Les industries culturelles font d’emblée de la nouvelle ministre Audrey Azoulay leur porte-drapeau

Depuis sa nomination surprise le 11 février à la place de Fleur Pellerin,
la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication, Audrey Azoulay,
n’a cessé de recevoir les félicitations des ayants droits du cinéma et de la musique. Cette proche de François Hollande est une technocrate de la culture.

C’est d’abord le monde du Septième Art français qui se félicite le plus de l’arrivée d’Audrey Azoulay rue de Valois, en remplacement de Fleur Pellerin. Et pour cause, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication a passé huit ans au CNC (1) qu’elle avait rejointe en 2006 pour en devenir la directrice financière, puis la directrice générale déléguée – notamment en charge de l’audiovisuel et du numérique. C’est à ce titre qu’elle a animé à partir de mars 2014 un groupe de travail sur le dossier sensible de l’évolution de la chronologie des médias (2).

Chronologie des médias inachevées
Mais ces négociations interprofessionnelles se sont dès le départ figées, avant qu’elle ne soit « exfiltrée » en juin de la même année pour devenir conseillère du président de la République pour la Culture et de la Communication (3). Avant le CNC et l’Elysée, Audrey Azoulay avait été cheffe du bureau du secteur audiovisuel public à la Direction du développement des médias (DDM), devenue par la suite la DGMIC (4). Si l’ancienne directrice générale déléguée du CNC n’a pu achever en 2014 la réforme de la chronologie des médias, la nouvelle ministre de la Culture et de la Communication pourrait retrouver ce dossier sur son bureau rue de Valois. Car, depuis deux ans,
force est de constater que le statu quo prévaut sur les fenêtres de diffusion des films :
« Pas question de toucher au quatre mois d’exclusivité dont bénéficient les salles de cinéma », bloquent les uns (FNCF, …) (5) ; « Tant que l’on n’aura pas réglé le problème du piratage, on ne pourra pas rediscuter de la chronologie des médias » (Canal+, …) (6), empêchent les autres.
Pour l’heure, la filière du cinéma applaudit Audrey Azoulay. Le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) – soit une quinzaine d’organisations du cinéma et majoritairement des producteurs (APC, SPI, SRF, …) – « salue [sa] nomination » et voue « sa grande connaissance des enjeux du secteur audiovisuel et cinématographique [qui] lui permettra de défendre (…) les enjeux de la filière ». Parmi ses priorités exprimées le 15 février, le Bloc (7) cite tout de même « la régulation de la diffusion des films en salles ». L’un de ses membres, l’Association des producteurs de cinéma (APC), a signé le 12 février un communiqué commun avec l’Union des producteurs de films (UPF) dans lequel elles « se félicitent » et « se réjouissent » de
la nomination d’Audrey Azoulay, dont elles « saluent sa grande compétence et sa connaissance approfondie des dossiers du cinéma et de l’audiovisuel ». De son côté,
la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) « salue » aussi l’arrivée de la nouvelle ministre. Parmi les dossiers cités par cette société de gestion collective des droits d’auteurs, Audrey Azoulay est appelée à « faire du numérique une chance pour la création et la diffusion des oeuvres », en ajoutant : « A l’heure de la réforme territoriale, du bouleversement du paysage audiovisuel et de l’essor du numérique, la création, la culture et la communication ont besoin d’une ambition renouvelée (…) aujourd’hui indispensable ».
Le directeur général de la SACD (8) n’a pas résisté, lui, à tancer les producteurs de
films : « Fleur Pellerin, qui a su défendre avec force et détermination la création et les droits d’auteur [notamment auprès de la Commission européenne, ndlr] en amorçant le mouvement vers la démocratisation numérique, pourra méditer sur la déplaisante et goujate ingratitude des producteurs de cinéma incapables de saluer son action en leur faveur encore marquée récemment, dans un contexte budgétaire difficile, par l’adoption de nouvelles mesures de crédit d’impôt ».

