Virginie Courtieu, YouTube France : « Nous offrons de nouvelles sources de revenus en vidéo »

La directrice des partenariats de YouTube en France estime positif l’entraînement suscité par les 13 chaînes françaises exclusives lancées il y a deux ans. Elle répond aussi sur Netflix, la VOD, la musique – dont la prochaine offre par abonnement – ou encore la radio filmée. La publicité est au cœur de l’écosystème.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Edition Multimédi@ : Que sont devenues les 13 chaînes originales françaises qui ont signé en octobre 2012 avec YouTube une exclusivité sur trois 3 ans, assortie d’un revenu garanti (MG) la première année ? Mis à part Studio Bagel racheté en mars dernier par Canal+ et à la bonne audience de X-Treme Video, la plupart font une audience décevante. Est-ce un échec pour YouTube en France ?
Virginie Courtieu-Peyraud :
Notre objectif avec ce programme de chaînes originales était de catalyser l’arrivée de contenus originaux
sur la plateforme. Le pari est largement réussi lorsque l’on observe que de nombreux partenaires ont depuis décidé de lancer eux-mêmes, sans contribution de YouTube, leurs propres chaînes originales, comme par exemple Golden Moustache, Euronews Knowledge, ou les chaînes de Endemol Beyond.
Ces chaînes originales ont aussi permis de fidéliser une audience toujours plus large
et engagée (1) : nous observons que le temps passé sur YouTube par les Français augmente de plus de 30 % chaque année. Enfin, les annonceurs et investisseurs sont eux aussi aujourd’hui beaucoup plus engagés sur la plateforme.

EM@ : Est-ce par ailleurs de nouvelles chaînes françaises autres que les
13 initiales bénéficient de l’aide avec minimum garantis (MG) de YouTube ?
V. C-P. :
Non. Comme je vous le disais, notre objectif avec ce programme n’était pas
de le généraliser à toutes les chaînes, mais simplement de catalyser l’arrivée de contenus originaux sur la plateforme – et le pari est réussi ! Nous continuons à investir dans l’écosystème par de nombreux biais, comme par exemple avec la campagne d’affichage que vous avez pu découvrir dans Paris récemment visant à soutenir les YouTubers phares de la plateforme, ou d’autres investissements comme les studios
« YouTube Space » à Los Angeles, New York, Londres et Tokyo. A cet égard, nous avons aussi lancé en septembre un programme inédit avec l’ESRA [Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle, ndlr] pour encourager les partages d’expériences entre YouTubers et étudiants. Ce programme est basé sur l’échange d’expertises entre les YouTubers accomplis et les étudiants, créateurs en devenir.

EM@ : Netflix a lancé en France, le 15 septembre, sa plateforme de SVOD.
Quelle incidence aura sur YouTube l’arrivée de Netflix ?
V. C-P. :
Les marchés du payant et du gratuit sont en général très différents. Ceci dit,
la concurrence est toujours une bonne chose, peu importe d’où elle vient ! Elle nous oblige à nous concentrer sur l’innovation et le service aux utilisateurs. Nous avons passé ces dernières années à développer notre plateforme, en investissant dans nos créateurs et la construction de nos solutions de monétisation. Et nous continuons à observer une très forte croissance.

EM@ : Est-ce que la présence accrue de Netflix en Europe peut inciter YouTube
à rationaliser sa propre offre de VOD, notamment en France et si une offre de SVOD est envisagée ?
V. C-P. :
Les plateformes Google comme Google Play proposent déjà en France
des films à la location ou à l’achat (2). Par ailleurs, quelques dizaines de partenaires YouTube ont choisi de proposer de nouvelles vidéos à travers l’offre de chaînes YouTube payantes avec abonnement mensuel ou annuel (3). Ces chaînes payantes constituent une nouvelle catégorie sur YouTube, en plus de l’offre croissante de chaînes gratuites.

EM@ : Combien de visiteurs uniques par mois compte YouTube en France ?
V. C-P. :
YouTube rassemble près de 26 millions d’utilisateurs chaque mois en France, selon Médiamétrie.

