Louis Dreyfus, groupe Le Monde : « Il est vital de basculer notre centre de gravité vers le numérique »

Président du directoire du groupe Le Monde depuis décembre 2010, Louis Dreyfus se dit « confiant » sur la capacité du « quotidien de référence » à séduire la nouvelle génération de lecteurs. Cela passe par une offre digitale accrue, dont un nouveau contenu éditorial chaque matin pour les mobiles.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Le Monde fête ses 70 ans cette année. Quels événements avez-vous prévus pour célébrer cet anniversaire ? Un journal septuagénaire peut-il encore intéresser la nouvelle génération des lecteurs « Internet Native » qui viennent de participer à la 25e Semaine de la presse et des médias dans l’école ?
Louis Dreyfus :
Les 70 ans du Monde doivent être l’occasion pour Le Monde d’ouvrir une nouvelle page de son histoire, non pas en se tournant vers son passé mais en se projetant vers l’avenir en investissant sur deux relais de croissance : le numérique et l’événementiel.
Le numérique est aujourd’hui à la fois un succès d’audience et un succès économique, avec une marge opérationnelle de 25 %. Mais il aura de nouveaux moyens éditoriaux et marketing pour accélérer son développement. Quant à l’événementiel, il se traduit par la création du Monde Festival qui se déroulera de mai à octobre prochains, et par deux jours de débat prévus les 20 et 21 septembre à l’Opéra Garnier et à l’Opéra Bastille avec des invités prestigieux qui débattront sur « Le Monde de demain ». Le succès qu’a rencontré en mars notre offre d’abonnement réservée aux 18-25 ans, soit 6 mois à l’édition numérique (70 ans d’archives comprises) au prix unique de 1 euro, me rend assez confiant sur notre capacité à renouveler notre audience. En s’abonnant au Monde – ils
ont été 7.000 à le faire –, ces jeunes ne s’abonnent pas à un journal mais à une multiplicité de produits digitaux caractérisés par la qualité et l’indépendance de l’information qu’ils publient.

EM@ : Depuis que la holding « Le Monde Libre » (LML) du trio Niel-Pigasse-Bergé
a racheté Le Monde en 2010, le groupe ne publie plus le détail de ses résultats financiers : pourquoi ? Maintenez-vous votre objectif de retour à l’équilibre en 2014 après la perte nette en 2013 de 5 millions d’euros pour le quotidien (2 millions pour le groupe) ?
L. D. :
Le Monde dépose chaque année ses comptes aux greffes [du tribunal de commerce de Paris, ndlr] et sont donc disponibles pour qui souhaite les consulter. Effectivement, le groupe a affiché une perte opérationnelle de 1,9 million d’euros l’an dernier, à ramener à un chiffre d’affaires de 350 millions d’euros. Cette perte s’explique
en grande partie par le déficit de l’imprimerie (2,5 millions d’euros). L’année 2014 doit être celle au cours de laquelle nous trouverons le moyen de juguler cette perte. Pour ce qui
est du déficit du seul journal, son analyse n’a aucun sens car il doit être auditionné aux bénéfices, importants, des deux réussites économiques que sont Lemonde.fr et M le magazine du Monde qui, l’un et l’autre, capitalisent sur la force du quotidien et sur la qualité de ses ressources.

EM@ : Vous avez indiqué en décembre qu’un peu plus de la moitié des 110 millions promis par les trois actionnaires a été consommée : qu’en est-il à ce jour et comment se répartissentils entre le papier et le numérique ? Que pèsent sur les coûts de l’imprimerie et le transfert vers l’imprimeur Riccobono (Newsprint en Seine-et-Marne) ?
L. D. :
Les actionnaires ont investi depuis le début sur trois chantiers: le financement de la clause de cession en 2010-2011 ; le remboursement des dettes bancaires et obligataires qui pesaient sur le journal ; la restructuration de l’imprimerie. Pour le reste, nous veillons à autofinancer le développement du numérique et la création de nouveaux produits éditoriaux.

EM@ : La diffusion payante du Monde papier seul est en chute de -8,1 % en 2013 (OJD). Mais grâce aux 34.374 versions numériques en moyenne/jour, le recul est ramené à -4,4 % (lire ci-dessous). Cette chute du print est-elle inéluctable ? Le journal tactile du soir prévu en avril ou mai vous permettra-t-il d’atteindre les 200.000 abonnés numériques d’ici 2 ou 3 ans ?
L. D. :
Je pense que nous garderons encore longtemps une activité papier importante. Elle correspond d’ailleurs à plus de 85 % de nos revenus. C’est d’ailleurs pourquoi nous continuons à investir dans cette offre, à l’améliorer, pour cultiver le contrat de confiance qui nous lie à nos lecteurs et mériter ce statut de journal de référence. Mais pour la suite,
il est vital de poursuivre la bascule de notre centre de gravité vers le numérique. Dans cette perspective, nos efforts pour construire de nouvelles offres éditoriales, pour mobile le matin et journal tactile le soir, peuvent être de nouveaux moteurs pour notre croissance. La rédaction est en train d’y travailler simultanément, aucune date de lancement n’étant pour l’instant arrêtée.