Seulement un an pour agir
Du côté de la musique, le Syndicat national de l’édition (Snep) la « salue » également, en réaffirmant son « attachement à la poursuite de la dynamique issue des accords Schwartz [de décembre 2015 sur la répartition des revenus du streaming, ndlr] et à
leur mise en oeuvre ». La Société française de collecte des droits d’auteurs (Sacem), elle, « félicite » Audrey Azoulay et remercie Fleur Pellerin. L’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), associée à sa société de gestion des droits SPPF, place le renforcement du crédit d’impôt parmi les priorités. Quant à la Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam), elle « souhaite que la nouvelle ministre soit particulièrement attentive aux débats [du projet de loi « Création » dont le vote au Sénat est décalé au 1er mars, ndlr] sur la rémunération des artistes interprètes pour les nouveaux usages sur Internet ». Mais, comme le souligne la Société civile des auteurs multimédias (Scam), Audrey Azoulay n’a qu’« un an pour agir… ». @

Charles de Laubier

Copie privée : industriels contre l’extension au cloud

En fait. Le 16 février prochain, le projet de loi « Création » sera voté au Sénat. Dès le 5 février, les industriels du numérique – réunis au sein de l’Afnum, du Sfib, de Tech in France (ex-Afdel) et de Digital Europe – se sont inquiétés des risques de l’extension de la redevance copie privée aux services de cloud.

En clair. Les industriels de l’électronique grand public – Samsung, Apple, Sony, IBM, Cisco, … – ne veulent pas que la rémunération pour copie privée soit étendue aux services de cloud, lesquels permettent aux internautes et aux mobinautes qui le souhaitent de stocker à distance dans le « nuage informatique » leurs contenus multimédias.
Réunis à Paris au sein de l’Afnum, du Sfib et de Tech in France (ex-Afdel), ainsi qu’à Bruxelles dans l’association Digital Europe, les fabricants et importateurs d’appareils numériques – dont ceux qui permettent l’enregistrement numérique et sont de ce fait assujettis à la taxe « copie privée » – ont réagi dès le 5 février pour mettre en garde
le gouvernement contre toute extension de cette redevance pour copie privée « en affectant l’ensemble des services numériques en ligne ». Selon eux, « cette disposition engendrerait un risque juridique pour l’écosystème des oeuvres culturelles numériques et économique pour les entreprises concernées ». Les industriels réagissaient à un amendement daté du 21 janvier (« Com-5 »), adopté par la commission de la Culture du Sénat pour devenir l’article « 7 bis AA » – modifié ensuite lors des débats du 10 février (1) – du projet de loi « Création ». Il soumet à la taxe « copie privée » tout service de communication au public en ligne lorsque celuici fournit à une personne physique, et par voie d’accès à distance, la possibilité de faire elle même des copies
ou des reproductions d’oeuvres ou de programmes audiovisuels, lesquelles « sont stockées sur un serveur distant contrôlé par l’éditeur concerné ». Cette disposition prévoit donc que l’intervention d’un tiers dans l’acte de copie n’interdit pas de considérer que ces copies puissent être qualifiées de copie privée, remettant ainsi
en cause la jurisprudence dite « Rannou-Graphie » de 1984 qui subordonne jusqu’à maintenant l’application du régime de la copie privée à une personne qui est soit celle réalisant la copie, soit la bénéficiaire de la copie réalisée (2) – ce qui excluait jusqu’à maintenant le cloud de la taxe pour copie privée au grand dam des ayants droits (3).
« Descendez de mon nuage ! », a aussi lancé le 5 février l’association Digital Europe qui s’est alarmée des projets législatifs d’« une France faisant cavalier seul » et qui exhorte le gouvernement français à travailler plutôt avec la Commission européenne pour réformer la copie privée. @

Jean-Noël Tronc (Sacem) milite pour un système « copie privée » planétaire, étendu au cloud

Le directeur général de la Sacem, Jean-Noël Tronc, a plaidé le 3 décembre dernier – au siège de l’Unesco à Paris – en faveur d’un système « planétaire » de rémunération pour copie privée. Il pousse en outre la France à légiférer pour étendre la copie privée aux services en ligne de cloud computing.

« La rémunération pour copie privée, est un système qui pourrait être planétaire et qui a l’avantage de ne pas peser
sur les finances publiques, tout en concernant tous les genres d’arts. Elle peut être mise en oeuvre dans tous les pays du monde », a affirmé Jean-Noël Tronc (photo), DG de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), également vice-président de l’équivalent européen Gesac (1), organisation-sœur de la confédération internationale Cisac (2).

