Pour ses 15 ans, le bitcoin – dont le créateur reste le plus grand mystère du capitalisme – va faire son 4e halving

Le bitcoin, la plus célèbre des cryptomonnaies lancée en 2009 par un illustre inconnu appelé Satoshi Nakamoto – le plus grand mystère du capitalisme –, a battu record sur record en mars 2024. Et son 4e halving (« réduction de moitié ») attendu le 19 avril 2024 risque de réserver des surprises à ses investisseurs.

Vers le 19 avril 2024, soit dans une dizaine de jours à partir de ce n°319 de Edition Multimédi@ daté du 8 avril, le bitcoin va faire son 4e halving. Cet événement inscrit dans l’ADN du bitcoin – ou plutôt dans sa blockchain éponyme – prévoit, tous les quatre ans, une « réduction de moitié » (signification en français de halving) du nombre de nouveaux bitcoins mis en circulation et sous forme de récompense aux « mineurs ». Ce sont ces derniers (entreprises ou individus) qui minent la cryptomonnaie pour que les bitcoins existent. Les mineurs sont rétribués pour cette fonction essentielle – demandant d’importantes puissances de calcul informatique très énergivores – par l’octroi d’un certain nombre de bitcoins prédéfini. Ainsi, avec ce 4e halving, la rémunération des mineurs va baisser de moitié pour la quatrième fois depuis le lancement du bitcoin le 3 janvier 2009 : à cette date originelle, le dénommé Satoshi Nakamoto (photo) – dont personne ne connaît l’identité (1) – a été le tout premier mineur de bitcoins (2), au moment où la création d’un nouveau « bloc » sur la chaîne de blocs (la blockchain bitcoin) était payée 50 bitcoins (BTC).

Les 20 millions de BTC atteints a priori en 2026
Ensuite, lors du 1er halving le 28 novembre 2012, la rétribution par bloc créé a été réduite de moitié, à 25 BTC. Puis, au 2er halving du 9 juillet 2016, la récompense a été ramenée à 12,5 BTC. A l’heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes encore à l’ère du 3e halving depuis le 11 mai 2020, avec 6,25 BTC le bloc miné. Quant à la date du 4e halving, elle est estimée autour du 19 avril 2024 puisqu’un halving a été programmé par l’illustre inconnu Satoshi Nakamoto pour intervenir tous les 210.000 blocs créés sur la blockchain bitcoin. A cette prochaine échéance, un total cumulé de 840.000 blocs aura été atteint avec en tout 19,687 millions de bitcoins en circulation – 15 ans et trois mois après le lancement de la reine des cryptomonnaies. Selon les calculs de Edition Multimédi@, la barre des 20 millions de bitcoins devrait être franchie à mi-parcours du prochain cycle quadri-annuel : soit en 2026. C’est donc à partir du 840.000e bloc, aux alentours du 19 avril prochain, que les mineurs ne recevront plus que 3,125 BTC par bloc créé. Ce tarif-là Continuer la lecture

Un livre blanc prône la régulation du smart contract

En fait. Le 4 octobre dernier, a été divulgué par l’association Paris Place de Droit un livre blanc intitulé « Quel avenir pour le smart contract en France ? Oser la vitesse sans la précipitation », dont les coauteurs sont l’avocat Fabrice Lorvo (FTPA) et l’étudiant Timothée Charmeil (Harvard Law School).

