Ebooks : Hachette, Editis, Madrigall et Média Participations passent à l’offensive face à Amazon, Apple et Adobe

Les quatre premiers groupes français de l’édition s’associent au sein de l’association EDRLab – présidée par Pierre Danet, bras droit « numérique » du PDG d’Hachette Livre, Arnaud Nourry – pour tenter d’imposer le standard ouvert ePub de livres numériques, face aux systèmes verrouillés d’Amazon, d’Apple et d’Adobe.

Le premier éditeur français Hachette Livre, partie intégrante du troisième groupe mondial de l’édition – Lagardère Publishing – présidé par Arnaud Nourry (photo), est la tête de file des cofondateurs et cofinanceurs d’une nouvelle association d’envergure européenne baptisée EDRLab (European Digital Reading Lab), créée l’été dernier et tout juste installée à Paris. Présidée par Pierre Danet, qui reporte directement à Arnaud Nourry en tant que directeur de l’innovation numérique d’Hachette Livre, cette association a pour mission de développer des logiciels libres (open source), permettant une interopérabilité totale des livres numériques fonctionnant sous le standard ouvert ePub 3, quel que soit le terminal utilisé par l’utilisateur et lecteur : smartphone, tablette, ordinateur, liseuse, … Il ne s’agit ni plus ni moins que de s’attaquer aux deux géants mondiaux du livre numérique que sont Amazon et Apple, ainsi qu’à Adobe, dont les systèmes respectifs de ebooks fermés et verrouillés, sont non-interopérables. Outre Hachette Livre, l’association EDRLab – à but non lucratif – compte parmi ses membres fondateurs les trois autres plus grands éditeurs français : Editis (La Découverte, Le Cherche Midi, Xo Editions, …), Madrigall (Gallimard, Flammarion, Casterman, …) et Media Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus, …).

EDRLab : initiative française sous tutelle américaine
En plus de ces quatre groupes français de maisons d’édition traditionnelles, il y a aussi dans les fondateurs présents au « conseil d’administration » d’EDRLab le Syndicat national de l’édition (SNE), lequel représente 650 membres actifs en France, le syndicat Cercle de la Librairie (CL) et le Centre national du livre (CNL), ainsi que le ministère de la Culture et de la Communication, avec le soutien d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au Numérique. A cela s’ajoute le pôle compétitivité d’Ile-de-France, Cap Digital, qui héberge les bureaux nouvellement installés d’EDRLab et l’aide dans son financement auprès des pouvoirs publics. Pierre Danet est d’ailleurs aussi vice-président de Cap Digital (1). Ensemble, ces cofondateurs publics-privés ont injecté pas moins de 1,3 million d’euros dans l’association, officiellement déclarée au J.O. du 29 août 2015, pour qu’elle puisse accélérer ses développements logiciels en étroite collaboration avec deux organisations américaines dont elle dépend étroitement.

Budget initial de 1,3 million d’euros
Il s’agit d’une part de l’International Digital Publishing Forum (IDPF), qui a établi le format standard ouvert ePub (electronic publication) et ses évolutions pour le livre numérique, et d’autre part de la fondation Readium, qui, en tant qu’émanation de l’IDPF (2), a en charge de mettre à disposition des kits de développement logiciel – ou SDK (3) – pour accélérer l’adoption de ce standard ouvert pour ebooks sur l’ensemble des plateformes numériques du monde entier. Le format ePub permet ainsi de lire des livres numériques quel que soit l’appareil de lecture utilisé (sous Android, Windows, iOS, OSx ou Web), sans verrouillages ni restrictions, en toute interopérabilité. L’EDRLab, qui est ainsi sous double tutelle de l’IDPF (basé à Seattle, Etat de Washington) et de Readium (domicilié à Wilmington, Etat du Delaware), compte dans son conseil d’administration deux représentantes à la fois d’IDPF et de Readium : Cristina Mussinelli, experte du
« SNE » italien auprès du gouvernement italien, et Bente Franck- Sætervoll, directrice de Bokbasen en Norvège. Pour être membre d’EDRLab, il faut être membre d’IDPF ou de Readium. « Nous sommes l’état major d’IDPF et de Readium en Europe. Et une force de frappe qui va être significative pour l’open sourceautour de la lecture numérique », a assuré Pierre Danet, lors des 15es Assises du livre numérique organisées le 13 novembre dernier par le SNE, où fut présenté à cette occasion Laurent Le Meur fraîchement recruté fin octobre comme directeur technique d’EDRLab. Venu de la plateforme de VOD UniversCiné, ancien d’Allociné et du Medialab de l’AFP, il va « créer une petite équipe de développeurs – une sorte de commando [sic, ndlr] – pour accélérer le développement des logiciels Readium, sorte de ‘’moteurs de lecture’’ qui ne sont pas des logiciels de lecture complets de type ereader, mais plutôt leur ‘’réacteur’’ permettant de lire ces ebooks au format ePub 3 et de développer
facilement. ». Ces logiciels open source sont basés sur le principe du copyleft (4).

