Eric Walter, Hadopi : « Je ne crois pas à une régulation d’Internet, à la fois illusoire, inutile et dangereuse »

C’est la première interview que le secrétaire général de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) accorde depuis la rentrée. Il espère que le CSA saura tirer parti de trois ans d’expérience de l’institution et que le gouvernement donnera suite à plusieurs de ses propositions.

Propos recueillis par Charles de Laubier

EW-HEdition Multimédi@ : Alors qu’Aurélie Filippetti présentera
sa « grande loi sur la création » lors d’un Conseil des ministres en février 2014, craignez-vous le transfert de l’Hadopi vers le CSA ? La régulation de l’audiovisuel est-elle compatible avec une régulation du Net si tant est qu’elle soit souhaitable ?
La séparation du collège et de l’instruction suffira-t-elle ?
Eric Walter :
L’existence d’une institution n’est pas une fin en soi. C’est un outil au service de missions décidées par le législateur.
Ce qui importe, et Marie-Françoise Marais comme Mireille Imbert-Quaretta l’ont toujours exprimé très clairement, c’est l’acquis de l’expérience et les missions dont est investie à ce jour l’Hadopi.
Au delà des controverses, leur objectif est clair : préserver et renforcer la diversité et
la dynamique de tout ce qui contribue aujourd’hui au financement de la création, dans
le nouveau contexte que crée Internet. Personne ne peut vouloir prendre le risque d’assécher ces moyens grâce auxquels notre pays dispose d’une formidable variété
de création.

« Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie »
L’Hadopi ne « régule » pas Internet et je ne crois d’ailleurs pas à une régulation d’Internet.
Je pense que c’est à la fois illusoire, inutile et dangereux. Internet, au sens réseau, et non contenu, a ceci de très particulier qu’il est « régulé » par les protocoles qu’il utilise pour son fonctionnement.
L’action publique doit s’orienter, d’une part, vers les acteurs qui utilisent Internet pour leurs activités et, d’autre part, vers les utilisateurs. S’adresser aux utilisateurs, c’est très exactement ce que nous faisons. Ce n’est pas de la régulation, mais de la pédagogie,
de l’explication, de l’information.
Aujourd’hui le monde s’oriente vers un peuple connecté. C’est une passionnante évolution que nous vivons. A son tout petit niveau, l’Hadopi contribue à l’accompagner. La régulation de l’offre de contenus en ligne, c’est-à-dire la régulation des entreprises qui offrent les contenus, et non pas de l’Internet, ne relève pas aujourd’hui de la compétence de l’Hadopi.

En revanche, nous avons déjà travaillé sur la question, notamment au travers des travaux conduits par Jacques Toubon sur les exceptions au droit d’auteur et la conférence qu’il a organisée sur ce sujet. Il existe déjà des formes de régulation (concurrence, etc.), mais on ne peut pas exclure l’hypothèse qu’elles ne soient pas complètement adaptées au contexte Internet et à la rapidité avec laquelle il évolue. C’est une réflexion ouverte. Dans un tel contexte, pourquoi ne pas imaginer un élargissement des compétences du CSA grâce à celles de l’Hadopi ? Une même institution peut tout à fait exercer des métiers différents, cela relève du choix de l’autorité publique. A mon sens, les enjeux ne sont pas là ; ils sont sur la prise en compte de nos années d’expérience, qui appartiennent à la collectivité rappelons-le, pour qu’un tel élargissement intègre les évolutions nécessaires, préserve l’agilité et la réactivité très particulière dont nous avons dû faire preuve, et l’indépendance dans laquelle nous avons pu agir. Il y a en effet, sur ce dernier point, une question à regarder de près qui a été soulevée par les présidentes lors de leur audition
au Sénat (1). Je sais que le gouvernement y est vigilant.

EM@ : L’Hadopi existe depuis près de quatre ans maintenant et la réponse graduée fonctionne plus que jamais depuis un peu plus de trois ans, comme l’illustrent les 138.000 e-mails d’avertissement envoyés en octobre dernier : un record mensuel historique. S’agit-il d’un pic ou la cadence augmentera-t-elle face aux craintes de recrudescence du piratage ?
E. W. :
Ni l’un ni l’autre. La Commission de protection des droits (CPD) est souveraine dans ses choix volumétriques mais nous sommes simplement là face à un système qui, jusqu’alors, montait en puissance et, désormais, arrive à maturité. Il a fallu beaucoup de temps pour ajuster les multiples paramètres techniques et analytiques qui déterminent le choix d’envoi d’un avertissement, ou non. C’est une mécanique informatique complexe. Aujourd’hui le dispositif est rôdé.