En clair. Lors de sa « Nuit du Droit », qui a eu lieu le 4 octobre au Tribunal de Commerce de Paris, l’association Paris Place de Droit – créée en 2015 pour promouvoir la capitale de la France comme place juridique internationale – a présenté un livre blanc sur le smart contract (1). La traduction en français est « contrat intelligent » mais les auteurs la jugent « trompeuses ». « Le smart contract, tel qu’utilisé aujourd’hui, peut alors être défini comme le protocole informatique organisant l’échange automatique d’actifs dématérialisés enregistré sur une blockchain » expliquent les coauteurs Fabrice Lorvo (avocat, cabinet FTPA) et Timothée Charmeil (Harvard Law School).
Le smart contract permet ainsi de fusionner en un seul acte – certifié et authentifié sur la blockchain – la conclusion du contrat et son exécution, de supprimer l’intervention des intermédiaires comme le banquier ou l’huissier de Justice, et de rendre inéluctable la phase d’exécution du contrat lorsque les conditions sont objectivement réalisées. « En effet, souligne le livre blanc de la commission “numérique et juridique” de l’association Paris Place de Droit (2), nul ne peut empêcher l’exécution du smart contract dans les conditions prévues par le code enregistré dans la blockchain ». L’exécution est alors irréversible. Et ce, « quoi qu’il en coûte ». Si le smart contract est une réalité omniprésente, ne serait-ce que dans les conversions entre les dollars, euros et autres yen (monnaies dites « fiat », traduit « décret » en anglais car relevant de la politique monétaire des banques centrales des Etats) et les cryptomonnaies (bitcoin, ethereum, ripple, etc.), il n’en est pas moins un objet juridique non-identifié (OJNI) venant d’« un univers numérique plus complexe encore » (wallet, actifs électroniques, cryptomonnaies, blockchain, NFT (3), …).
« Théoriquement, tous les contrats d’affaires pourraient prendre la forme de smart contract. […] Malgré des avantages indéniables, le smart contract présente également des inconvénients tout aussi indéniables [cas de non-paiement, code informatique méconnu, absence de consentement, mauvais codage, litiges, anonymat, asymétrie d’information entre auteurs et mineurs, ou encore absence de norme sur les algorithmes]. Inconvénients qui nécessiteront l’adoption d’une réglementation qui semble ne pouvoir être qu’internationale », affirment les coauteurs. Si ce n’est, via le Data Act (4), européenne. @

Les banques centrales en Europe veulent continuer à « battre monnaie », euro numérique compris

L’euro numérique pourrait être lancé avant la fin de la décennie en cours, une fois voté au Parlement européen. Depuis le 1er novembre, l’Eurosystème (BCE et banques centrales de la zone euro) est entré pour deux ans dans la phase de préparation de cette future forme numérique de la monnaie unique.

L’Eurosystème, qui regroupe la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales des vingt Etats membres ayant adopté l’euro, a ouvert une phase préparatoire de l’euro numérique le 1er novembre 2023 et pour une durée initiale de deux ans. « Les caractéristiques envisagées pour cet euro numérique le rendront comparable à un “billet numérique”, utilisable partout en zone euro, gratuit pour les particuliers », a assuré Denis Beau (photo de droite), premier sous-gouverneur de la Banque de France, le 16 novembre à la Maison de la Chimie à Paris.

Deux règlements « Digital € » discutés
Intervenant en ouverture des 6es Assises des Technologies financières, organisées par l’agence Aromates, il a aussi précisé que « l’euro numérique offrira, via son mécanisme hors ligne, une confidentialité comparable à celle des espèces, avec une résilience élevée, et il sera distribué via les banques et les autres prestataires de services de paiement ». L’avantveille, le 14 novembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lançait : « Je fais le pari qu’un euro numérique verra le jour dans cette décennie » (1). Sous la houlette de la BCE, l’euro numérique sera émis par les banques centrales de l’Eurosystème – autorité monétaire de la zone euro – qui entendent bien continuer à « battre monnaie » (historiquement pièces et billets) à l’ère de la dématérialisation. Ce digital euro s’inscrit dans la catégorie des monnaies numériques de banque centrale – MNBC ou, d’après leur sigle en anglais, CBDC (2) – créées dans différents pays. Les Etats ne veulent pas perdre la main ni déstabiliser leur système monétaire face à la déferlante des cryptomonnaies et de la finance décentralisée (DeFi). La Chine a déjà lancé son e-yuan (3), tandis que les Etats-Unis tentent de sauvegarder l’hégémonie du dollar (4).
Cette phase préparatoire, qui intervient au bout de deux ans d’études et du premier bilan de l’Eurosystème publié le 18 octobre (5), ne signifie pas que la décision d’émettre un euro numérique a été prise. Celle-ci ne sera arrêtée par les gouverneurs des banques centrales et l’Eurogroupe – lequel réunit les vingt ministres de l’Economie et des Finances des Etats membres de la zone euro – que lorsque le processus législatif de l’Union européenne aura abouti sur un texte voté, « au terme d’un débat démocratique qui a été ouvert par la présentation [le 28 juin 2023, ndlr] d’un projet de règlement par la Commission européenne », a ajouté Denis Beau. Selon les informations de Edition Multimédi@, les dernières discussions en date au sein du Conseil de l’Union européenne et de ses instances préparatoires ont eu lieu le 8 novembre dernier (6). La BCE y a présenté – dans un document de travail de 58 pages daté du 31 octobre (7) et signé par sa présidente Christine Lagarde (photo de gauche) – son point de vue et ses amendements. Deux règlements sont proposés par l’exécutif européen : le premier « établissant l’euro numérique » (8) et le deuxième pour « la fourniture de services en euros numériques par les prestataires de services de paiement constitués dans des Etats membres dont la monnaie n’est pas l’euro » (9). Car l’euro numérique pourra aussi être utilisé en dehors des vingt-sept pays de la zone euro, pour peu que les particuliers, les entreprises et les entités publiques amenés à payer avec ce « billet numérique » soient établis dans la zone euro (et à condition que le destinataire des fonds situé en dehors de la zone euro possède un compte en euros numériques ou qu’il utilise des paiements multidevises). Cela serait utile aux touristes qui visitent un pays n’appartenant pas à la zone euro, par exemple.
Quant aux pays situés en dehors de la zone euro ou hors de l’UE, ils auront accès à l’euro numérique « sous réserve d’un accord préalablement conclu entre l’UE et ce pays tiers et/ou d’arrangements conclus entre la BCE et les banques centrales nationales [de ces] pays tiers » (10). A l’instar de l’euro en monnaie sonnante et trébuchante (pièces) ou en billet (papier) émis par les banques centrales dites de confiance (d’où la désignation de « monnaie fiduciaire »), la future forme numérique de la monnaie unique aura elle aussi « cours légal » (11).

