Toujours en position dominante dans la diffusion audiovisuelle en France, TDF va encore changer de main

C’est la plus grosse opération financière attendue en France dans les télécoms cette année. Le canadien Brookfield – premier actionnaire de TDF depuis 2015 – vient de lancer le processus de vente de ses 45 % du capital de l’opérateur d’infrastructures dirigé depuis 2010 par Olivier Huart. Orange est parmi les intéressés.

La « tour-mania » qui agite les investisseurs depuis quelques années devrait permettre au premier actionnaire de TDF, le canadien Brookfield Asset Management, de sortir par le haut. Après avoir formé en 2014 un consortium avec des partenaires institutionnels pour s’emparer en mars 2015 des 100 % de l’ancien monopole public français de radiotélédiffusion, dont 45 % détenus depuis par sa filiale Brookfield Infrastructure Partners dirigée par Sam Pollock (photo), le fonds de Toronto veut maintenant céder sa participation. Cette sortie à forte plus-value au bout de sept ans pourrait même s’accompagner de la cession du contrôle de l’ex-Télédiffusion de France, en convergence avec d’autres membres du consortium comme le fonds de pension canadien PSP Investments (1) qui détient 22,5 %. Même si les deux canadiens n’ont toujours rien officialisé sur leurs intentions de vendre leur actif devenu « poule aux oeufs d’or », leur décision est prise depuis au moins 2018. Des discussions avec un repreneur potentiel – l’opérateur Axione et son actionnaire Mirova (filiale de Natixis) – n’avaient pas abouti l’année suivante. Une nouvelle tentative avait été lancée à l’automne 2021 par les deux canadiens, mais sans lendemain.

Valses des fonds autour des « towerco »
L’année 2022, après deux ans de crise « covid-19 », se présente sous de meilleurs auspices malgré les conséquences de la guerre en Ukraine. Valses des fonds autour des « towerco » Cette fois, les fuites sur de nouvelles négociations des fonds actionnaires se font plus insistantes et la valorisation évoquée de l’ensemble de TDF pourrait atteindre des sommets : jusqu’à 10 milliards d’euros, dont près de 4,5 milliards pour les 45 % de Brookfield. Ce serait une véritable « culbute » pour les investisseurs actuels qui ont acquis fin 2014 l’opérateur historique français de la diffusion audiovisuelle – diversifié dans les télécoms – pour la « modique » somme de 3,6 milliards d’euros (dont 1,4 milliard de dette). Cet engouement pour les 19.200 sites physiques du premier opérateur français d’infrastructure de diffusion audiovisuelle et de téléphonie mobile – les fameux « points hauts » (pylônes, toits-terrasses, châteaux d’eaux, gares, voire clochers d’églises) – s’inscrit dans la valse des fusions et acquisitions autour des « towerco ». Ces opérateurs d’infrastructures réseaux sont portés partout dans le monde par Continuer la lecture

Les promesses numériques, culturelles et audiovisuelles s’accumulent pour le 2e et dernier quinquennat de Macron

Le 8e président de la Ve République entame son deuxième et dernier mandat de cinq ans avec à nouveau des promesses, notamment numériques, culturelles et audiovisuelles. L’ancien ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) poursuit sa « Start-up Nation », mais reste toujours flou sur l’audiovisuel public.

14 mai 2017-7 mai 2022. Deux investitures. Un même président de la République. Mais des promesses qui n’ont presque rien à voir avec celles d’il y a cinq ans. Même si la confrontation entre Emmanuel Macron (photo) et la candidate d’extrême droite a donné un air de déjà vu – avec une élection présidentielle remportée par le premier grâce au front républicain –, la donne a changé et les défis sont autrement plus sérieux et graves (guerre, nationalisme, pandémie, inégalités, fracture territoriale, réchauffement climatique, …). Au-delà de son discours d’investiture du 7 mai 2022 rappelant l’esprit des Lumières, de la République française et de l’Europe, le toujours jeune locataire de l’Elysée (44 ans) sait qu’il doit passer rapidement aux actes. C’est dans ce contexte nouveau que le toujours 8e président de la Ve République, réélu le 24 avril, a déclaré lors de son investiture qu’il aller notamment « agir pour faire de notre pays une puissance agricole, industrielle, scientifique et créative plus forte en simplifiant nos règles et en investissant pour cette France de 2030 », ou encore « agir pour bâtir une société du plein emploi et d’un juste partage de la valeur ajoutée car la France a besoin de continuer de produire et d’innover davantage ».