EM@ : Le Nouvel Observateur, que vos actionnaires rachètent, devrait lancer le
15 avril une édition quotidienne du soir payante pour tablettes : ne va-t-elle pas concurrencer celle du Monde ?
L. D. :
A ma connaissance, ni la date ni le contenu de cette offre en préparation à l’Obs
ne sont arrêtés. J’imagine que tout cela sera du ressort de la prochaine direction de la rédaction de l’Obs.

EM@ : Quel regard portez-vous sur l’état sinistré de la presse en France ? « Le Monde Libre » rachète Le Nouvel Obs déficitaire de 9,8 millions d’euros et se dit prêt à racheter Libération endetté et accusant une perte de plus de 1 million : y aurait-il menace pour le pluralisme ?
L. D. :
La violence de la tempête que traverse notre secteur conduira inévitablement à de nouvelles concentrations, à l’échelle nationale et européenne. Et LML a vocation a en être un des principaux acteurs. Ces concentrations seront réussies si elles permettent de refonder un modèle économique tout en préservant l’identité des contenus et la qualité
des contenus produits par les différentes rédactions. C’est ce pari que nous faisons, en prenant une participation majoritaire dans le groupe Nouvel Observateur.

EM@ : Que comptez-vous faire de Rue89 que Claude Perdriel n’a pas réussi à articuler avec Le Nouvel Obs (lire p 7). Il dit que vous vous occuperez de le rapprocher du Nouvel Obs ?
L. D. :
Rue89 a connu des débuts prometteurs et ses fondateurs ont fait à l’époque l’admiration de tous. Force est de constater que l’acquisition de Rue89 par l’Obs a dilué cette énergie et éteint cette dynamique. Il appartient aux dirigeants de Rue89 de proposer une vraie relance et un vrai modèle économique. Pierre Haski et Pascal Riché ont le talent et l’expérience nécessaires pour construire cette nouvelle dynamique. @

ZOOM

Le Monde limite la chute de sa diffusion payée grâce aux versions numériques
Le quotidien créé par Hubert Beuve-Méry, il y a 70 ans cette année (le n°1 étant daté du 19 décembre 1944), maintient en 2013 sa position de numéro deux (derrière Le Figaro)
en termes de diffusion payée en France, avec 275.310 exemplaires en moyenne par jour – selon l’OJD. Comme la plupart des quotidiens français, sa diffusion chute : – 8,1 % par rapport à l’année 2012. Mais grâce aux 34.374 versions numériques vendues en moyenne par jour (en progression de plus de 33 % sur un an), le recul global du « quotidien de référence » est de seulement – 4,4 %.
C’est que ces ventes numériques ont dépassé l’an dernier – et pour la première fois – le seuil des 10 % des ventes totales, à 12,49 % précisément, comme nous l’avions révélé (1). Mais il ne s’agit là que des versions numériques (c’est-à-dire de type PDF reproduisant le contenu du journal papier), seules comptabilisées par l’OJD dans la diffusion payante – contrairement aux autres éditions numériques, dont une du soir prévue en « avril ou mai », donnant accès à des informations disparates par rapport au journal lui-même. Ce qui permet au Monde de revendiquer en janvier (2) – versions numériques et éditions numériques confondues – plus de 126.500 abonnés digitaux, dont plus de 56.500 numériques uniquement. @

Jean-Paul Bazin, gérant de la Spedidam : « Il est temps qu’Internet rémunère les artistes interprètes »

La Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam) explique à Edition Multimédi@ pourquoi elle compte sur la loi « création » pour que la gestion collective – qui profite aux artistes interprètes
depuis près de 30 ans en France – devienne obligatoire sur Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Jean-Paul BazinEdition Multimédi@ : L’an dernier, le 11 septembre, la Spedidam a perdu contre des plates-formes de musique
en ligne (dont iTunes) devant la Cour de cassation jugeant
que l’autorisation donnée par les artistes interprètes pour l’exploitation de leurs enregistrements inclut leur mise en ligne. La future loi « création » vous donnera-t-elle raison en instaurant une « rémunération proportionnelle » ?

Jean-Paul Bazin : Mis à part quelques vedettes qui perçoivent
le plus souvent des sommes dérisoires (264 euros environ pour 1 million de streams),
les artistes qui sont à l’origine de l’existence des contenus d’Internet ne perçoivent actuellement aucune rémunération lorsque leurs enregistrements sont exploités en
ligne. Sur les 49,5 millions d’euros des perceptions de la Spedidam sur 2013, Internet représente zéro !
C’est le rôle du législateur de maintenir les grands équilibres et de protéger les plus faibles contre l’appétit et le manque de scrupules de certains. Nous espérons donc vivement que les artistes soient enfin entendus et que la future loi « création » mettra un terme à cette situation inéquitable. Et ce, en instaurant une gestion collective obligatoire des droits des artistes interprètes pour les services à la demande afin de nous permettre de percevoir
au bénéfice de ces derniers des rémunérations, notamment auprès des plateformes numériques de musique en ligne.

« Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et de ne pas criminaliser les internautes. »

EM@ : Les organisations de producteurs de musiques (Snep, UPFI, …) sont vent debout contre toute gestion collective à caractère obligatoire des droits sur Internet, ce que le rapport Phéline envisage si les négociations professionnelles n’aboutissent pas « dans un délai raisonnable » (« 8 mois, prolongeable de quelques mois »). Pourquoi n’y croyez-vous pas ?
J-P. B. : En 1985, des droits ont été reconnus aux artistes interprètes et aux producteurs (en grande partie grâce aux artistes). Depuis les producteurs, et surtout les multinationales du disque, n’ont eu de cesse de chercher à s’approprier les droits des artistes. Tout est bon pour cela, du chantage au travail en passant par un lobbying forcené auprès des pouvoirs publics.
Dans leur obsession de s’approprier les contenus, à défaut de posséder les tuyaux d’Internet et de ne surtout pas partager avec les artistes les fruits de la nouvelle économie, les organisations dont vous parlez ont pris depuis le début des années 2000 une série d’orientations stratégiques désastreuses. Celles-ci ont contribué à accentuer la crise due à la mutation de notre secteur, notamment en tuant dans l’oeuf le développement des plates-formes de vente en ligne, concourant ainsi au développement des échanges hors marché – c’est-à-dire des échanges sur Internet qui ne sont pas soumis à une transaction financière. Vous remarquerez que nous n’employons jamais le terme de
« piratage » qui est caricatural, excessif et populiste, de plus inventé par les multinationales du disque pour stigmatiser les internautes, c’est-à-dire le public des artistes. Et ce, afin de s’approprier le contrôle des échanges sur Internet.
Aujourd’hui, les trois majors – Universal Music, Sony Music et Warner Music – possèdent à elles seules près de 85 % du catalogue mondial de la musique. Leur seul objectif est
de posséder 100 % de ce catalogue et de ne surtout pas partager les fruits de son exploitation avec les artistes. Ce à quoi nous croyons, c’est la nécessité urgente de l’intervention législative, pour ne pas laisser des choix aussi essentiels pour notre culture et notre société à quelques industriels.

EM@ : Le Parlement européen a adopté le 4 février 2014 la nouvelle directive Gestion collective qui prévoit des règles qui faciliteront la concession de licences multi-territoriales pour les acteurs du numérique et l’agrégation des répertoires
de plusieurs sociétés de gestion. Qu’est-ce que cela va changer pour la Spedidam ? Estelle concernée par cette directive ?
J-P. B. :
Cette directive dans la partie que vous évoquez touche surtout le droit d’auteur. Pour la Spedidam, cela ne va pas changer grand-chose. En effet, le droit d’auteur qui a vu le jour en 1789 concerne les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique. Quant aux droits voisins du droit d’auteur, que gère notamment la Spedidam, ils sont reconnus par la loi du 3 juillet 1985 et concernent les interprètes et les producteurs (musique et audiovisuel).

EM@ : Pourquoi la Spedidam propose pour la musique en ligne un guichet unique pour les artistes interprètes (rémunération) et les internautes (répertoires) : en quoi consisterait-il et qui pourrait en assurer la gestion ?
J-P. B. :
Le système du guichet unique, c’est-à-dire de la gestion collective – en l’espèce la gestion collective obligatoire –, a prouvé son efficacité depuis 1985. Il a permis, par exemple en matière de droit à rémunération pour copie privée et pour la rémunération équitable, de générer des rémunérations pour les artistes interprètes et de faciliter la tâche des utilisateurs de musique ou sans criminaliser le public pour la copie privée. La redevance pour copie privée permet à tous de copier en toute légalité et aux créateurs
de percevoir une juste rémunération, tout en assurant le financement de la création.
Le système que nous proposons pour la musique en ligne aurait les mêmes vertus ;
il pourrait être géré par une société commune aux artistes et aux producteurs de disques, comme c’est le cas pour la rémunération dite équitable avec la SPRE (Société pour la perception de la rémunération équitable). Cette dernière la collecte auprès des radios,
des télévisions, des discothèques ou des bars et restaurants à ambiance musicale (sommes prélevées proportionnellement à leur chiffre d’affaires), ainsi qu’auprès des
lieux dits sonorisés (principalement au forfait) soumis à ce régime de la licence légale.

EM@ : Par ailleurs, la Commission européenne a achevé le 5 mars sa consultation sur la directive Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI). Que lui avez-vous répondu ?
J-P. B. :
La nouvelle directive ne va pas changer les choses pour la Spedidam. Elle introduit des obligations à la charge des sociétés de gestion collective qui, pour l’essentiel, existent déjà en application de la loi française.