En ligne de mire : les systèmes dits « propriétaires » d’Amazon et d’Apple, respectivement AZW (ou mobi) et iOS, incompatibles entre eux mais aussi avec Android de Google et vice versa. Face à ces systèmes fermés (walled gardens) d’acteurs du Net dominants, il s’agit d’opposer le format ePub 3, dont la version 3.0.1 actuellement en vigueur a été mise au point en juin 2014 et s’appuie sur le langage HTML5 du World Wide Web Consortium (W3C) – en attendant l’ePub 3.1 pour l’an prochain (5). « La validation de l’ePub 3.1 devrait avoir lieu vers octobre 2016. Un ou plusieurs drafts sont prévus d’ici là », indique Laurent Le Meur à Edition Multimédi@. En matière de protection, via le chiffrement des livres numériques, il s’agit aussi de s’émanciper des carcans imposés par les géants du Net. « Il faut sortir de cette logique des silos que l’on connaît aujourd’hui avec Amazon et Apple, et doter les logiciels Readium du système de protection LCP (Lightweight Content Protection) qui est
une alternative plus légère d’emploi par rapport à la solution DRM (Digital Rights Management) d’Adobe. Nous devons nous mettre en ordre de bataille pour pouvoir certifier des solutions de protection LCP développées par d’autres, et assurer l’interopérabilité de ces solutions de DRM pour que tous les types de logiciels compatibles LCP puissent le lire un livre numérique », a prévenu Laurent Le Meur. Objectif : ne plus être obligé de s’inscrire auprès d’une société précise (Amazon,
Apple, Adobe, …), ni de devoir être en ligne pour débloquer son livre numérique,
et de pouvoir le lire sur un nombre illimité d’appareils.
Le standard ePub 3.0 et les logiciels Readium apporteront même la possibilité aux maisons d’édition d’intégrer dans les livres numériques des enrichissements interactifs et multimédias tels que les vidéos, les animations, les fenêtres pop-up pour les notes, ou encore des fonctionnalités pour les personnes handicapées visuelles. Plus nombreuses seront les plateformes numériques à l’adopter, plus rentables seront les développements de ces ebooks enrichis. Ainsi l’ePub 3 pourrait donner un coup de vieux aux « livres noirs » digitaux (ceux édités en texte noir sur blanc uniquement), encore dominants.

Premier « ePub Summit » à Paris en avril 2016
Fort de ses soutiens publics-privés en France et de l’intérêt que lui porte la Commission européenne dans le cadre de son Agenda numérique, lequel vise notamment à favoriser l’interopérabilité et l’accessibilité des contenus digitaux (6), l’EDRLab vient
de se voir confier par l’IDPF et Readium l’organisation à Paris en avril 2016 – pour la première fois dans le monde – de la toute première édition d’un « ePub Summit ».
C’est Pierre Danet qui l’a révélé lors des Assises du livre numérique, tout en précisant que « l’EDRLab a établi un business plan sur trois ans, avec pour objectif de passer d’un financement public à un financement privé par les services du laboratoire ».
Et d’ajouter : « C’est le challenge pour 2018. Il y aura trois sources de revenu : la certification pour les implémentations de LCP ou de toute technologie, la formation,
et les événements ». Cette offensive des grands éditeurs français pourrait faire décoller le livre numérique en France, qui pèse encore seulement 6,4 % des ventes totales de l’édition en 2014 – soit 161,4 millions d’euros. @

Charles de Laubier

Après les GAFA américains, les BATX chinois !

En fait. Du 17 au 19 novembre, se tenait à Montpellier la 37e édition du DigiWorld Summit de l’institut d’études Idate. Les opérateurs télécoms, souvent nationaux, assistent – inquiets – à la guerre engagée des plateformes numériques mondiales. Et ce n’est pas fini : après les Américains, les Chinois.

