Jeux vidéo : pour le champion français Ubisoft, la souveraineté numérique passe par le chinois Tencent

A l’heure où le gouvernement français et l’Europe ne jurent que par la souveraineté – notamment numérique – depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, les frères Guillemot, eux, ouvrent un peu plus le capital de leur groupe Ubisoft au géant chinois Tencent. La firme de Shenzhen achètera-t-elle la major française du jeux vidéo en 2030 ?

Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, n’a rien trouvé à redire au fait que le géant tentaculaire chinois Tencent ait augmenté son emprise sur la pépite française du jeu vidéo Ubisoft. A croire que la souveraineté numérique ne concerne en rien le 10e Art. La firme de Shenzhen détenait depuis mars 2018 une participation de 5 % dans le capital du groupe des « Guillemot Brothers », où il est entré en tant qu’ « actionnaire de long terme » mais en promettant de ne pas aller au-delà de ces 5 % avant 2023.
Cette sinophilie s’est renforcée avec le feu vert donné à Tencent par le conseil d’administration d’Ubisoft d’augmenter – d’ici l’an prochain – sa participation directe (4,5 % suite à dilution) dans le groupe français à quasiment 10 % (précisément 9,9 %). Mais « Tencent ne pourra augmenter sa participation dans Ubisoft au-delà de 9,99 % du capital et des droits de vote d’Ubisoft avant 8 ans », précise cependant le groupe breton (1). Autrement dit, à partir de 2030, la famille Guillemot pourrait – si elle en décidait ainsi – vendre son entreprise créée il y a 36 ans au chinois Tencent. Le champion français du jeu vidéo, coté en Bourse depuis 1996 et valorisé aujourd’hui plus de 4,3 milliards d’euros (au 15-09-22), tomberait alors dans l’escarcelle du premier conglomérat multimédia de l’Empire du Milieu (Tencent pesant 86,8 milliards de chiffre d’affaires en 2021, contre 2,1 milliards pour Ubisoft).

Tencent, futur acquéreur d’Ubisoft en 2030 ?
A moins que la famille Guillemot ne cède entre 2022 et 2030 Ubisoft à un autre prétendant, sans avoir besoin de l’accord du chinois. « Nous sommes ravis d’étendre notre engagement avec les fondateurs, la famille Guillemot, Ubisoft continuant de développer des expériences de jeu immersives, et de porter sur mobile plusieurs des franchises AAA les plus connues d’Ubisoft », a déclaré enthousiaste le Chinois Martin Lau (photo), alias Lau Chi Ping, président de Tencent Holdings Limited. La maison mère de ce géant est cotée à Hong-Kong (367,4 milliards d’euros de capitalisation au 15-09-22) et enregistrée aux Iles Caïmans (l’un des plus célèbres paradis fiscaux). Cette emprise chinoise sur l’une des plus grandes réussites françaises qu’est Ubisoft illustre les limites de la « souveraineté industrielle et numérique » de la France face à la mondialisation des capitaux en général et à la concurrence planétaire des industries culturelles en particulier.