EM@ : YouTube et NRJ ont annoncé début septembre un partenariat par lequel la 1re radio de France va diffuser sur la plateforme de partage des vidéos musicales « les plus populaires [vues sur YouTube] » qui seront commentées à l’antenne. NRJ envisage-t-il aussi de la « radio filmée » diffusée sur YouTube comme le font déjà les BFM Business, France Inter et quelles autres ?
V. C-P. :
C’est déjà le cas. La chaîne YouTube de l’animateur Cauet est en grande partie de la radio « filmée » de son émission C’Cauet sur NRJ, et elle rencontre un
très grand succès [plus de 2,1 millions d’abonnés à ce jour, ndlr]. De même, la chaîne YouTube de Guillaume Pley, autre animateur sur NRJ, fonctionne très bien.
Nous sommes en tous cas très heureux de ce partenariat avec NRJ qui va permettre aux artistes les plus populaires sur YouTube en France de partager leur musique
avec les auditeurs de NRJ et atteindre une audience toujours plus large. Cette émission est une première pour nous en Europe, après notre partenariat avec SiriusXM aux Etats-Unis.

EM@ : Quelle est la politique de partenariat vidéo de YouTube en France ?
Le Revenu pour mille impressions (RPM) est-il toujours de 0,50 euro à 2 euros
les 1.000 vues, en fonction des clics enregistrés sur les vidéos publicitaires ? Comment se répartissent actuellement vos partenariats vidéo entre les médias (audiovisuel ou presse) et les créateurs indépendants ?
V. C-P. :
Nous ne sommes pas en mesure de communiquer les revenus de nos partenaires. Le modèle est toujours le même et il est identique pour tous : il s’agit
d’un partage des revenus publicitaires qui se fait à l’avantage du partenaire. Il existe plusieurs formats publicitaires sur YouTube, et les annonceurs ont la possibilité d’acheter l’inventaire à la réservation ou à l’enchère. L’un des formats stars de la plateforme est le format « Trueview », qui permet aux internautes de choisir les publicités vidéos qu’ils souhaitent – ou non – regarder.
Nous avons par ailleurs lancé récemment l’offre « Preferred », qui permet simplement aux marques de préempter les chaînes YouTube les plus plébiscitées par leurs audiences cibles. Cet inventaire est déterminé par un algorithme qui sélectionne les chaînes avec des audiences significatives, et un niveau d’engagement important. Nous avons lancé cette offre en France en septembre avec GroupM et Vivaki [respectivement groupes WPP et Publicis, ndlr], et sommes impatients de la mettre avec eux au service des marques et de leurs objectifs sur YouTube.

EM@ : Le différend sur les conditions de rémunération, qui oppose depuis le printemps les producteurs de musiques indépendants et YouTube, sur le point
de lancer la plateforme de streaming musical « YouTube Music Key », inquiète
de nombreux ayants droits de la musique ou du cinéma. Qu’en est-il exactement de ce conflit et que dites-vous à ceux qui se méfient de YouTube ?
V. C-P. :
Notre objectif principal est de proposer de nouvelles sources de revenus aux labels et artistes. D’ailleurs, 95 % des partenaires ont déjà signé ! Nous restons optimistes et espérons rapidement finaliser les négociations avec la petite fraction de l’industrie restante.
Nous travaillons dur pour continuer à proposer à nos utilisateurs de nouvelles façons
de profiter de leurs contenus favoris sur YouTube, et pour permettre à nos partenaires de générer toujours plus de revenus sur la plateforme. C’est dans cet esprit que nos équipes se penchent sur le lancement d’une fonctionnalité « abonnement » pour la musique sur YouTube, mais nous n’avons pas de détails à annoncer à ce sujet pour
le moment. @

David Neichel, président du SELL : « Le jeu vidéo en France devrait croître de 7 % cette année »

Le président du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), par ailleurs DG France d’Activision qui vient de sortir « Destiny », espère que la nouvelle génération de consoles de jeux vidéo va permettre au marché français de doubler au cours des prochaines années son chiffre d’affaires.

Propos recueillis par Charles de Laubier

David NeichelEdition Multimédi@ : Le chiffre d’affaires 2013 de l’industrie du jeu vidéo en France est estimé par GfK à 2,5 milliards d’euros, en léger recul de 0,4 % sur un an. Le SELL avance 2,7 milliards en 2013. Pourquoi ce différentiel ? Quel est le chiffre définitif et quelle croissance prévoyez-vous cette année ?
David Neichel : Effectivement, nos prévisions de l’année dernière ont été confirmées et le chiffre d’affaires du jeu vidéo en 2013 a été de 2,7 milliards d’euros (1). Le différentiel avec GfK s’explique par la difficulté à appréhender le marché du dématérialisé.
Ceci dit, nous sommes tout à fait d’accord avec GfK pour prévoir une croissance du marché du jeu vidéo en France de 7 % à fin 2014.