EM@ : Le rapport d’activité 2013 – a priori le dernier de l’Hadopi – faisait état de plusieurs propositions, comme adapter la labellisation des offres légales, permettre aux auteurs de saisir directement l’Hadopi, étendre les cas de saisine aux particuliers et aux associations, doter l’Hadopi d’un pouvoir de mise en demeure
et d’injonction : quelles sont les plus importantes et avezvous été entendus ?
E. W. :
Nous reparlerons a posteriori de votre a priori… Pour l’instant, nous sommes écoutés avec attention. L’avenir dira si nous avons été entendus. Parmi les 15 propositions très concrètes énumérées dans le rapport, il me semble que les plus importantes sont celles aujourd’hui qui relèvent, de près ou de loin, de l’amélioration de l’offre légale. Je reste convaincu que l’encouragement à l’offre légale, tel que nous sommes en train de le réviser, constitue un outil utile pour valoriser les sites et services qui « jouent le jeu » face à la concurrence massive de ceux qui proposent des contenus illicites. Mais il doit être simplifié et adapté pour mieux correspondre à la réalité : on n’a pas forcément besoin d’un décret en Conseil d’Etat pour apposer un logo sur un site Internet ! Nous avons présenté cette semaine un certain nombre d’initiatives en ce sens, tels qu’un nouveau site web – offrelégale.fr – de recensement de plus de 300 offres culturelles en ligne encore non répertoriées [qui se rajoutent aux plateformes légales labellisées « Offre légale Hadopi », en remplacement du « label Pur », ndlr], des ateliers à destination des entrepreneurs ou encore de la communauté éducative et du jeune public. Au delà, il faut changer la loi. C’est le sens de nos propositions et je leur attache une très grande importance. D’un autre côté, il faut améliorer l’expérience utilisateur de ceux qui font le choix du légal. C’est un des enjeux majeurs de la régulation des mesures techniques de protection dont est chargée l’institution. Sur cette question très complexe techniquement, et donc difficile d’approche pour l’utilisateur, les propositions d’extension des possibilités de saisine de l’institution par les particuliers comme les associations ayant intérêt à agir (typiquement de consommateurs) et d’extension des pouvoirs d’action de l’institution en matière de régulation me semblent essentielles.

EM@ : Vous avez personnellement fait avancer la proposition d’une légalisation
des échanges non marchands contre rémunération proportionnelle par les intermédiaires, une sorte de licence globale que le rapport Lescure n’exclut pas mais sur laquelle il reste très réservé. Avez-vous espoir que la prochaine loi sur
la création pourrait introduire une tette disposition ? Pour quelle contribution mensuelle ?
E. W. :
Il faut être clair sur ce travail autour d’une rémunération proportionnelle du partage pour les ayants droit. Tout d’abord, les échanges visés sont marchands, dès lors qu’ils génèrent un gain pour les intermédiaires visés. Par ailleurs, il ne s’agit en rien d’une licence globale et, par voie de conséquence, elle n’emporte aucune sorte de contribution mensuelle. Le principe général, qui vient d’être détaillé dans une note de cadrage publiée en novembre (2), est de faire peser sur les intermédiaires qui tirent profit du partage entre individus une rémunération à due proportion des gains générés. C’est un système complexe pour tenter de répondre à une réalité complexe et évolutive. A ce stade, nous analysons sa faisabilité et les conséquences qu’il pourrait entraîner.
Il est donc, à mon sens, tout à fait exclu qu’une telle disposition puisse s’inscrire dans la prochaine loi sur la création, notamment eu égard au calendrier annoncé. Nous aurons
en effet terminé la première phase de nos travaux en juin 2014 et, quels que soient leurs résultats, il y a fort à parier que des travaux complémentaires seront nécessaires, ne serait-ce que pour confirmer ou infirmer nos propres conclusions (3). Nous ne raisonnons pas en termes de temps législatif à ce stade.

EM@ : Que vous inspire la décision du TGI de Paris le 28/11 autorisant blocage ou déréférencement de sites de streaming de type « Allostreaming » (lire ci-dessous) ? Elle fait écho à la décision de la CJUE (avocat général) du 26/11 dans affaire UPC/Kino.to et celle du tribunal anglais dans l’affaire SolarMovie/TubePlus. L’Hadopi est-elle dépassée par le juge ? E. W. : Classiquement il n’appartient pas à
une autorité publique de commenter une décision de justice, mais ce que l’on peut dire c’est qu’il s’agit là d’une décision pour l’avenir. Elle est bien plus importante pour la jurisprudence qu’elle crée que pour la fermeture de sites de streaming – dont il n’a échappé à personne qu’ils avaient déjà majoritairement fermés. J’ai lu, de ce point de vue, quelques analyses court-termistes amusantes qui occultent à tort ce qui me semble une évidence.
Pour aller plus loin, il nous semble intéressant d’observer les conséquences de la décision sur la circulation des contenus illicites et l’évolution du téléchargement illicite
en général (4). Nous étudions en ce moment la possibilité de mettre en place un tel protocole. Il n’est pas certain que nous puissions le faire compte tenu de la forte contrainte budgétaire actuelle, qui limite nos capacités d’action. En revanche, c’est une fausse idée d’imaginer que l’Hadopi puisse être « dépassée par le juge ». L’Hadopi intervient avant le juge pour ce qui la concerne – la protection des droits sur les réseaux P2P – et en complément des autres moyens de justice dont, heureusement, disposent les ayants droits. Nous ne sommes qu’un outil parmi tous ceux qui existent et c’est parfaitement logique.
Il n’a jamais été question de faire de l’Hadopi « l’alpha et l’oméga » de la lutte contre le téléchargement illicite. Mais la question fondamentale sous-jacente est celle de l’efficience des moyens déployés au regard des objectifs poursuivis. D’où les deux pistes que nous explorons de concert : la lutte contre la contrefaçon commerciale, suite logique du rapport « streaming » remis par Mireille Imbert Quaretta (5) à Marie-Françoise Marais, et la rémunération proportionnelle du partage.
L’avenir dira ce qu’il en est. Je formule le souhait que ces travaux soient menés jusqu’à leur terme, car ils représentent un investissement considérable et sont, à mon sens, des perspectives d’avenir très concrètes. @

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