Rui WenEn clair. Vous avez aimez les GAFA ; vous adorerez les BATX ! Alors que les Google, Apple, Facebook et autres Amazon n’en finissent pas de donner du fil à retordre aux opérateurs télécoms européens qui se plaignent toujours de devoir investir dans leurs réseaux toujours plus rapides au profit des géants du Net, voici que commencent à arriver sur le Vieux Continent les Baidu, Alibaba et autres Tencent – ceux que les Chinois appellent
les « BAT », auxquels nous ajoutons X pour Xiaomi (numéro
un chinois des fabricants de smartphones et numéro trois mondial derrière Samsung
et Apple).
« Après les Etats- Unis et l’Australie où nous nous lançons actuellement, nous avons prévu d’investir en Europe à partir du premier trimestre de 2016. Cela pourrait démarrer en France, en Allemagne et en Grande- Bretagne, une fois que nous aurons les infrastructures de serveurs et de points de distribution », a indiqué Rui Wen (photo), directeur du développement du groupe chinois Youku Tudou, à Edition Multimédi@.

Le « YouTube » chinois, Youku Tudou (Alibaba), débarquera en France début 2016
C’est la première fois que l’une des plus importantes plateformes chinoises de vidéos en ligne, en phase d’être rachetée par le géant chinois du e-commerce Alibaba (déjà actionnaire minoritaire depuis 2014), esquisse un calendrier de son lancement en Europe. Sans attendre le « YouTube » chinois en France pour l’an prochain, Alibaba ouvre à Paris ces jours-ci son « ambassade » en France – conformément à ce que son patron milliardaire Jack Ma avait annoncé à François Hollande en mars dernier.
Alibaba a déjà un pied en Europe où il s’est d’abord implanté à Genève en 2007 puis
à Londres depuis 2009 (1). Un autre géant chinois ne cache pas ses ambitions européennes : le fabricant de smartphones Xiaomi (2), qui commence à vendre en ligne (Xi.com) en France, Allemagne et en Grande-Bretagne. Les BATX n’ont pas fini de
faire parler d’eux, dans la bataille des plateformes mondiales qui a commencé. Les opérateurs télécoms, eux, ne sont pas au bout de leurs peines – ayant déjà maille à partir avec les GAFA. « Les relations entre les “telcos” et les OTT, c’est un peu “Je t’aime, moi non plus” ! Il y a des rapports parfois aggressifs. Mais nous vivons dans
la même famille. La relation avec les opérateurs télécoms est plutôt compliquée mais elle tend à s’améliorer », a tenté d’apaiser Carlo d’Asaro Biondo, président des relations stratégiques de Google pour la région EMEA. Par ailleurs, toujours au DigiWorld Summit de Montpellier, Olivier Huart, DG de TDF (opérateur audiovisuel), a estimé quant à lui que TV et OTT étaient complémentaires. Mais les BATX sont déjà en embuscade… @

Gilles Pélisson : vers plus de convergence entre TF1 et Bouygues Telecom ?

En fait. Le 28 octobre, Gilles Pélisson a été désigné successeur – à partir de mi-février 2016 – de Nonce Paolini à la tête de TF1, lequel était PDG depuis juillet 2008. Mais cet ancien de Bouygues Telecom (2001-2005) ne dit pas s’il est chargé de trouver des synergies avec la filiale télécoms.

Gilles PélissonEn clair. Martin Bouygues confira-t-il à Gilles Pélisson (photo) une mission « convergence » similaire à celle dont il avait chargée Nonce Paolini en 2009 ? Le PDG du groupe Bouygues avait en effet demandé il y a six ans de « mener une réflexion approfondie sur la convergence (entre l’Internet, l’activité des médias et celle de la téléphonie fixe ou mobile) » et d’ »élaborer des stratégies et des propositions d’organisation pour réussir cette convergence ». Le patron de TF1, Nonce Paolini, avait même perçu pour cette « mission supplémentaire » 145.000 euros (1).
On connaît la suite : les synergies entre la chaîne de télévision et l’opérateur télécoms s’en tiennent au stricte minimum telles que la diffusion de TF1 sur la Bbox, la présence du portail MyTF1 sur cette même box, dont le service de VOD et de catch up TV.