Pas de ministère du Numérique à part entière
Mais il faut se référer au programme du candidat à sa réélection, présenté le 17 mars dernier, pour entrer dans le dur de ses promesses présidentielles. Encore fallait-il qu’un nouveau gouvernement soit nommé, alors que l’actuel est resté en place au moins jusqu’au vendredi 13 mai à minuit, dernier jour officiel du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Le Premier ministre Jean Castex a finalement démissionné le lundi 16 mai. Dans cette phase de transition et à cinq semaines des élections législatives à l’issue incertaine pour la majorité actuelle, il a fallu attendre le 20 mai pour connaître le nom de la Première ministre, Elisabeth Borne, après qu’au moins deux femmes (1) aient décliné l’offre du président de la République. Sur la composition de son gouvernement, les spéculations sont allées bon train jusqu’à ce jour. Par exemple, la nouvelle locataire de Matignon allait-elle se doter d’un ministère du Numérique digne de ce nom ? Pour le chef de l’Etat qui fut ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (2014-2016) et qui s’est fait le président champion de la « Start-up Nation », cette éventualité était en réflexion. On connaît aujourd’hui la réponse […]  Continuer la lecture

Le milliardaire Warren Buffett, investisseur influent via Berkshire Hathaway, devient technophile sur le tard

Actuelle 5e fortune mondiale, le milliardaire américain Warren Buffett (91 ans) – à la tête de sa holding d’investissement Berkshire Hathaway – devient de moins en moins réservé sur les technologies numériques. Après être monté à 5,5 % au capital d’Apple, il s’offre 11 % de HP. L’ « Oracle d’Omaha » a changé de regard sur les technos.

(Cinq jours après la publication de cet article dans EM@, Warren Buffet a annoncé le 30 avril détenir 9,5 % du capital d’Activision Blizzard)

Il n’est jamais trop tard pour devenir technophile, surtout lorsque l’on dispose d’une trésorerie de 144 milliards de dollars disponible pour investir. A 91 ans (il aura 92 ans en août prochain), le success-investor Warrent Buffett (photo) vient de faire un pas de géant dans la high-tech en faisant l’acquisition le 6 avril dernier de 11 % du capital du fabricant américain d’ordinateurs et d’imprimantes HP. Au total, son fonds d’investissement Berkshire Hathaway a déboursé 4,2 milliards de dollars pour s’emparer de 121 millions d’actions du groupe d’informatique personnelle issu de la scission en 2015 de Hewlett-Packard (l’autre société HPE, dédiée aux entreprises, n’étant pas concernée par cet investissement). L’action d’HP à la Bourse de New-York a aussitôt fait un bond de près de 15 % du jour au lendemain, avant de s’affaisser puis de reprendre du poil de la bête. Sa capitalisation s’est hissée au-dessus des 40 milliards de dollars (au 21-04-22). Reste que si l’ « Oracle d’Omaha » – surnom donné à Warren Buffett, car très écouté par les investisseurs et en référence à la ville d’Omaha, au Nebraska, où il habite et travaille – a jeté son dévolu sur « HP Inc », c’est qu’il voit de belles plus-values en perspective dans le monde du PC. Et ce, malgré les signes contradictoires sur ce marché mondial – dont le fabricant de Palo Alto est le numéro deux, derrière le chinois Lenovo.