EM@ : Certains pensent que la 8e génération de consoles (PS4, Xbox One, Wii U, …) est la dernière, tant les jeux online et le Cloud Gaming vont les rendre obsolètes (à partir de 2017 environ). Etes-vous d’accord avec cette perspective tout-online ?
D. N. : Nous nous méfions des prévisions de ce type. On nous disait déjà que la 7e génération de consoles serait la dernière. Notre industrie se focalise davantage sur
les contenus que sur les plateformes. Nous irons là où veulent aller les joueurs.
Le dématérialisé est évidemment une tendance de fond, même si 64 % de la valeur
du marché est toujours générée par le jeu physique. Et une grande partie de la valeur du jeu en ligne, qui représente 25 % de la valeur totale, est réalisée sur consoles.
Les différents segments du marché que sont les consoles, les jeux et les accessoires ont eux-mêmes leur propre phénomène de cycle. Naturellement, la transition passe dans un premier temps par un fort développement du parc de consoles, ce qui permet ensuite à celui des jeux et des accessoires de progresser au fur et à mesure. Les consoles de génération 8 ont cependant connu un démarrage extraordinaire, favorable à l’ensemble de l’écosystème. Et de nombreux jeux sont attendus sur le second semestre 2014 (2).

EM@ : Selon l’industrie, chaque génération de consoles de jeu vidéo a permis de doubler son chiffre d’affaires : est-ce à dire qu’à l’issue de cette 8e génération qui devrait prendre fin dans cinq ans, la France du jeu vidéo pèsera 5 milliards d’euros ?
D. N. :
Nous ne pouvons que l’espérer ! Nous constatons en effet que le renouvellement de cycle est favorable à l’ensemble des acteurs du marché. Nous avons constaté qu’à chaque génération précédente, le chiffre d’affaires global a été multiplié par deux. Nous espérons donc qu’il en soit de même pour la génération 8 qui démarre très rapidement, dans l’ensemble de l’Europe. Les consoles connaissent sur
le 1er semestre 2014 une croissance sans précédent, ce qui prouve que le cycle est
en marche et cela promet de belles perspectives. Nous savons également que chaque génération est différente et que l’évolution des modes de consommation et distribution rendent le marché plus complexe à appréhender.

EM@ : Certains pensent que cette 8e génération de consoles est la dernière, tant les jeux online et le Cloud Gaming vont les rendre obsolètes (à partir de 2017 environ). Etes-vous d’accord avec cette perspective tout-online ?
D. N. :
Nous nous méfions des prévisions de ce type. On nous disait déjà que la 7e génération de consoles serait la dernière. Notre industrie se focalise davantage sur
les contenus que sur les plateformes. Nous irons là où veulent aller les joueurs. Le dématérialisé est évidemment une tendance de fond, même si 64 % de la valeur du marché est toujours générée par le jeu physique. Et une grande partie de la valeur du jeu en ligne, qui représente 25 % de la valeur totale, est réalisée sur consoles. Il n’est donc pas très pertinent d’opposer plateforme et mode de distribution.

EM@ : Vous avez eu, le 16 juillet dernier, un entretien avec Axelle Lemaire, secrétaire d’État chargée du Numérique : que lui avezvous dit ? La réforme du crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV) adoptée en décembre vous satisfait-elle ?
D. N. :
Nous avons en effet eu un échange fructueux avec Axelle Lemaire qui connaît bien notre industrie (3) et sait parfaitement ce que le jeu vidéo peut porter en matière d’innovation, de création de valeur et d’emplois. Parmi les sujets importants abordés,
la réforme du crédit d’impôt est un enjeu central pour l’industrie en France. Ce qui a
été voté à l’Assemblée nationale [loi de finances rectificative 2013, ndlr] nous convient : baisse du seuil d’éligibilité, allongement du temps de production et ouverture du crédit d’impôt aux jeux classés 18. Mais le rendre concret prend du temps et nous espérons que tous les détails techniques seront réglés rapidement.