Nonce Paolini ne croit pas à des « exclusivités » avec Bouygues Telecom
A part cela, pas grand chose. Nonce Paolini, qui a encore tout récemment – le 12 novembre dernier, devant l’Association des journalistes médias (AJM) – exprimé ses réserves sur l’idée de convergence télécoms-médias et d’exclusivités avec Bouygues Telecom, s’en est tenu à la « stratégie multi-supports » (IPTV, player TF1 sur mobile, MyTF1, MyTF1VOD et TV de rattrapage) qu’il avait esquissée dès octobre 2009 – la veille de l’éviction de son prédécesseur à l’époque, Axel Duroux (2) – lors d’un colloque NPA Conseil sur l’audiovisuel. Ce dernier ne croyait d’ailleurs ni à la diversification de TF1 sur Internet ni, à l’instar de Le Lay et Mougeotte, à la TNT. La « convergence » entre TF1 et Bouygues Telecom n’a donc pas été plus loin, se résumant à des relations classiques entre fournisseurs d’accès à Internet (FAI) et chaîne de télévision, au même titre que M6, Canal+ ou encore Netflix. Continuer la lecture

République numérique et démocratie participative : la donnée en débat

Après un exercice inédit – pour un projet de loi – de démocratie participative, le gouvernement ajuste son texte, attendu en Conseil des ministres le 9 décembre prochain et au Parlement en janvier 2016, sur l’ouverture des données publiques et la protection des données personnelles. Le plus dur sera de passer de la théorie à la pratique.

Par Ariane Samson-Divisia, avocate au barreau de Paris, cabinet K&L Gates

C’est sous l’URL www.republique-numerique. fr, pleine
de promesses, qu’a été lancée le 26 septembre dernier,
la consultation sur le projet de loi « pour une république numérique », dit « Lemaire », du nom de la secrétaire d’Etat chargée du Numérique. Au 18 octobre, date de clôture de la consultation, le site Internet faisait état des chiffres de cette démocratie participative à la française : 147.710 votes et 8.501 contributions (1), parmi lesquelles des centaines de propositions d’articles (2).

Open data : les questions en suspens
La question de l’ouverture des données publiques (open data) a particulièrement retenu l’attention des citoyens, entraînant dans son sillage la question de la protection des données personnelles, traitée dans le projet de loi quelques articles plus loin, et plus largement dans le projet de règlement européen (3) sur la protection des données
à caractère personnel (« Privacy »), actuellement en discussion. Le projet de loi
« Lemaire » s’ouvre sur un chapitre premier intitulé « Economie de la donnée », qui parle assez peu d’économie(s) et beaucoup de données. Il retient pour principe de mettre à disposition – sur un « standard » en ligne ouvert – des documents administratifs et données produites et reçues par les administrations, en ce compris
les services publics industriels et commerciaux (Spic), doublé d’un principe de facilitation de la réutilisation des données « de référence » (base nationale des adresses, cadastre, base Sirene des entreprises Insee, etc) dans le cadre d’un nouveau « service public de la donnée ». Certains ont pu y reconnaître un outil de transparence financière : « la donnée de l’économie et des économies ! ». D’autres,
un nouveau souffle pour l’innovation numérique. D’autres encore y voient une porte ouverte à une exploitation lucrative de ces données par les GAFA (4) et autres géants du Web. Comment, demandent-ils, protéger ou rentabiliser ce patrimoine collecté,
trié et mis à disposition aux frais du contribuable français ? Légitime question d’un encadrement à l’ère de la circulation instantanée et mondiale des données, à laquelle
le projet de loi ne répond pas, en l’état. Si le projet d’ouverture des données publiques recueille une large majorité de votes positifs, les citoyens se posent néanmoins des questions bien concrètes sur sa mise en oeuvre :
• 1-Quelle ouverture technique des données publiques ?
L’utilisation d’un format standard, commun à tous les services publics industriels et commerciaux ou administratifs, serait plus efficace et permettrait une mise à disposition effective et sans discrimination. Mais cela pourrait engendrer des coûts de matériels et humains de production non prévus dans les budgets des acteurs publics concernés. Le vote d’un budget supplémentaire est-il prévu pour financer la diffusion gratuite du patrimoine informationnel de l’Etat ?
• 2-Quel encadrement de l’ouverture des données publiques ?
Certains souhaitent une ouverture totale et sans discrimination. D’autres préfèreraient que la loi opère une distinction entre bénéficiaires publics et bénéficiaires privés des données. En cause, les grands acteurs du Big Data en ligne, mais également l’ensemble des entreprises privées, qui pourraient réaliser des bénéfices grâce à l’exploitation de ces données qu’elles ont obtenu gratuitement, et par là même se positionneraient en tant que concurrents des services publics grâce aux bases de données financées et publiées gratuitement par ces derniers.