Pas de taxes « à côté de la plaque »
Jean-Noël Tronc répondait à une question de Edition Multimédi@ posée lors de la présentation – au siège de l’Unesco – du premier panorama mondial des industries culturelles et créatives réalisé par le cabinet d’études EY pour le compte de la Cisac.
« La copie privée est un système de rémunération – de compensation et d’exception au droit d’auteur – tout à fait intéressant car il concerne tous les arts et existe aujourd’hui dans de nombreux pays et dans presque toute l’Europe (3), après avoir été inventé en Allemagne dans les années 1960. En Afrique, par exemple, une dizaine de pays sur cinquante-quatre du continent l’ont mise en place », a-t-il souligné. Au niveau européen, où un projet d’harmonisation est en cours (4), elle rapporte plus de 600 millions d’euros chaque année. A l’échelle mondiale, difficile à savoir. C’est en France que la rémunération pour copie privée – contestée depuis des années par les industriels de l’électronique grand public – rapporte le plus aux ayants droits en Europe : près de 200 millions d’euros par an. « La question n’est pas de songer à un modèle unique. On a eu tendance, il y a quelques années, à songer à des idées comme celles de [contribution compensatoire], de taxes, de type one size fits all, ou de licence globale, qui sont un peu “à côté de la plaque”. La vraie question est de trouver des systèmes concrets qui corrigent une partie de cette capture de valeur illégitime, dans laquelle le modèle de partage de la valeur nécessaire est déséquilibré », a expliqué Jean-Noël Tronc pour justifier cette rémunération « copie privée » que les consommateurs perçoivent quand même comme une taxe, puisqu’ils la paient de quelques euros lors de l’achat d’appareils numériques disposant d’un support de stockage pour enregistrer (smartphones, tablettes, clé USB, disque dur externe, DVD, CD, etc.). Or ce prélèvement pourrait bientôt concerner aussi les services de cloud, ce nuage informatique qui permet d’avoir un compte personnel pour stocker à distance et de n’importe où ses contenus numériques – relevant de la copie privée ou pas. « Après quatre ans de discussion (5), le temps est venu de légiférer. Si le Sénat ne le fait pas,
la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’imposera. Il est temps d’accompagner l’évolution technologique en veillant à préserver la rémunération des acteurs, producteurs, auteurs-compositeurs et artistes-interprètes. Au législateur français de prendre ses responsabilités, sachant que le Parlement européen et la Commission européenne travaillent déjà sur le sujet », a prévenu David El Sayegh, secrétaire général de la Sacem, lors de son audition le 2 décembre par la commission Culture du Sénat dans le cadre du projet de loi « Liberté de création, architecture et patrimoine ». Et le juriste de la Sacem d’ajouter : « Oui, il faudrait aller chercher l’argent auprès de ceux qui en font : réseaux sociaux, plateformes internationales, moteurs de recherche… Encore faudrait-il que nos interlocuteurs ne soient pas juridiquement irresponsables. Facebook ou SoundCloud se déclarent hébergeurs et déclinent toute responsabilité sur les contenus qui transitent sur leurs plateformes. Cette question doit être traitée au niveau européen, par une modernisation de la directive européenne DADVSI (6), en séparant le bon grain de l’ivraie et en faisant rentrer les faux hébergeurs dans le schéma des licences ».

Directives DADVSI et E-commerce
Réformer la directive DADVSI de 2001 et modifier la directive « Commerce électroni-que » de 2000 : Jean-Noël Tronc en a fait son cheval de bataille à Bruxelles, via la Gesac et la Cisac, comme il nous l’a expliqué au siège de l’Unesco : « La directive européenne sur le commerce électronique de 2000 a créé une exception a un principe de droit à rémunération, pourtant reconnu dans la directive européenne DADVSI. Cela fait maintenant 15 ans que l’on attend une correction à ce cadre dans lequel la disposition du Safe Harbor [accords de 2000 entre les Etats-Unis et la Commission européenne, ndlr] crée une impossibilité pour les ayants droits, donc pour les auteurs,
à obtenir une rémunération ». Reste à savoir si lobbying des industries culturelles à Bruxelles arrivera à ses fins. @

Charles de Laubier

Hadopi : le cinéma français a eu raison d’Eric Walter

En fait. Le 29 août, Eric Walter – qui s’est fait licencié le 1er août de l’Hadopi, après en avoir été secrétaire général depuis mars 2010 – s’est exprimé pour la première fois (sur le site web de BFM TV) mais pas sur son éviction. Cependant,
il évoque brièvement « la polémique avec le milieu du cinéma ».