L’euro numérique, pas « Big Brother »
Quoi qu’il en soit, a tenu à rassurer Denis Beau lors de ces Assises des Technologies financières, « l’euro numérique ne rempla-cera pas les espèces ; il n’est pas un projet dangereux ni liberticide ; ce n’est pas un projet de surveillance de masse ni un “Big Brother” européen ; la banque centrale ne va pas tracer les données de paiement des particuliers ». Le paiement hors ligne pourra se faire – « pour les paiements en-deçà d’un certain seuil » – en toute confidentialité. Et contrairement aux cryptomonnaies des « blockchain », « l’euro numérique ne sera jamais une monnaie “programmable” et sera donc convertible au taux de 1 pour 1 avec les autres formes de monnaies en circulation ». @

Charles de Laubier

La banque centrale américaine, la Fed, met des bâtons dans les cryptos pour préserver le dollar

A peine le géant du e-paiement PayPal avait-il annoncé le 7 août sa cryptomonnaie indexée sur le dollar, baptisée « PayPal USD », que la banque centrale des Etats-Unis – la Federal Reserve (Fed) – publiait le lendemain un avertissement à l’attention du secteur bancaire américain.

Il ne s’agit pas, du point de vue des Etats- Unis, de déstabiliser le sacro-saint dollar américain, qui est devenu depuis la Seconde-Guerre mondiale (1) la plus importante monnaie de réserve internationale, après avoir détrôné la livre sterling britannique. Le dollar est la monnaie la plus utilisée dans le monde. Or dès qu’une monnaie ou une devise – et à plus forte raison une cryptomonnaie – menace la suprématie du billet vert, la Fed (Federal Reserve) voit rouge.

