Jean-Paul Bazin, gérant de la Spedidam : « Il est temps qu’Internet rémunère les artistes interprètes »

La Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (Spedidam) explique à Edition Multimédi@ pourquoi elle compte sur la loi « création » pour que la gestion collective – qui profite aux artistes interprètes
depuis près de 30 ans en France – devienne obligatoire sur Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Jean-Paul BazinEdition Multimédi@ : L’an dernier, le 11 septembre, la Spedidam a perdu contre des plates-formes de musique
en ligne (dont iTunes) devant la Cour de cassation jugeant
que l’autorisation donnée par les artistes interprètes pour l’exploitation de leurs enregistrements inclut leur mise en ligne. La future loi « création » vous donnera-t-elle raison en instaurant une « rémunération proportionnelle » ?

Jean-Paul Bazin : Mis à part quelques vedettes qui perçoivent
le plus souvent des sommes dérisoires (264 euros environ pour 1 million de streams),
les artistes qui sont à l’origine de l’existence des contenus d’Internet ne perçoivent actuellement aucune rémunération lorsque leurs enregistrements sont exploités en
ligne. Sur les 49,5 millions d’euros des perceptions de la Spedidam sur 2013, Internet représente zéro !
C’est le rôle du législateur de maintenir les grands équilibres et de protéger les plus faibles contre l’appétit et le manque de scrupules de certains. Nous espérons donc vivement que les artistes soient enfin entendus et que la future loi « création » mettra un terme à cette situation inéquitable. Et ce, en instaurant une gestion collective obligatoire des droits des artistes interprètes pour les services à la demande afin de nous permettre de percevoir
au bénéfice de ces derniers des rémunérations, notamment auprès des plateformes numériques de musique en ligne.

« Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et de ne pas criminaliser les internautes. »

EM@ : Les organisations de producteurs de musiques (Snep, UPFI, …) sont vent debout contre toute gestion collective à caractère obligatoire des droits sur Internet, ce que le rapport Phéline envisage si les négociations professionnelles n’aboutissent pas « dans un délai raisonnable » (« 8 mois, prolongeable de quelques mois »). Pourquoi n’y croyez-vous pas ?
J-P. B. : En 1985, des droits ont été reconnus aux artistes interprètes et aux producteurs (en grande partie grâce aux artistes). Depuis les producteurs, et surtout les multinationales du disque, n’ont eu de cesse de chercher à s’approprier les droits des artistes. Tout est bon pour cela, du chantage au travail en passant par un lobbying forcené auprès des pouvoirs publics.
Dans leur obsession de s’approprier les contenus, à défaut de posséder les tuyaux d’Internet et de ne surtout pas partager avec les artistes les fruits de la nouvelle économie, les organisations dont vous parlez ont pris depuis le début des années 2000 une série d’orientations stratégiques désastreuses. Celles-ci ont contribué à accentuer la crise due à la mutation de notre secteur, notamment en tuant dans l’oeuf le développement des plates-formes de vente en ligne, concourant ainsi au développement des échanges hors marché – c’est-à-dire des échanges sur Internet qui ne sont pas soumis à une transaction financière. Vous remarquerez que nous n’employons jamais le terme de
« piratage » qui est caricatural, excessif et populiste, de plus inventé par les multinationales du disque pour stigmatiser les internautes, c’est-à-dire le public des artistes. Et ce, afin de s’approprier le contrôle des échanges sur Internet.
Aujourd’hui, les trois majors – Universal Music, Sony Music et Warner Music – possèdent à elles seules près de 85 % du catalogue mondial de la musique. Leur seul objectif est
de posséder 100 % de ce catalogue et de ne surtout pas partager les fruits de son exploitation avec les artistes. Ce à quoi nous croyons, c’est la nécessité urgente de l’intervention législative, pour ne pas laisser des choix aussi essentiels pour notre culture et notre société à quelques industriels.

EM@ : Le Parlement européen a adopté le 4 février 2014 la nouvelle directive Gestion collective qui prévoit des règles qui faciliteront la concession de licences multi-territoriales pour les acteurs du numérique et l’agrégation des répertoires
de plusieurs sociétés de gestion. Qu’est-ce que cela va changer pour la Spedidam ? Estelle concernée par cette directive ?
J-P. B. :
Cette directive dans la partie que vous évoquez touche surtout le droit d’auteur. Pour la Spedidam, cela ne va pas changer grand-chose. En effet, le droit d’auteur qui a vu le jour en 1789 concerne les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique. Quant aux droits voisins du droit d’auteur, que gère notamment la Spedidam, ils sont reconnus par la loi du 3 juillet 1985 et concernent les interprètes et les producteurs (musique et audiovisuel).

EM@ : Pourquoi la Spedidam propose pour la musique en ligne un guichet unique pour les artistes interprètes (rémunération) et les internautes (répertoires) : en quoi consisterait-il et qui pourrait en assurer la gestion ?
J-P. B. :
Le système du guichet unique, c’est-à-dire de la gestion collective – en l’espèce la gestion collective obligatoire –, a prouvé son efficacité depuis 1985. Il a permis, par exemple en matière de droit à rémunération pour copie privée et pour la rémunération équitable, de générer des rémunérations pour les artistes interprètes et de faciliter la tâche des utilisateurs de musique ou sans criminaliser le public pour la copie privée. La redevance pour copie privée permet à tous de copier en toute légalité et aux créateurs
de percevoir une juste rémunération, tout en assurant le financement de la création.
Le système que nous proposons pour la musique en ligne aurait les mêmes vertus ;
il pourrait être géré par une société commune aux artistes et aux producteurs de disques, comme c’est le cas pour la rémunération dite équitable avec la SPRE (Société pour la perception de la rémunération équitable). Cette dernière la collecte auprès des radios,
des télévisions, des discothèques ou des bars et restaurants à ambiance musicale (sommes prélevées proportionnellement à leur chiffre d’affaires), ainsi qu’auprès des
lieux dits sonorisés (principalement au forfait) soumis à ce régime de la licence légale.

EM@ : Par ailleurs, la Commission européenne a achevé le 5 mars sa consultation sur la directive Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI). Que lui avez-vous répondu ?
J-P. B. :
La nouvelle directive ne va pas changer les choses pour la Spedidam. Elle introduit des obligations à la charge des sociétés de gestion collective qui, pour l’essentiel, existent déjà en application de la loi française.

EM@ : Au Midem, la Spedidam a présenté son livre blanc dans lequel la licence globale brille par son absence parmi les huit propositions : pourquoi avez-vous fait l’impasse sur ce qui est de longue date le cheval de bataille de la Spedidam ? Est-ce qu’évoquer la licence globale est devenu tabou chez vous et dans notre pays ? Peut-elle devenir un sujet européen ?
J-P. B. :
Le choix de ne pas inclure dans nos huit propositions la licence globale, dont nous sommes les concepteurs et initiateurs, est une décision mûrement réfléchie. Nous sommes toujours persuadés que la licence globale est la seule proposition qui permette aux créateurs de percevoir une juste rémunération sur les échanges hors marché, et
de ne pas, encore une fois, criminaliser les internautes. Nous avons choisi de ne pas
la mettre dans notre livre blanc car elle risquait d’occulter nos autres propositions, alors qu’elle a aujourd’hui peu de chance d’aboutir.
Notre analyse était juste puisque tout le monde nous interroge essentiellement sur cette proposition, alors même qu’elle ne figure pas dans nos huit propositions. @