Les Guillemot dans l’œil du cyclone
Pourtant, pas plus tard qu’au premier jour de l’été dernier, pour inaugurer l’Assemblée numérique (2) qui était organisée par la Commission européenne et la présidence française de l’Union européenne, Bruno Le Maire, ministre de la Souveraineté, avait prévenu : « Il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique sans entreprises de technologie européennes, puissantes de rang mondial ». Cela suppose, avait-il poursuivi, de « financer la croissance de [ces] entreprises ». En l’occurrence, la major française du jeu vidéo Ubisoft n’aurait-elle pas pu par exemple bénéficier du plan « Scale-up Europe » (3) qu’Emmanuel Macron a lancé en mars 2021 en lien avec la Commission européenne et les autres Etats membres ?
Edition Multimédi@ n’a pas eu de réponse de Bercy à ce sujet. Quoi qu’il en soit, le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot n’exclut pas de vendre un jour le groupe familial. « S’il y avait une offre d’achat, le conseil d’administration l’examinerait bien sûr dans l’intérêt de tous les intervenants », avait-il déclaré lors d’une conférence téléphonique avec des analyses le 17 février dernier (4). Ce n’est pas la première fois qu’Ubisoft suscite l’intérêt d’acheteurs potentiels : à partir de 2015, Vivendi – qui s’était délesté d’Activision Blizzard deux ans plus tôt – avait lancé une OPA hostile sur l’éditeur de « Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins » ou encore « Tom Clancy’s », ainsi que sur l’autre éditeur vidéoludique de la famille, Gameloft. Si le groupe de Vincent Bolloré – Breton comme les Guillemot – a réussi son OPA sur Gameloft en 2016, il a dû renoncer en 2017 à Ubisoft face à la résistance des « Guillemot Brothers » (5). Dans la foulée, le chinois faisait son entrée au capital de l’éditeur français de jeux vidéo, en tant qu’actionnaire minoritaire mais « de long terme » (6) Avec sa filiale Tencent Games qui dépend de sa holding Tencent Interactive Entertainment, la firme de Shenzhen est numéro un en Chine dans les jeux vidéo – notamment avec sa marque QQ qui est au gaming (7) et à la musique (8) ce que son autre marque amirale WeChat est aux réseaux sociaux. Mais l’Empire du Milieu ne lui suffit pas ; ses pions avancent en Occident. Tencent est déjà pleinement propriétaire depuis 2015 de Riot Games, l’éditeur américain de « League of Legends » (9). Le chinois du divertissement contrôle aussi le finlandais Supercell depuis 2019 et détient 40 % d’Epic Games (« Fortnite »), 5 % d’Activision Blizzard, et 5% du suédois Paradox Interactive (10). Tencent fait tout pour se renforcer dans Ubisoft, au point d’être perçu par certains comme le candidat « naturel » à la reprise du français le moment venu, n’en déplaise aux tenants de la souveraineté industrielle et numérique. Pour l’heure, dans leur communication du 6 septembre, le groupe des cinq frères Guillemot (11) présente implicitement l’investisseur chinois comme un cheval blanc venu les protéger contre toute OPA hostile. Et ce, au moment où le marché mondial du jeu vidéo est en pleine consolidation : Microsoft attend les feux verts des autorités antitrust pour finaliser d’ici 2023 la méga-acquisition d’Activision Blizzard annoncée en janvier pour 68,7 milliards de dollars (12). En 2021, la firme de Redmond s’était emparée de ZeniMax Media, la maison mère de Bethesda Softworks (13) et d’autres studios de jeux vidéo, pour 7,5 milliards de dollars. Cette année, Take-Two interactive a jeté son dévolu sur Zynga (14) pour 11 milliards de dollars, Sony sur Bungie pour 3,6 milliards de dollars. Tencent, qui dispose avec Ubisoft d’une cible de choix, est présenté par les Guillemot comme un bouclier contre les autres prétendants.
Outre sa future participation directe de 9,99 % dans Ubisoft, le chinois a été invité au capital de la holding familiale basée à Londres, Guillemot Brothers Limited (« GB Ltd »), et d’y agir « de concert » avec « Le Club des cinq » frères. « L’élargissement du concert avec Tencent renforce l’ancrage de l’actionnariat de référence d’Ubisoft autour de ses fondateurs et lui offre une stabilité essentielle pour son développement à long terme » a assuré Yves Guillemot. Ainsi la firme de Shenzhen prend – dès maintenant cette fois – une participation de 49,9 % du capital de GB Ltd, que préside son frère Christian Guillemot, et 5% des droits de vote, moyennant 300 millions d’euros (15). De plus, Tencent accorde à GB Ltd « un prêt long terme » pour permettre à cette holding de « refinancer sa dette » et de lui apporter des « ressources financières supplémentaires utilisables pour monter au capital d’Ubisoft ». A l’issue de cette opération financière sino-française, la famille Guillemot détiendra 15,4 % du capital du groupe Ubisoft Entertainment (contre 15,8 % auparavant) avec 20,8 % des droits de vote (contre 22,1 %). Ubisoft a chuté en Bourse ; le titre ne serait plus « spéculatif ». Vraiment ?

Tenter de tenir à distance Tencent
Et pour assurer qu’ils sont encore maîtres chez eux, à défaut d’être « souverains », les frères bretons indiquent que « Guillemot Brothers Limited reste exclusivement contrôlée par la famille Guillemot. Tencent ne sera pas représentée au conseil d’administration et n’aura aucun droit d’approbation ou de véto opérationnel ». Tandis que « la gouvernance d’Ubisoft est préservée à l’identique et Tencent n’aura aucun droit de veto opérationnel » (16). Les Guillemot gardent encore la main, mais la souveraineté numérique d’Ubisoft prend des allures franco-chinoises. @

Charles de Laubier


Ebra – 1er groupe de presse régionale – lance la « saison 2 » de son redressement, avant d’être revendu à LVMH ?

Propriété du Crédit Mutuel, le groupe de presse régionale Ebra – incontournable dans l’Est de la France – entame la seconde phase de son plan de redressement après cinq ans de restructuration. Philippe Carli, son président depuis le 18 septembre 2017, est toujours à la manœuvre. Et après ? Il a répondu à EM@.

Cela fera cinq ans le 18 septembre que Philippe Carli (photo) a succédé à Michel Lucas à la présidence du groupe de presse régionale Est Bourgogne Rhône Alpes (Ebra), dont l’unique actionnaire est le Crédit Mutuel depuis septembre 2009. Ancien dirigeant du groupe Amaury durant cinq ans (2010-2015), Philippe Carli, partageait avec son prédécesseur un même passé informatique, tous les deux ayant travaillé chez Siemens, mais à des époques différentes – dans les années 1960 pour l’ancien dirigeant, dans les années 2000 pour son successeur.
Le discret banquier surnommé « Draluca » – Breton d’origine, Alsacien d’adoption – est décédé en décembre 2018, soit quinze mois après la passation de pouvoirs. Avant de prendre la direction du groupe Ebra qui édite Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, Vosges Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA), L’Alsace, Le Bien Public, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Progrès et Le Dauphiné Libéré (1), Philippe Carli avait été appelé en tant que consultant extérieur par Michel Lucas et par Nicolas Théry, l’actuel président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale (la maison mère de la banque mutualiste), pour faire un audit de ce pôle presse alors sérieusement déficitaire. Il y a six ans, le groupe Ebra perdait entre 50 et 60 millions d’euros par an, tout en accusant un certain retard dans la numérisation de ses neufs journaux.

