Giuseppe de Martino, Asic : « Les services de vidéos en ligne ne sont pas concernés par le conventionnement »

Le président de l’Association des services Internet communautaires (Asic), dont sont membres Google/YouTube, Facebook, Dailymotion, Yahoo, AOL, Spotify ou encore Deezer, tient à mettre les points sur les “i” pour dire que la régulation de l’audiovisuel n’est pas transposable à Internet.

Propos recueillis par Charles de Laubier

GdeMEdition Multimédi@ : La consultation Communication audiovisuelle et services culturels numériques de la DGMIC s’est achevée le 30 octobre. Sans attendre les résultats, la loi sur l’audiovisuel public qui va être promulguée prévoit aux articles 24 et 25 que tous les services de vidéo en ligne sur Internet (SMAd) devront être déclarés auprès du CSA : est-ce justifié et craignez-vous le conventionnement de ces services assorti d’obligations ?
Giuseppe de Martino :
Vous ne pouvez pas dire cela ! Les services de vidéo en ligne ne sont pas en soi des services de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Des plates-formes comme YouTube et Dailymotion sont expressément exclues de la définition des SMAd, et ceci tant par la directive européenne « Services de médias audiovisuels » (1) et notamment son attendu n°16 que par la loi française elle-même. Relisez le texte !
Donc nous ne craignons rien, si ce n’est – pour les SMAd que nous ne représentons
pas – un formalisme inutile et freinant leur développement balbutiant.
On souhaiterait annihiler l’écosystème français et sa capacité à se développer que l’on
ne s’y prendrait pas autrement. Qui se souvient que la culture française est l’un de nos premiers secteurs d’exportation? En empêchant des acteurs français de se développer
et de pouvoir se battre à armes égales en Europe, on va tout simplement insérer des clous supplémentaires dans leur cercueil.

EM@ : Quels types de sites vidéo (YouTube, Dailymotion, Viadeo, presse en ligne, blogs, webradios, …) seraient concernés par le conventionnement des SMAd auprès du CSA ? Ce conventionnement, sur le mode « convention contre accès aux oeuvres », doit-il être volontaire ou obligatoire ? Craignez-vous la régulation du Net par le CSA ? Y a-t-il risque pour les droits fondamentaux ?
G. de M. : Nous, plates-formes de vidéos sur Internet, ne sommes pas concernés. Après, il est vrai que le parlement a souhaité soumettre une centaine de SMAd – incluant, principalement, la presse en ligne – à une déclaration auprès du CSA sous peine de sanction pénale. Cela est sans doute regrettable. surtout que ces médias, ayant jusqu’alors une liberté de ton et d’opinion, devront, notamment à l’occasion des prochaines élections municipales, respecter les règles rigides créées pour la télévision. A l’heure où la vidéo est devenue accessible à tous, le numérique offrant une vaste diversité, est-ce qu’il y a encore un intérêt à vouloir réguler ces expressions politiques ? Et de notre côté, est-ce que nous craignons le CSA ?
Pas du tout ! Nous avons un dialogue constructif avec la nouvelle équipe et nous maintenons notre position habituelle : la régulation de l’audiovisuel, contrepartie de l’attribution de fréquences, ressources rares, n’est en aucun cas transposable à Internet. Les seuls pays qui régulent Internet sont des dictatures. Donc, la France est a priori épargnée.

EM@ : Depuis le rapport Lescure et les déclarations du président du CSA, Olivier Schrameck, la question de la redéfinition juridique du statut d’hébergeur (aux obligations limitées) et du statut d’éditeur (aux obligations renforcées) est plus
que jamais posée. Est-il envisageable de cerner et d’isoler l’activité éditoriale des plates-formes vidéo ?
G. de M. :
La question de la redéfinition juridique de l’hébergeur, alors même que ce statut est sanctifié par la Cour de cassation et par la réglementation européenne, n’est soulevée que par les lobbyistes de l’industrie culturelle française. Et ce, alors même que les membres de leurs syndicats, ceux qui évoluent dans la « vraie » vie, dans la vie économique, travaillent déjà avec nous. Arrêtons donc de donner de l’importance à
ces vagissements stériles. Les chiens aboient et la caravane passe…