EM@ : Des ayants droits estiment qu’en contrepartie du CIJV, le droit d’auteur devrait s’appliquer dans le jeu vidéo (malgré l’échec de la médiation Chantepie fin 2013) : qu’en pensez-vous ?
D. N. :
Sur la répartition de la chaîne des droits, toutes les professions du jeu vidéo parlent d’une seule voix, respectent et valorisent la place des auteurs, mais ne souhaitent pas qu’on applique des modes de répartition inadaptés à notre nature numérique. @

Alain Rocca, producteur de films et président d’Universciné : « La VOD à 3 mois n’a aucun intérêt »

Fondateur de la société de production de films Lazennec & Associés, et cofondateur président d’Universciné, édité par Le Meilleur du Cinéma et regroupant une quarantaine de producteurs indépendants, Alain Rocca
répond sans détours aux questions de Edition Multimédi@.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Alain RoccaEdition Multimédi@ : Arnaud Montebourg (1) demande aux opérateurs audiovisuels et numériques français de « s’unir pour offrir des plateformes alternatives aux offensives anglosaxonnes », dont Netflix : qu’en pensez-vous ?
Alain Rocca :
C’est déjà plus positif que les députés PS qui pensent que le piratage n’est pas grave ou que Bercy qui rackette le CNC (2)…
Si son intervention servait déjà à convaincre Orange d’accepter dans un premier temps de proposer à ses abonnés les offres des éditeurs VOD français et pas seulement la sienne, ce qu’Orange refuse depuis des années malgré les recommandations des rapports Hubac et Lescure, cela serait déjà un bon début.

EM@ : Une réflexion est en cours pour que les producteurs puissent proposer leurs films sur leur propre plateforme de VOD, directement aux internautes, comme Hulu ou Epix…
A. R. :
Nous avons été les premiers à croire que les producteurs et les distributeurs devaient se regrouper pour disposer d’un volume suffisant de films afin de maîtriser
leur commercialisation sur Internet.
Nous nous sommes sentis longtemps un peu seuls à défendre ce point de vue…
Si de nouveaux regroupements se constituent ce serait une très bonne nouvelle.

EM@ : Le CNC cherche à rapprocher des offres de VOD/SVOD, où Allociné (5) serait le fédérateur. Est-ce possible ?
A. R. :
Une offre VOD c’est une marque Internet. Je ne vois pas ce que signifierait un rapprochement entre des marques qui doivent au contraire affirmer toujours plus leur identité sous peine de disparaître. Par contre, le CNC a effectivement mandaté une agence [La Netscouade, ndlr (6)] pour réfléchir à la mise en place d’une plateforme
de référencement qui serait dédiée aux seuls éditeurs VOD « cinéma » légaux et contributifs.
Nous participons activement à cette réflexion. Mais le problème essentiel de ce type de plateforme reste de savoir qui va la payer, sans ponctionner une chaîne de valeur VOD déjà très tendue…

EM@ : Quid des partenariats Videofutur-FilmoTV et Orange-Jook ?
A. R. :
Il s’agit d’opérations de ventes groupées (bundle), qui ne concernent que les offres SVOD, et comportent pour l’éditeur l’inconvénient majeur de ne pas maîtriser
le fichier d’abonnés correspondant, lequel reste dans le périmètre de l’opérateur de
la box.

EM@ : Universciné pilote Streams D&D d’EuroVOD, partie prenante du projet Spide coordonné par l’ARP et financé par la CE pour de nouvelles expérimentations de sorties simultanée salles-VOD : souhaitez- vous des expérimentations day-and-date en France ?
A. R. :
Streams est le premier festival de cinéma en ligne d’Europe. Il est organisé par la fédération EuroVOD, dont Universciné est le pilote. Ce festival présente sur toutes les plateformes une sélection de films qui ne sont sortis en salle que dans leur seul pays de production. Ce n’est pas du tout du day-and-date.
Concernant les expérimentations de sorties simultanées salles/ vidéo/VOD dans les pays d’Europe où la situation des salles est très dégradée, nous sommes très intéressés par les résultats des expérimentations en cours impulsées par MEDIA (7). Dans le cas français, Universciné voudrait proposer que certains films à combinaison de sortie en salles réduite puissent accéder très rapidement à une exploitation vidéo
et VOD, dans un dispositif de marketing et de partage de recette qui permettrait de soutenir la fréquentation des salles.

EM@ : Partagez-vous la remarque d’Igor Wojtowicz, producteur de « Cinéma français se porte bien », sorti sur Universciné, affirmant : « Il est plus facile d’accéder à un film piraté, en streaming gratuit, que de l’avoir en VOD » ?
A. R. :
C’est toujours plus long de passer à la caisse du supermarché régler vos achats que de sortir directement sans payer ! Un site légal doit disposer d’un dispositif solide de validation du paiement, permettant entre autres d’effectuer les répartitions aux ayants droits. Ce qui est nécessairement plus long qu’un site pirate…
Et en plus, une telle remarque est fausse pour toute la consommation VOD qui s’effectue en IPTV, c’est-à-dire deux tiers du marché.