La Fed freine les cryptos et lance FedNow
D’où ses mises en garde aux émetteurs de monnaies numériques, y compris celles adossées au dollar. C’est ainsi que la banque centrale américaine (2) a publié le 8 août – soit le lendemain de l’annonce par PayPal de sa propre cryptomonnaie indexée sur le dollar et baptisée « PayPal USD » – un avertissement aux banques des 50 Etats membres, du moins à celles « qui cherchent à s’engager dans certaines activités impliquant des jetons en dollars ». La Fed, présidée par Jerome Powell (photo), a rappelé que le Federal Reserve Act (3) permet au conseil des gouverneurs de la Fed d’exercer son « pouvoir discrétionnaire » pour « limiter les banques d’Etat membres et leurs filiales à n’exercer, en tant que mandant, que les activités qui sont autorisées pour les banques nationales ».
Pour les transactions avec des jetons en dollars (dollar tokens) rendues possibles – comme pour toutes les cryptomonnaies – par la blockchain, ce que la Fed appelle « la technologie du grand livre distribué [distributed ledger] ou des technologies similaires », elles sont possibles mais à une condition : que la banque ait obtenu l’autorisation après avoir démontré au Bureau du contrôleur de la monnaie (OCC) et aux superviseurs qu’elle a mis en place « des contrôles pour mener l’activité de manière sûre et saine ». Autrement dit, pour peu qu’elles aient le feu vert de la Fed, les banques américaines peuvent « effectuer des activités de paiement à titre principal, notamment en émettant, détenant ou effectuant des transactions de jetons en dollars », ce que l’OCC appelle des « stablecoin » (cryptos adossées à une monnaie plus stable comme le dollar ou l’euro). Même pour tester un dollar token, une autorisation écrite dite de « non-objection prudentielle » est aussi nécessaire. Les Etats-Unis ont en fait tendance à voir l’émergence de ces « stablecoin » comme une menace potentielle pour la stabilité financière du pays voire du monde et un risque d’atteinte à sa souveraineté monétaire. Dans sa « lettre de supervision et de régulation » (4), la Fed oblige les banques à éviter « les risques opérationnels » (gouvernance, surveillance du réseau, …), « les risques de cybersécurité » (smart contracts, codes open source, …), « les risques de liquidité » (rachats importants, sorties rapides de dépôts, …), « les risques financiers illicites » (secret bancaire, identité d’un client, activités suspectes, …), « les risques liés à la conformité des consommateurs » (identification, protection des consommateurs, …). La Fed entend ainsi maintenir la pression sur les banques qui doivent plus que jamais montrer pattes blanches en matière de cryptomonnaies, stablecoins compris. La Réserve fédérale, à la fois juge et partie, n’a-t-elle pas lancé le 20 juillet dernier FedNow (5), un service de e-paiement instantané à bas coût proposé à leurs clients par déjà 35 banques et organismes de crédit ? Certains y voient une volonté de la Fed de rendre obsolètes les cryptomonnaies (6).
Ce n’est pas un hasard si le rappel à la loi fédérale a été émis juste après l’annonce du PayPal USD (PYUSD), la veille. Le géant du e-paiement a lancé le 7 août son stablecoin qui est « entièrement adossé aux dépôts en dollars américains, aux bons du Trésor américain à court terme et aux équivalents de trésorerie similaires, et peut être échangé 1:1 contre des dollars américains ». PayPal estime que « les stablecoins réglementés et entièrement adossés ont le potentiel de transformer les paiements dans les environnements web3 et numériques natifs ». Et le PDG de PayPal, Dan Schulman, d’affirmer : « La transition vers les monnaies numériques nécessite un instrument stable qui est à la fois numérique et facilement connecté à la monnaie fiduciaire comme le dollar américain ».

PayPal vise le monde, Worldcoin aussi
PayPal USD est émis en tant que jeton numérique ERC- 20 sur la blockchain Ethereum par Paxos Trust Company (ex-itBit), une fintech newyorkaise pionnière de la blockchain et du bitcoin. PayPal a obtenu de la part du l’Etat de New York en juin 2022 la licence BitLicense validant la sécurité de ses investissements dans les cryptos. Pendant ce tempslà, le 24 juillet, la version bêta de la cryptomonnaie Worldcoin (WLD), cocréée par le fondateur d’OpenAI/ChatGPT, Sam Altman, a été lancée (7). Face à cette « bitconnisation » de la finance, les banques centrales du monde entier et les régulateurs ne sont pas au bout de leurs peines. @

Charles de Laubier

La structuration juridique et fiscale des DAO, ces organisations autonomes décentralisées du Web3

Pas de DAO sans smart contracts, pas de contrats intelligents sans blockchain, pas de chaînes de blocs sans Web3 (décentralisé). Mais, outre la qualification d’« établissement stable », gare à l’optimisation fiscale des DAO en créant une société et une association, afin d’éviter la double peine.

Par Axel Sabban, avocat associé, Chérine Hosny, avocate collaboratrice, Arnaud Touati, avocat associé, Law for Code*

La Decentralized Autonomous Organization (DAO), ou organisations autonomes décentralisées, repose sur les principes de décentralisation et d’automatisation, rendus viables par Satoshi Nakamoto, le créateur pseudonyme du protocole Bitcoin et de sa monnaie éponyme (1). Ce nouveau type d’organisation est possible grâce à l’agrégat novateur de technologies ayant permis l’émergence de la cryptomonnaie bitcoin et, notamment, les smart contracts (2).