EM@ : Au Midem, la Spedidam a présenté son livre blanc dans lequel la licence globale brille par son absence parmi les huit propositions : pourquoi avez-vous fait l’impasse sur ce qui est de longue date le cheval de bataille de la Spedidam ? Est-ce qu’évoquer la licence globale est devenu tabou chez vous et dans notre pays ? Peut-elle devenir un sujet européen ?
J-P. B. :
Le choix de ne pas inclure dans nos huit propositions la licence globale, dont nous sommes les concepteurs et initiateurs, est une décision mûrement réfléchie. Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et
de ne pas, encore une fois, criminaliser les internautes. Nous avons choisi de ne pas
la mettre dans notre livre blanc car elle risquait d’occulter nos autres propositions, alors qu’elle a aujourd’hui peu de chance d’aboutir.
Notre analyse était juste puisque tout le monde nous interroge essentiellement sur cette proposition, alors même qu’elle ne figure pas dans nos huit propositions. @

Michel Barnier, commissaire européen : « Le droit d’auteur doit s’adapter à Internet »

L’année 2014 sera décisive pour la Commission européenne en matière d’adaptation du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle à l’ère du numérique. Michel Barnier, commissaire en charge du Marché intérieur et des Services, fait le point sur les réformes législatives en cours.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Michel BarnierEdition Multimédi@ : Le Parlement européen a adopté, en séance plénière le 4 février 2014, la nouvelle directive Gestion collective. En quoi va-telle améliorer l’offre de la musique en ligne en Europe ?
Michel Barnier :
Les ventes de musique en ligne en Europe sont passées de 200 millions d’euros en 2004 à 1,2 milliard en 2012.
Ce secteur évolue donc très vite. Notre cadre juridique doit aussi s’adapter pour vivre avec son temps, celui du marché intérieur et d’Internet. Un domaine où il était nécessaire d’agir est la gestion collective que nous avons voulue simplifier et rendre plus transparente.
Il existe plus de 100 sociétés de gestion collective en Europe qui jouent un rôle primordial. Certaines d’entre elles ont eu du mal à s’adapter aux contraintes de la gestion de droits pour l’exploitation en ligne ou transfrontières. La directive européenne prévoit des règles qui faciliteront la concession de licences multi-territoriales et l’agrégation des répertoires de plusieurs sociétés de gestion.
Cela veut dire concrètement que les prestataires de services sur Internet pourront obtenir plus facilement les licences nécessaires à la diffusion de musique en ligne provenant de toute l’Union européenne, et même d’au-delà. Les consommateurs, eux, auront accès à un répertoire plus grand. Ils connaissent aujourd’hui souvent Deezer ou Spotify, mais d’autres entreprises, des PME par exemple, bénéficieront aussi de ces règles pour développer leur offre ou de nouveaux services numériques.

EM@ : La directive Droit d’auteur dans la société de l’information (DADVSI) fait l’objet, jusqu’au 5 mars, d’une consultation publique. Que doit-on en attendre ?
M. B. : Les nouvelles technologies numériques et le marché intérieur ouvrent de grandes perspectives aux créateurs comme aux consommateurs et aux entreprises. Notre cadre juridique doit évoluer pour accompagner ce mouvement

Pour info, la Commission européenne a publié ici sur son site web cette interview exclusive.

Pour mémoire, Michel Barnier avait accordé une interview exclusive à Edition Multimédi@, parue dans le n°37 daté du 13 juin 2011 : la Commission européenne l’a aussi publiée ici.

Mais je vois aussi que le droit d’auteur sert trop souvent de bouc émissaire – dans beaucoup de cas, il n’est pas cet « obstacle majeur » souvent décrié. Mais dès lors qu’il existe des obstacles au marché intérieur, au dynamisme du secteur créatif et à la diffusion des œuvres, nous devons les lever. Notre action en faveur de l’accès aux œuvres orphelines, aux œuvres épuisées et pour la gestion collective des droits d’auteurs en témoigne.
Nous avons pour cela lancé en 2013 le dialogue « Des Licences pour l’Europe » qui a
été un succès dans la mesure où il a permis certaines avancées concrètes. Je pense,
par exemple, aux « micro-licences » qui permettront aux petites entreprises ou aux particuliers d’utiliser de la musique en fond de leur sites Internet, aux avancées en matière de data mining ou en ce qui concerne la dimension trans-frontalière des films en ligne, ou bien encore sur la numérisation du patrimoine cinématographique (1). Par ailleurs, nous continuons à mener un examen approfondi de l’acquis législatif en matière de droit d’auteur. La directive DADVSI n’est pas la seule concernée par ce chantier (2). L’objectif de l’ensemble de ces travaux et de ces analyses est de parvenir dans les mois à venir à une prise de décision sur l’opportunité de soumettre ou non des propositions d’adaptation du cadre législatif du droit d’auteur. C’est un domaine sensible (3).