EM@ : Le gouvernement étudie à responsabiliser davantage les intermédiaires techniques _ hébergeurs, financiers, publicitaires, … _ dans la lutte contre le piratage. L’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit déjà que
« toute personne » puisse y contribuer comme dans l’affaire AlloStreaming : le gouvernement doit-il suivre les rapports de Mireille Imbert Quaretta (2) et de
Pierre Lescure (3) à ce sujet ?
G. de M. :
Il faut arrêter de penser comme si le village des irréductibles Gaulois existait vraiment : toute réflexion doit être européenne, voire mondiale. Les initiatives locales sont condamnées à échouer misérablement. On peut juste s’étonner que Bruxelles travaille activement sur la question de l’amélioration des procédures de notification ou sur la lutte contre la contrefaçon commerciale, et qu’elle ne trouve aucun soutien de la part du gouvernement français. A la place, depuis plus de dix-huit mois, plus d’une dizaine de rapports ont été demandés, sur quasiment tous les sujets traités par Pierre Lescure. A l’heure du numérique, peut-être serait-il utile d’arrêter d’abattre des arbres pour imprimer des rapports. Ce n’est pas en les abattant qu’on découvrira ce que cache la forêt. C’est en ouvrant les yeux !

EM@ : Le projet de loi Egalité femmes-hommes prévoit l’extension à de
« nombreuses infractions » de l’obligation de signalement imposée aux acteurs
et intermédiaires de l’Internet. Pourquoi l’Asic a-t-elle tiré la sonnette d’alarme
le 27 septembre dernier ?
G. de M. :
A l’occasion de son examen, le Sénat a imposé, à l’article 17, de nouvelles obligations de signalement pesant sur l’ensemble des acteurs d’Internet. Alors que cette obligation était – pour des raisons d’efficacité – circonscrite aux infractions les plus graves, les sénateurs ont souhaité étendre la mesure à de nombreuses infractions et
vont remettre en cause son équilibre. Pour l’Asic, cette mesure est contre-productive et dangereuse à plus d’un titre. Elle va aboutir à envoyer un très grand nombre de signalement aux services de police et en particulier à la plate-forme de signalement de l’OCLCTIC (4), dite « Pharos ». En effet, les intermédiaires d’Internet n’ont aujourd’hui
pas les pouvoirs, ni la légitimité, de juger si un contenu relève ou non d’un des cas de discrimination visé par cet article 17.
Le principe de précaution aboutira donc à adresser toutes ces notifications aux autorités répressives. Si l’ensemble des membres de l’Asic pense que la lutte contre les discriminations est importante, il est regrettable de constater qu’aucun moyen humain supplémentaire n’a été octroyé à ces services pour les prochaines années.

EM@ : Pourquoi craignez-vous que cela n’engorge la plate-forme policière de signalements ?
G. de M. :
Imaginez, Pharos c’est aujourd’hui uniquement 10 policiers et gendarmes qui ont dû traiter en 2012 près de 120.000 signalements. De manière pratique, chaque agent se doit donc d’analyser un signalement toutes les 5 minutes ? Comment voulez-vous que l’on ait un traitement satisfaisant ! Avec cette nouvelle loi, nous allons assister à une situation effrayante où les contenus les plus ignobles, des propos ouvertement haineux ou révisionnistes et des comportements dangereux pour la sécurité intérieure, seront noyés parmi les signalements reçus par les autorités. Avec un tel article adopté, sans aucun moyen – important et sans précédent – offert aux services de police et de gendarmerie, nous risquons de laisser certains crimes se commettre. Nous sommes étonnés que ni les parlementaires, ni le gouvernement n’aient fourni des garanties permettant de s’assurer que les autorités auront les moyens de gérer efficacement ces nouvelles obligations. Aucune étude d’impact ne semble avoir été réalisée. @

Joël Ronez, groupe Radio France: « Devenir un média de référence sur smartphone et en radio filmée »

Le directeur des nouveaux médias et du Mouv’ à Radio France, Joël Ronez, explique à EM@ comment les sept stations du groupe public de radiodiffusion s’adaptent aux mutations numériques et à la mobilité des auditeurs. Cela passe par les smartphones, les réseaux sociaux et la radio filmée.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Joël RonezEdition Multimédi@ : Vous avez dit, aux rencontres Radio 2.0 du 15 octobre, que la radio avait une décennie d’écart dans le numérique sur la presse écrite : la radio peut-elle rattraper son retard dans les 3 révolutions digitales (écrit, vidéo et réseaux sociaux) ?
Joël Ronez :
Oui, bien sûr. Il ne s’agit pas d’un retard à proprement parler, mais d’un impact de la révolution numérique qui est plus tardif. Nous sommes aujourd’hui dans le grand mouvement de numérisation des médias broadcast, de la musique, et de l’avènement de l’Internet mobile et des smartphones. C’est pour l’écosystème de la radio un vrai défi, mais cela représente aussi de nombreuses opportunités.

