Musique : la taxe streaming de 1,2 % est enclenchée

En fait. Depuis le 1er janvier 2024, la taxe streaming – finalement fixé au taux de 1,2 % du chiffre d’affaires – est applicable aux plateformes de musique en ligne réalisant en France au moins 20 millions d’euros par an. Spotify, Deezer, Apple Music ou Amazon Music sont concernés, mais pas Qobuz.

En clair. Selon les constatations de Edition Multimédi@, la « taxe streaming », qui a finalement été fixée à 1,2 % du chiffre d’affaires hors taxe des plateformes réalisant au moins 20 millions d’euros par an en France, a été gravée dans le marbre de la loi de finances pour 2024 – datée du 29 décembre 2023 et promulguée au Journal Officiel du 30 décembre. C’est son article 53 qui introduit cette « taxe » de 1,2 % dans le code général des impôts. Elle est applicable depuis le 1er janvier et exigible « à l’achèvement de l’année civile ». Spotify, Deezer, Apple Music ou Amazon Music y sont assujettis. Mais pas Qobuz : « Nous ne sommes pas concernés par cette taxe streaming », nous indique Denis Thébaud (photo), président de Xandrie, son éditeur.

15 millions d’euros attendus pour cette année
Le rapport Bargeton (du nom de son auteur le sénateur Julien Bargeton appartenant à la majorité relative présidentielle) avait préconisé un taux de 1,75 % en avril dernier, alors que des discussions avaient évoqué une taxe à 1,5%. C’est finalement 1,2 % qui a été retenu et que la ministre de la Culture, alors encore Rima Abdul Malak (« RAM »), avec bien sûr l’aval d’Emmanuel Macron (1), a confirmé le 15 décembre. « Cette nouvelle contribution fiscale devrait rapporter 15 millions d’euros en 2024″. La filière musicale s’est fracturée sur cette taxe streaming : l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) était pour mais pas le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), dont sont membres les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music. Aucun consensus n’a pu être Continuer la lecture

Emmanuel Macron fait sienne la « taxe streaming » controversée pour financer le CNM

L’Elysée a fait sa Fête de la Musique le 21 juin dernier et Emmanuel Macron l’a inaugurée en lançant un ultimatum aux plateformes de streaming musical afin qu’elles trouvent –d’ici le 30 septembre — un accord avec le Centre national de la musique (CNM) sur une « contribution obligatoire ».

« On le sait – vous le pratiquez –, il y a de plus en plus de streaming. Ce que je lui ai demandé [à Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture] est, d’ici à la fin du mois de septembre, de trouver un accord de place pour que toutes les plateformes – qui font parfois beaucoup d’argent avec le streaming – nous aident à le redistribuer de la manière la plus intelligente pour financer la création et les artistes [via le Centre national de la musique]. Comme on l’a fait en France avec le cinéma et la création audiovisuelle [via le CNC, ndlr] », a déclaré Emmanuel Macron (photo), président de la République, lors de son discours d’ouverture de la Fête de la Musique, à l’Elysée, le 21 juin dernier.