« WB », plus Coca-Cola que high-tech
Lors de l’assemblée générale des actionnaires de son conglomérat Berkshire Hathaway (BH), le 30 avril prochain, le PDG Warren Buffett (« WB ») – fonction qu’une ONG et un fonds ont demandé le 19 avril à ce qu’elle soit ramenée à DG (1) – devra rassurer sur son investissement-surprise. Cinq jours après que le milliardaire soit devenu minoritaire dans HP, le cabinet d’études Gartner publiait un état peu réjouissant du marché mondial des ordinateurs personnels au premier trimestre 2022 : recul de 6,8 % par rapport à la même période de l’an dernier. Mais si l’on met à part le ralentissement des ventes de Chromebook de Google, le marché des PC est en hausse de 3,9 % (2). Ce n’est pas si mal au regard de la plus forte croissance jamais enregistrée depuis des décennies un an auparavant, soit 32 % au premier trimestre 2021 (3). L’« Oracle d’Omaha » a-t-il eu du nez ou risque-t-il d’être déçu par ce fleuron de la technologie, secteur dont il se méfie depuis toujours ? Car Warren Buffett n’a jamais été très « Big Tech ». Il y a dix ans exactement, WB avait déclaré sur CNBC qu’il n’a pas vraiment une opinion sur Facebook et Google parce qu’il est difficile de déterminer leur valeur et comment ils se débrouilleront à l’avenir. « Il est donc beaucoup plus facile pour moi de comprendre ce que Coca-Cola vaut que Google ou Facebook », avait-il dit à l’époque (4). Il se méfie aussi du battage médiatique lors de l’introduction d’entreprises du numérique. Le milliardaire n’a jamais caché qu’il n’investirait pas dans la technologie parce qu’il ne la comprenait pas vraiment.

Ses 5,55 % d’Apple valorisés 161 Mds$
D’où la surprise lorsqu’il révèle en novembre 2011 qu’il a investi progressivement quelque 11 milliards de dollars pour monter à 5,5 % du capital d’IBM, devenant alors l’un de ses plus grands actionnaires. Mais dès que « Big Blue » a rencontré des difficultés, il a commencé en mai 2017 à céder ses parts. « IBM est une grande entreprise solide mais elle a également des concurrents gros et solides », avait-il expliqué en révisant son jugement à la baisse. Son aversion envers les technologies est alors à son comble. Quoique… Après avoir soldé sa participation dans IBM début 2018, non sans faire quelques milliards de plus-value au passage malgré la débâcle de Big Blue, le milliardaire d’Omaha a rapidement renforcé ses positions dans… Apple, dont il détenait déjà des actions depuis 2016. Ce fut un changement de pied pour le success-investor, passant d’un fabricant d’ordinateurs orienté entreprises vers un fabricant de terminaux orienté grand public. IBM et Apple étaient rivaux dans les années 1980, avant de diverger par la suite.
Bien qu’il ne possèderait toujours pas d’iPhone personnellement, la marque à la pomme – son « dauphin géant », comme il dit – est aujourd’hui l’investissement technologique qui lui donne encore toute satisfaction. « Notre participation n’est que de 5,55 %, en hausse par rapport à 5,39 % un an plus tôt. Cette augmentation ressemble à de la petite pomme de terre. Mais considérez que chaque 0,1 % des gains d’Apple en 2021 s’élevait à 100 millions de dollars », s’enthousiasme le groupe BH dans son rapport annuel publié fin février. Et de bien faire comprendre : « Seuls les dividendes d’Apple sont comptabilisés dans les résultats [de] Berkshire – et l’an dernier, Apple nous a versé 785 millions de dollars de ces dividendes. Pourtant, notre “part” des bénéfices d’Apple s’élevait à 5,6 milliards de dollars. Une grande partie de ce que [nous avons] conservé a été utilisé pour racheter des actions d’Apple ». Au 31 décembre 2021, les 5,55 % de BH dans Apple étaient valorisés 161,1 milliards de dollars, alors que ces actions lui ont coûtées 31 milliards de dollars – soit une plus-value potentielle de 420 %. Tandis que Warren Buffett n’a de cesse d’encenser Tim Cook, le « brillant » PDG d’Apple. C’est le meilleur investissement que l’« Oracle d’Omaha » a réalisé parmi les entreprises qu’il ne contrôle pas (y étant actionnaire minoritaire). Viennent ensuite, d’après sa lettre aux actionnaires de BH établie fin février : Bank of America (12,8 % capital, valorisés 45,9 milliards de dollars), American Express (19,9 %, valorisés 24,8 milliards) ou encore The Coca-Cola Company (9,2 %, valorisés 23,6 milliards). Aussi rétif aux technos, WB n’en est pas moins aussi actionnaire minoritaire de l’opérateur télécoms américain Verizon (3.8 %, valorisés 8,2 milliards), le câblo-opérateur Charter Communications (2,2 %, valorisés 2,5 milliards). Et il y a aussi une part de technologie dans le chinois BYD (7,7 %, valorisés 7,7 milliards) et le japonais Mitsubishi (5,5 %, valorisés 2,6 milliards). Comme quoi le « tycoon-vétéran » de l’investissement n’est pas aussi technophobe qu’il le laisserait penser. « Je fais beaucoup d’erreurs », reconnaît l’« Oracle d’Omaha », dont l’associé historique est Charles Munger (98 ans), dit Charlie (photo ci-contre), vice-président milliardaire de BH. Le conglomérat holding, dont le siège social est au Nebraska (à Omaha donc) mais avantageusement domicilié fiscalement dans l’Etat du Delaware, contrôle de nombreuses filiales, à commencer dans des activités d’assurance et de réassurance (5), suivies par une entreprise de transport ferroviaire de marchandises (6) et un groupe de production et distribution d’électricité (7), auxquels s’ajoutent plusieurs unités de fabrication (8), de services ou encore de vente au détail (9). Toutes les filiales consolidées de BH employaient un total de 372.000 personnes dans le monde à la fin 2021 (parmi lesquelles 50.500 dans l’assurance), dont 77 % aux Etats-Unis.