EM@ : Quel budget consacrez-vous en 2012 et 2013 au numérique sur l’ensemble de Radio France ?
J. R. :
Environ 6 millions et demi d’euros hors taxes par an sont consacrés à la direction des nouveaux médias, pour le compte de l’ensemble du groupe Radio France, dans les domaines techniques, marketing, éditorial, etc.

EM@ : Votre direction Nouveaux médias et Le Mouv’ ne font plus qu’un : le nouveau Mouv’ prévu en janvier 2014 sera-t-il tout-online ?
J. R. :
Non, Le Mouv’ est et restera une radio. Simplement, son offre se déploiera simultanément sur le web et les mobiles.

EM@ : Radio France, c’est 10.249.000 podcasts téléchargés au mois de septembre (France Inter, France Info, France Bleu, France Culture, France Musique, Le Mouv’ et FIP) : allez-vous les monétiser ? Allez-vous par ailleurs lancer des webradios ?
J. R. :
Nous n’avons pas vocation, à court terme, à faire accompagner l’écoute de nos podcasts de publicité. Les revenus publicitaires sont importants pour Radio France, mais complémentaires, étant donné que nous sommes principalement financés par la redevance audiovisuelle [L’Etat a versé 610 millions d’euros en 2012 à Radio France,
qui a dégagé un bénéfice net de 3,1 millions, ndlr]. La stratégie numérique de Radio France consiste à proposer, dans le champ du web, des produits et offres respectant
les nouveaux modes de consommation des auditeurs, et en leur apportant une plus-value. Nous allons ainsi lancer en début d’année 2014 un nouveau site, RF8, qui permettra de découvrir la richesse musicale de Radio France. Il ne s’agira pas pour autant d’une webradio linéaire, mais de bien plus que cela.

EM@ : Vous suivez le « bruit twitter » généré par Radio France (Twitter.radiofrance.fr) : ce flux a-t-il vocation à être monétisé ?
J. R. :
Nous ne cherchons pas à monétiser le « bruit twitter », mais à faire en sorte que nos auditeurs et internautes puissent interagir avec nos programmes par ce biais, et assurer également leur diffusion.

EM@ : La radio ne peut pas parler de second écran comme la télé : aussi, comment les radios de Radio France se déploient sur les écrans compagnons ?
J. R. :
La radio ignore en effet la notion de second écran : nous démarrons avec notre premier écran ! L’objectif est d’être un média de référence dans l’univers du smartphone, sur les contenus audio, tout en proposant également une offre vidéo la plus riche possible, avec de la radio filmée, mais aussi des production vidéo propres.

EM@ : Europe 1 revendique 14 heures de direct vidéo par jour. Comment les stations de Radio France proposent de la vidéo, entre la radio filmée des programmes de flux, le reportage vidéo et les programmes vidéo proches de la TV ? La radio ne va-t-elle perdre son âme à concurrencer la télé et à être diffusée sur les plateformes vidéo ?
J. R. :
Nous diffusons des extraits de nos programmes sur YouTube et Dailymotion depuis plus de cinq ans, et nous avons vocation à accroître l’offre. Tout ne peut pas et
ne doit pas se filmer. Mais les programmes de talk et de flux sont susceptibles d’exister également sous une forme filmée.
A nous d’inventer « l’image de radio » qui respecte la radio ! Cette image de radio n’est pas une image que l’on regard, mais une image sur laquelle on jette un œil. C’est une dimension complémentaire à un programme, et c’est un axe de développement important.

EM@ : Que doivent faire les éditeurs de radios en France pour avoir un même référentiel, afin de lancer un « Radio Player » commun comme en Grande-
Bretagne ?
J. R. :
Il faut se parler, et évoquer le sujet ensemble. Nous sommes favorables à ce genre d’initiative, que j’ai découverte via l’UER [Union européenne de radio-télévision, ndlr] et son groupe de travail « new radio » dont je suis membre.

EM@ : Il y a un peu plus d’un an, le gouvernement décidait de ne pas préempter de fréquences RNT pour Radio France et RFI. Pourtant, Radio France est favorable à
la RNT, contrairement aux radios privées NRJ, RTL, Europe 1 et RMC : pourquoi ?
J. R. :
En terme de média et de loisirs culturels, tout ce qui peut se numériser se numérisera, la radio aussi. Radio France est favorable à un futur numérique, et n’est pas promoteur d’une technologie en particulier (RNT, DAB+, etc.). La radio numérique n’est pas une question technologique, c’est une question stratégique.
Nous avons besoin pour cela d’un consensus entre les acteurs du marché, consensus qui n’existe pas à l’heure actuelle. Mais nous sommes attentifs à la situation, notamment européenne, où la plupart des grands pays ont déployé des multiplex en DAB+.