Mises en garde au gouvernement
Et le chef de l’Etat, micro sur scène, de prévenir les Spotify, YouTube, Apple Music, Amazon Music, Deezer et autres Qobuz : « C’est un très bon modèle qui permet de respecter le droit des artistes, de défendre la diversité des cultures et l’exception culturelle à laquelle nous tenons tant. Donc, il faut que l’on ait un accord avec ces plateformes de streaming. Sinon, de toute façon, on prendra nos responsabilités pour les mettre à contribution et nous aider à financer les musiques » (1). Cet ultimatum fait suite au rapport « sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale » que le sénateur Julien Bargeton, appartenant à la majorité relative présidentielle, a remis le 20 avril à Rima Abdul-Malak (2). Il préconise une « taxe streaming » à 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming pour la musique enregistrée, qui serait le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant actuellement en vigueur.
« Faute d’un accord au 30 septembre 2023, le gouvernement se réservera la possibilité de saisir le Parlement d’une contribution obligatoire des plateformes de streaming, du type de celles proposées par le sénateur Julien Bargeton », a aussi annoncé l’Elysée dans un communiqué (3). Depuis le printemps, le prochain projet de la loi de finances 2024 est évoqué comme véhicule législatif pour faire adopter cette « taxe streaming » si la filière musique ne réussissait pas à se mettre d’accord à temps avec les plateformes de musique en ligne (4). « Le président de la République souhaite en outre que la France porte au niveau européen la poursuite des avancées obtenues sur la rémunération des artistes par les plateformes de streaming », indique aussi l’Elysée. Le Syndicat des éditeurs de services de musique en ligne (ESML), dont sont membres Spotify, Deezer, Qobuz et 17 autres plateformes musicales et services des artistes s’est dit inquiet suite à la déclaration d’Emmanuel Macron : « Nous craignons les conséquences catastrophiques de cette taxe sur le streaming musical, sur les ayants droits et finalement sur la création ». L’ESML, dont est président Ludovic Pouilly, par ailleurs vice-président de Deezer en charge des relations avec les institutions et l’industrie de la musique, estime que « cette taxe s’apparenterait ainsi à un nouvel impôt de production, reposant sur des acteurs indépendants européens et français du streaming musical comme Deezer, Spotify et Qobuz dont l’activité n’est pas encore rentable. Alors que nos services de streaming musical français et européens souffrent d’une concurrence déloyale des GAFA, qui ne contribuent pas à la même hauteur que nous au financement de l’industrie musicale (…) » (5).
De son côté, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), qui représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, fustige depuis des mois « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter ». Dans un communiqué du 22 juin, le Snep, son bras armé « droit d’auteur » la SCPP (6), La Scène Indépendante et le Réseau des musiques actuelles de Paris (Map) mettent aussi en garde le gouvernement : « La situation du streaming reste fragile ».

Bertrand Burgalat : #taxestreamingnonmerci
Et les quatre organisations de poursuivre : « Les plateformes françaises et européennes, dont le modèle économique est centré sur la diffusion de musique, n’ont pas atteint le seuil de rentabilité. Elles opèrent de surcroît sur un marché moins dynamique ici que dans les autres grands pays de la musique, dans un contexte de concurrence accrue et d’incertitude sur l’intelligence artificielle » (7). Le président du Snep, Bertrand Burgalat (producteur, musicien, compositeur, arrangeur et chanteur français), s’est fendu de deux tweets assassins. Le premier pour lancer le 21 juin : « Après avoir empêché la guerre en Ukraine et refondé la France en cent jours, le président Macron s’attaque au streaming » (8) Le second le 24 juin pour dire : « Le président de la République a donc demandé à Mme Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture, de réunir sans délai l’ensemble des acteurs de la filière etc : déjà 2 jours ouvrés sans signe de vie du ministère. #taxestreamingnonmerci » (9). Aucun commentaire de la ministre de la Culture n’est en effet intervenu après l’allocution d’Emmanuel Macron à L’Elysée, où Rima Abdul Malak était bien présente face à la scène de la Fête de la Musique du « Château ».

Financer le CNM pour aider la filière
En revanche, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) ainsi que son bras armé « droit d’auteur » la SPPF (10) sont favorables à cette taxe sur les plateformes de streaming musical. Avec une vingtaine d’autres organisations, notamment du spectacle vivant comme le Syndicat des musiques actuelles (Sma), le Syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss) et d’autres (Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim, …), elles ont « salu[é] l’annonce volontariste du président de la République de favoriser la concertation rapide de la filière et, à défaut d’une piste qui fasse l’unanimité, de mettre en œuvre une contribution de la diffusion numérique ». Et de rappeler au gouvernement : « Nous avions collectivement soutenu la piste d’une mise à contribution de la diffusion numérique (plateformes de streaming, réseaux sociaux, etc.), tant dans son activité payante que gratuite ».
Cette « taxe streaming » permettrait, selon leurs supporteurs, de financer le Centre national de la musique (CNM), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture, afin de mieux aider la filière musicale et ses artistes.
La Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) y est, elle aussi, favorable. « La mise en place d’une contribution des plateformes de streaming, qui pourrait intervenir dans la prochaine loi de finances, si les professionnels ne parvenaient pas à faire émerger des solutions adaptées d’ici le 30 septembre, serait une mesure juste, utile et efficace, comme l’est déjà de façon analogue pour l’audiovisuel et le cinéma la taxe sur les services de vidéo à la demande », considère la société de gestion collective fondée par les auteurs réunis autour de Beaumarchais en 1777 pour défendre les droits des auteurs (11). « Le bon choix du PR [président de la République, ndlr] en soutien de l’excellent rapport du sénateur @JulienBargeton », a tweeté le 21 juin Pascal Rogard, directeur général de la SACD (12). La perspective de cette « taxe streaming » a creusé les divisions au sein de la filière musicale française. L’opposition entre le Snep et l’UPFI est à son comble. La Fête de la Musique a même été gâchée, notamment à l’occasion d’un dîner-débat organisé le 21 juin par l’UPFI et le Prodiss où était convié « l’ensemble de l’écosystème pour un débat ouvert et franc » et où « la question du financement de la filière a été au coeur des échanges » (13). Le Snep représentant les majors de la musique enregistrée avait décliné l’invitation en ces termes twittés le jour même : « Le Snep ne participe pas au déjeuner du Prodiss et de l’UPFI, qui multiplient les faux-semblants d’union d’un écosystème musical plus divisé que jamais. Face à ce constat, la ministre de la Culture a annoncé une concertation par les pouvoirs publics. Il est temps en effet de sortir de l’impasse : des solutions existent pour éviter l’écueil d’un nouvel impôt de production, injuste, qui mettrait en risque toute la chaîne de valeur de la musique enregistrée, les plateformes françaises et européennes, les artistes, les auteurs, les compositeurs, les éditeurs et les producteurs » (14). Ambiance. Présent à ce dîner, Antoine Monin, directeur général de Spotify pour la France et le Benelux, a pris la parole au nom de l’ESML en déclarant : « La filière musicale française et le CNM méritent mieux que le rapport Bargeton. Si la première saura se remettre d’une énième guerre picrocholine, je ne suis pas certain que le second survivra à une telle fracture originelle ». Les protestations ont fusé parmi les convives.