Que va-t-il faire de ses 144 Mds$ de cash ?
Warren Buffett n’est en revanche pas un tycoon des médias, loin de là. C’est tout juste s’il possède WPLG, une chaîne de télévision à Miami en Floride (affiliée au network ABC), acquise en 2014 auprès de la Graham Holdings (ex-Washington Post Company, après que celle-ci ait vendu l’année d’avant le Washington Post au fondateur d’Amazon, Jeff Bezos). BH a par ailleurs possédé le quotidien régional The Buffalo News ainsi que l’éditeur de dizaines de newspapers BH Media Group, avant de revendre ces activités presse en 2020.
A l’international, la seule activité média de WB réside dans Business Wire, société de diffusion de communiqués de presse créée en 1961 et acquise par BH en 2006. Ses contenus (textes et multimédias) sont diffusés dans le monde entier, via son réseau NX, aux journalistes et agences de presse comme l’AFP. Ses deux principaux concurrents sont PR Newswire (groupe Cision) et GlobeNewswire (ex-Prime- Newswire). Une chose est sûre, le success-investor aux 144 milliards de dollars de cash a les moyens de renforcer sa nouvelle technophilie et son penchant médiatique. @

Charles de Laubier

Les grands groupes de médias français justifient leur concentration par la concurrence que leur font les GAFAN

Les milliardaires magnats des médias – Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel, Martin Bouygues, Patrick Drahi, … – ont réussi à annihiler les velléités des sénateurs à encadrer voire limiter la concentration des médias en France, en leur assurant qu’ils sont des « David » face aux « Goliath » du Net.