Laisser les GAFA à la porte de l’Hexagone numérique ?
Rappelons ici que l’ouverture des données a pour but annoncé de permettre, dans le meilleur des mondes, de redonner un souffle à l’innovation française et de réaliser pleinement son potentiel en matière de technologies et de numérique. Dans le meilleur des mondes ? Ou dans la meilleure des France ? Plusieurs contributeurs ont suggéré de limiter l’accès aux données publiques aux personnes physiques et morales situées en France. On en comprend bien la raison : laisser les géants américains du Web à la porte de l’Hexagone numérique. Quid, alors, du marché unique européen et de la libre circulation des données ? On sent ici le manque de profondeur de la réflexion stratégique. Rendre accessible ou diffuser mondialement, ce n’est pas la même chose. Dans un cas, on observe les usages et on peut les réguler. Dans l’autre, on observe les dommages et on peut les regretter.

Appliquer une redevance d’exploitation ?
Au-delà d’un encadrement technique par la localisation de l’utilisateur, un encadrement contractuel complémentaire paraît souhaitable. Une licence « open data » permettrait en effet de contrôler en amont la mise à disposition des données et d’éviter que celle-ci ne devienne contre-productive. Elle fixerait des limites volumétriques d’extraction et/ou un système d’enrichissement automatique des données par le bénéficiaire afin de préserver le secret des affaires tout en maintenant une concurrence saine entre Spic et acteurs privés. Elle permettrait également de définir une redevance raisonnable, basée principalement sur les bénéfices réalisés avec l’exploitation de cette matière première du XXIe siècle.
• 3-Quelle sécurité pour les données ?
Il s’agit notamment d’éviter que des informations stratégiques sur les infrastructures essentielles de la France ne tombent dans de mauvaises mains. Il s’agit aussi d’éviter que les données personnelles des citoyens, résidents et assurés sociaux ne tombent dans toutes les mains. L’article 1er du projet prévoit bien l’anonymisation des données personnelles, « sauf si une disposition législative ou réglementaire autorise leur diffusion sans autorisation préalable ou si la personne intéressée y a consenti ».
Cette exception particulièrement vague, lue à l’aune de la loi sur le renseignement promulguée en juillet dernier (5), devra être réécrite pour être conforme à la protection européenne des données personnelles. Concernant cette fois la donnée personnelle, élément du patrimoine immatériel du citoyen, l’article 16 du projet de loi propose d’ajouter à l’article 1 – à vocation introductive – de la loi du 6 janvier 1978 dite
« Informatique et Libertés », le droit pour toute personne « de décider des usages
qui sont faits de ses données à caractère personnel et de les contrôler, dans les conditions et limites fixées par les lois et règlements en vigueur ». Comme les participants à la consultation, on ne pourra que s’interroger sur l’intérêt de cette disposition particulièrement large, qui semble n’être destinée qu’à venir compléter la déclaration qui constitue actuellement l’article 1er de la loi « Informatique et Libertés », selon laquelle l’informatique ne doit pas porter atteinte à l’identité humaine, aux droits de l’homme, à la vie privée, ou aux libertés individuelles ou publiques. Au-delà d’un droit d’être informé des usages qui sont faits de ses données et à s’y opposer, voire
d’y consentir explicitement, droits déjà consacrés par la loi « Informatique et Libertés » et la directive européenne de 1995 sur la protection des données (6), de quel nouveau « droit de décider des usages qui sont faits de ses données » parle-t-on ici ? L’exemple fourni par le gouvernement sur le site de la consultation vise les conditions générales d’utilisation (CGU) des sites web affirmant leur droit de propriété sur les données des utilisateurs. Avec ce simple ajout, l’individu serait seul propriétaire de ses données personnelles, qu’elles aient été ou non mises en ligne par celui-ci. Les données personnelles seraient donc des biens immatériels du patrimoine de l’individu, attachées à un droit de la personnalité inaliénable mais démembrable, l’usage en étant partagé entre l’individu et des centaines ou milliers d’entités dans le monde, et les fruits presque exclusivement entre ces centaines ou milliers d’entités.
Si l’on comprend bien l’idée d’un refus de l’appropriation des données personnelles
par les acteurs de l’Internet, on comprend moins la portée concrète de cet article. Comment et dans quelle mesure le contrôle de l’individu sur ses données sera-t-il
accru ? A défaut de précisions complémentaires, cette disposition semble déjà dépassée par le projet de règlement européen « Privacy », qui prévoit de poser en règle le consentement explicite de l’individu à la collecte et aux utilisations de ses données. Dans la même veine, le projet de loi offre à l’individu la possibilité de régler
le sort des données personnelles qu’il a mises en ligne après son décès, autrement dit d’organiser sa « mort numérique ». Si cet article, qui prend sur cet aspect une avance certaine sur le droit européen, est nettement plus détaillé que les précédents, on imagine mal comment il pourra être mis en oeuvre simplement et efficacement en pratique.