En clair. « Le seul lien avec la Hadopi [par rapport à son projet de site web créé en mémoire de l’Orchestre symphonique européen, ndlr] est la polémique avec le milieu
du cinéma. C’est ce qui a fait émerger cette histoire. Après ces controverses, j’ai compris que les représentants de ce secteur avaient l’impression que je m’exprimais
en défaveur de la création. Je me suis alors demandé si je n’avais pas fait un syndrome de Stockholm (1) en basculant dans le camp des internautes ou si j’avais toujours cette fibre passionnelle avec le monde artistique. C’est ce qui m’a amené à remonter dans
le temps pour voir d’où j’étais parti. Je me suis rendu compte que ce n’était pas un syndrome de Stockholm mais bien la fibre créatrice qui m’anime », a expliqué Eric Walter, à BFM Business. L’ex-secrétaire général de l’Hadopi a ainsi fait référence – pour la première fois depuis son éviction – à ses relations houleuses avec le cinéma français. Le sort de ce haut fonctionnaire n’a-t-il pas été scellé à partir de la présentation à ses collègues – dès 2012 – de son projet de « rémunération proportionnelle du partage des œuvres sur Internet » ? L’année suivante, en juin 2013, l’Hadopi a engagé l’analyse d’un tel système qui n’a pas manqué de rappeler aux ayants droits du cinéma français leurs mauvais souvenirs de la « licence globale » (accès aux œuvres contre une rémunération forfaitaire prélevée par les FAI) qui n’a jamais vu le jour.

Le torchon entre Eric Walter et les organisations du cinéma français (Blic, Bloc, ARP, UPF, …) s’est ensuite sérieusement mis à brûler lors de la publication – il y a tout juste un an – du rapport intermédiaire sur ces travaux engagés sur la rémunération proportionnelle du partage (2). A tel point que les ayants droits français du 7e Art ont adressé le 22 septembre 2014 à Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, une lettre courroucée dénonçant « [ce] que le secrétaire général de l’Hadopi appelle désormais “partage” », ainsi que ses propos dans les médias sur « une prétendue insuffisance de l’offre légale » (3). Nicolas Seydoux, président de Gaumont et de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), décidé à en découdre, s’en est alors plaint directement auprès de Fleur Pellerin le 8 octobre suivant. L’Hadopi s’est alors déchiré en interne (lire EM@ 111, p. 3). Eric Walter était licencié neuf mois après… @

Blocages de sites web et condamnations en contrefaçon : coups d’épée dans l’eau ?

The Pirate Bay, eMule, T411, Wawa-Mania… Aujourd’hui, ces plateformes font l’objet d’un feu nourri de la part d’ayants droit qui, soucieux de faire respecter leurs intérêts moraux et financiers sur les œuvres diffusées sans leur accord, entendent bien mettre un terme à ces pratiques. En vain ?

Etienne Drouard (photo), avocat associé, et Julien-Alexandre Dubois, avocat collaborateur, cabinet K&L Gates

Ces plateformes ont des noms familiers pour des millions d’internautes qui, grâce à elles, ont pu au cours des dix dernières années obtenir gratuitement des œuvres protégées par des droits de propriété intellectuelle. Elles sont légion et bien connues des générations X et Y, celles-là même qui, sitôt plongées dans le grand bain de l’Internet du début des années 2000, se sont rapidement habituées à la gratuité d’un Web mal appréhendé
par les ayants droit et peu régulé par les autorités. Il s’agit, pour
les plus connues de eDonkey, eMule, Kazaa, Allostreaming, The Pirate Bay, T411 ou encore de Wawa-Mania.