EM@ : Faut-il la VOD à 3 mois et la SVOD à 18 mois ?
A. R. :
La VOD à 3 mois par rapport à 4 n’a aucun intérêt pour tous les acteurs du marché, et est illisible pour les spectateurs. A preuve : le très petit nombre de films qui ont demandé à profiter de la possibilité actuellement offerte de cette avancée à 3 mois de la sortie VOD. Quant à la VOD à 18 mois, elle ne rajoute pas un film de plus à l’offre légale, et renforce la capacité de pénétration sur le marché français des offres SVOD anglo-saxonnes auxquelles Arnaud Montebourg nous demande de résister… Et cela risque probablement de pousser les chaînes en clair à revendiquer des droits de catch up TV gratuites. Si on veut tuer le marché de la VOD transactionnelle, c’est une bonne idée ! @

Eric Walter, Hadopi : « On ne peut plus légiférer en 2014 contre le piratage comme on l’a fait en 2009 »

La Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) aura 5 ans le 12 juin. « Si c’était à refaire aujourd’hui, le texte serait sans doute différent » nous dit son secrétaire général, qui dresse un bilan
« largement positif » avec le piratage « stabilisé ». Le nombre de 100 dossiers transmis à la justice est atteint.

Propos recueillis par Charles de Laubier

Eric WalterEdition Multimédi@ : La loi Hadopi du 12 juin 2009, instaurant
la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, a 5 ans dans quelques jours. Quel bilan faites-vous de ce texte de loi très controversé ? Si c’était à refaire, faudrait-il l’adopter en l’état ?
Eric Walter :
Je n’ai pas à faire le bilan du texte. C’est une responsabilité qui appartient au législateur.
En revanche, nous pouvons dresser un bilan de la mise en oeuvre.
Il est largement positif, au delà des controverses qui, pour beaucoup, se nourrissent d’approximations voire souvent d’erreurs.
Le téléchargement illicite est désormais stabilisé. Nous ne nous en attribuons pas tout
le mérite, mais que l’existence même d’Hadopi et les débats qui l’ont entourée y aient contribué me semble une évidence difficile à contredire.

Au-delà, nous avons pour la première fois en France une institution publique dédiée
aux usages culturels numériques. Ce statut très particulier nous a permis d’acquérir
une connaissance et un savoir-faire rares dans la fonction publique. Enfin, tant sur les nouveaux moyens déployés pour encourager l’offre légale, réguler les mesures techniques de protection que sur le caractère très innovant de nos travaux d’études
et de recherche, il y a là une ressource publique unique qui permet à tous désormais de travailler sur des faits objectifs, et non plus seulement des idées ou des a priori. Si c’était à refaire aujourd’hui, le texte serait sans doute différent. Beaucoup de changements sont intervenus depuis 2009. Ils ont notamment été très largement analysés dans le rapport
« Lescure ». A l’international, on observe que les procédures dites de riposte graduée prennent une forme différente. On ne peut plus en 2014 légiférer sur la question comme
on l’a fait en 2009.

« Sur la création d’une « autorité du numérique’’ recommandée par l’étude du CGSP [commissariat
général à la stratégie et à la prospective, qui dépend du Premier ministre, ndlr], la présidente de l’Hadopi, Marie-Françoise Marais, trouve que c’est “une idée intéressante”
et que “les compétences numériques de l’Hadopi pourraient naturellement aussi y trouver leur place” »

EM@ : Les industries culturelles, qui affirment que le piratage repart à la hausse, estiment (à mots couverts) que l’Hadopi n’en a pas fait assez depuis trois ans et demi, au vu des quelques dizaines de dossiers « seulement » transmis à la justice. Et ce, après 3 millions d’e-mails d’avertissement et plus de 310.000 lettres recommandées envoyés d’octobre 2010 (début de la réponse graduée) au 30 avril dernier. Un malentendu ne s’est-il pas installé au fil des ans entre les ayants droits (SCPP, Sacem, SDRM, SPPF, Alpa) et l’Hadopi ?
E. W. :
Cette hausse supposée du piratage en ligne n’est pas corroborée par nos analyses. Si des données en attestent, qu’on nous les transmette et nous les analyserons. En attendant, nous observons une stabilité des faits de téléchargement illicite toutes technologies confondues et aucune donnée sérieuse ne vient contredire cette observation.
Il n’y a aucun malentendu. Les titulaires de droits connaissent dans le détail notre travail
et toute l’énergie et tous les moyens que nous déployons au travers de la procédure de réponse graduée. C’est une légende urbaine tenace que d’affirmer que le faible nombre
de dossiers transmis à la justice – au nombre de 100 au 30 avril 2014 – est une preuve d’échec. C’est tout le contraire ! Comme le dit souvent la présidente de la CPD [commission de la protection des droits, ndlr], si on avait voulu des transmissions massives, il aurait fallu écrire un autre texte, une autre loi. Celle-ci, telle qu’elle est faite, est fondée sur un principe essentiellement pédagogique qui vise non pas à transmettre
à la justice mais justement à tout faire pour ne pas avoir à transmettre. Tout dossier transmis est un échec, oui. Mais la masse des dossiers non transmis est un réel succès, qui montre bien que le dispositif remplit sa mission de sensibilisation. Les ayants droit savent très bien qu’aucun autre pays ne s’est investi aussi vite, aussi loin et aussi massivement que la France pour la protection de leurs droits sur Internet et, en particulier via l’Hadopi, les réseaux P2P. Je pense qu’il n’y a aucune ambiguïté là-dessus.