Les sénateurs Laurent Lafon, président de la commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France, et David Assouline (photo), le rapporteur de cette mission, ont présenté le 29 mars le rapport tant attendu destiné à « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France » et à « évaluer l’impact de cette concentration dans une démocratie ». Finalement, le centriste et le socialiste ont cautionné l’idée, biaisée, selon laquelle la concentration des médias en France – ayant elle-même d’unique au monde de faire de plusieurs milliardaires leurs propriétaires en quête d’influence – se justifie par la concurrence des géants de l’Internet. Autrement dit, veut-on nous faire croire : c’est magnats contre Gafan, ou Gafam (1), soit une question de vie ou de mort pour les médias français. Cette justification à la concentration des médias en France aux mains de milliardaires, dont le cœur de métier ne se situe pas dans les médias mais dans des activités industrielles (ce que le fondateur du Monde Hubert Beuve-Méry désignait dans les années 1950 comme « la presse d’industrie »), est un tour de passe-passe qui a neutralisé cette commission d’enquête.

Bernard Arnault, « sauveur » des Echos et du Parisien
« Ces médias auraient-ils survécu s’ils n’avaient pas reçu l’investissement d’un actionnaire comme LVMH ? Vous me permettrez d’en douter : compte tenu (…) de l’ampleur des révolutions technologiques actuelles », a lancé Bernard Arnault, PDG du groupe Louis Vuitton- Moët Hennessy et propriétaire des quotidiens Le Parisien et Les Echos, lors de son audition du 20 janvier. Et d’assurer : « Le rôle de LVMH en tant qu’actionnaire du groupe de presse Les Echos-Le Parisien consiste essentiellement à accompagner l’adaptation de cette entité face à la concurrence de plus en plus forte des médias numériques planétaires ». En invoquant le spectre des grandes plateformes mondiales du numérique, les tycoons de la presse, de la télé et de l’édition se sont présentés devant les sénateurs comme le moindre mal pour le paysage médiatique français. Face aux géants du Net, les rapprochements entre entreprises de médias au sein de grands groupes sont présentés comme la réponse stratégique.