Inflation de contentieux
Afin de mettre ces contenus gratuits à disposition des internautes, ces plateformes proposent des modes opératoires divers et variés, allant du téléchargement direct (direct download) au streaming, en passant par le peer-to-peer. Face à l’augmentation de ces « plaques tournantes » de la contrefaçon en ligne, les sociétés de perception et de répartition des droits de la musique et du cinéma ont été contraintes de réagir afin de faire cesser ces activités. Leurs prétentions ne sont pas dénuées de fondements : en effet, l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit que le fait pour une personne de représenter ou de reproduire une oeuvre de l’esprit, partiellement ou intégralement – sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit – est constitutif d’un acte de contrefaçon de droits d’auteur.
Lorsqu’elle est lue de manière croisée avec l’article L. 336-2 du même code, cette disposition permet au tribunal de grande instance d’ordonner, à l’encontre de toute personne susceptible de pouvoir y remédier, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin à raison d’un contenu d’un service de communication au public en ligne. Sur la base de ce postulat, ces
deux dernières années ont été marquées par une véritable inflation du contentieux
à l’encontre des plateformes proposant aux internautes des contenus contrefaisants, mais également à l’encontre de leurs administrateurs. Célèbre plateforme de visionnage en ligne, le site Allostreaming fut l’un des premiers à faire les frais de cette charge judiciaire. En effet, à la demande de l’APC (1), de la FNDF (2) et du SEVN (3), le tribunal de grande instance (TGI) de Paris ordonnait le 28 novembre 2013 aux principaux opérateurs de télécommunications de mettre en oeuvre à l’encontre de plusieurs sites Internet renvoyant vers un site de liens actifs d’Allostreaming « toutes mesures propres à empêcher l’accès, à partir du territoire français […] et/ou par leurs abonnés à raison d’un contrat souscrit sur ce territoire, par tout moyen efficace et notamment le blocage des noms de domaine ». Dans le même temps, le tribunal condamnait les principaux moteurs de recherche au déréférencement des réponses
et résultats renvoyant vers les pages des sites Internet litigieux en réponse à une requête émanant d’internautes situés sur le territoire français (4).
Le 4 décembre 2014, à la demande de la SCPP (5), le TGI de Paris ordonnait également aux principaux opérateurs de télécommunications que des mesures identiques soient prises à l’encontre du site principal Thepiratebay.se ainsi que de plusieurs sites renvoyant vers un site de liens actifs The Pirate Bay. Plus récemment, toujours à la demande de la SCPP, le TGI de Paris ordonnait le 2 avril 2015 que ces mêmes opérateurs prennent des mesures de blocage identiques à l’encontre du site Internet T411.me.

Une justice 2.0 dépassée ?
Loin de se limiter aux seules plateformes de téléchargement, les ayants droit ont également joint leurs efforts sur le terrain pénal pour y frapper directement leurs administrateurs.
Ainsi, le 2 avril 2015, le tribunal correctionnel de Paris a condamné Dimitri Mader, administrateur du site Wawa- Mania, à un an de prison ferme, à 20.000 euros d’amende et à la fermeture de son site web. Une position en partie reprise le 15 avril 2015 avec la condamnation par le tribunal correctionnel de Besançon des responsables du site Wawa-Torrent à une peine de trois mois de prison avec sursis ainsi qu’au paiement solidaire de 155.063 euros de dommages-intérêts, et le 12 mai 2015 avec la condamnation par le tribunal correctionnel de Paris de Vincent Valade, administrateur du site eMule Paradise, à 14 mois de prison avec sursis ainsi qu’au paiement solidaire d’une somme globale de 50.000 euros (amende et dommages-intérêts).
Dernièrement, le 17 juin 2015, le tribunal correctionnel de Paris a condamné un prévenu à six mois de prison ferme et dix autres à des peines de prison avec sursis
– et collectivement à 110.000 euros de dommages-intérêts – pour avoir piraté en 2004 des oeuvres protégées par des droits d’auteur (affaire « GGTeam ») (6).