EM@ : La présidente de la CPD de l’Hadopi a remis le 12 mai son rapport « Lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne » à Aurélie Filippetti : les acteurs de la publicité et du paiement en ligne, appelés à une « autorégulation », ne risquent-t-ils pas de jouer les « gendarmes » ou la « police privée » ?
E. W. :
C’est à Mireille Imbert-Quaretta qu’il appartient de s’exprimer sur son rapport.
Je tiens juste à mettre en garde contre l’usage excessif de termes accusateurs du type
« police privée ». C’est souvent simpliste et bien peu représentatif du fond des questions concernées. Ce n’est pas ma façon de faire.

EM@ : Alors qu’Aurélie Filippetti promet une loi Création depuis huit mois, avec absorption de l’Hadopi par le CSA, la présidente de l’Hadopi – Marie-Françoise Marais – milite contre cette perspective. Elle voit plus un lien entre propriété intellectuelle et protection des données personnelles et s’est déjà dite favorable
à une « autorité du numérique » (étude du CGSP, mai 2013) : qu’en pensez-vous ? E. W. :
Non, la présidente de l’Hadopi ne milite pas contre cette perspective. Nous avons toujours été clairs : ce qui prime ce sont les missions, et ceux qui les remplissent (les agents). Fusionner, rapprocher des institutions est un moyen. Mais pour quelle fin ? L’emballage (Hadopi, ou une autre institution) n’a pas grande importance. Et si des mouvements se justifient en termes d’efficience de l’action publique comme de rationalisation de la dépense publique, il n’y a pas la moindre raison de s’y opposer. L’hypothèse de création d’une autorité du numérique envisagée par l’étude du CGSP [commissariat général à la stratégie et à la prospective, dépendant du Premier ministre, ndlr] que vous évoquez est une toute autre question. La présidente a dit qu’elle trouvait que c’était une idée intéressante et que, si un tel projet venait à voir le jour, les compétences numériques de l’Hadopi pourraient naturellement aussi y trouver leur place.

EM@ : A ce jour, le décret de nomination de trois membres du collège de l’Hadopi pour remplacer ceux dont les mandats ont pris fin le 26 décembre 2013 n’est toujours pas paru au J.O. – malgré le courrier de la présidente de l’Hadopi au Premier ministre le 23 avril. Quelles sont les conséquences sur l’institution ?
Eric Walter : Pour l’instant les conséquences sont mineures, mais il est certain qu’il ne faudrait pas que cette situation perdure. Comme l’a indiqué la présidente de l’Hadopi,
cela crée une « instabilité juridique » dont il est délicat de mesurer les conséquences.
Concrètement, la loi prévoit un collège de neuf membres et un quorum de cinq pour délibérer valablement. Le quorum est toujours bel et bien respecté. En revanche, le nombre total de membres prévu ne l’est pas.
Cela signifie-t-il qu’il y a remise en question juridique des décisions prises par le collège ? Nous n’avons pas la réponse, d’où la formule « instabilité ». En attendant, l’institution continue de fonctionner et met en oeuvre les missions votées par le Parlement.

EM@ : Les ayants droits de la musique et du cinéma s’opposeraient à la nomination à l’Hadopi de Rémi Mathis, président de Wikimédia France et militant de la
« diffusion libre de la connaissance » : est-ce fondé et l’Hadopi y gagnerait-elle ?