En 2015, Carli vendait Le Parisien à LVMH
L’ancien dirigeant du groupe Amaury avait à son crédit d’avoir mené à bien un plan d’économies au quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France et organisé sa cession – intervenue en octobre 2015 (régie publicitaire et imprimerie comprises) – au géant du luxe LVMH de Bernard Arnault (2), déjà propriétaire du quotidien Les Echos depuis 2007. C’est à se demander si Philippe Carli (62 ans) ne pourrait pas négocier à nouveau avec Bernard Arnault (73 ans), cette fois en vue de lui céder un groupe Ebra assaini.
Le PDG multimilliardaire – première fortune française (3) et troisième mondiale (4) – s’intéresse à la presse régionale (5). Bernard Arnault partageait par ailleurs avec Michel Lucas la passion de la musique classique. Edition Multimédi@ a soumis au patron d’Ebra cette hypothèse de cession à LVMH. « Le groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale a exprimé sa volonté de conserver son pôle presse sous réserve de sa profitabilité. Compte tenu des résultats obtenus, cette volonté a été à nouveau confirmée lors des derniers conseils d’administration de la banque », répond Philippe Carli. Il poursuit donc le redressement du premier groupe de presse quotidienne régionale. « La seconde phase du plan est de cinq ans, avec une stratégie du groupe plus tournée vers le développement. L’objectif général est de conserver des rédactions fortes tout en développant les contenus audiovisuels [notamment via ses filiales Est Infos TV et Ebra Prod, ndlr] et l’engagement », nous explique-t-il.

Plateforme de e-commerce lancée d’ici fin 2022
Le plan d’économies et de restructuration est entré dans sa « saison 2 », selon la propre expression de Philippe Carli et de Nicolas Théry (photo ci-contre), président du Crédit Mutuel. Cette seconde phase est engagée depuis le début de l’année : chaque titre doit maintenant trouver sa propre rentabilité. Cela passera par l’organisation d’événements sportifs, de salons voire de foires, mais aussi par le lancement d’une plateforme de ecommerce commune aux titres. « La plateforme de marché devrait être lancée avant la fin de l’année. Elle nous permettra de mieux commercialiser l’ensemble de nos offres horspresse et d’éditions ainsi que d’étendre nos services auprès des PME régionales », nous explique le président d’Ebra. Le pôle presse du Crédit Mutuel veut aussi que l’ensemble des rédactions deviennent toutes « Digital First » (6). « Nous restons sur l’objectif de 100 000 abonnés à fin décembre. Objectif qu’il me semble encore possible d’atteindre », indique Philippe Carli. Lors de son audition au Sénat en janvier 2022 devant la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France, il avait précisé que le groupe avait investi « plus de 40 millions d’euros pendant la “saison 1” pour remettre à plat [ses] sites Internet, [ses] applications (mobiles), produire des contenus adaptés aux usages, etc. ». En outre, des négociations sont en cours avec les syndicats pour le reversement aux journalistes des droits voisins collectés auprès de Google et de Facebook.
Pour étoffer son audience Internet, déjà forte de 17,5 millions de visites par jour, le groupe Ebra s’est emparé au printemps dernier de la société de presse en ligne Humanoid, éditeur de Numerama, Frandroid et deMadmoizelle. « Les récents investissements réalisés comme le rachat d’Humanoid montrent aussi que la banque est prête à accompagner Ebra pour son développement », assure Philippe Carli. Quant aux régies publicitaires Ebra Médias Alsace et Ebra Médias Lorraine/Franche-Comté, elles peuvent jouer la carte de la régie globale Ebra Médias en « 360° (print-digital-events) », avec ciblages et brand content (7). « Nos titres ont la capacité de financer eux-mêmes leur croissance », avait assuré Philippe Carli aux sénateurs. Son actionnaire – sans lequel la majorité des titres du groupe auraient disparus – exige justement « que cette activité soit à l’équilibre et puisse financer son développement, pour que les sociétaires du Crédit Mutuel ne se retrouvent pas tenus de combler des pertes ». Sinon…
En attendant, la « saison 1 » du redressement du groupe Ebra fut conduite « avec succès », d’après Nicolas Théry. Philippe Carli avait remis son audit d’Ebra en avril 2017 en convainquant le Crédit Mutuel de ne pas céder sa presse régionale contrairement à ce que la banque mutualiste songeait à faire. Banco ! L’ex-patron d’Amaury fut embauché en juin 2017 pour diriger tout ce pôle presse, avec pour mission délicate de le redresser afin d’être à l’équilibre financier fin 2020. « Cet objectif a été atteint avec trois mois de retard du fait du covid-19, ce qui constitue une superbe performance. Le résultat d’exploitation du groupe de presse est désormais positif », s’est félicité Nicolas Théry lors de son audition.
Ces cinq premières années de restructuration des journaux et de rationalisation des imprimeries ne se sont pas faites sans la suppression de plusieurs centaines de postes (386 évoqués en 2020), partiellement compensée par la création d’emplois (284 envisagés) au sein de la nouvelle entité commune Ebra Services. Ce « centre d’expertise partagé » basé à Houdemont (Meurthe-et-Moselle), sur le même site que le siège de L’Est Républicain près de Nancy, est opérationnel depuis le 1er janvier 2021 et regroupe pour les neuf titres les différentes fonctions « support » : services de pagination, création graphique, annonces légales, trafic digital, maintenance informatique ou encore relations clientèle. Les informations nationales générales et sportives sont, elles, mises en commun et produites par une trentaine de journalistes situés dans un bureau basé à… Paris – le patron d’Ebra écartant le risque pour l’indépendance éditoriale des rédactions locales. « En revanche, chacun des neuf titres régionaux dispose de sa propre rédaction, les rédactions étant regroupées par territoire – territoires lorrain, alsacien, dauphinois et rhônalpin », a précisé Philippe Carli au Sénat.