EM@ : Maintenant que l’arrêté DAB+ a été publié le 28 août, le gouvernement
doit-il changer d’avis ? Croyez-vous en outre à la 4G pour diffuser en broadcast
la radio numérique en mobilité ?
J. R. :
Il appartient au gouvernement de prendre les décisions qu’il juge utile, au regard de la situation qui est complexe. Nous sommes à sa disposition, ainsi qu’à celle de tous les acteurs français de la radio pour en parler. Et quand on parle de l’avenir numérique de la radio, ce n’est pas pour supporter une technologie en particulier mais, à ce stade, d’être attentif à toutes les pistes.

EM@ : Les Assises de la radio – organisées par le ministère de la Culture et de
la Communication et la DGMIC (Premier ministre) – auront lieu le 25 novembre : qu’en attendez-vous ? Le plafond de concentration radio a-t-il un sens à l’heure du numérique ? Par ailleurs, le Sirti réclame 1.000 fréquences FM et celles du Mouv’ : qu’en pensez-vous ?
J. R. :
Tout ce qui fait que les acteurs de la radio discutent ensemble de l’avenir est bon, et les Assises de la radio arrivent à point nommé pour cela. Mais de mon point de vue,
il vaut mieux réfléchir ensemble à un avenir numérique, plutôt que de s’opposer sur un dividende analogique… @

ZOOM

Entre numérique et politique : Radio France en pleine transition
Alors que le mandat du PDG de Radio France, Jean-Luc Hees, se termine en mai 2014,
le groupe de radios publiques est en peine réorganisation du numérique pour adapter les 700 journalistes de la maison ronde au multimédia. Ce n’est pas une mince affaire pour la direction des Nouveaux médias de Joël Ronez. Mais cette évolution vers les nouveaux médias et « l’image de radio » – en plus de l’antenne (1) – se fait non sans mal avec les organisations syndicales, surtout dans cette période de transition (la loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public doit être adoptée définitivement le 31 octobre). Parmi les noms de successeurs à Jean-Luc Hees, celui de Bruno Patinot, actuel directeur général délégué aux programmes, aux antennes et aux développements numériques de France Télévisions (à moins que la parité ne plaide en faveur d’une femme, comme Catherine Sueur). En attendant, France Inter et France Info font face à une érosion de leur audience, passant respectivement selon Médiamétrie de 11 % à 9,9 % et de 9 % à 8,2 % sur un an en avril-juin (voir p.10). @

 

Hervé Rony, Scam : « La dynamique de l’Acte 2 de l’exception culturelle s’effiloche »

Le directeur général de la Société civile des auteurs multimédia (Scam) fait part
de ses regrets sur le projet de loi de Finances 2014 (redevance, Cosip, …) et se
dit favorable au conventionnement de services Internet avec le CSA. Pour le livre numérique, il craint le piratage et l’autoédition comme pour la musique (il fut DG
du Snep de 1994 à 2009).

Propos recueillis par Charles de Laubier

HR EM@Edition Multimédi@ : Finalement, la redevance audiovisuelle
ne sera pas dissociée la propriété du poste de télévision, ni étendue aux autres écrans numériques, contrairement à ce
que voulaient Aurélie Filippetti et Rémy Pflimlin (France Télévisions) : le regrettezvous ? Faut-il l’augmenter ?

Hervé Rony : La Scam regrette vivement que le gouvernement ait figé toute réforme de fond de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Pourtant, l’an dernier, lorsque le Parlement a fort justement voté une première hausse, la ministre avait promis ce débat. Aujourd’hui, au nom de la pause fiscale : plus rien !
Du coup, même si le Parlement vote l’indexation de la redevance sur l’inflation, la CAP restera sensiblement moins élevée (133 €) que la redevance britannique (180 €) ou allemande (217,8 € par an). Il est grand temps que les pouvoirs publics proposent un élargissement de l’assiette (par exemple, comme en Allemagne, par foyer fiscal, résidences secondaires comprises).
Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons écrit au président de la République et au Premier ministre. C’est un sujet majeur. Nous attendons une réponse. Seule la CAP apporte un financement pérenne et de nature à assurer l’indépendance du service public de l’audiovisuel.
Car ne l’oublions pas, c’est non seulement France Télévisions qui est concernée mais aussi Radio France, Arte, RFI, France24, TV5 Monde, sans oublier l’INA qui remplit d’importantes missions et qui verse des droits aux auteurs sur l’exploitation des archives audiovisuelles.