E. W. : Avant de se poser la question de savoir si c’est fondé, il faudrait surtout se poser celle de savoir si cette rumeur que vous évoquez est vraie, ou non. Dans ces métiers,
on extrapole vite et facilement. Il faut savoir rester prudent sur ces affirmations.
Sous le précédent gouvernement, nous avons en effet été informés par le cabinet de
la ministre du choix qu’ils avaient retenu et j’estime que c’était un bon choix en ce sens que j’ai toujours considéré que les contenus libres d’utilisation pouvaient parfaitement coexister avec les contenus dont l’utilisation est soumise à autorisation.
C’est un choix qui appartient à l’auteur. Rémi Mathis dispose d’une véritable expertise
sur ces questions encore mal connues et elle serait, j’en suis convaincu, utile au collège de l’Hadopi.
De façon plus générale, l’offre ne se limite pas à la seule offre de contenus soumis à autorisation et je suis convaincu que faire connaître les contenus librement partageables du fait de leur licence contribue à faire reculer l’utilisation illicite des œuvres en élargissant les choix offerts à l’utilisateur.

« Rémi Mathis [président de Wikimédia France, ndlr] dispose d’une véritable expertise qui serait utile au collège de l’Hadopi. »

EM@ : Y a-t-il un projet de l’Hadopi de légalisation des échanges non marchands contre rémunération proportionnelle par les intermédiaires ?
E. W. :
Non, aucun. Nous travaillons sur l’analyse de la faisabilité d’un projet de compensation financière du partage qui emporterait légalisation de ces pratiques, dès
lors qu’elles seraient effectivement rémunérées. Ce qui aurait également le grand intérêt de permettre aux ayants droit de recevoir une juste rémunération au titre de l’exploitation de leurs œuvres, dont seuls les services concernés bénéficient aujourd’hui.
Et dans notre esprit, le partage ne se limite pas à la technologie qui lui est généralement associée, le P2P. Il s’agit d’un travail prospectif qui s’inscrit dans notre mission d’observation des usages illicites et de proposition de moyens pour y remédier, à l’instar des actions que nous conduisons pour encourager la connaissance de l’offre légale et de la mise en oeuvre de la réponse graduée. Le législateur a élaboré une loi d’équilibre.
Notre travail, c’est de respecter cet équilibre dans les faits, et non de nous limiter à l’une ou l’autre de nos missions. @

Frédérique Bredin se veut prudente sur la sortie simultanée de films en salles et en VOD

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en pleine réforme de la filière et de la chronologie des médias face au numérique, veut mieux aider la VOD en France. A l’occasion du 67e Festival de Cannes, sa présidente nous répond aussi sur la sortie simultanée salles-VOD. Et elle souhaite une taxe sur la publicité en ligne.

Propos recueillis par Charles de laubier

Frédérique BredinEM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations
de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà été retenus ?

Frédérique Bredin : Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention. Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film.
Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative.
La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations (1) à l’occasion du Festival de Cannes [le 16 mai, ndlr].

EM@ : Comment se traduit concrètement le soutien du CNC à la VOD et est-ce suffisant ?
F. B. :
Ce soutien se traduit par deux types d’aide : une aide destinée aux détenteurs
d’un catalogue de droits VOD pour la mise en ligne et l’enrichissement éditorial d’œuvres françaises et européennes ; une aide destinée aux éditeurs de services de VOD pour la mise en ligne et l’éditorialisation d’œuvres françaises et européennes sur leur service. Ainsi, 1,29 million d’euros ont été attribués en 2013 au titre de ce dispositif, ce dont ont notamment bénéficié 15 éditeurs de services de VOD. Sur un marché davantage mature, qui a considérablement crû depuis 2008, l’aide sélective, très contrainte par son régime juridique dit « de minimis » (1), n’est désormais plus suffisante pour jouer pleinement son rôle incitatif, face aux enjeux actuels.

EM@ : Comment comptez-vous alors améliorer ce dispositif d’aide à la VOD ?
F. B. :
Anticipant cette situation, le CNC a initié dès 2010 une démarche de notification
de ses aides aux éditeurs de VOD auprès de la Commission européenne, afin d’intensifier l’aide sélective actuelle, en la sortant du « de minimis ». Cette première notification, opérée à l’été 2010, a finalement dû être retirée par les autorités françaises en avril 2011 du fait de l’opposition de la Commission européenne. Le CNC a procédé fin 2012 à une nouvelle notification portant à la fois sur l’amélioration de l’aide sélective et sur la mise en place d’un soutien automatique « VOD », inexistant aujourd’hui, préconisé par le rapport sur
le sujet par Sylvie Hubac (2), remis au CNC en janvier 2011. A ce jour, la Commission européenne n’a toujours pas donné son accord pour la mise en place de ces deux dispositifs, pourtant essentiels au développement de l’offre légale européenne. Ces échanges semblent toutefois susceptibles d’aboutir en 2014, permettant la mise en place de ces deux dispositifs.