Holding séparée et indépendance éditoriale
Nicolas Théry, lui, a assuré qu’il veillait à l’indépendance éditoriale des 1.400 journalistes du pôle presse. C’est Philippe Carli qui préside Ebra, et non pas Nicolas Théry. Et toutes les sociétés de presse du groupe ne sont plus filiales directes de la Banque fédérative Crédit Mutuel ou de holdings de la banque, mais regroupées depuis un an sous la seule holding Société d’investissements médias (SIM) que Philippe Carli préside et « qui prendra le nom d’Ebra avant la fin de l’année ». De quoi faciliter une éventuelle cession à l’avenir ? Si la banque mutualiste – constitué du Crédit Mutuel et du CIC – a réalisé un total de 15,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021, son pôle presse, lui, a généré 491 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Dans l’attente de la notification du rachat de Lagardère par Vivendi, la Commission européenne enquête

Avant même d’avoir reçu de Vivendi la notification de son projet de rachat du groupe Lagardère, laquelle devrait être lui être remise en septembre, la Commission européenne questionne depuis le début de l’année des acteurs et des organisations professionnelles pour mesurer l’impact « Vivendi-Lagardère ».

« Sous réserve de l’autorisation de la Commission européenne », précisaient dans les mêmes termes les communiqués de Vivendi annonçant respectivement le 25 mai le succès de la première période de son OPA amicale sur les actions du groupe Lagardère (1) et le 14 juin la détention de 57,35 % du capital et 47,33 % des droits de vote du même groupe Lagardère (2). Le sort du projet de « rapprochement » de Vivendi et de Lagardère – déjà engagé par endroits et sans attendre l’aval des autorités antitrust – est en fait depuis des mois entre les mains de la Commission européenne. Bruxelles n’a en effet pas attendu que l’opération de contrôle lui soit notifiée – ce qui devrait être fait en septembre – pour questionner les acteurs des marchés potentiellement impactés par cette mégaopération de concentration dans l’édition et les médias. Depuis fin 2021, une « case team » est en place pour, sans tarder, « recueillir des informations auprès des parties notifiantes [en l’occurrence Vivendi , mais aussi Lagardère, ndlr] et des tiers, tels que leurs clients, leurs concurrents et leurs fournisseurs ». Durant cette phase de pré-notification, où les envois de questionnaires aux intéressés se multiplient pour procéder à des « tests de marché », les informations peuvent prendre la forme de griefs formulés par des concurrents présents sur ces marchés..

La DG Competition et Margrethe Vestager scrutent
Et les reproches sont nombreux, notamment dans le secteur de l’édition, où le numéro un français Hachette (Lagardère) est appelé à fusionner avec le numéro deux Editis (Vivendi). Avec leurs multiples maisons d’édition (Calmann-Lévy, Grasset, Stock, Fayard, JC Lattès, Livre de poche, Dunod, Larousse, Hatier, … côté Hachette Livre ; La Découverte, Plon, Perrin, Robert Laffont, Presses de la Cité, Le Cherche Midi, Bordas, Le Robert, … côté Editis), la prise de contrôle du groupe d’Arnaud Lagardère (photo) – lequel conserve 11,06 % du capital – par celui de Vincent Bolloré provoque une levée de boucliers. Car ces deux géants français du livre – édition et distribution – seront en position dominante voire en quasisituation de monopole en France si un feu vert était donné en l’état par les autorités antitrust. « Les lois (européennes) sont bien faites. Il y a des lois qui empêchent cette concentration (dans l’édition notamment) et elles seront respectées. Si l’on doit revendre des maisons d’édition, on le fera », a tenté de rassurer Arnaud Lagardère dans l’émission « Complément d’enquête » diffusée le 2 juin dernier sur France 2.