Enfin, pour mieux protéger ce patrimoine, la Commission nationale de l’informatique
et des libertés (Cnil) verrait ses pouvoirs de contrôle étendus… envers celui qui s’y soumet volontairement. Dans le cadre de l’approche « Privacy by Design » soutenue par le projet de règlement européen, le législateur pourrait soumettre à l’avis de la
Cnil les propositions de loi concernant la protection ou le traitement des données personnelles. Quant aux entreprises, elles pourraient demander à bénéficier d’un
« accompagnement à la mise en conformité », à travers la délivrance par la Cnil d’un
« certificat de conformité ». Ces dispositions vont dans le sens du futur droit européen. Une question demeure et se répète parmi les contributions à la consultation : les moyens financiers et humains de la Cnil seront-ils accrus en conséquence ?

Dans le cadre du règlement européen
Ces projets de dispositions – qu’ils soient relatifs aux données publiques ou aux données personnelles – partent certainement d’une bonne intention, mais ils se positionnent dans un cadre technologique et règlementaire européen en pleine évolution. Gageons que la démocratie participative permettra de rendre ce projet moins théorique, si le gouvernement veut bien sortir des principes et écouter ceux qu’il a sollicités. @

Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom : « Nous ne voulons pas être “uberisé” par l’Apple SIM »

Olivier Roussat était l’invité, le 29 octobre, de l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). Face au « vrai danger » de l’Apple SIM et des GAFA tentés d’être « MVNO pan-européens », il en appelle à l’Arcep pour une régulation permettant aux opérateurs mobile de garder le contrôle leurs clients.

« Le vrai danger de la disparition des frais d’itinérance (roaming) est sur la capacité à offrir – lorsque vous êtes dans un pays européen – des services pan-européens, parce que l’itinérance
ne coûte plus rien. Le vrai danger, et nous l’avons expliqué à la Commission européenne, c’est la porte ouverte à la création de
très grands MVNO [opérateur de réseau mobile virtuel] avec des marques fortes – imaginons Facebook, Amazon, Apple, Google, … – qui peuvent se permettre d’être pan-européens instantanément avec des coûts de prix de reviens assez bas, juste des coûts d’achat à la minutes, et qui n’ont aucune contrainte d’investissement, seulement des coûts variables », s’inquiète Olivier Roussat, PDG de Bouygues Telecom.

« Le vrai danger, c’est la porte ouverte à la création de
très grands MVNO avec des marques fortes – imaginons Facebook, Amazon, Apple, Google, … ».