Concentration des médias : le moindre mal ?
Ce serait le cas de l’absorption annoncée du groupe Lagardère par le groupe Vivendi (fusion d’Hachette et d’Editis incluse), dans le seul but d’atteindre une taille critique. « Contrairement à ce qui se dit partout, nous sommes encore tout petits, bien que nous progressions en effet », a tenu à dire, lors de son audition le 19 janvier, Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire du groupe Bolloré, ancien président du conseil de surveillance de Vivendi et du groupe Canal+. Et, slides à l’appui : « Notre capitalisation boursière s’établit à 15 milliards d’euros, contre 156 milliards pour Sony, 287 milliards pour Disney, 586 milliards pour Tencent, 2.812 milliards pour Apple. En réalité, le géant Vivendi est un nain ». Le propriétaire de Vivendi mentionnant aussi les rachats de MGM (Metro Goldwyn Mayer) par Amazon et d’Activision-Blizzard par Microsoft. Outre cette concurrence de géants, le milliardaire breton a fait part de son inquiétude : « Le vrai danger provient des Gafa, qui pèsent un poids considérable et passent au travers de tuyaux non contrôlés ou contrôlables. (…) La concentration des médias pose forcément problème. La taille de nos concurrents aussi. (…) Nos concurrents sont énormes. (…) Nos concurrents sont les plateformes de cinéma ou de séries telles qu’Amazon, Apple ou Netflix, plus que Bertelsmann [le groupe allemand qui vend à TF1 son concurrent télévisuel M6, ndlr] ».
Pour expliquer, en le justifiant, que les médias sont progressivement détenus par les mêmes groupes, comme ce sera le cas de TF1 et M6 si l’Autorité de la concurrence donnait son aval à cette fusion, les patrons de médias français – auxquels les sénateurs emboîtent finalement le pas dans leur rapport – invoquent encore « la révolution numérique ». Martin Bouygues, président du groupe Bouygues, maison-mère de TF1 en passe d’absorber son rival M6, ne dit pas autre chose lors de son audition le 18 février : « Le métier de la télévision fait face à la plus grande mutation de son histoire récente et il est indispensable de croître pour résister et construire l’avenir. (…) Les contenus audiovisuels sont de moins en moins accessibles pour les chaînes. Les grands studios américains produisent des contenus exclusifs et les gardent désormais pour leurs propres plateformes » (2). Et Martin Bouygues de tirer la sonnette d’alarme : « L’arrivée d’acteurs de taille planétaire que sont les Gafam change tout. (…) Ces bouleversements peuvent, à terme plus ou moins rapide, tuer le modèle économique de la télévision ». Auditionné le 28 janvier, Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, a lui aussi mis en balance de la concentration TF1-M6 les géants américains en mouvement : « Des regroupements gigantesques ont [eu] lieu entre Fox et Disney. Netflix vient d’installer à Hollywood son co-CEO. Il n’y a pas de frontières des Ardennes pour l’audiovisuel français. Nous sommes confrontés à ces acteurs, qui sont plutôt avantagés par la réglementation qui leur est imposée ». Et le patron de M6 d’ajouter à l’attention des sénateurs : « On ne peut pas affirmer simultanément que nous sommes trop petits pour lutter contre les Gafam et trop gros au regard de l’audiovisuel français, que nous mettrions à mal ».
De son côté, Patrick Drahi, fondateur et propriétaire d’Altice (maison-mère de BFM, RMC et SFR), en passe de racheter les chaînes TFX et 6ter en cas de fusion TF1-M6, a en outre plaidé le 2 février pour un passage de quatre à trois opérateurs télécoms en France, tout en assurant qu’aucune discussion entre Altice et Free n’avait lieu : « Je pense que ce serait mieux pour le marché français que deux opérateurs français se rapprochent pour être plus forts » (3). Et de lancer : « Comment lutter contre les Gafa ? J’ai une idée. Vous n’allez pas l’aimer. Pourtant, c’est la bonne. (…) Si ces plateformes payaient en fonction du débit qu’elles utilisent, cela générerait des revenus supplémentaires [pour les opérateurs de réseau] que nous pourrions investir pour nous renforcer et nous déployer davantage ».
La commission d’enquête sur la concentration dans les médias en France semble avoir pris fait et cause pour les magnats milliardaires qui se sont présentés à eux fragilisés par les géants du numérique et du streaming. « La logique économique des concentrations est revendiquée et justifiée par leurs promoteurs par l’accélération de l’irruption de grandes plateformes numériques », prend acte la commission d’enquête aux termes de ses travaux qui ont duré près de quatre mois.

« Nous ne quémandons pas votre aide » (Bolloré)
Dit autrement, dans le rapport sénatorial de 379 pages assorti de 852 pages de comptes-rendus d’auditions : « Les mouvements de concentration dans le secteur des médias sont justifiés, selon les acteurs, en grande partie par des impératifs économiques destinés à prendre en compte le bouleversement des usages induits par la révolution numérique ». Le législateur volera-t-il au secours des tycoons français pour assouplir en France les règles de concentration des médias afin de résister aux Big Tech ? « Je n’ai pas demandé que vous nous défendiez contre les Gafam. Nous nous débrouillerons. (…) Nous ne quémandons pas votre aide », s’est défendu Vincent Bolloré. Sur les 32 propositions émises par les sénateurs, aucune n’empêche les médias en France de continuer à se concentrer entre les mains d’une poignée d’industriels. @

Charles de Laubier

Bataille du cloud : la Commission européenne pressée par OVH et Nextcloud d’enquêter sur Microsoft et d’autres

Après l’allemand Nextcloud, membre d’Euclidia, c’est au tour du français OVH, dont un dirigeant préside le Cispe, de faire savoir qu’il a aussi déposé plainte en 2021 auprès de la Commission européenne contre Microsoft accusé de favoriser ses services sur son cloud Azure. Margrethe Vestager va-t-elle lancer une enquête ?