Une « taxe anti-rap » et « taxe raciste » ?
Comme le rap caracole en tête de la musique enregistrée depuis quelques années, porté par le streaming et son succès auprès de la jeune génération, la « taxe streaming » a dès l’automne dernier été… taxée de tous les maux. « Non à la taxe streaming. Taxe anti-rap. Taxe raciste. Taxe non justifiée », avait tweeté le rappeur Niska le 4 octobre dernier à l’attention de Rima Abdul Malak (15). Face à la montée de la polémique sur les réseaux sociaux, le président du CNM, JeanPhilippe Thiellay (photo ci-dessus), avait dû s’inscrire en faux : « C’est un raccourci biaisé de dire que ce serait une taxe anti-rap. Sur le top 10.000 des écoutes, ce genre en représente un quart, pas plus. Et dire que le CNM n’aime pas le rap, c’est faux. Et nous accuser de racisme, c’est blessant » (16). @

Charles de Laubier

Musique : la «taxe streaming» pourrait être adoptée dans le projet de loi de finances 2024

Bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité au sein de la filière musicale (les producteurs sont divisés), la « taxe streaming » que prône le rapport Bargeton pourrait être adoptée à l’automne dans le projet de loi de finances 2024 alors qu’elle avait été rejetée dans le projet de loi de finances 2023.

La « taxe streaming », à savoir une contribution des plateformes de streaming (Spotify, Deezer, Apple Music,…) au financement du Centre national de la musique (CNM) telle que préconisée par le rapport Bargeton, fissure la filière musicale. D’un côté, l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI), regroupant des labels et producteurs indépendants, y est favorable avec des organisations du spectacle vivant. De l’autre, le Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), représentant notamment les majors Universal Music, Sony Music et Warner Music, la fustige.