Smart contracts, contrats intelligents ?
Non, plutôt des lignes de code informatique permettant d’assurer, si certaines conditions prédéterminées sont remplies, l’exécution automatique d’instructions sur une blockchain, ou chaîne de blocs : validation de décisions de gouvernance, création de nouveaux actifs, transferts de tokens, … Les possibilités sont aussi impressionnantes que la créativité de ce secteur le permet. L’intérêt de ces programmes réside dans la possibilité – sans recourir aux formalités des actes exécutoires ou à l’intervention des autorités – d’assurer l’effectivité des paiements, cautions, votes, confidentialités ou, plus généralement, minimiser les risques de non-exécution des contrats, qu’ils soient volontaires ou involontaires. Les DAO, dont le fonctionnement est largement automatisé, mais nécessitant malgré tout une intervention humaine décentralisée, du moins théoriquement, sont des organisations transfrontalières. Elles ont été imaginées au départ comme étant des organisations décentralisées à but non lucratif (3).
Une DAO est une entité décentralisée gérée par des membres qui détiennent des jetons de gouvernance émis par son protocole, le smart contract. Les membres ne sont pas des personnes, mais des adresses de portefeuille, enregistrées dans la blockchain. Une adresse peut être détenue par une ou plusieurs personnes, et une seule personne peut détenir plusieurs adresses. L’identité des personnes détenteurs des adresses est pseudonymisée (4). Le jeton peut être un actif fongible ou non fongible selon le choix des fondateurs. Bien qu’il soit principalement conçu pour voter sur les propositions de la gouvernance, ce token est librement cessible, sauf précision contraire dans le smart contract, et possède une valeur monétaire. Même avec une décentralisation technologique, il est possible qu’un petit groupe de membres exerce un contrôle sur le projet, dès lors qu’ils détiennent un nombre suffisant de jetons pour décider de facto l’issue des votes (5).
En outre, l’automatisation de certaines DAO n’est pas absolue, une intervention humaine reste souvent indispensable. Bien que les DAO présentent de nombreux avantages, elles ne sont pas sans risques, dont notamment la possibilité de caractériser une « société créée de fait » entre ses membres les plus impliqués. Pour éviter ce risque, certains projets créent une entité juridique, en général à l’étranger, pour bénéficier d’une législation plus avantageuse. Cependant, cette option n’est pas sans risque, car elle peut conduire à la caractérisation, dans certains cas, d’un « établissement stable en France ». Une société créée de fait est une société qui ne remplit pas les conditions de forme requises par les textes légaux, mais qui résulte du comportement des personnes qui collaborent sur le projet en se comportant entre elle et vis-à-vis des tiers comme de véritables associés. Selon la loi française, une « société créée de fait » peut être caractérisée lorsque les trois éléments suivants sont réunis dans les faits : la participation de deux ou plusieurs personnes aux apports (fonds ou travail) ; leur participation à la direction du projet ; et leur intention de partager le résultat. De par son mode de fonctionnement, il est possible d’assimiler une DAO à une société de fait créée en France.

Qualification « société créée de fait »
Lorsqu’elle est retenue, la qualification d’une société créée de fait pourrait entraîner des conséquences particulièrement contraignantes. Sur le plan fiscal, les bénéfices de l’exploitation sont imposables au nom de chaque « associé » pour la part correspondant à ses droits (6). Ces bénéfices sont imposables au titre de l’année de leur réalisation par la DAO, même en cas d’absence de distribution effective aux membres. Sur le plan juridique, les membres « associés » seront tenus comme solidairement responsables des actes de la DAO. Cependant, cette assimilation ne doit pas être systématiquement appliquée à toutes les DAO, notamment lorsque les membres ne cherchent pas à partager ensemble le résultat de l’exploitation du protocole. Pour le moment, il n’existe pas de forme d’entité légale transnationale permettant de reconnaître les DAO comme organisations internationales (7). Les membres de DAO peuvent ainsi être tentés d’immatriculer une entité, également appelée « legal wrapper » (« enveloppe juridique »), dans une juridiction offrant une législation plus avantageuse. Certaines législations ont créé de nouveaux types d’entités juridiques nationales destinées à permettre l’immatriculation directe des DAO au sein de leur juridiction, comme le Vermont (8), le Wyoming (9) et Malte (10).