Le groupe français OVH a porté plainte auprès de la direction générale de la concurrence (DG Competition) de la Commission européenne contre l’américain Microsoft pour abus de position dominante avec son service de cloud Azur. C’est ce qu’a révélé le 16 mars le Wall Street Journal (1), information confirmée le même jour, notamment auprès d’Euractiv (2). Le français du cloud n’est pas le seul à accuser la firme de Redmond de favoriser ses propres logiciels, dont la suite Office, dans son infrastructure nuagique Azur et de ne pas les rendre optimaux sur des plateformes de cloud concurrentes.
Selon les constations de Edition Multimédi@, OVH – société fondée en 1999 à Roubaix, dans le Nord de la France, par Octave Klaba (photo de gauche), son actuel président et principal actionnaire – est membre fondateur de l’association des fournisseurs de services d’infrastructure cloud en Europe (Cispe), où l’on retrouve parmi ses vingt-cinq membres le géant Amazon Web Service (AWS), le français Outscale (Dassault Systèmes), le finlandais UpCloud, le néerlandais Altus Host, l’italien Aruba.it ou encore l’espagnol Gigas. Cette coalition Cispe est présidée depuis sa création en octobre 2016 par Alban Schmutz, vice-président d’OVH en charge du développement et des affaires publiques. Elle est aussi par ailleurs membre fondateur de GaiaX, le cloud souverain européen.

Porter plainte présente des risques de représailles
Pour autant, ni le Wall Street Journal ni Euractiv ne mentionnent l’exitence de ce lobby Cispe, basé à Bruxelles, lequel prend acte le 17 mars des révélations du quotidien économique et financier américain concernant la plainte d’OVH mais, curieusement, sans nommer OVH ni dire qu’il est l’un des membres fondateurs de Cispe et qu’Alban Schmutz en est le président depuis près de six ans. De plus, la plainte d’OVH auprès de la Commission européenne remonte à l’été 2021 et n’est révélée que mi-mars et elle n’est pas la seule à avoir été déposée contre Microsoft car d’autres prestataires de cloud européens – dont les noms ne sont pas dévoilés – l’on fait de leur côté. Pourquoi tant de discrétion ? « Le communiqué du 17 mars ne mentionne aucun membre. OVHcloud, un des plaignants dans l’action en concurrence intentée à l’égard de Microsoft, est effectivement membre de notre organisation. Quant aux autre membres fournisseurs d’infrastructure en nuage européens qui auraient aussi déposé plainte, ils ont dû faire une demande express à la Commission européenne pour ne pas être cités. Du coup, il ne nous est pas possible de dévoiler leur identité. La crainte de représailles commerciales – à leur égard ou à l’encontre de leurs clients – semble être la raison motivant cette demande », nous a répondu le secrétaire exécutif du Cispe, Francisco Mingorance.