Financer le CNM, comme le CNC et le CNL
Ce projet de « taxe streaming » à 1,75 % serait à la musique enregistrée le pendant de la « taxe billetterie » à 1,75 % du spectacle vivant. Selon le rapport du sénateur Julien Bargeton (majorité relative présidentielle), lequel avait été missionné par la Première ministre Elisabeth Borne et la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak (photo), l’instauration de ce prélèvement « sur les revenus » de la consommation de musique en flux continu (streaming), aurait le mérite de mettre un terme à « l’asymétrie de financement entre spectacle vivant et musique enregistrée qu’on observe actuellement pour le financement du CNM ». Un an après avoir échoué à être adoptée dans le projet de loi de finances 2023, où trois amendements avaient été rejetés (1), la « taxe streaming » pourrait bien être adoptée à l’automne prochain dans le projet de loi de finances 2024.
Actuellement, la « taxe billetterie », prélevé sur les revenus des entrées aux spectacles de variétés représente environ 35 millions d’euros par an. Selon les calculs de Edition Multimédi@, la « taxe streaming » aurait pu rapporter 9,7 millions d’euros au titre de l’année 2022 où le streaming a généré en France 556,9 millions de chiffre d’affaires (2). Cette somme de près de 10 millions d’euros sont à comparer aux 20 millions d’euros de « rendement annuel » qu’attend le rapporteur Julien Bargeton (3) pour les prochaines années – anticipant ainsi une forte croissance du streaming musical par rapport à l’an dernier. La mission « de réflexion sur le financement des politiques publiques en direction de la filière musicale », qui a remis le 20 avril sa centaine de pages (4) à Rima Abdul Malak (5), estime que cette manne « supplémentaire » est indispensable – sur les 30 à 40 millions d’euros estimés nécessaires en plus par rapport au budget actuel (46 millions d’euros en 2023) – pour que le CNM puisse continuer à mener son action et à l’élargir. D’autant que l’innovation (data, livestream, blockchain, IA, NFT, VR, métavers, …) l’amène à assurer un « veille proactive » (accompagnement, formation, expertise), y compris via son think tank CNMlab. La « taxe streaming » a été préférée à deux autres pistes de financement que sont la contribution budgétaire complémentaire (Etat) ou une affectation de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSN).
Ainsi, créé en janvier 2020, soit plus de huit ans après que la mission Chamfort-Colling-Thonon-Selles-Riester sur le « financement de la diversité musicale à l’ère numérique » ait proposé sa création (6), le CNM – établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministre de la Culture – devrait fonctionner sur le modèle du CNC pour le cinéma et du CNL pour le livre. Mais cette « taxe streaming » ne fait pas l’unanimité au sein de la filière musicale. Huit organisations représentatives de producteurs indépendants de musique enregistrée et de spectacles vivants – UPFI, SPPF, Camulc, Felin, Forces musicales, Prodiss, Profedim et SMA – se sont félicitées le 21 avril « de la priorité donnée à la “taxe steaming” [qui] s’impose comme la solution la plus réaliste, la plus soutenable et la plus cohérente » (7). De même, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) s’est félicitée elle aussi de la proposition de « soumettre à contribution les opérateurs de streaming, payants comme gratuits, [qui] constitue la seule démarche permettant d’assurer pérennité et dynamisme des ressources et de construire un modèle de financement juste basé sur la mutualisation ». Même si la SACD trouve insuffisant ce taux de 1,75 % qui « gagnerait à être relevé » (8).

Le Snep (dont les majors) en désaccord
En revanche, le Snep – représentant notamment les majors de la musique enregistrée (Universal Music, Sony Music et Warner Music) – fustige « la création d’un nouvel impôt sur le streaming dont notre secteur devrait s’acquitter » et « une analyse erronée de la dynamique actuelle du streaming et de ses acteurs », alors qu’« il existe des alternatives pour financer le CNM». Le rapport Bargeton, lui, pointe le fait que les données de stream et de vente physique soient consolidées par le Snep, ce qui « participe du climat général de méfiance autour de la réalité économique du streaming ». @

Charles de Laubier

L’industrie de la musique a du mal à s’attaquer au fléau des « fake streams » : l’opacité domine

Cela fait des années que la fraude au streaming musical est détectée sans que ce fléau des « fake streams » ne soit stoppé. Et ce, au détriment de la rémunération des artistes relégués dans le classement. Cela pourrait représenter jusqu’à 30 % de l’audience des musiques écoutées en ligne.

En 2021, le total du chiffre d’affaires généré par le streaming musical dans le monde atteignait 16,9 milliards de dollars. C’est devenu la principale source de revenus de l’industrie de la musique enregistrée, soit plus de 65 % du total (numérique, physique, droits voisins et synchronisation confondus), d’après la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), dirigée par Frances Moore (photo). Mais, selon différentes sources, de 5% à 30 % en volume de la musique en streaming relèveraient de fausses écoutes – les « fake streams ».

