment les conditions d’« information réciproque » sur l’existence de tout site miroir.

Saisines « L. 336-2 » et « L. 331-27 »
L’Arcom peut en outre – « en cas de difficulté » – demander aux services de communication au public en ligne de se justifier. En lisant la fin de l’article L. 331-27 du CPI, l’on comprend implicitement que l’Arcom peut saisir, « en référé ou sur requête », l’autorité judiciaire pour « ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès à ces services ». Cette saisine-là peut se faire « sans préjudice de la saisine prévue à l’article L. 336-2. ». Il y a donc deux types de saisine des tribunaux pour faire bloquer et déréférencer des sites web pirates d’œuvres ou d’objets protégés par le droit d’auteur : la saisine « L. 336-2 » par des titulaires de droits, leurs ayants droit, des organismes de gestion collective, des organismes de défense professionnelle, ou même par le CNC – le Centre national du cinéma et de l’image animée (3) ; la saisine « L. 331-27 » par l’Arcom (bien que cela ne soit pas clairement spécifié dans le texte de loi) lorsqu’elle-même est saisie par un titulaire de droits concerné par la décision judiciaire rendue à l’issue de la première saisine. Cette justice à deux détentes (liste noire initiale des sites web à neutraliser, liste noire mise à jour avec les sites miroirs) tend vers le black-out – total ? – de la plateforme incriminée. Prochains : Pirate Library Mirror, Bookys, … « Ce succès collectif vient conclure l’expérimentation inédite de cette procédure pour le livre, et ouvre la voie à de nouvelles actions – des éditeurs et du SNE – de blocage et de déréférencement, rapides et systématiques, contre des sites web proposant des contenus illicites violant le droit d’auteur », a prévenu le syndicat présidé par Vincent Montagne (PDG du groupe franco-belge Média-Participations).
Autant lors de la précédente affaire « Team Alexandriz », dont les responsables ont été condamnés au pénal en mai 2021 au bout de dix ans de procédure judiciaire (4), les sites miroirs passaient sous les radars, autant depuis la loi « Anti-piratage » d’octobre 2021 permet aux ayants droit et à l’Arcom d’agir devant la justice contre la résurgence de sites miroir dans une même affaire de type « Z-Library ». « Se présentant “comme une bibliothèque gratuite depuis 2009”, mais proposant un modèle payant d’accès aux œuvres contrefaites, le site Z-Library accessible via de multiples adresses, proposait un accès à plus de 8 millions de livres – tous secteurs éditoriaux confondus – et 80 millions d’articles piratés », précise le SNE qui compte 700 éditeurs français adhérents. Le site Z-Library (ex-BookFinder ou BookFi, alias B.ok.cc), affichait, lui, avant d’être blacklisté, un catalogue de 11,1 millions de livres et plus de 84,8 millions d’articles. Quelques jours avant d’être bloqué par Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free, cette « plus grandes bibliothèques en ligne dans le monde » lançait une « campagne de collecte » jusqu’au 1er octobre 2022 en guise d’« appel de fonds à tous ceux qui veulent contribuer encore plus au soutien et au développement de notre projet » (5). Certains internautes avisés peuvent contourner le blocage-filtrage par nom de domaine mis en place par les FAI (les DNS étant retirés de leurs répertoires d’adresses IP) et les principaux moteurs de recherche (déréférencement).
La précédente affaire « Team Alexandriz » avait été enclenchée il y a dix ans, avec là aussi la plainte du SNE, déposée en novembre 2012 avec six grands éditeurs français – Hachette, Editis, Gallimard, Albin Michel, La Martinière et Actes Sud. Le site qui se revendiquait comme le « n°1 sur les ebooks FR » avait cessé de fonctionner dès fin août 2013 mais la procédure judiciaire a continué pour s’éterniser près de dix ans (6), jusqu’à la condamnation pour contrefaçon de neuf des douze prévenus avec « circonstance aggravante de bande organisée ». Entre mai 2010 et juin 2013, était-il précisé, ce fut plus de 23.942 livres qui avaient été piratés, qu’il s’agisse de livres numériques sur lesquels les mesures de protection avaient été retirées ou de livres imprimés illégalement numérisés et corrigés (7). Certains responsables de Team Alexandriz ont écopé de peines d’emprisonnement avec sursis et le tribunal a condamné les neuf à « 10.000 euros de dommages et intérêts pour chaque éditeur et pour le SNE, en réparation du préjudice subi ». C’est relativement peu au regard de la peine maximale qu’ils encouraient : trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, selon l’article L335-4 du CPI (8).
Avec la loi « Anti-piratage » et le renfort de l’Arcom dans les actions judiciaires en « procédure accélérée », le SNE et les maisons d’éditions disposent désormais d’un double-levier procédural à leur disposition. A qui le tour : à Pirate Library Mirror ? Ce site web déclare : « Nous violons délibérément la loi sur le droit d’auteur dans la plupart des pays. (…) Miroir – Nous sommes strictement un miroir des bibliothèques existantes. (…) La première bibliothèque que nous avons reflétée est Z-Library. C’est une bibliothèque populaire (et illégale). Ils ont pris la collection Library Genesis et l’ont rendue facilement consultable » (9). Ou bien à Bookys ? Ce site web le reconnaît : « En rendant le téléchargement gratuit, Bookys enfreint les règles de protection des droits d’auteurs » (10).
Reste que la portée de ces condamnations au pénal pour contrefaçon a ses limites puisque celles-ci ne s’appliquent qu’en France. Alors que les sites et de leurs sites miroirs présumés pirates sont sans frontières. Le règlement européen sur les services numériques – le DSA (Digital Services Act) – est sur le point d’entrer en vigueur. Il prévoit lui aussi le blocage mais sur décision d’un juge. Ce ne seront ni les FAI, ni les plateformes numériques, ni les régulateurs qui peuvent bloquer d’eux-mêmes les contenus piratés.

Frontières : vers un blocage européen
L’affaire « Z-Library » apparaît comme un marqueur dans l’histoire de la lutte contre le piratage de contenus protégés. Du moins en France, en attendant des actions au niveau européen lorsque le DSA sera pleinement applicable. Si les livres numériques sont concernés par cette décision de blocage du 25 août 2022, à laquelle l’Arcom contribue devant la justice avec la mise à jour de sa liste des sites miroirs et d’éventuels nouveaux recours, le nouvel arsenal judicaire est à la disposition de toutes les industries culturelles : livre mais aussi musique, cinéma, retransmissions sportifs, ou encore jeux vidéo. @

Charles de Laubier