L’Apple SIM et Google Fi en embuscade Devant l’Ajef, le 29 octobre, il s’est dit préoccupé par cette perspective et a fait état de discussions avec l’Arcep pour éviter que cela n’arrive en France. Demain, un nouvel entrant sur le marché mobile pourra commercialiser, de Grande-Bretagne par exemple, des services sur l’Hexagone sans
y être implanté et comme s’il était un opérateur mobile français. Et ce, avec des coûts très bas et sans surcoûts.
Aux Etats-Unis, Apple propose déjà sa propre « Apple SIM » intégrée à certaines de ses tablettes (iPad Pro, iPad Air 2 et iPad Mini 3 ou 4) en donnant à ses utilisateurs – dont la marque à la pomme se veut l’interlocuteur unique – le choix de leur opérateur mobile : pour l’instant AT&T, Sprint ou T-Mobile. En Europe, l’Apple SIM fait ses premiers pas en Europe grâce à des accords avec le premier opérateur mobile britannique EE et l’opérateur international de données GigSky. Mais la firme de Cupertino se défend de vouloir être MVNO, contrairement à son rival Google décidé, lui, à l’être pour surfer sur le succès de son système d’exploitation Android sur mobile (80 % des smartphones dans le monde). L’opérateur mobile et Wifi Google Fi n’a-t-il pas été lancé outre-Atlantique en avril dernier en partenariat avec T-Mobile et Sprint ?
« L’Europe est en train de mettre en place un système où des opérateurs qui ne sont pas européens, ayant des marques extrêmement puissantes, pourront fabriquer un service pan-européen de téléphonie, équivalents en prix de ceux des opérateurs mobile locaux. Sauf que la différence est qu’ils auront une autorité de marque telle qu’on leur permettra de le faire. Cela s’appelle ‘’Fleur bleue’’ ! », déplore Olivier Roussat. Selon lui, la Commission européenne ne comprend pas les problématiques économiques et
la qualifie de « Fleur bleue » à force de vouloir baisser les barrières en permanence… Car il estime que les GAFA ont mis en place une mécanique assez simple : ils vous prennent un profit qu’elle remontent aux Etats-Unis. Et donc chaque fois que la régulation européenne favorise « ces gens-là », elle est juste en train d’augmenter la masse de ce qui remonte aux Etats-Unis. « L’Europe est en train de faire en sorte que ce qui constitue l’économie de la connaissance et l’économie de demain remonte plus facilement aux Etats-Unis. Est-ce le plus intelligent que l’on puisse faire ? Sincèrement non ! Arrêtons de faire en sorte que l’argent du consommateur européen remonte uniquement outre- Atlantique ». Et d’ajouter : « Quand vous regardez bien ce qu’il se passe aux Etats-Unis, où il y a trois opérateurs mobile qui ont accepté un accord avec Apple (AT&T, Sprint et T-Mobile), vous voyez bien que les flux (financiers) circulent dans la même zone. L’erreur importante que commettent les autorités européennes, c’est de ne pas avoir cette vision de l’endroit où cela circule ».

« Nous travaillons avec l’Arcep sur toute la façon dont nous pouvons contrôler l’activation (de la carte SIM) des uns et des autres. »

Le patron de Bouygues Telecom a expliqué, pour la première fois, qu’il comptait bien sur l’Arcep pour mettre en place une régulation contre ces nouveaux entrants potentiels sur le marché mobile français, avec une force de la marque de type « super MVNO Apple en Europe » (dixit Olivier Roussat) : « Cela fait vraiment partie des sujets que
l’on discute avec l’Arcep. (…) C’est quelque chose que l’on peut contrer localement avec tout un tas de mesures. C’est ce sur quoi nous travaillons avec l’Arcep. C’est précisément ce qu’est en train d’essayer de faire Apple pour étendre son emprise. Nous, nous essayons de faire en sorte qu’il ne puisse pas l’étendre. Tout le travail
avec l’Arcep est justement de s’assurer que cela ne va pas exister ».

L’Arcep appelée à la rescousse
Il estime que, selon ses propres termes, ce n’est pas du tout l’intérêt de l’Arcep de
faire en sorte que les opérateurs (mobile) français – qui ont pris des engagements d’investissements – soient littéralement dépossédés du service. L’évolution souhaitée par un Apple est en effet d’être un point de passage obligatoire et de « désintermédier » les opérateurs mobile. « Chacun voit midi à sa porte et essaie de ramasser un peu plus en enlevant un peu plus aux autres ! C’est logique que cela soit l’intérêt d’Apple, du nôtre non… », ironise-t-il, tout en se défendant de vouloir lutter contre une évolution technologie qui, il en convient, va exister. « Mais il n’est écrit nulle par que les opérateurs mobile vont être”uberisés” jusqu’à l’extrême : il y a des moyens de régulation pour faire en sorte que nous gardions le contrôle de nos clients. Cette évolution technologique est inéluctable, mais à nous de travailler pour surfer dessus
et éviter d’aller se faire “uberiser“ par Apple. Ce n’est l’intérêt d’aucun des quatre opérateurs mobile [avec Orange, SFR et Free Mobile, ndlr]. Nous avons commencé
à nous occuper de nous-mêmes en France, puis nous verrons si nous pouvons porter la bonne parole au niveau européen », prévient-il.