Microsoft, mais aussi Oracle et SAP
Des nuages noirs se forment et menacent le marché du cloud en Europe. « Il y a une tempête qui se prépare depuis un certain temps sur l’utilisation injuste des licences de logiciels par certains éditeurs de logiciels historiques pour contrôler le marché de l’infrastructure cloud. (…) Des recherches menées par des experts renommés, les professeurs Jenny (3) et Metzger (4), ont également mis en évidence la façon dont les sociétés de logiciels historiques, dont Microsoft, utilisent des conditions injustes pour restreindre le choix et augmenter les coûts, ce qui nuit aux clients et menace les propres fournisseurs d’infrastructures de cloud en Europe », a déclaré la coalition Cispe (5). Celle-ci a adressé le 7 février dernier à la vice-présidente de la Commission européenne en charge notamment du numérique, Margrethe Vestager, une lettre ouverte intitulée « Pourquoi le DMA [le Digital Markets Act, dont les négociations ont abouti le 24 mars, ndlr] ne protège pas (encore) le marché du cloud de l’UE ». La quarantaine de signataires tirent la sonnette d’alarme : « Sans clarification dans la DMA, il en résultera la poursuite des pratiques déloyales des contrôleurs de logiciels monopolistiques [monopoly software gatekeepers, dans le texte en anglais], y compris Microsoft, Oracle et SAP » (6).
Dans son communiqué du 17 mars, le Cispe souligne le fait que la plainte d’OVH est la troisième contre Microsoft à se faire connaître en dix-huit mois et la deuxième en un an, mais n’en cite aucun. Pourtant, outre le français OVH, l’un des deux autres plaignants ayant attaqué Microsoft s’est déjà fait connaître publiquement l’an dernier. Il s’agit Nextcloud. Dans une déclaration fin novembre 2021, ce prestataire de cloud allemand, basé à Stuttgart, a annoncé avoir été rejoint par « une coalition d’entreprises européennes de logiciels et de cloud » pour porter plainte formellement devant la Commission européenne afin de dénoncer « le comportement anticoncurrentiel de Microsoft en ce qui concerne son offre OneDrive (cloud) » et le fait que «Microsoft regroupe ses OneDrive, Teams et autres services avec Windows et pousse de façon agressive les consommateurs à s’inscrire et de remettre leurs données à Microsoft ». Résultat de cette pratique dite de self-preferencing : « Cela limite le choix des consommateurs et crée un obstacle pour les autres entreprises qui offrent des services concurrents » (7), s’insurgent les plaignants de cette « coalition pour un terrain de jeu équitable » emmenés par Nextcloud. Près d’une trentaine d’entreprises (8) ont répondu à l’appel de ce dernier, parmi lesquelles le français Linagora. Contacté par Edition Multimédi@, le PDG fondateur de Nextcloud, Frank Karlitschek (photo de droite), a confirmé que son entreprise fait par ailleurs partie d’une association différente de Cispe : « Nous sommes membre d’Euclidia (European Cloud Industrial Alliance), ainsi que de GaiaX et de l’Open Forum Europe. Quant à la plainte de la coalition, elle progresse bien. Il y aura des nouvelles bientôt ». Est-ce à dire que Margrethe Vestager va lancer prochainement une enquête autour des pratiques dans le cloud, notamment de la part de Microsoft ? « Je ne peux pas le confirmer malheureusement », nous a-t-il répondu.
Nextcloud, qui offre une plateforme de collaboration basée sur du logiciel libre et utilisant des solutions grand public comme Dropbox et Google Drive, s’inquiète des agissements de Microsoft dans le cloud qui rappellent l’éviction de la concurrence dans les années 2000 des navigateurs web concurrents d’Internet Explorer. « Nous demandons aux autorités antitrust en Europe de faire en sorte que les règles du jeu soient équitables, de donner aux clients le libre choix et de donner une chance équitable à la concurrence », exhorte la coalition menée par Nextcloud qui a déposé une plainte auprès de la DG Concurrence et « discute d’une plainte en France avec ses membres de la coalition ». Ce n’est donc pas un hasard si, en janvier 2022, l’Autorité de la concurrence s’est auto-saisie (9). Début 2021, l’entreprise de Frank Karlitschek avait également déposé auprès de l’autorité antitrust allemande, le Bundeskartellamt, une demande d’enquête contre Microsoft. Google et Amazon concernés eux aussi L’alliance Euclidia, basée à Bruxelles et réunissant une trentaine d’organisations (10), fait partie – avec European Digital SME Alliance (11), The Document Foundation (12), la Free Software Foundation Europe (13) – de la coalition ralliée à Nextcloud. « Euclidia soutient l’action en justice de Nextcloud pour mettre fin au comportement anticoncurrentiel de Microsoft sur le marché européen, et appelle à mettre fin à des comportements similaires par d’autres acteurs prédateurs comme Google et Amazon », avait déclaré le 26 novembre 2021 cette alliance, en mentionnant bien l’un de ses membres (Nextcloud) à l’origine de la plainte – contrairement au Cispe qui a tu le nom d’OVH. @

Charles de Laubier