845 millions de dollars captés illégalement ?
Impossible à ce stade de savoir ce que cela représente en valeur en raison de l’opacité des plateformes de streaming musical (Spotify, Deezer, Apple Music, Amazon Music, …). Si les fake streams devaient représenter ne serait-ce que 5 % du chiffre d’affaires du streaming musical dans le monde, cela correspondrait à… 845 millions de dollars de captés illégalement au détriment d’autres artistes relégués mécaniquement dans le volume de streams. Pire : en appliquant 10 % en valeur, l’addition de la fraude aux clics dépasserait largement les 1,5 milliard de dollars !
Cette extrapolation faite par Edition Multimédi@ est bien sûr invérifiable, mais elle n’est pas invraisemblable tant les fake streams ont pris de l’ampleur aux dires de la filière musicale. En juillet 2019, dans le magazine américain Rolling Stone, un label affirmait que « 3 % à 4% des flux mondiaux sont des flux illégitimes, représentant environ 300 millions de dollars de recettes potentielles perdues qui sont passées de sources légitimes à des sources illégitimes et illégales » (1). Depuis, les « fermes à clics » et la « manipulation de streams » ont proliféré pour augmenter l’audience de titres : logiciels robotisés (bot, botnet) ou personnes physiques rémunérée pour générer du clic. Au niveau mondial, le taux de 30 % a même été avancé par la filière musicale, notamment cité par le journaliste Sophian Fanen, cofondateur de Les Jours et auteur de l’enquête au long cours sur « La fête du fake stream» (2). Il nous précise cependant : « Il ne s’agit que d’une estimation, et [ce taux de 30 %] ne concerne que la nouveauté. Les faux streams ne fabriquent pas de l’argent ; ils font grossir artificiellement la masse globale de streams à partir de laquelle les plateformes rémunèrent la filière à partir de leurs revenus mensuels (qui varient) ». En France, où l’Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) est montée au créneau le 6 décembre pour appeler « à un sursaut du secteur et des pouvoirs publics face à ce phénomène désastreux à l’ampleur grandissante », le taux de fake streams se situerait entre 5% et 10 % des écoutes quotidiennes, d’après ElectronLibre. L’UPFI a adressé une lettre à sa centaine de membres et labels indépendants (Believe, Harmonia Mundi, PlayTwo, Wagram Music, …) pour « condamne[r] fermement et sans équivoque le principe de manipulation des écoutes, rappelant qu’elle relève d’une tricherie (…), un artiste ayant acheté des streams capte une rémunération qui lèse l’ensemble des artistes » (3). Elle estime en outre que l’Arcom (4) serait « légitime » pour réguler le streaming et « recueillir les plaintes contre les acteurs fournissant des prestations d’achat de streams ».
Contacté par Edition Multimédi@, le directeur général de l’UPFI, Guilhem Cottet, rappelle qu’en mai 2021 un amendement avait été déposé dans ce sens au Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi « Régulation et protection de l’accès aux oeuvres culturelles à l’ère numérique », celle-là même qui a fondé l’Arcom. Bien qu’il ait été retiré, cet amendement (5) soutenu par la filière musicale proposait que l’Arcom puisse avoir des pouvoirs d’enquête et de « lutte contre la manipulation de diffusions en flux ». Ses agents habilités et assermentés pourraient « constater les faits susceptibles de constituer une infraction ». « En parallèle, rappelle aussi Guilhem Cottet, les organisations de producteurs avaient adressé un courrier à Roselyne Bachelot (6) pour la sensibiliser sur ce dossier : à la suite de cela, elle avait missionné une étude du Centre national de la musique (CNM), qui devrait être publiée début 2023 ». Au lieu de juin 2022…

Spotify dit lutter contre les manipulations
Le CNM bute sur la non-divulgation des données d’écoutes par les plateformes de streaming. C’est le cas du numéro un mondial de la musique en ligne Spotify qui affirme pourtant auprès de ses actionnaires et investisseurs – le groupe de Stockholm est coté à la Bourse de New York (Nyse) – prendre très au sérieux les fake streams : « L’échec à gérer et corriger efficacement [par des algorithmes et manuellement] les tentatives de manipulation des flux pourrait avoir une incidence négative sur nos activités, nos résultats d’exploitation et notre situation financière », prévient-il dans son dernier rapport annuel. @

Charles de Laubier

Taxe « copie privée » : les industries culturelles lorgnent sur le « hors connexion » du streaming

Le rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour la copie privée préconise d’« exclure explicitement » le « hors connexion » qui permet aux internautes d’écouter ou de visionner un contenu sans être en ligne. Alors que les ayants droit veulent taxer ces « copies de confort ».