EM@ : Y a-t-il d’autres aides à la VOD ?
F. B. :
Parallèlement à ces aides à l’exploitation des œuvres françaises et européennes en VOD en cours d’amélioration, le CNC soutient également dans le cadre du RIAM (Réseau de recherche et d’innovation en audiovisuel et multimédia, ndlr), dispositif cogéré avec Bpifrance, les projets de R&D relatifs au développement de l’offre légale française. L’appel thématique spécifique du RIAM, lancé en mars 2013 en faveur du développement d’outils innovants sur le marché de la VOD, permet en effet d’accompagner de nombreux projets ambitieux pour une meilleure ergonomie des offres au bénéfice de l’expérience des consommateurs.

EM@ : Le CNC a fait du rapport Bonnell sa feuille de route : avec trois groupes
de travail (financement des films, transparence-partage, distribution-diffusion) et une négociation sur la chronologie des médias : combien d’accords professionnels espérez-vous d’ici cet été ? Adapteront-ils le cinéma à Internet ? S’il n’y a pas d’entente, le législateur prendra-t-il le relais ?
F.B. :
A ce stade, l’ensemble des soixante-dix propositions ont été évoquées et ont donné lieu à des discussions nourries dans un esprit constructif, signe du sens des responsabilités du secteur concernant son avenir, qu’il s’agit de souligner et que je tiens
à saluer. Des enjeux prioritaires se dégagent :
• La transparence de toute la filière, tant concernant les rapports entre distributeurs et producteurs qu’entre exploitants et distributeurs : il s’agit ici d’améliorer les rendus de compte, de développer les audits et de clarifier les remontées de recettes.
• La diffusion des films en salles : l’objectif est d’améliorer structurellement les conditions de diffusion, afin de pérenniser la diversité de l’offre de films en salles.

EM@ : Pensez-vous que les premières expérimentations de simultanéité salles-VOD par les projets Speed Bunch de Wild Bunch, Edad d’Artificial Eye avec
Rezo Films, et Tide de l’ARP – tous soutenus financièrement par la Commission européenne jusqu’en juin prochain – soient une bonne chose, alors que de nouveaux projets (dont Spide de l’ARP avec Wild Bunch) ont d’ores et déjà
été retenus ?
F.B. :
Ces expérimentations, soutenues jusqu’ici par la Commission européenne dans
le cadre d’une action préparatoire, doivent être examinées avec la plus grande attention.
Il est notamment indispensable qu’elles se fassent dans le respect de la chronologie des médias de chaque Etat membre et avec l’accord des exploitants qui diffusent le film. Il serait donc prudent, avant toute conclusion hâtive, de tirer rapidement un premier bilan rigoureux de ces premières expérimentations, afin d’en extraire tous les enseignements utiles. Et ce d’autant que cette initiative a été reconduite et que la Commission européenne souhaite la poursuivre en intégrant cette action préparatoire au sein même du volet MEDIA du programme Europe Creative. La Commission européenne devrait d’ailleurs présenter les premiers résultats de ces expérimentations [le 16 mai prochain, ndlr] à l’occasion du Festival de Cannes.

EM@ : Vous avez réuni le 3 avril le réseau des « CNC » européens, l’EFAD, qui déclare que « les géants de l’Internet ne contribuent pas » assez à l’audiovisuel :
en France, la loi de Finances rectificatif pour 2013 n’applique-t-elle pas déjà la taxe vidéo aux services de VOD disponibles en France mais basés à l’étranger ?
F.B. :
La réponse est oui, mais cette réforme fiscale qui étend la taxe vidéo aux services de VOD étrangers ciblant le marché français n’est pas encore validée par la Commission européenne. Il convient de noter que les Allemands ont prévu le même dispositif que nous, à savoir une taxe vidéo étendue aux entreprises de VOD établies hors d’Allemagne, dont l’offre cible le marché allemand. Mais cette réforme ne suffit pas. Nous souhaiterions, par exemple, pouvoir taxer les recettes publicitaires des hébergeurs, y compris lorsque ces entreprises ne sont pas établies en France. Cela les mettrait à égalité avec les chaînes
de télévision traditionnelles, dont on taxe les produits publicitaires, y compris sur la télé
de rattrapage. @