« Oui, il est légitime de faire entrer dans le calcul des taxes qui alimentent le CNC les recettes issues des nouvelles formes d’exploitation des œuvres en délinéarisé. »

EM@ : Le projet de loi de Finances 2014 ne fait pas évoluer les taxes Cosip du CNC (1) : déjà appliquées aux chaînes TV, aux DVD-Blu ray et aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI), pourquoi l’étendrait-on à la TV de rattrapage, à la vidéo sur le Net, les OTT et à la TV connectée ? Par ailleurs, faut-il instaurer la taxe Lescure sur les terminaux connectés ?
H. R. : Nous l’avons dit à la suite du rapport Lescure. Oui, il est légitime de faire entrer dans le calcul des taxes qui alimentent le CNC les recettes issues des nouvelles formes d’exploitation des oeuvres en délinéarisé.
Non pas que ceci génèrera aussitôt des recettes importantes, mais plutôt parce que c’est une question de cohérence et de logique du système de préfinancement des oeuvres.
Sur la taxe proposée par la mission Lescure sur les appareils connectés, nous y sommes favorables – même si sa mise en oeuvre pour alimenter à terme la rémunération pour copie privée mérite un examen approfondi. Mon regret est, comme pour la réflexion sur le financement du service public, le sentiment que la dynamique qu’avait créée l’annonce par François Hollande d’un Acte 2 de l’exception culturelle – mis en musique, si j’ose dire, par Pierre Lescure – s’effiloche, pour ne pas dire plus.

EM@ : Et faut-il taxer les boîtes de jeux vidéo comme le préconise le rapport Gattolin et Retailleau ?
H. R. :
Pourquoi pas ? Mais ce n’est pas la préoccupation première de la Scam.
Nous avons d’ailleurs vivement regretté que le rapport sénatorial n’accompagne pas
ces propositions de recommandations pour un véritable respect du droit d’auteurs dans
ce secteur.

EM@ : La Scam (comme la SACD) a conclu des accords avec Dailymotion et YouTube pour mises à disposition de films et de clips, mais avec l’accord préalable de chaque producteur : combien cela rapporte aux auteurs ?
H. R. :
Les revenus issus des plates-formes vidéo restent très modestes comparés à ceux issus des médias traditionnels. Le chiffre d’affaires de ces opérateurs progresse quand même. On peut donc espérer à terme verser à nos auteurs des sommes autres que symboliques. Mais à l’évidence, et c’est une préoccupation majeure, les nouvelles exploitations représentent une économie encore dérisoire. Et je me demande quand cela cessera d’être le cas.

EM@ : Les producteurs sont-ils trop attentistes vis-àvis du Net ?
H. R. :
Je n’ai pas de leçon à leur donner. Ce n’est pas facile non plus pour eux. Mais je crois, et cela vaut pour tout le monde, que nous devons aller de l’avant – quoi qu’on pense par ailleurs des nouveaux acteurs du Net.

EM@ : Devant la mission Lescure, la Scam a demandé à ce que les hébergeurs soient contraints de surveiller la légalité des contenus mis en ligne. Quant à la déclaration des services de vidéo en ligne auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), comme l’envisage le projet de loi audiovisuel, doit-elle
induire ces obligations ?
H. R. :
On verra. En tout cas, la Scam voit évidemment d’un bon oeil que la mission Lescure ait évoqué le conventionnement de services en ligne et que le président du CSA ait sur ce point un volontarisme certain et qui est de bon augure. Il faut examiner de près la possibilité juridique de cerner et isoler l’activité éditoriale de contenus effectuée par des opérateurs, lesquels se réfugient derrière leur activité d’hébergeurs pour limiter leur responsabilité.

EM@ : La Scam compte 9.000 auteurs qui déclarent des œuvres de l’écrit. Estimez-vous que les accords entre éditeurs et auteurs sont suffisamment clairs sur les livres numériques ?
H. R. :
La Scam, en tant que membre du Comité permanent des écrivains (CPE), a participé à la négociation de l’accord que ce dernier a conclu avec le Syndicat national de l’édition (SNE) sur le contrat d’édition numérique. C’est un accord très important qui clarifie les relations auteurs-éditeurs et peut créer un climat de confiance qui n’existe pas à l’heure actuelle. Mais il faut que cet accord soit transposé dans le code de la propriété intellectuelle. Et ça tarde ! Nous n’avons aucune garantie d’un passage rapide au Parlement. Le CPE et le SNE viennent d’écrire à la ministre Aurélie Filippetti pour s’en inquiéter.