EM@ : La directive Respect des droits de propriété intellectuelle (IPRED) de 2004 a dix ans et va être révisée. Quelle sera l’implication des intermédiaires du Net contre le piratage ?
M. B. :
L’exploitation illicite des œuvres de nos créateurs n’est pas acceptable car il prive les artistes créateurs d’une rémunération juste pour leur travail et investissements, et sape ainsi les bases-mêmes de la création. De plus, il rend plus difficile l’émergence de nouveaux services innovateurs et légaux. Depuis cinq ans, je mets tout en oeuvre pour répondre à ces enjeux. La directive IPRED permet déjà d’impliquer certains acteurs du Net pour mettre fin à des situations de piratage, par le biais d’injonctions ordonnées par un juge à un hébergeur ou un fournisseur d’accès à Internet par exemple. Mais il faut clarifier le cadre réglementaire et le compléter par des coopérations entre les différents acteurs d’Internet. Nous examinons actuellement comment renforcer la légitimité et l’efficacité de telles actions. Il faut d’abord s’assurer qu’elles visent réellement des pratiques ou des contenus illégaux exploités à échelle commerciale, et que les droits fondamentaux sont bien sauvegardés. En même temps, nous savons que ces actions doivent aussi impliquer des intermédiaires tels que des fournisseurs de services de publicité ou de paiement, pour tarir à la source les revenus tirés de l’exploitation illégale des droits des autres, afin d’être réellement efficaces. @

Yves Riesel, président de Qobuz Music Group : « Le clivage streaming versus téléchargement est déjà caduc ! »

Le cofondateur et président du directoire de Qobuz Music Group (ex-Lyra Media Group), qui comprend la plate-forme de musique en ligne Qobuz.com et la maison de disques Abeille Musique, estime qu’il est temps de passer à la qualité Hi-Fi sur Internet. Et il ne cesse de pester contre la gratuité musicale.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Yves RieselEdition Multimédi@ : La holding Lyra Media Group est devenue au 1er février Qobuz Music Group, du nom de votre plate-forme de musique en ligne Qobuz créée il y a cinq ans. Est-ce parce que les ventes numériques de musiques deviennent majeures dans vos activités ?
Yves Riesel :
Lyra regroupe la maison de disques Abeille Musique créée en 1997 et Qobuz créée en 2007. Les deux sociétés font du numérique, lequel génère 60 % du chiffre d’affaires de l’ensemble. Mais Abeille Musique, qui est toujours engagée dans la vente de CD, la production et la distribution, fait essentiellement de la vente aux professionnels (B2B). Tandis que Qobuz fait de la vente aux particuliers (B2C). Ce changement de dénomination ne concerne
pas le clivage physique/numérique. Il vise à donner de la force à la marque Qobuz qui maintenant s’ouvre à l’international et à montrer la totale cohérence du métier de distribution de musique des deux sociétés, que ce soit en B2B ou en B2C. Abeille Musique est maintenant devenue une société de distribution de musique numérique,
avec un catalogue important, elle est positionnée en tant que fournisseur de services
de distribution de haute qualité auprès des labels et des artistes – rien à voir avec tant d’agrégateurs dont le soin apporté aux produits est minime. Qobuz et Abeille, qui partagent le même souci de qualité (son, documentation, métadonnées) font un travail cohérent, qui sera réuni sous la même marque en particulier à l’international. Quant à notre filiale Virgule, elle a une activité de publishing [gestion des droits des compositeurs et des chanteurs, ndlr].

« Le sujet du partage de la valeur sur lequel on a
fait plancher Monsieur Phéline est le type même de la mauvaise question à un problème qui ne se posait pas.
Les producteurs de musique aujourd’hui sont souvent affaiblis, et on les met encore une fois en accusation au
lieu de se dépêcher de les soutenir. »

EM@ : Qobuz se différencie avec une “vraie qualité CD” (17 millions de titres)
ou bien un son “studio masters 24 bits” (6.000 albums), alors que les internautes
se contentent encore du MP3, comment constatez-vous un attrait ou un
« basculement » vers le son Hi-Fi en ligne ?
Y. R. :
La bande passante n’est plus une excuse suffisante pour justifier la persistance
du MP3 que rien ne justifie, sauf l’effrayant désintérêt de tant de services de musique en ligne pour la qualité sonore qu’ils délivrent. Véritable plaie de la musique depuis 15 ans,
la compression du son, n’a plus de raison d’être ! D’autant qu’il y a bien sûr un attrait pour une meilleure qualité de musique, ce que prouve le succès immédiat qui suit notre ouverture dans d’autres pays. Le son « Studio master 24 bits », qui est notre produit très haut-de-gamme, transporte jusqu’à six fois plus d’informations musicales que la « Qualité CD 16 bits/44,1 Khz » ! Mais il n’y a pas que le son qui fasse la différence de Qobuz. Il y
a aussi la documentation, nos savoir-faire devenus rares de nos jours, l’expertise de nos catalogues, ainsi que notre manière de faire. Sur Qobuz, tout est beaucoup mieux rangé que chez les autres et nos utilisateurs s’y retrouvent plus facilement. Et la façon dont nous animons notre service en ligne est également extrêmement ouverte à tous les genres musicaux. Nous haïssons le mainstream systématique. Nous sommes les spécialistes de toutes les spécialités !