Vincent Bolloré contrôle et va notifier d’ici septembre
Et « comme c’est Vivendi qui prend le contrôle de Lagardère, c’est Vivendi qui présente son projet à la Commission européenne », a encore souligné Arnaud Lagardère, désormais PDG pour six ans de « son » groupe, contrôlé depuis fin mai par Vincent Bolloré (photo ci-contre). Une fois qu’en septembre Vivendi aura notifié – sans doute par voie électronique – son opération de rapprochement entre les deux groupes, la direction générale de la concurrence (DG Competition) disposera alors de vingt-cinq jours pour donner un avis sur cette transaction, délai pouvant être porté à trente-cinq jours si nécessaire. Etant donné les enjeux d’une telle opération de concentration et les inquiétudes qu’elle suscite, la Commission européenne – dont la commissaire à la concurrence est depuis 2014 la redoutée Margrethe Vestager (3) – devrait alors lancer enquête approfondie sur au moins quatre-vingt-dix jours, délai qui peut être porté à cent cinq jours si besoin était. Dans le cas présent, la décision ne serait pas attendue avant la fin de l’année mais plutôt début 2023. Dans sa notification à la Commission européenne, Vivendi proposera sans doute de vendre certains actifs dans l’édition. Encore faut-il que les « remèdes » à cette concentration suffisent. Rappelons qu’en janvier 2004, dans le sens inverse, la Commission européenne avait forcé le groupe Lagardère (Hachette Livre) à se délester de plus de la moitié des actifs de Vivendi Universal Publishing (ex- Havas (4)) qu’il comptait racheter depuis fin 2002 (5). Des filiales non cédées sont à l’époque venues constituer le nouveau groupe Editis, lequel fut racheté en 2018 par Vivendi.
Vingt ans plus tard, où cette fois Vivendi s’empare des actifs de Lagardère, la DG Competition ne manquera pas à nouveau de porter son analyse sur les « effets horizontaux, congloméraux et verticaux de cette opération ». Antoine Gallimard, PDG de Madrigall (groupe lui-même issu du rapprochement de Gallimard, Flammarion et Casterman) a, lui, débuté ses échanges en visioconférence dès fin décembre 2021 avec la case team de la DG Competition (6). Il est vent debout contre cette fusion Editis-Hachette et serait intéressé par l’édition scolaire où la domination du nouvel ensemble atteindrait son paroxysme.
Quelle que soit la décision à venir de la Commission européenne et de sa vice-présidente Margrethe Vestager sur ce dossier sensible, Vincent Bolloré et Arnaud Lagardère savourent le succès de l’OPA amicale. « Je suis très heureux de ce qui se passe », a indiqué ce dernier dans « Complément d’enquête ». Pour le premier, c’est un revirement de situation puisqu’en son groupe avait déclaré en avril 2020 à l’Autorité des marchés financiers (AMF) : « Vivendi n’a pas l’intention d’acquérir le contrôle de Lagardère ». En fait, c’est Arnaud Lagardère qui a fait changer d’avis le milliardaire breton : « J’ai pris la liberté d’appeler Vincent Bolloré mi-mars 2020, au tout début du confinement, a raconté le fils unique de Jean-Luc Lagardère, pour effectivement m’aider (en entrant au capital de Lagardère), ce qu’il a accepté. Je ne l’aurais pas appelé, il ne serait jamais entré et Vivendi ne serait jamais actionnaire du groupe (Lagardère) aujourd’hui. (…) A l’époque, mon ennemi – contrairement à ce que pensent beaucoup de gens qui se trompent – ce n’était pas Vincent Bolloré ni Bernard Arnault, mais Amber Capital ». Ce fonds d’investissement activiste britannique, qui fut un temps début 2020 le premier actionnaire du groupe Lagardère et très critique envers la gestion d’Arnaud Lagardère qu’il tenta de chasser de son statut de gérant de la société en commandite par actions Lagardère SCA. Cette structure juridique atypique permettait à Arnaud Lagardère de contrôler son groupe en n’en détenant alors que 7,3 % du capital. « C’est cet activiste-là que j’espérais d’abord pouvoir contrer », a-t-il rappelé. En revanche, le patron du groupe Lagardère n’est pas allé chercher Bernard Arnault. « C’est lui qui a appelé, d’abord notre banque d’affaires, pour dire qu’il était prêt à m’aider dans ma structure personnelle et non pas en-dessous. Donc, il n’y avait aucune déclaration de guerre, entre guillemets, d’un Bernard Arnault qui viendrait à l’assaut d’un Vincent Bolloré, lequel est mon ami et vient pour m’aider ». Le PDG de LVMH était d’ailleurs le meilleur ami de son père Jean-Luc Lagardère, ancien PDG de Matra, d’Hachette et d’Europe 1.
Fin mai, Vivendi a accordé à Arnaud Lagardère un mandat de PDG de six ans en promettant de « conserver l’intégrité » de son groupe devenu la société anonyme Lagardère SA – fini la SCA qui aura vécu près de 30 ans – et « de lui donner les moyens de se développer ». Arnaud est-il inquiet de ce que pourrait faire Vincent Bolloré de l’empire médiatique de Lagardère (Europe 1, le JDD, Paris-Match, CNews, Virgin Radio bientôt rebaptisée Europe 2, …) ? « Non, cela ne m’inquiète absolument pas. D’abord, parce que je suis là », a-t-il assuré. A 61 ans, le fils unique et l’héritier de l’empire Lagardère (317e plus grande fortune française, selon Challenges), va entamer une nouvelle vie professionnelle aux côtés des Bolloré. « Ma relation avec Vincent Bolloré et avec ses enfants, Cyrille et Yannick, est telle que nous allons poursuivre cette route assez longtemps », a-t-il dit, confiant en l’avenir.

Vincent Bolloré est censeur jusqu’au 14 avril 2023
Depuis avril 2018, Yannick Bolloré a remplacé à la présidence du conseil de surveillance de Vivendi le patriarche Vincent Bolloré (70 ans), lequel y est devenu en avril 2019 « censeur » dont le mandat court jusqu’au 14 avril 2023… non renouvelable. Et si le nom Lagardère devait disparaître comme entité économique ? « Bien sûr que je le regretterais, bien sûr, a-t-il confié dans “Complément d’enquête”. Mais s’il doit disparaître au profit d’un nom comme celui de Vincent Bolloré, j’en serais plutôt heureux. Ça ne me dérangerait pas. Et ça ne dérangerait pas mon père non plus ». Il y a près de dix ans, en mars 2013, Arnaud Lagardère assurait qu’il ne cèderait son groupe « à quelque prix que ce soit ». @

Charles de Laubier

FL Entertainment dans le « divertissement numérique » : Stéphane Courbit joue la complémentarité Banijay-Betclic

Si l’entrée en Bourse à Amsterdam le 1er juillet dernier est une réussite pour le groupe FL Entertainment, cofondé par son président Stéphane Courbit, reste à savoir si la stratégie qui « combine deux entreprises complémentaires et prospères », Banijay et Betclic, convaincra les investisseurs sur le long terme.