EM@ : Le piratage de ebooks est-il inéluctable comme cela l’a été pour la musique (lorsque vous étiez au Snep) ?
H. R. :
Le livre vit à l’évidence une mutation redoutable et les maisons d’édition se sont hâtées lentement. Cependant, rien ne se passe aussi brutalement que dans la musique qui, elle, a été dès le début des années 2000, littéralement happée par le piratage en ligne. C’est une chance. Les lecteurs sont sans doute moins immédiatement attirés par les nouvelles techniques numériques d’appropriation des œuvres que le public majoritairement jeune et technophile de la musique. Ceci étant le mouvement est en marche et ne s’arrêtera plus. Et le piratage s’installe notamment dans le secteur de la BD.

EM@ : L’autoédition sur des plates-formes Internet de plus en plus puissante menacent-elles les maisons d’éditions traditionnelles ?
H. R. :
Quant à l’autoédition, je reste prudent. Ceci peut servir les auteurs, dans une certaine mesure évidemment. La tentation de court-circuiter les éditeurs est forte. Parfois sans doute est-ce un choix positif pour se faire connaître, voire incontournable quand
les éditeurs vous tournent le dos. Il n’y a pas de règle absolue. Mais je fais partie de
ceux qui restent circonspects à l’égard de ce qu’on a appelé, dans un horrible jargon,
la « désintermédiatisation ». Dans la musique, le système de l’autoédition montre ses limites. Difficile pour un créateur, un auteur, un artiste de tout faire tout seul ou presque. @

Vincent Grimond et Brahim Chioua, Wild Bunch : « La croissance de la VOD/SVOD pâtit clairement du piratage »

Cofondateurs de Wild Bunch, respectivement président et directeur général, Vincent Grimond et Brahim Chioua expliquent à EM@ comment évoluent leurs métiers de distribution et de co-production de films sur fond de révolution numérique du cinéma : VOD, piratage, chronologie des médias, TV connectée, « cloud », …

Propos recueillis par Charles de Laubier

VGEdition Multimédi@ : Anciens de StudioCanal, vous avez co-fondé Wild Bunch il a plus de dix ans : quel est le chiffre d’affaires du groupe en 2012, pour quelle croissance ? Comment se répartissent ces revenus entre les différents marchés : salles, vidéo à la demande (VOD), international
et télévision ? Vincent Grimond (photo) et Brahim Chioua :
Effectivement, la société Wild Bunch a été créée en 2002… Depuis cette date, le taux de croissance annuel moyen de
notre chiffre d’affaires a été de 24 % ce qui nous a permis
de constituer un joli catalogue d’environ 1.800 films tels que « La Vie d’Adèle », « The Immigrant », « Le Petit Nicolas », …
Et le chiffre d’affaires des ventes internationales est devenu inférieur à celui de la distribution directe (salle de cinéma, vidéo en DVD, Blu-ray et vidéo à la demande et télévision), secteur d’activité où nous sommes présents en Allemagne, Italie, en Espagne, et bien sûr en France, laquelle demeure notre premier marché.

« Nous croyons donc davantage à « des » chronologies
qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ?
Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests,
des analyses plus poussées et plus objectives.»

EM@ : Il y a six ans, en 2007, vous avez créé la filiale Filmoline pour lancer FilmoTV, une plate-forme de (S)VOD. La VOD en France a connu pour la première fois au 1er semestre 2013 une baisse de 6,4 % sur un an, selon GfK : pensez-vous comme le SEVN que cela est dû au piratage ? Observez-vous cette baisse sur FilmoTV ?
V. G. et B. C. :
De fait, FilmoTV est le premier service joint de VOD et de SVOD créé
en France. Nous estimions alors en particulier qu’un service par abonnement avec une « éditorialisation » forte correspondait bien à l’évolution du marché.
Apparemment, nous étions plutôt dans le vrai… Comme pour l’ensemble des modes de distribution du cinéma, la croissance de ce segment de VOD/SVOD pâtit clairement du piratage. Même étoffée, l’offre légale ne pourra pas résister aux offres illégales, surtout
si la consommation de ces dernières se fait en toute impunité. Et effectivement, les événements récents, en particulier la confusion autour de la suppression de l’Hadopi
et du transfert de son rôle de sanction au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), ne favorisent guère la prise de conscience du caractère dommageable et illicite du piratage, pour le dire diplomatiquement…

EM@ : Allez-vous en outre proposer UltraViolet qui permet de coupler la vente
de DVD/Blu-ray et de VOD, sachant que la licence du consortium DECE est prête techniquement pour la France et l’Allemagne depuis le 24 septembre ?
V. G. et B. C. :
Nous considérons qu’il y a un gros retard sur le développement du téléchargement définitif et étudions avec attention toutes les opportunités pour le développer. Cela nous concerne tout à la fois en tant qu’éditeur vidéo et en tant que service de VOD (FilmoTV). Nous sommes ouverts à tous les standards, c’est pourquoi FilmoTV vient de migrer vers le cloud en lançant FilmoCloud et que nous suivons très attentivement le déploiement d’UltraViolet en France. Nous voulons bien sûr être partie prenante dans ces développements.