Ce rapport du gouvernement au Parlement sur la rémunération pour copie privée, publié le 31 octobre dernier, a été réalisé par l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), lesquelles dépendent respectivement de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, et de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Parmi les 22 propositions faites par le gouvernement, il y en a une qui concerne le sort des copies dites de confort permettant d’écouter du contenu hors connexion ou offline.

Commission copie privée : réunion en vue
Faut-il taxer ces copies pour rémunérer la copie privée, ce droit des internautes de reproduire une œuvre pour y avoir accès dans le cadre d’un cercle restreint familial ? La réponse du gouvernement est non. « Encourager la commission [pour la rémunération de la] copie privée à clarifier le statut des copies dites de confort permettant les écoutes hors connexion, et à suivre la proposition de la mission IGF-IGAC préparatoire au présent rapport de les exclure explicitement du champ de la rémunération pour copie privée », préconise le rapport dans sa proposition n° 11.
Cette commission pour la rémunération de la copie privée, présidée depuis un an par le conseiller d’Etat Thomas Andrieu (photo), est donc appelée à ne pas taxer le hors connexion. Et ce, contrairement à la demande des ayants droit des industries culturelles de taxer ces copies de confort, sous prétexte que cela génèrerait – selon eux – un manque à gagner devant être rémunéré. Contacté par Edition Multimédi@, le président de cette commission dite « L311-5 » (1) nous indique que « la commission (copie privée) se réunira avant la fin de l’année et les conclusions du rapport IGF-IGAC seront à l’ordre du jour ». Les ayants droit, qui bénéficient d’un avantage lors des votes face aux représentants des industriels et des consommateurs en raison de la répartition des sièges, ont fait savoir à la mission gouvernementale qu’une rémunération pour copie privée se justifiait pour le offline du streaming. Ce n’est pas l’avis du gouvernement : « La question du traitement des possibilités d’écoute hors connexion offertes par les plateformes de streaming a été soulevée auprès de la mission [IGF-IGAC], certains ayants droit considérant que ces “téléchargements” constituent des copies privées devant être compensées. A ce stade, ces téléchargements à partir de plateformes de streaming payantes sont mesurés par les études d’usages mais ne sont pas inclus dans le volume de copies privées. En l’absence d’une décision de justice tranchant ce point, un faisceau d’indices amène à considérer que ces copies de confort ne relèveraient pas du champ de la copie privée créant un préjudice et devant donner lieu à compensation », estime le rapport. Si ces téléchargements aboutissent bien à une copie du fichier musical ou vidéo sur le terminal de l’utilisateur (smartphone, ordinateurs, tablette, …), cette copie est exploitable uniquement sur la plateforme de streaming : elle ne peut être transférée ou dupliquée. A cela s’ajouter le fait que ces copies sont éphémères et attachées à l’abonnement de l’utilisateur au service de streaming en question. Ces copies de confort permettent des écoutes hors connexion qui ne sont possibles que pendant la durée de l’abonnement au service payant. C’est par exemple le cas pour Deezer qui propose cette facilité dans son abonnement payant premium, afin de permettre au bénéficiaire de télécharger des albums et des playlists pour les écouter hors connexion quand il n’a pas de connexion Wifi disponible ou de réseau accessible. « Les plateformes de streaming rencontrées par la mission ont assuré que la possibilité de visionnage ou d’écoute hors connexion était prévue dans les contrats de licence et donne lieu à rémunération, dans les mêmes conditions que les écoutes ou visionnages classiques », souligne en plus le rapport, même s’il est difficile d’obtenir des informations certaines sur ce partage dans le cadre de ces contrats de licence soumis au secret des affaires.

Réguler pour mieux rémunérer le offline ?
Les copies de confort pour le hors connexion font-elles l’objet d’un traitement spécifique dans le contrat et d’une rémunération distincte, comme l’exige implicitement le code de la propriété intellectuelle (CPI) lorsque celui-ci dit que la cession d’un droit (droit de représentation ou droit de reproduction) n’emporte pas celle de l’autre (2) ? De plus, selon le même CPI, « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée » (3). La mission part donc du principe que les contrats de licence entre plateformes de streaming et ayants droit sont conformes au CPI. En mettant en garde cependant : « Dans le cas contraire, ou si les termes des contrats sont trop vagues, l’exception de copie privée pourrait être invoquée ». Tout en excluant a priori une éventuelle taxe « copie privée » sur le hors connexion, le gouvernement suggère néanmoins aux parlementaires la mise en place d’« une régulation de la rémunération spécifique de la copie pour lecture hors connexion, par des tarifs négociés en commun entre toutes les plateformes et les OGC [organisme de gestion collective des droits d’auteur, ndlr] concernés, au niveau européen ».