EM@ : Qobuz était présent au dernier Midem : dans quels autres pays comptez-vous déployer Qobuz, après l’Europe ? Quels fabricants ont déjà adopté l’API Qobuz ?
Y. R. :
Europe du Sud, Amérique du Nord et nous réfléchissons aussi à l’Orient mystérieux. Nos quatre offres d’abonnement streaming sont disponibles dans huit nouveaux pays européens : Allemagne, Autriche, Belgique, Irlande, Luxembourg,
Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse. Quant au service de téléchargement, localisé et
« éditorialisé », il arrivera dans ces pays début avril 2014. Il serait trop long de citer toutes les marques qui intègrent désormais Qobuz dans leurs appareils. Citons toutefois Sonos, Harman Kardon, Blue Sound, Loewe, NAD et des constructeurs japonais. Contrairement à ce que l’on a dit, la 4G, la qualité Hi-Fi de Qobuz non seulement est techniquement possible en mobilité, mais surtout s’entend. Il faut dire que Qobuz est le seul service au monde à proposer des applis qui « passent » cette qualité – sur iPhone, Android, W8…

EM@ : Prévoyez-vous et quand un accord avec un opérateur mobile 4G ?
Y. R. :
L’idéal serait vraiment que Orange nous propose aujourd’hui le même deal qu’à Deezer en 2010. Vous verriez : on ferait beaucoup mieux qu’eux !

EM@ : Que pensez-vous du lancement en décembre par Spotify du service de streaming gratuit financé par la pub, à l’instar de YouTube ou Dailymotion ?
Vous aviez déjà protesté en 2010 contre le deal exclusif Deezer/Orange…
Y. R. :
J’avais protesté, et j’avais eu raison. Tout le monde voit bien pourquoi aujourd’hui : parce que ce deal créait une grave distorsion de concurrence avec les autres services français, lesquels ont été plaqués au sol pendant trois ans…
Mais les services dont vous parlez ne font pas le même métier que nous, et nous ne souhaitons pas faire le même métier qu’eux. Ou alors comparez McDonalds et Troisgros ! Ne sont comparables ni la manière, ni la taille, ni les buts, rien. Ces services font du gratuit pour engranger des millions de noms et ensuite tenter un jour de faire un peu payer leurs utilisateurs. Cela suppose une mobilisation de capital importante, qui ne va pas à la musique et qui d’ailleurs ne va pas même vraiment au marketing de la musique. Il va à la bulle Internet… Nous, nous exerçons un vrai métier ; nous créons des produits musicaux innovants ; nous avons une feuille de route avec des dizaines de projets originaux qui amélioreront puissamment la vie et la joie des amateurs de musique. Nous visons un public pour qui la musique n’est pas du domaine des « utilities » mais de la passion, et qui acceptent de payer pour leur passion. Là où il y a du désir, les gens acceptent de payer. Le consentement à payer n’a d’ailleurs pas forcément à voir avec les moyens financiers des clients.

EM@ : Quel regard portez-vous sur le marché de la musique en ligne avec le streaming qui prend le pas sur le téléchargement ?
Yves Riesel : Je pense que le clivage téléchargement à l’acte/ streaming est désormais caduc. On possèdera des droits sur de la musique dans le nuage, et ces droits seront peuvent être définitifs, ou temporaires, voire limités par le répertoire, segmentés par la qualité, par l’animation du service, etc.
Chez Qobuz, je préfère dire que nous faisons du téléchargement définitif ET du streaming incluant du téléchargement temporaire – le tout étant accessible depuis le Cloud. Voilà quels devraient être les mots exacts pour désigner ce que l’on a trop longtemps appelé téléchargement à l’acte et streaming.

EM@ : Qu’attendez-vous de la loi Création, qui sera présentée au printemps,
en termes de partage de la valeur proposé par le rapport Phéline, notamment par une gestion collective du numérique ?
Y. R. :
Je ne voudrais pas être désagréable avec quiconque, ce n’est pas mon genre, vous le savez bien ! Mais je n’en attends strictement rien. Le sujet du partage de la valeur sur lequel on a fait plancher Monsieur Phéline est le type même de la mauvaise question à un problème qui ne se posait pas.
Les producteurs de musique aujourd’hui sont souvent affaiblis, et on les met encore une fois en accusation au lieu de se dépêcher de les soutenir.
Pour partager quoi que ce soit, il faut d’abord qu’il y ait quelque chose à partager. Et c’est ce que nous devons imaginer, nous les services de musique en ligne : permettre aux labels, c’est-à-dire aux artistes, de s’en sortir avec le streaming nécessite de déchaîner un peu plus d’imagination marketing et d’amour pour les musiques. @

Eric Walter, Hadopi : « Je ne crois pas à une régulation d’Internet, à la fois illusoire, inutile et dangereuse »

C’est la première interview que le secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) accorde depuis la rentrée. Il espère que le CSA saura tirer parti de trois ans d’expérience de l’institution et que le gouvernement donnera suite à plusieurs de ses propositions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