EM@ : « Speed Bunch » fait partie des trois projets sélectionnés il y a un an par
le programme européen MEDIA pour tester la sortie (quasi)simultanée de films
en salles et VOD : c’est le cas du documentaire « L’Esprit de 45 » qui est à l’affiche dans 5 pays : en France, la prochaine chronologie des médias [délais de diffusion des films en DVD, VOD et TV après la salle] doit-elle prévoir des cas de (quasi)simultanéité ?
V. G. et B. C. :
Le film est sorti en VOD le 13 septembre, en même temps sur tous les territoires. La sortie VOD dans chacun des cinq pays est intervenue via une plate-forme multi-territoires, iTunes, et sur des services domestiques au premier rang desquels figure FilmoTV, le service filiale de Wild Bunch en France. De plus, « L’esprit de 45 » a été distribué en salle simultanément ou quasi simultanément avec la VOD en Espagne (Vertigo), en Italie (BIM Distribuzione) et en Belgique (Cinéart), mais pas en France où
la chronologie des médias ne le permet pas. A ce propos, qu’il y ait des règles de chronologie des médias pour protéger les opérateurs qui contribuent à la vitalité du
cinéma nous semble légitime.
Mais nous ne croyons pas qu’une seule et même règle puisse s’appliquer à tous les films, compte tenu en particulier de la diversité des modèles économiques des films et des attentes du marché. Nous croyons donc davantage à « des » chronologies qu’à « une » chronologie des médias. Lesquelles ? Pour qui ? Il faudra pour le déterminer faire des tests, des analyses plus poussées et plus objectives. En ce sens, le concept d’expérimentation qui sous-tend le programme de MEDIA et qui est préconisé dans le rapport Lescure nous paraît particulièrement adapté. Raisonnable et rationnel, il devrait permettre de nourrir efficacement l’indispensable débat de la profession.

EM@ : Après celui des 8-12 juillet, un second round de négociation va se tenir à Bruxelles du 7 au 11 octobre pour un accord de libre-échange commercial entre Etats-Unis et Europe : vous qui exportez des films français, pensez-vous que les services audiovisuels doivent être exclus de ces négociations ou faut-il saisir des opportunités, notamment en VOD ?
V. G. et B. C. :
Il faut sans cesse le répéter, le cinéma, comme les autres biens culturels, n’est pas un produit marchand comme les autres, et il est fondamental de préserver l’exception culturelle. Cela n’est cependant en rien incompatible avec le respect des contraintes économiques, et donc pas contradictoire avec notre acharnement à exporter au mieux les films français.

EM@ : FilmoTV est sur le web avec Filmotv.fr et sur tablettes Android et iOS,
mais aussi proposé par Orange et Numericable : quand serez-vous sur SFR, Free, Bouygues Telecom, Virgin Mobile et pourquoi pas la Xbox ? Filmo TV est aussi sur les TV connectées de LG, Samsung et Philips : entre box et cloud, quel est l’avenir de la VOD ?
V. G. et B. C. :
Nous espérons rejoindre Free, SFR et Bouygues le plus tôt possible ! Cela ne dépend que d’eux… Compte-tenu des spécificités et des atouts de FilmoTV, très en phase avec les attentes du public, sa reprise par l’ensemble des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) nous semble avoir un vrai sens commercial pour eux. Le marché français se caractérise par le poids des FAI dans la consommation VOD, largement parce que nos opérateurs ont été, et sont encore, parmi les plus efficaces. Il est très probable que les autres platesformes – téléviseurs connectés, tablettes, consoles et autres – connaissent une forte croissance, et ceci d’autant plus qu’elles permettent désormais de visionner l’oeuvre sur le terminal préféré des consommateurs, à savoir la télévision. C’est pour accompagner ces nouveaux usages que nous avons lancé à la rentrée FilmoCloud, qui permet dorénavant aux abonnés à notre service de SVOD, FilmoTV, d’y avoir accès sans conditions de lieu, de temps ou de terminal, tout en retrouvant partout son environnement personnel comme ses favoris, ses recommandations, ses commentaires ou ses achats dès qu’il se reconnecte. Il peut même reprendre la lecture d’un film là où elle s’était arrêtée. De plus, grâce au streaming adaptatif, l’abonné obtient la meilleure qualité d’image possible en fonction du débit de son accès à Internet [le passage en haut définition peut se faire sans interruption de signal, ndlr]. De là à déloger les boîtes, je ne sais pas. Les FAI ont eux aussi encore beaucoup d’arguments à faire valoir et beaucoup d’innovations dans leurs cartons… @