FL Entertainment (FLE) se revendique à la fois comme « un leader mondial dans la production de contenu indépendant et la plateforme de paris sportifs en ligne à la croissance la plus rapide en Europe grâce à ses activités Banijay et Betclic Everest Group ». Présidé par l’entrepreneur français Stéphane Courbit (photo), qui en est également le principal actionnaire via sa holding personnelle Financière Lov, le groupe a l’ambition d’être un acteur global du divertissement « combinant deux activités complémentaires et prospères : Banijay et Betclic Everest ». Autrement dit, réunir la production audiovisuelle et les paris sportifs en ligne aurait un sens stratégique. Le point commun entre ses deux activités, qui n’ont a priori rien à voir et relèvent du mariage de la carpe et du lapin, réside dans le fait qu’il s’agit dans les deux cas de « divertissement numérique », selon l’expression du nouveau groupe FLE. Ensemble, ces deux activités pour le moins très différentes et relevant de deux règlementations très spécifiques (l’audiovisuel d’un côté et les jeux d’argent en ligne de l’autre) ont généré au total près de 3,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires sur l’année 2021, dont plus de 80 % pour la partie audiovisuelle. Au 31 décembre dernier, l’ensemble affiche une perte nette de 73,4 millions d’euros et un endettement de plus de 2,2 milliards d’euros – soit 3,7 fois le résultat d’exploitation, lequel est indiqué à 609 millions d’euros sur 2021.

Courbit cornaqué par Bolloré, Lacharrière et Arnault
Stéphane Courbit (57 ans) est l’un des plus discrets hommes d’affaires milliardaires français, où la modestie se le dispute à l’ambition, sur fonds de méfiance vis-à-vis des médias (rares interviews). La 70e fortune de France (1) cherche à se hisser au niveau des Vincent Bolloré, Marc Ladreit de Lacharrière et autres Bernard Arnault qu’il côtoie sans mondanités, entre autres personnalités comme Nicolas Sarkozy. Adepte des parties de poker, il joue gros dans cette opération boursière rendue possible par la « coquille vide » néerlandaise Pegasus Entrepreneurial Acquisition Company Europe, une Spac (2) créée spécialement pour absorber FL Entertainment afin de lever des fonds en Bourse. Ce montage alambiqué a permis au nouveau groupe du serial-entrepreneur d’être coté à Amsterdam sur l’Euronext depuis le 1er juillet et de lever 645 millions d’euros, dont 38,7 % provenant de la holding familiale de Stéphane Courbit (Financière Lov, avec sa femme et ses enfants) qui détient 46,95 % du capital de FLE et 72,64 % des droits de vote.

Direction à Paris, portefeuille à Amsterdam
Cotée à la Bourse de la capitale des Pays-Bas, la nouvelle entreprise n’en est pas moins dirigée de France, à Paris, rue François 1er. Sont aussi au capital : le groupe Vivendi de Vincent Bolloré (déjà actionnaire de Banijay) qui est le deuxième plus gros actionnaire avec 19,89 % du capital de FLE, le groupe Monte Carlo SBM International (déjà actionnaire de Betclic) à hauteur de 10,9 % du capital de FLE, la holding d’investissement Fimalac de Marc Ladreit de Lacharrière (déjà détenteur de 8,34 % du capital de Financière Lov) qui est entré à hauteur de 7,7 % de FLE, tandis que De Agostini via DeA Communications (déjà actionnaire de Banijay) a pris 4,99 % du nouvel ensemble. Ont aussi participé à la levée de fonds : Exor, la holding de la famille Agnelli, descendants du fondateur de Fiat ; Ario, le véhicule d’investissement de Didier Le Menestrel ; la Financière Agache, la holding familiale de Bernard Arnault (LVMH) ; Tikehau Capital, un fonds d’investissement (en cheville avec la Financière Agache dans le montage de la Spac Pegasus, ayant apporté ensemble 50 millions d’euros) ; et l’assureur Axa.
Fort de cet actionnariat éclectique, la gouvernance du nouveau groupe est, elle aussi, diversifiée et sous tutelle d’un conseil d’administration de onze membres : des associés Pierre Cuilleret, Diego De Giorgi et Jean-Pierre Mustier de la holding Pegasus, au conseiller Alain Minc, en passant par Eléonore Ladreit de Lacharrière (fille du milliardaire), François Riahi (directeur général de Financière Lov), ou encore Hervé Philippe (l’actuel directeur financier du groupe Vivendi).
Dans son prospectus d’introduction en Bourse, FL Entertainment se dit « ouvert à explorer toute possibilité dans l’espace de divertissement qui pourrait compléter ses activités existantes de production et de distribution de contenu, et de paris sportifs et de jeux en ligne ». La plateformisation de l’économie numérique, avec l’émergence fulgurante de Netflix ou de Disney+, a poussé Stéphane Courbit à passer à la vitesse supérieure. Quinze ans après avoir créé Banijay via Lov Group (les initiales du prénom de ses enfants Lila, Oscar et Vanille), présenté comme « le plus grand producteur mondial indépendant de contenus » (120 sociétés de production dans 22 pays), le taiseux veut accélérer dans l’audiovisuel sans frontières en pleine croissance et en cours de concentration. Il y a une carte à jouer pour FL Entertainment qui a donc vocation à faire des acquisitions en surfant sur les opportunités de croissance externe, à l’instar de ce qu’a fait Mediawan – cofondé par Pierre-Antoine Capton, Matthieu Pigasse et Xavier Niel – qui fut lancé en décembre 2015 sous la forme d’une Spac (3) (*) (**). Banijay était déjà rompu aux acquisitions : Air Productions, Bunim Murray, Screentime, Zodiak Media, 7Wonder, Good Times, ITV Movie, et, en 2019 pour environ 2 milliards d’euros, le néerlandais Endemol Shine Group, producteur pionnier de la téléréalité et de jeux télévisés. FLE permet de continuer à croître encore plus globalement pour produire bien plus pour les chaînes de télévision et pour les plateformes de SVOD, ces dernières devant désormais – dans les Vingt-sept – consacrer au moins 30 % de leur catalogue à des oeuvres européennes.
Le marché mondial de la production de contenu – boosté par la montée en charge d’Amazon Prime Video, Paramount+, HBO Max ou encore Apple TV+ – est estimé à plus de 200 milliards d’euros, d’après PwC, qui table sur une croissance de près de 5 % par an. Par exemple, Pitchipoï Productions et Montmartre Films (filiales de Banijay) ont produit pour Netflix « The Spy » et pour Amazon Prime « Flashback ». FLE veut aussi accroître l’acquisition de droits de propriété intellectuelle (4) pour détenir plus de contenus à son catalogue, audiovisuel (130.000 heures de programmes télévisés) mais aussi musique et jeu vidéo comme « All Against One ».
Mais que vient faire Betclic dans cet attelage ? Quinze ans après avoir créé Mangas Capital Gaming, renommé ensuite Betclic Everest Group, Stéphane Courbit est convaincu que la plateforme qu’il détenait à 50 % avec la Société des bains de mer (SBM) de Monaco, peut jouer la complémentarité dans le « divertissement numérique ».