EW-HEdition Multimédi@ : Alors qu’Aurélie Filippetti présentera
sa « grande loi sur la création » lors d’un Conseil des ministres en février 2014, craignez-vous le transfert de l’Hadopi vers le CSA ? La régulation de l’audiovisuel est-elle compatible avec une régulation du Net si tant est qu’elle soit souhaitable ?
La séparation du collège et de l’instruction suffira-t-elle ?
Eric Walter :
L’existence d’une institution n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service de missions décidées par le législateur.
Ce qui importe, et Marie-Françoise Marais comme Mireille Imbert-Quaretta l’ont toujours exprimé très clairement, c’est l’acquis de l’expérience et les missions dont est investie à ce jour l’Hadopi.
Au delà des controverses, leur objectif est clair : préserver et renforcer la diversité et
la dynamique de tout ce qui contribue aujourd’hui au financement de la création, dans
le nouveau contexte que crée Internet. Personne ne peut vouloir prendre le risque d’assécher ces moyens grâce auxquels notre pays dispose d’une formidable variété
de création.

« Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie »
L’Hadopi ne « régule » pas Internet et je ne crois d’ailleurs pas à une régulation d’Internet.
Je pense que c’est à la fois illusoire, inutile et dangereux. Internet, au sens réseau, et non contenu, a ceci de très particulier qu’il est « régulé » par les protocoles qu’il utilise pour son fonctionnement.
L’action publique doit s’orienter, d’une part, vers les acteurs qui utilisent Internet pour leurs activités et, d’autre part, vers les utilisateurs. S’adresser aux utilisateurs, c’est très exactement ce que nous faisons. Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie,
de l’explication, de l’information.
Aujourd’hui le monde s’oriente vers un peuple connecté. C’est une passionnante évolution que nous vivons. A son tout petit niveau, l’Hadopi contribue à l’accompagner. La régulation de l’offre de contenus en ligne, c’est-à-dire la régulation des entreprises qui offrent les contenus, et non pas de l’Internet, ne relève pas aujourd’hui de la compétence de l’Hadopi.

En revanche, nous avons déjà travaillé sur la question, notamment au travers des travaux conduits par Jacques Toubon sur les exceptions au droit d’auteur et la conférence qu’il a organisée sur ce sujet. Il existe déjà des formes de régulation (concurrence, etc.), mais on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’elles ne soient pas complètement adaptées au contexte Internet et à la rapidité avec laquelle il évolue. C’est une réflexion ouverte. Dans un tel contexte, pourquoi ne pas imaginer un élargissement des compétences du CSA grâce à celles de l’Hadopi ? Une même institution peut tout à fait exercer des métiers différents, cela relève du choix de l’autorité publique. A mon sens, les enjeux ne sont pas là ; ils sont sur la prise en compte de nos années d’expérience, qui appartiennent à la collectivité rappelons-le, pour qu’un tel élargissement intègre les évolutions nécessaires, préserve l’agilité et la réactivité très particulière dont nous avons dû faire preuve, et l’indépendance dans laquelle nous avons pu agir. Il y a en effet, sur ce dernier point, une question à regarder de près qui a été soulevée par les présidentes lors de leur audition
au Sénat (1). Je sais que le gouvernement y est vigilant.

EM@ : L’Hadopi existe depuis près de quatre ans maintenant et la réponse graduée fonctionne plus que jamais depuis un peu plus de trois ans, comme l’illustrent les 138.000 e-mails d’avertissement envoyés en octobre dernier : un record mensuel historique. S’agit-il d’un pic ou la cadence augmentera-t-elle face aux craintes de recrudescence du piratage ?
E. W. :
Ni l’un ni l’autre. La Commission de protection des droits (CPD) est souveraine dans ses choix volumétriques mais nous sommes simplement là face à un système qui, jusqu’alors, montait en puissance et, désormais, arrive à maturité. Il a fallu beaucoup de temps pour ajuster les multiples paramètres techniques et analytiques qui déterminent le choix d’envoi d’un avertissement, ou non. C’est une mécanique informatique complexe. Aujourd’hui le dispositif est rôdé.

EM@ : Le rapport d’activité 2013 – a priori le dernier de l’Hadopi – faisait état de plusieurs propositions, comme adapter la labellisation des offres légales, permettre aux auteurs de saisir directement l’Hadopi, étendre les cas de saisine aux particuliers et aux associations, doter l’Hadopi d’un pouvoir de mise en demeure
et d’injonction : quelles sont les plus importantes et avezvous été entendus ?
E. W. :
Nous reparlerons a posteriori de votre a priori… Pour l’instant, nous sommes écoutés avec attention. L’avenir dira si nous avons été entendus. Parmi les 15 propositions très concrètes énumérées dans le rapport, il me semble que les plus importantes sont celles aujourd’hui qui relèvent, de près ou de loin, de l’amélioration de l’offre légale. Je reste convaincu que l’encouragement à l’offre légale, tel que nous sommes en train de le réviser, constitue un outil utile pour valoriser les sites et services qui « jouent le jeu » face à la concurrence massive de ceux qui proposent des contenus illicites. Mais il doit être simplifié et adapté pour mieux correspondre à la réalité : on n’a pas forcément besoin d’un décret en Conseil d’Etat pour apposer un logo sur un site Internet ! Nous avons présenté cette semaine un certain nombre d’initiatives en ce sens, tels qu’un nouveau site web – offrelégale.fr – de recensement de plus de 300 offres culturelles en ligne encore non répertoriées [qui se rajoutent aux plateformes légales labellisées « Offre légale Hadopi », en remplacement du « label Pur », ndlr], des ateliers à destination des entrepreneurs ou encore de la communauté éducative et du jeune public. Au delà, il faut changer la loi. C’est le sens de nos propositions et je leur attache une très grande importance. D’un autre côté, il faut améliorer l’expérience utilisateur de ceux qui font le choix du légal. C’est un des enjeux majeurs de la régulation des mesures techniques de protection dont est chargée l’institution. Sur cette question très complexe techniquement, et donc difficile d’approche pour l’utilisateur, les propositions d’extension des possibilités de saisine de l’institution par les particuliers comme les associations ayant intérêt à agir (typiquement de consommateurs) et d’extension des pouvoirs d’action de l’institution en matière de régulation me semblent essentielles.