Maxime Lombardini, DG de Free : « Nous sommes toujours les plus innovants dans les services vidéo »

Le directeur général du groupe Iliad, Maxime Lombardini, explique à Edition Multimédi@ les raisons de la performance de Free, dont l’activité mobile a dépassé la masse critique de 10 % de parts de marché en 18 mois. Il mise sur une offre « premium TV » qui devrait contribuer à augmenter encore l’ARPU de la Freebox.

Propos recueillis par Charles de Laubier

MLEdition Multimédi@ : Les résultats semestriels confirment
que Free a désormais plus d’abonnés mobile (6,7 millions) que d’abonnés haut débit (5,5 millions) : ce basculement en 18 mois change-t-il la culture de l’entreprise ?

Maxime Lombardini : Notre culture d’entreprise ne changera pas. Nous cherchons toujours la croissance organique en restant fidèle
à notre stratégie : des offres simples, innovantes et de qualité à des prix attractifs.

EM@ : Dans le haut débit, l’ARPU est en légère augmentation à 35,9 euros par
mois et à 38 euros pour la Freebox Révolution : comment expliquez-vous cette performance (option TV à 1,99, usages, services) malgré la baisse des terminaisons d’appel et la hausse de la TVA ?

M. L. : Plus de deux ans et demi après son lancement, la Freebox Révolution reste la meilleure box du marché et rencontre un grand succès [le nombre d’abonnés ayant la nouvelle box n’est pas divulgué, ndlr]. Elle donne accès à une multitude de services
qui sont de plus en plus utilisés : c’est clairement devenu le cœur numérique du foyer ! L’ARPU suit ce succès.

EM@ : Comment se traduit dans les chiffres l’accélération de l’intégration fixe-mobile ?
M. L. : Le « quadruple play » existe chez nous depuis le lancement de l’offre mobile en février 2012. Nous proposons à nos abonnés mobiles une offre à tarif privilégié s’ils sont abonnés à la Freebox mais les deux abonnements restent indépendants. Vive la liberté
et la transparence !

EM@ : Y aura-t-il un quadruple play 4G ?
M. L. :
Sur la 4G, à ce stade pas de commentaire, nos concurrents parlent assez ! Mais rassurez vous nous serons au rendez-vous.

EM@ : Cela fait maintenant trois ans que Free a instauré l’option TV à 1,99 euros, décision encore aujourd’hui critiquée par certains [lire ci-dessous] qui y voient le moyen pour Free de moins payer au titre de la taxe TSTD : quelles taxes payez-vous pour le financement de la création ? M. L. : Nous participons au financement de la création au travers de nombreuses taxes et contributions : Sacem, Angoa-Agicoa, Cosip, taxe sur la VOD, copie privée… Et par ailleurs, nous jouons un rôle majeur dans la distribution des chaînes et dans leur évolution technologique (TV de rattrapage, services associés, VOD…). S’il y a une question à poser c’est plus celle de la contribution des OTT.

EM@ : Free met en avant son offre TV avec plus de 450 chaînes, dont 185 incluses l’option TV à 1,99 euros : les autres, environ 225 chaînes, sont proposées dans une option supplémentaire pour des prix mensuel de 1 euros à plus de plus de près de 25 euros : comment s’enrichit le premium TV et que rapporte-t-il ?
M. L. :
L’ADSL et le FTTH deviennent le vecteur principal de la réception de la vidéo dans les foyers français. Nous veillons à offrir l’offre de base la plus riche possible, d’une part, et l’accès à toutes les offres payantes du marché, d’autre part. Nous sommes toujours
les plus innovants : c’est Free qui le premier a lancé la SVOD avec Free Home Video en 2007, le téléchargement définitif avec Disneytek et ABCtek, ainsi que Canal+ à la demande. C’est Free également qui a généralisé la TV de rattrapage. C’est Free qui a,
dès 2006, offert le PVR [Personal Video Recorder ou magnétoscope numérique, ndlr] en standard inclus dans l’abonnement. Par ailleurs, le premium TV s’est enrichi avec l’arrivée de nouvelles chaînes de sport et de cinéma : BeIn Sport, Ciné+ ou encore tout récemment Paramount Channel. Nos abonnés disposent de plus de choix, à tous les prix. @