Diversifier l’offre de streaming de Betclic
La plateforme Betclic est vouée à s’étoffer et proposer aussi d’autres contenus en streaming : « Pour faire face à la concurrence de nouveaux entrants sur le marché des paris sportifs en ligne, Betclic doit constamment offrir aux joueurs de nouveaux produits et services, tels qu’un large éventail de jeux, une variété de méthodes de paris – prélive ou live – ou une offre de streaming [et/ou de live streaming, ndlr], ainsi que des conditions de jeux et de compétitions plus attractives », peut-on lire dans le prospectus boursier (5). Le marché mondial du jeu en ligne devrait croître d’environ 10 % par an, à 115 milliards d’euros à fin 2027, selon Grand View Research. Lors de son premier jour de cotation, le groupe était valorisé 4,7 milliards d’euros : c’est descendu à un peu plus de 4,5 milliards le 7 juillet 2022. @

Charles de Laubier

Elon Musk – devenu à 50 ans la personne la plus riche du monde – « pense [toujours] à un autre monde »

Le Sud-Africain blanc (anti-apartheid comme son père), Etats-unien depuis 20 ans, vit à 100 à l’heure. Elon Musk est devenu milliardaire il y a 10 ans et, grâce à ses investissements (Tesla, SpaceX, TBC, OpenAI, Neuralink, SolarCity, Twitter, …), pourrait devenir le premier trillionaire de l’histoire.

Sous le feu des projecteurs et sous une pluie de critiques depuis qu’il veut s’emparer de Twitter, le PDG fondateur de l’entreprise spatiale SpaceX et DG du fabricant d’automobiles électriques Tesla (1) ne cesse de défrayer la chronique, qu’il alimente lui aussi par ses tweets débridés et ses prises de parole décomplexée. Elon Musk, qui va fêter ses 51 ans le 28 juin, fascine et agace à la fois.
Considéré aussi bien comme visionnaire hors-pair que comme provocateur invétéré, le trublion multimilliardaire continue d’investir gros et à tout-va, en prenant des risques personnels et professionnels, ce qui lui réussit. S’il détient bien un quart de Tesla (actions et options d’achat cumulées), il a hypothéqué la moitié de ses actions pour obtenir des prêts financiers, notamment pour son projet de racheter Twitter 44 milliards de dollars. Né à en 1971 à Prétoria d’un père sud-africain et d’une mère canadienne, le triple nationalisé – Sud-Africain, Canadien (où il a émigré à 17 ans) et, depuis 20 ans, Américain – semble s’être installé cette année durablement sur le trône de la personne la plus riche du monde, première place qu’il avait prise brièvement au patron d’Amazon Jeff Bezos en 2021. Le Crésus de ce début du XXIe siècle détient une fortune professionnelle de 225,8 milliards de dollars (au 23-06-22), selon Forbes (2).

« L’homme qui valait 1.000 milliards », en 2025 ?
Bien que le fléchissement des places boursières et la crise économico-inflationniste lui aient fait perdre en deux mois plus de 55 milliards de dollars, l’acquisition pour 44 milliards de dollars des 90,8 % des actions de Twitter qu’il ne possède pas encore devrait le conforter – si son OPA aboutit – dans sa position de premier milliardaire mondial. N’en déplaise à Jeff Bezos, Bernard Arnault, Bill Gates ou encore à Warren Buffett (3). Elon Musk pourrait même se détacher du peloton de tête pour devenir dans le courant de la décennie le premier trillionaire toute l’histoire du capitalisme. Sur sa lancée – sa fortune ayant bondi de près de 1.000 % (817,8 % précisément au 23-06- 22) entre 2020 et 2022, le libertarien iconoclaste remplit toutes les conditions pour devenir le tout premier à être « l’homme qui valait 1.000 milliards ». Elon Musk est le seul des huit cent milliardaires (4) à être actuellement au-delà des 200 milliards. Et d’après l’étude « The Trillion Dollar Club » réalisée par la fintech-cloud californienne Tipalti Approve, publiée au début du printemps dernier (5), le patron de Tesla et de SpaceX pourrait inaugurer ce club des trillionaires dès 2024 – dans deux ans. Le nouveau « super- Rockefeller » aura alors 53 ans le 28 juin de cette année-là, avec une fortune professionnelle estimée à plus de 1,3 trilliards de dollars : 1.300 milliards !