Faisceau de quatre indices contre une taxe
La généralisation du streaming payant avec copie de confort pour une lecture offline justifie, selon les auteurs du rapport, de veiller à la rémunération des créateurs (auteurs et artistes-interprètes). Environ 70 % du prix des abonnements est reversé aux ayants droits – 55 % pour les producteurs et 15 % pour les organismes de gestion collective –, à charge pour eux de reverser aux auteurs et artistes interprètes la rémunération qui leur revient selon les indications fournies par les plateformes sur le comptage des streams. Mais quelle part concerne le hors connexion ? Sur ce point, c’est le flou artistique. Alors que le hors connexion est de plus en plus répandu. « Cette possibilité existe dans le cadre d’abonnements payants (offres premium) et constitue le plus souvent le facteur démarquant par rapport aux offres gratuites (freemium) de ces mêmes plateformes », relève le rapport gouvernemental. Selon les représentants des industries culturelle, ces copies à usage privé et de source licite dérogent au droit exclusif d’autorisation d’exploitation des ayants droit et génèrent un manque à gagner devant être rémunéré. Mais la mission IGF-IGAC a convaincu le gouvernement qu’un « faisceau d’indices » tend à exclure les copies de confort de la rémunération de la copie privée :
Bien qu’elles soient physiquement stockées dans la mémoire du terminal de l’abonné, ces copies sont cryptées, de sorte qu’il est impossible pour l’utilisateur de les dupliquer ou de les transférer (elles ne peuvent sortir de l’univers de la plateforme) ;
Ces copies sont éphémères puisqu’au bout de quinze jours sans reconnexion de l’utilisateur, la plateforme les supprime ;
Ces copies donnent déjà lieu à une rémunération car, pour les plateformes de streaming musical telles que Deezer ou Spotify, les écoutes hors connexion sont comptabilisées dans le nombre total d’écoutes qui sert de base à la rémunération des ayants droit ;
L’examen des conditions tarifaires de certains organismes de gestion collective montre que la rémunération qu’elles ont négociée avec les plateformes de streaming prend en compte les copies de confort.
Et le rapport de prendre l’exemple de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) pour l’écoute ou la visualisation de la musique en streaming par abonnement : la rémunération correspond à 15 % des recettes d’abonnement, assortie d’« un minimum de 1,20 euro hors taxe par abonné et par mois dans le cas d’une offre permettant la portabilité ainsi que l’écoute et la visualisation hors connexion » (4).
Toutes ces questions autour des copies de confort au regard de l’articulation entre droit exclusif et exception de copie privée amènent le gouvernement à appeler les parlementaires à « une réflexion plus large (…) concernant la juste contribution des plateformes de streaming, payantes et non payantes, au financement de la création culturelle ». Le rapport n’évoque cependant pas la dernière tentative de taxer le streaming pour « financer de façon pérenne » le Centre national de la musique (CNM), selon les députés à l’origine de trois amendements déposés fin septembre dernier mais tous rejetés en octobre (5) dans le cadre du projet de loi de finance 2023.
Tout en écartant une éventuelle taxe sur les copies de confort, qui reviendrait à taxer le streaming, le rapport « IGF-IGAC » du gouvernement reproche en outre à la commission copie privée le manque de transparence dans sa méthodologie de fixation des barèmes et de reversement de la rémunération en question.

Taxe « copie privée » : 300 millions d’€/an
Les études d’usage sont jugées trop anciennes (2017 et 2018 pour les dernières). Ce sont quand même près de 300 millions d’euros qui sont collectés. La taxe est prélevée sur le prix des appareils permettant le stockage numérique (smartphones, tablettes, clés USB, CD/DVD, disques durs externes, etc.) – par l’unique organisme français mandaté pour collecter la redevance pour la copie privée : Copie France (6), lequel n’a pas vraiment apprécié ce rapport « IGF-IGAC » (7). Le gouvernement appelle aussi à une meilleure gouvernance de la commission copie privée. Sa réunion prévue avant la fin de l’année s’annonce donc chargée, alors même que son rapport 2021 n’a pas encore été publié. « Nous le publierons début 2023 », nous indique Thomas Andrieu. @

Charles de Laubier