Les FAI ne veulent pas payer
Synonymes d’une prise de conscience des juridictions françaises quant à l’importance croissante de la contrefaçon sur Internet, les mesures ordonnées ces deux dernières années n’en demeurent pas moins débattues quant aux frais qu’elles impliquent, et dépassées quant à leur efficacité réelle. La question centrale dans les revendications des ayants droit est de savoir qui doit supporter la charge financière des mesures de blocage prononcées à l’encontre des sites contrefacteurs. Si le jugement Allostreaming du 28 novembre 2013 mettait déjà à la charge des sociétés de gestion de droits l’ensemble des frais générés par les mesures de blocage ordonnées, le TGI de Paris
ne motivait cependant sa position qu’au seul motif que les demandeurs ne justifiaient
« d’aucune disposition légale particulière au profit des ayants-droit de droits d’auteur ou de droits voisins ou des organismes de défense […] relative à la prise en charge financière des mesures sollicitées ».

Il aura notamment fallu attendre la décision The Pirate Bay du 4 décembre 2014
et T411 du 2 avril 2015 pour que le tribunal précise sa position par un intéressant triptyque. Se fondant dans un premier temps sur la décision n° 2000-441 du Conseil Constitutionnel du 28 décembre 2000 (7), le tribunal a rappelé que la possibilité d’imposer aux opérateurs de réseaux de télécommunications la mise en oeuvre de dispositifs techniques permettant des interceptions justifiées par une nécessité de sécurité publique, ne permet pas en revanche d’imposer à ces mêmes opérateurs
les dépenses résultant d’une telle mise en oeuvre en ce qu’elles sont étrangères à l’exploitation des réseaux de télécommunications.
S’appuyant ensuite sur une lecture croisée des deux arrêts rendus par la Cour de Justice de l’Union européenne dans les affaires Sabam/Netlog du 16 février 2012 (8)
et Telekabel du 27 mars 2014 (9), qui prévoient respectivement que :

L’obligation de mise en oeuvre d’un système informatique complexe, coûteux, permanent et aux seuls frais des fournisseurs d’accès Internet, serait contraire aux conditions prévues par la directive [européenne] 2004/48 qui exige que les mesures pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses ;
Une telle injonction représenterait des coûts importants et limiterait la liberté d’entreprendre des opérateurs, alors qu’ils ne sont pas les auteurs de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle ayant entraîné les mesures de blocage.

Le tribunal a entériné sa position, et jugé que le coût des mesures de blocage ne peut être mis à la seule charge des opérateurs qui ont l’obligation de les mettre en oeuvre. Ces derniers pourront ainsi solliciter le paiement de leurs frais auprès des sociétés de gestion de droits.
Malgré de nombreuses condamnations, les mesures ordonnées semblent avoir un impact dérisoire sur l’activité de ces plateformes compte tenu des nombreuses possibilités de repli qu’offre l’Internet moderne. Leurs administrateurs comme leurs utilisateurs en sont parfaitement conscients. En effet, les mesures de blocage ordonnées par les juridictions civiles ne ciblent généralement que certaines extensions de noms de domaine. Dès lors, il suffit aux administrateurs des sites Internet litigieux
de transférer leurs données vers une autre extension afin d’assurer la « continuité du service » auprès des utilisateurs.
C’est une stratégie récemment mise en oeuvre par le site T411.me, remplacé par T411.io plusieurs semaines avant que la mesure de blocage soit ordonnée aux opérateurs. Par ailleurs, certains sites Internet tels que Wawa-Mania proposent de mettre l’intégralité de leurs données à disposition des utilisateurs afin de dupliquer
leur concept en cas de fermeture définitive.

Des blocages contournables
En outre, si les juridictions françaises misent sur le fait que le manque de connaissances techniques incitera les internautes lambda à préférer une offre légale
en cas de blocage, il apparaît que les plateformes de téléchargement familiarisent de plus en plus leurs utilisateurs avec les techniques de contournement des blocages de sites par les opérateurs (10).
Enfin, la stratégie de fermeture des plateformes de téléchargement peut, dans certains cas, être mise à mal par la fuite d’un de leurs administrateurs hors du territoire français. A ce jour, Dimitri Mader serait toujours en fuite aux Philippines, rendant ainsi incertaine toute cessation à court terme des activités du site Wawa-Mania. @