Un serial-investor de haut-vol
Rêvant de coloniser Mars, Elon Musk a la tête dans les étoiles et « pense à un autre monde », comme disait sa mère lorsqu’il était encore enfant et au moment où des médecins croyaient qu’il était sourd (6). Pour l’heure (au 23- 06-22), la capitalisation boursière de Twitter est de 29,5 milliards de dollars et celle de Tesla de 734 milliards de dollars. Quant à SpaceX, qui est une entreprise non cotée, elle est valorisée 125 milliards de dollars depuis une levée de fonds réalisée fin mai. Elle déploie la constellation Starlink, nom aussi de l’opérateur satellitaire qui a été autorisé fin mai en France par l’Arcep (7). L’entrepreneur multirécidiviste est aussi le cofondateur PDG de Neuralink, start-up californienne créée il y a cinq ans, non cotée et valorisée quelques centaines de millions de dollars. Ayant levé plus de 360 millions de dollars au total à ce jour, elle vise à connecter le cerveau humain à l’ordinateur grâce à la neurotechnologie et aux implants (au service des handicapés entre autres). Des tests sont actuellement menés sur des singes ou des porcs.
Neuralink a son siège social à San Francisco, dans le même bâtiment où se trouve OpenAI, une autre start-up cofondée, en 2015, par Elon Musk. Celle-ci mène des recherches en intelligence artificielle et développe un modèle linguistique formé sur des milliards de mots présents sur Internet afin de répondre aux questions en langage naturel ou traduire entre les langues. Non cotée, la licorne OpenAI est valorisée au moins 1 milliard de dollars grâce à ses multiples investisseurs, dont Microsoft. Elon Musk n’en est plus administrateur depuis 2018, pour éviter tout conflit d’intérêt avec Tesla AI (voiture autonome), mais reste actionnaire. Elon Musk avait aussi cofondé en 2006 la start-up SolarCity, positionnée sur l’énergie solaire photovoltaïque, société qui fut revendue dix ans plus tard à Tesla pour environ 2,6 milliards de dollars. Le touche-à-tout du capitalisme américain veut aussi révolutionner les transports urbains dans les grandes villes embouteillées en creusant des tunnels et y déployer des systèmes électriques à grande vitesse de transport souterrain (projet « Loop ») : fin 2016, il a fondé pour cela The Boring Company (TBC) spécialisée dans la construction de tunnels à l’aide de ses propres tunneliers : une première percée a été effectuée sous les bureaux californiens de SpaceX à Hawthorne. Cette licorne TBC, déjà valorisée près de 6 milliards de dollars, teste des « boucles intra-city » à Las Vegas et à Los Angeles.
Le tycoon de l’investissement de haut-vol a été diplômé « Wharton School » en physique et en sciences économiques il y a un quart de siècle (en 1997) à l’Université de Pennsylvanie (Etats-Unis), après être entré en 1990 à l’Université Queen’s à Kingston (au Canada, où il était arrivé l’année précédente d’Afrique du Sud). A 23 ans, en 1994, le jeune Elon Musk fait deux stages estivaux dans la Silicon Valley (8). Il a tenté l’année suivante d’entrer chez à Netscape, pionnière du Web avec son navigateur, mais sans jamais obtenir de réponse. Accepté en 1995 à l’Université Stanford pour faire un doctorat en philosophie (Ph.D.) en sciences des matériaux, il la quitte au bout de deux jours pour rejoindre le boom d’Internet et lancer une start-up avec son frère Kimbal : Zip2, développent des « city guides » pour la presse en ligne. Quatre ans plus tard (en 1999), ils l’ont cédée au fabricant de micro-ordinateurs Compaq pour plus de 300 millions de dollars. Elon Musk empoche 22 millions de dollars en cédant ses actions (7 %) et cofonde une startup de finances, de paiement et de banque en ligne, X.com, qui a fusionné l’année suivante avec la banque en ligne Confinity cofondée par un autre libertarien de la Silicon Valley, Peter Thiel, et dotée de son propre service de transfert d’argent : PayPal.
Elon Musk devient alors PDG du nouvel ensemble X.com et, préférant les logiciels Microsoft à Unix, provoque la démission de Peter Thiel, lequel sera rappelé en septembre 2000 par l’entreprise – après l’éviction d’Elon Musk par le conseil d’administration. Faisant trop « porno », X.com devient PayPal (9). En 2002, eBay a acquis PayPal pour 1,5 milliard de dollars en actions, dont 175,8 millions de dollars pour Elon Musk qui en était le premier actionnaire, à 11,7 %.

Du « technoking » au cryptomaniaque
C’était il y a 20 ans. L’avenir du futur multimilliardaire commence à se jouer : le Maverick (10) des temps modernes fonde début 2002 « Space Exploration Technologies Corp. », rebaptisé en mai de la même année SpaceX, dont il deviendra PDG en 2021 et ingénieur en chef ; il investit en février 2004 dans la société Tesla (11) dans laquelle il mise 6,5 millions de dollars et en devient l’actionnaire majoritaire et président, puis en 2008 PDG et architecte produits – « Technoking » (12) en 2021. Le « roi de la tech » est aussi un crytomaniaque, ce qu’il lui vaut notamment depuis juin un procès à 258 milliards de dollars pour avoir fait la promotion du Dogecoin, y compris en envisageant d’en faire la cryptomonnaie favorite de Twitter. @

Charles de Laubier