La carte eSIM de la GSMA pour 2016
Comment ? Là, il n’a pas souhaité en dire plus pour ne pas dévoiler les mesures de protection envisagées et en cours de discussion avec le régulateur.
Face à l’insistance des questions de Edition Multimédi@ Olivier Roussat a été un peu plus disert mais sans plus : « Vous avez plein de chose dans la définition de qui est propriétaire de quoi en termes d’obligations sur les cartes SIM. C’est vraiment ce sur quoi l’on peut travailler dans le domaine de la régulation. La chance que nous avons
est que nous sommes dans un métier fortement régulé avec des mesures qui peuvent être imposées par le régulateur. Et donc nous travaillons avec l’Arcep sur toute la façon dont nous pouvons contrôler l’activation (de la carte SIM) des uns et des autres, afin que cette évolution technologique n’entraîne pas une disparition du rôle des opérateurs mobile et que nous soyons pas seulement un pipe. Dans ces conditions, il y a des mesures que la régulation peut mettre en oeuvre pour garantir que les choses ne se passent pas comme cela. C’est précisément ce sur quoi nous travaillons avec l’Arcep.
Il n’y a pas de fatalité ».
C’est pour ne pas être « uberisé » que Bouygues Telecom travaille en outre au niveau international – au sein de l’association internationale des opérateurs mobile GSMA dont il est membre aux côtés d’Orange, de Free Mobile et 800 autres opérateurs mobiles dans le monde – pour la standardisation d’une carte dite « eSIM ». Quèsaco ?
Il s’agit d’une puce pré-embarquées dans l’appareil, où elle est soudée et donc indélogeable contrairement aux cartes SIM classiques, et capables d’être activée par
le mobinaute sur son smartphone, sa tablette ou son portable, dès lors qu’il a choisi
son opérateur mobile parmi plusieurs. « Il est possible de mettre des SIM qui ne sont pas codées a priori, car on ne sait pas vers quel opérateur mobile le client va acheter
le téléphone mobile [et quel opérateur mobile il va choisir, ndlr]. Et donc, il faut essayer de mettre en place un téléchargement à distance de la SIM en fonction de l’opérateur », explique encore le PDG de Bouygues Telecom.
La GSMA y travaille déjà avec plusieurs opérateurs mobile – tels que Orange, AT&T, NTT Docomo, Telefónica, Telenor, ou encore Vodafone – et avec des spécialistes de la carte à puce comme Gemalto et Oberthur, ainsi qu’avec des fabricants de terminaux (Samsung, Apple, …). Cette eSIM interopérable est sur le point d’être normalisée et sera intégrée à de premiers terminaux dès 2016. @

Charles de Laubier

ZOOM

Olivier Roussat : un « ami » de 30 ans de Martin Bouygues devenu cost killer
Dans le groupe Bouygues, Olivier Roussat est à Bouygues Telecom ce que Nonce Paolini est à TF1. Deux « Bouygues Boy » plus que de simples hommes de confiance du PDG du groupe familial du BTP et de la communication, Martin Bouygues. Roussat est même presque interchangeable avec Paolini, à tel point que le nom du premier a longtemps circulé pour succéder au second à la tête de TF1 (le contrat de l’actuel PDG de la chaîne arrivant à son terme le 1er avril 2016). Il est d’ailleurs actuellement administrateur de TF1 (lire p. 4). Une fois diplômé de l’école d’ingénieur INSA à Lyon,
il commence sa carrière en 1988 chez IBM. Puis, à trente et un ans en 1995, il rejoint Bouygues Telecom à la direction des opérations réseau dont il prendra la tête. Il dirigera ensuite la production de services télécoms et informatiques, puis le pôle performances et technologies. A partir de 2007 les promotions s’accélèrent : directeur général délégué de Bouygues Telecom depuis le 20 février 2007, il en devient directeur général le 29 novembre 2007, avant d’être nommé PDG le 26 avril 2013. Bouygues Telecom employait jusqu’à plus de 10.000 personnes avant 2011, effectif réduit quelque 8.000 aujourd’hui après un vaste plan de restructuration. Et entre 2011 et 2013, 600 millions d’euros d’économies ont été réalisées, auxquels s’ajouteront 400 millions d’ici à 2016 : soit un total de 1 milliard ! Olivier Roussat est devenu un cost killer. @