Caractérisation d’un « établissement stable »
D’autres pays ne disposant pas de réglementation spécifique pour les DAO bénéficient toutefois de systèmes fiscaux ou réglementaires avantageux. La Suisse, les Îles Caïmans, les Îles Marshall et Singapour proposent ainsi des options attrayantes pour l’« incorporation » d’un legal wrapper d’une DAO. Toutefois, le choix de lieu d’immatriculation n’est pas complètement laissé à la discrétion des membres. Si la direction de l’entité ou une partie significative de l’équipe opère sur le territoire français, les bénéfices réalisés restent sujets à l’impôt français dès lors que l’une des conditions de caractérisation d’un « établissement stable en France » est remplie : l’activité est exploitée en France ; les opérations sont réalisées en France par l’intermédiaire de représentants n’ayant pas de personnalité professionnelle indépendante ; ou encore les opérations effectuées en France y forment un cycle commercial complet. Il en résulte que la simple création d’une société dans une juridiction à l’étranger et le fait d’y loger quelques membres ou moyens d’exploitation ne suffisent pas pour échapper à la législation française, peu importe que la société soit en parfaite conformité avec la législation du pays de l’immatriculation. La qualification d’un « établissement stable en France » emportera l’imposition des profits rattachés à l’établissement stable à l’impôt sur les sociétés (IS) français, ainsi que l’application d’une retenue à la source sur les revenus considérés comme distribués à la société étrangère (11).
Afin de bénéficier de l’exonération des impôts commerciaux, certains optent pour la création de deux structures en France : une entité à but non lucratif (association de loi 1901) et une société commerciale. Ce modèle n’est pas sans risque, surtout lorsque l’association est utilisée comme véhicule d’optimisation fiscale pour loger les actifs de la DAO tout en finançant, indirectement, la société commerciale par le biais de la facturation des prestations techniques. En vue de bénéficier du caractère non lucratif et être exonérée des impôts commerciaux, l’association doit impérativement respecter certaines conditions : son but ne doit pas consister en la répartition de bénéfices entre ses membres ; sa gestion doit être désintéressée (les dirigeants ne doivent pas bénéficier directement ou indirectement du résultat de l’exploitation) ; la rémunération des dirigeants ne doit pas dépasser certains seuils (12) ; l’association ne doit pas entretenir des relations privilégiées avec des sociétés commerciales, et ne doit pas concurrencer le secteur lucratif. Si le développement du protocole de la DAO par l’association vise à permettre aux fondateurs de s’enrichir directement via la facturation des prestations techniques réalisées par des sociétés commerciales qu’ils détiennent, ou indirectement grâce à l’appréciation en valeur du token distribué par la DAO (13) cela peut caractériser l’exercice d’une activité lucrative, remettant ainsi en cause l’exonération des impôts. Cela conduira à une double peine : le résultat de l’association sera imposé, mais les membres ne pourront pas en partager les fruits. Quelle approche pour la structuration des DAO ? La structuration de la DAO doit avant tout prendre en considération l’objectif recherché par les fondateurs. Lorsque l’intervention humaine est importante, le risque de caractérisation d’une société créée de fait est élevé. Les membres doivent donc privilégier la création d’une entité juridique, pour protéger leur responsabilité tout en optimisant l’imposition des revenus générés. Si, en revanche, le projet est complètement décentralisé et automatisé, comme pour le protocole Bitcoin, l’immatriculation d’une entité juridique peut ne pas être nécessaire. Malgré la tentation de recourir au « forum shopping » afin d’échapper à la législation française, les membres doivent prendre garde, surtout si la direction ou l’exploitation est effectivement réalisée en France. Dans un tel cas, l’administration fiscale est en mesure de caractériser l’existence d’un « établissement stable en France », et de tirer toutes les conséquences sur le plan fiscal et juridique. Cependant, il est possible de créer plusieurs entités, avec une société en France et une ou plusieurs sociétés à l’étranger, si l’exploitation est organisée d’une manière qui le permette.

Optimisation fiscale : éviter la double peine
Les membres doivent choisir une structure juridique adaptée à l’activité. Il est déconseillé de chercher une optimisation fiscale en créant une entité à but non lucratif s’ils envisagent d’exploiter une activité pour partager, directement ou indirectement, les bénéfices ou comme un fonds d’investissement. Dans un tel cas, c’est la double peine : la qualification d’une activité lucrative conduisant à l’imposition des bénéfices, et l’impossibilité de partager ces bénéfices entre les membres. En l’état, nous pensons que la combinaisons société commerciale et association doit être utilisée avec une extrême parcimonie et que d’autres modèles plus sécurisants pourraient rapidement émerger. @

* Law for Code est un groupement d’intérêt économique (GIE)
regroupant les cabinets d’avocats Hashtag Avocats et Revo
Avocats ainsi que le cabinet d’expertise comptable Earn.