EM@ : Vous avez personnellement fait avancer la proposition d’une légalisation
des échanges non marchands contre rémunération proportionnelle par les intermédiaires, une sorte de licence globale que le rapport Lescure n’exclut pas mais sur laquelle il reste très réservé. Avez-vous espoir que la prochaine loi sur
la création pourrait introduire une tette disposition ? Pour quelle contribution mensuelle ?
E. W. :
Il faut être clair sur ce travail autour d’une rémunération proportionnelle du partage pour les ayants droit. Tout d’abord, les échanges visés sont marchands, dès lors qu’ils génèrent un gain pour les intermédiaires visés. Par ailleurs, il ne s’agit en rien d’une licence globale et, par voie de conséquence, elle n’emporte aucune sorte de contribution mensuelle. Le principe général, qui vient d’être détaillé dans une note de cadrage publiée en novembre (2), est de faire peser sur les intermédiaires qui tirent profit du partage entre individus une rémunération à due proportion des gains générés. C’est un système complexe pour tenter de répondre à une réalité complexe et évolutive. A ce stade, nous analysons sa faisabilité et les conséquences qu’il pourrait entraîner.
Il est donc, à mon sens, tout à fait exclu qu’une telle disposition puisse s’inscrire dans la prochaine loi sur la création, notamment eu égard au calendrier annoncé. Nous aurons
en effet terminé la première phase de nos travaux en juin 2014 et, quels que soient leurs résultats, il y a fort à parier que des travaux complémentaires seront nécessaires, ne serait-ce que pour confirmer ou infirmer nos propres conclusions (3). Nous ne raisonnons pas en termes de temps législatif à ce stade.

EM@ : Que vous inspire la décision du TGI de Paris le 28/11 autorisant blocage ou déréférencement de sites de streaming de type « Allostreaming » (lire ci-dessous) ? Elle fait écho à la décision de la CJUE (avocat général) du 26/11 dans affaire UPC/Kino.to et celle du tribunal anglais dans l’affaire SolarMovie/TubePlus. L’Hadopi est-elle dépassée par le juge ? E. W. : Classiquement il n’appartient pas à
une autorité publique de commenter une décision de justice, mais ce que l’on peut dire c’est qu’il s’agit là d’une décision pour l’avenir. Elle est bien plus importante pour la jurisprudence qu’elle crée que pour la fermeture de sites de streaming – dont il n’a échappé à personne qu’ils avaient déjà majoritairement fermés. J’ai lu, de ce point de vue, quelques analyses court-termistes amusantes qui occultent à tort ce qui me semble une évidence.
Pour aller plus loin, il nous semble intéressant d’observer les conséquences de la décision sur la circulation des contenus illicites et l’évolution du téléchargement illicite
en général (4). Nous étudions en ce moment la possibilité de mettre en place un tel protocole. Il n’est pas certain que nous puissions le faire compte tenu de la forte contrainte budgétaire actuelle, qui limite nos capacités d’action. En revanche, c’est une fausse idée d’imaginer que l’Hadopi puisse être « dépassée par le juge ». L’Hadopi intervient avant le juge pour ce qui la concerne – la protection des droits sur les réseaux P2P – et en complément des autres moyens de justice dont, heureusement, disposent les ayants droits. Nous ne sommes qu’un outil parmi tous ceux qui existent et c’est parfaitement logique.
Il n’a jamais été question de faire de l’Hadopi « l’alpha et l’oméga » de la lutte contre le téléchargement illicite. Mais la question fondamentale sous-jacente est celle de l’efficience des moyens déployés au regard des objectifs poursuivis. D’où les deux pistes que nous explorons de concert : la lutte contre la contrefaçon commerciale, suite logique du rapport « streaming » remis par Mireille Imbert Quaretta (5) à Marie-Françoise Marais, et la rémunération proportionnelle du partage.
L’avenir dira ce qu’il en est. Je formule le souhait que ces travaux soient menés jusqu’à leur terme, car ils représentent un investissement considérable et sont, à mon sens, des perspectives d’avenir très concrètes. @